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  • Pas de destin commun sans enracinement...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Paul-François Schira au Figaro Vox à l'occasion de la sortie de son essai La demeure des hommes (Tallandier, 2019). Juriste et énarque, Paul-François Schira enseigne le droit public à l’Ecole Nationale Supérieure, ainsi qu’à l’Université Panthéon-Sorbonne.

     

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    Paul-François Schira: «Il n'y a pas de destin commun sans enracinement»

    FIGAROVOX.- Votre livre part d'une interrogation sur la réaction de notre société aux attentats terroristes de 2015. Nous n'avons pas su répondre en profondeur à la menace djihadiste?

    Paul-François SCHIRA.- La chute du mur de Berlin et la fin des grandes idéologies ont engendré chez nous une méfiance durable à l'égard des mouvements collectifs. Pour ne plus qu'il y ait d'oppression, il fallut réduire les sociétés à un fourmillement d'individus libres de définir, en toute autonomie, leurs propres finalités. La politique ne fut plus le lieu particulier de la délibération en vue d'une finalité commune, mais un système neutre, donc universel, se bornant à réguler les irréductibles antagonismes de chacun. Sur ces décombres ont poussé des instincts grégaires de substitution. Très mobilisateurs, ils trouvent les démocraties libérales désarmées. Le djihadisme n'est pas affaire de précarité économique, ni de désirs individuels d'ascension sociale. Il répond à une triple quête de sens, d'appartenance et de reconnaissance. Notre erreur fondamentale, c'est de considérer que cette triple quête - qui agite aussi les mouvements dits «populistes» partout en Europe et aux États-Unis - est à elle seule la marque d'une déviance. Je pense, au contraire, que ces interrogations fondent la cité politique et expriment un besoin permanent de l'homme. En les délaissant, nous creusons à la fois son esseulement et son désespoir, deux conditions propices à sa radicalisation.

    Faire du terrorisme islamiste un produit endogène de l'Occident, n'est-ce pas faire preuve d'une forme d'autoflagellation?

    Le salafisme, sous-bassement idéologique du terrorisme islamiste, n'a bien sûr aucune trace historique dans notre civilisation. Pour autant, le succès qu'il rencontre aujourd'hui au cœur des populations européennes n'est pas anodin. Les témoignages de personnes qui s'y sont converties à partir d'une vague tradition laïque ou judéo-chrétienne affluent. Les radicalisés issus de l'immigration proviennent quant à eux de la deuxième, voire troisième génération: ils n'ont pas apporté le salafisme dans leurs bagages. Le terrorisme «homegrown» dit quelque chose de nos sociétés: il prospère sur le vide que nous lui laissons. Comme l'écrivait Polybe, «aucune civilisation ne cède à une agression extérieure si elle n'a pas d'abord développé un mal qui l'a rongée de l'intérieur». En se bornant à combattre le salafisme par le culte de l'individu-roi autour duquel elles espèrent que nous rassemblerons l'humanité, les démocraties libérales abandonnent à l'extrémisme ceux de leurs propres membres qui ne se retrouvent pas dans une société éclatée, brassée dans le grand bain de la mondialisation marchande.

    Vous dressez un parallèle inattendu entre totalitarismes et individualisme. Quel lien faites-vous entre ces mouvements a priori plutôt opposés?

    Nous avons intégré que l'individualisme était le meilleur rempart au totalitarisme, et que nous étions acculés à devoir choisir entre ces deux formes politiques. Or, cette summa divisio n'en est pas une. Totalitarisme et individualisme partagent une prémisse: celle de l'irréductibilité des rapports de force qui traversent la société. Ces deux mouvements réduisent la politique à la seule organisation du conflit social - par la domination ou l'indifférence. Entre l'écrasement de la société par un «je» uniforme, sorte de Léviathan collectiviste, et son éclatement en une multitude de «je» individuels qui sont autant de Léviathans autarciques, on professe la même impossibilité du «nous». Pour sortir de ce cycle infernal, il faut remettre en cause sa matrice: l'abdication à faire travailler les hommes ensemble au service de causes communes.

    Vous prônez le retour des finalités communes pour lutter contre l'individualisme. Mais n'est-ce pas trop tard? La possibilité même d'un Bien commun n'a-t-elle pas été sapée par un relativisme désormais ancré profondément dans les mentalités?

    Nous avons pris l'habitude de ne percevoir le monde qu'à travers notre subjectivité. À l'incertitude de ce qui lui est extérieur- le beau, le juste, le bon - a succédé la certitude de ce que le sujet décide pour lui-même. Nous ne cherchons plus à faire le bien, puisque nous décidons de ce qu'il est. Et quiconque remet en cause cet individualisme est renvoyé à sa propre individualité. Mais autant nous semblons désarmés face à cette hégémonie intellectuelle, autant les insatisfactions qu'elle engendre peuvent servir de point d'appui pour revoir notre conception du monde. Car l'individualisme précipite de lui-même un appauvrissement économique - en sapant la confiance nécessaire à l'échange marchand, en généralisant la loi de la concurrence et en favorisant les comportements spéculatifs - ainsi qu'un ensauvagement social - en creusant le fossé entre ses perdants et ses gagnants, en laissant chacun seul et envieux de ceux qui réussissent mieux, sans autre idéal que l'obsession de l'égalité et des possessions matérielles. C'est pourquoi nous sommes à un tournant: tous ces phénomènes menaçants que nous percevons aujourd'hui, partout en Occident, signent un échec de la part des démocraties libérales, mais si ces échecs agissent comme sonnette d'alarme alors tout n'est pas perdu.

    Vous prônez une «politique de l'enracinement», mais est-ce vraiment réaliste? N'est-il pas au contraire une lente sédimentation culturelle qui ne saurait faire l'objet de politiques publiques?

    La recherche des finalités communes, seule à même de vraiment rassembler les hommes, ne pourra jamais se traduire par un consentement parfait entre individus autonomes: cela, ce sont des utopies que nous laisserons à Rousseau et Kant. Il faut plutôt susciter l'attachement des hommes au-delà du résultat qu'ils sont susceptibles d'atteindre collectivement. Il faut donc qu'ils se reconnaissent dans des ensembles auxquels ils peuvent se donner. Une telle amitié ne se décrète pas: elle vient de mœurs partagées, de fréquentations durables, ancrées dans une histoire qui nous est proche. La «société ouverte» aboutit bien souvent à l'enfermement des individus sur eux-mêmes. Les démocraties ne peuvent être aussi désincarnées que les tenants de la bien-pensance le prétendent. Pas de paix sans destin commun, et pas de destin commun sans enracinement dans une communauté d'appartenance.

    Quelles pistes concrètes proposez-vous?

    La politique de l'enracinement suppose tout d'abord d'assumer la spécificité de chaque «commun», et de reconnaître la supériorité affective que certains peuvent avoir sur d'autres. Elle oblige par exemple à préserver ce qui fait la singularité de chaque culture, que ce soit par un soin apporté à la transmission de son patrimoine, y compris naturel, ou par une capacité à redonner du sens à ses frontières - sur la question migratoire comme en matière de commerce international. Elle suppose ensuite de permettre aux hommes de réellement habiter ces «communs», en multipliant les occasions d'y éprouver concrètement leurs responsabilités: ici, le rôle des collectivités locales, des entreprises, des familles et des associations dans la vie de la cité prend tout son sens. L'État ne peut pas être le seul acteur de l'intérêt général. La politique de l'enracinement exige par ailleurs de résister à toute appropriation de la chose publique par des groupes d'intérêts orientés par un vulgaire agenda de lobbyistes. Elle nécessite enfin une nouvelle échelle des mérites - économiques, sociaux - incitant l'homme à dépasser le «chacun fait ce qu'il veut, tant que cela ne nuit pas à autrui».

    On le voit pendant la crise des «gilets jaunes»: une demande paradoxale émerge de la société qui demande à la fois moins d'État et plus d'État. Comment expliquez-vous ce paradoxe? Libéralisme débridé et État-providence s'alimentent mutuellement?

    La poursuite illimitée de l'enrichissement des individus produit des «gagnants» et des «perdants». L'État, qui n'assume plus d'orienter le fonctionnement spontané du marché et des désirs individuels, est alors obligé de constamment courir derrière les inégalités engendrées par ces rapports de force afin de les corriger. Lorsque cette dynamique de déchirement est trop puissante et que la collectivité ne peut financièrement plus satisfaire les besoins des perdants de la mondialisation, ceux-ci commencent à se demander ce qu'ils lui doivent: ils s'en détachent alors, pour se reconstituer en classes d'individus tous semblables. Ce clivage théorisé par Guilluy n'est pas un clivage d'idées, car parmi les gagnants et les perdants de la mondialisation individualiste il y a consensus sur le droit de chacun à jouir librement. Il est un clivage sociologique: les perdants veulent remplacer les gagnants au sommet de la pyramide. Or ce type de clivage ne se résout que par la violence.

    Paul-François Schira, propos recueillis par Eugénie Bastié (Figaro Vox, 22 février 2019)

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  • Pour survivre, la droite doit abandonner les élites mondialisées...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue intéressant de , cueilli sur Figaro Vox et consacré à la survie idéologique de la droite. est auditeur au Conseil d'Etat et maître de conférence à Sciences-Po.

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    La gauche a assumé l'abandon du peuple, la droite doit assumer celui des élites

    «Car il m'est apparu que l'homme était tout semblable à la citadelle. Il renverse les murs pour s'assurer la liberté, mais il n'est plus que forteresse démantelée et ouverte aux étoiles. Alors commence son angoisse qui est de n'être point» (Saint-Exupéry, Citadelle)

     

    Ainsi en est-il de la scène politique française, structurée autour d'une seule et même idéologie, celle de la déconstruction permanente.

    Cette idéologie promeut le progrès conçu non comme surgissement d'une volonté dans l'histoire, mais, s'appuyant sur le confort matériel, comme un projet d'émancipation de l'homme contre toutes les formes de limites, quels que soient le sens de ces limites et la finalité poursuivie par celui qui vise à s'en débarrasser.

    Elle emprunte la méthode spécifique de la table rase, où l'histoire n'est plus faite de tâtonnements mais de certitudes aveugles en vue de soumettre la réalité réticente de la matière, tant dans le domaine scientifique (transhumanisme) que politique («arracher l'enfant des déterminismes de sa famille» de V. Peillon).

    Après son stade moderne, qui fut celui des mouvements collectifs (nationalismes, communismes), cette idéologie sera, au XXIe siècle, celle de l'agitation individuelle.

    L'individu devient unique source et finalité de la société ; la conscience même d'un bien commun disparaît derrière le relativisme de groupes multiples organisés par leurs intérêts particuliers, réduisant la communauté de destin en un vaste marché mondial visant à l'épanouissement narcissique (Christopher Lasch) dont le politique ne serait qu'un secteur d'industrie.

    La scène politique française, entre consensus idéologique et fractures sociologiques, menace de dislocation la droite dite «de gouvernement».

    Dans la plupart des pays occidentaux, l'hégémonie culturelle de cette idéologie a creusé un fossé aujourd'hui presque sociologiquement figé, entre ceux qui en bénéficient et ceux qui en sont frustrés.

    Si le cœur de l'élite «de masse» (20-30% de la population selon C. Guilluy) a retiré les fruits de la mondialisation et de sa vision individualiste et libertaire (pour faire court, le droit de jouir sans entrave), la généralisation de la «société de marché» a percé les frontières des États et celles de tous les corps sociaux protecteurs - familles, écoles, entreprises - pour les atomiser en gagnants et en perdants.

    Ces derniers, ceux qui ne «sont rien» (la France périphérique, soit les 2/3 de la population, toujours selon C. Guilluy), cherchent aujourd'hui à prendre leur revanche en se tournant, soit vers Marine Le Pen pour se décharger sur d'opportuns boucs émissaires (la finance, l'Europe, l'immigration), soit vers Jean-Luc Mélenchon promettant davantage d'utopies libératrices en surfant sur la colère du peuple (revenu universel, etc.).

    Cette déconstruction des nations entre centres et périphéries se retrouve partout ailleurs: en Angleterre avec la cartographie du «Brexit» opposant la Greater London aux autres régions du pays, ou aux États-Unis, entre les central states et les coastal states.

    Chez nous, la carte des électeurs du premier tour des présidentielles est éloquente (métropoles vs. France des villes moyennes).

    La droite s'est historiquement contentée d'être le bon gestionnaire de cette idéologie depuis 1968, soit par

    désintérêt (elle s'est jetée à corps perdu dans le mondialisme et l'économie), soit par dégoût (c'est la bourgeoisie plus conservatrice qui se tourne vers la politique de proximité et se replie sur son entourage proche).

    Elle s'est contentée de se fondre dans le paysage dessiné par l'idéologie de la déconstruction en tentant d'y apporter un semblant d'ordre et de bonne gestion financière: le débat politique de la droite lors des législatives s'est ainsi résumé, après la grande désillusion des présidentielles, à une querelle comptable de chiffres et de mesures paramétriques (baisse de l'IR, etc.) sans vision aucune.

    Le consensus idéologique ambiant n'a donc jamais été remis en question ; bien au contraire, le libéralisme traditionnel de la droite s'est laissé glisser vers la quête de la jouissance servile aux mains d'un État devenu simple gestionnaire.

    Or, les laissés-pour-compte de la mondialisation montrent qu'ils ne se satisferont plus des promesses de la gauche et du vide intellectuel laissé à droite.

    À l'heure du Brexit, de Trump, de Podemos, du mouvement des 5 étoiles et du FPÖ, la ligne de partage politique n'est plus entre une pensée de droite et une pensée de gauche, indépendantes l'une de l'autre.

    Le clivage n'est plus idéologique: il menace de ne devenir que sociologique, entre les gagnants et les frustrés du libéralisme libertaire. Le risque est de voir une telle opposition, qui ne se situe plus sur le plan des idées, se traduire par la violence la plus brutale - déchaînement des frustrations et de l'accumulation des rancœurs, entretenues par le système médiatique.

    Entre En Marche, qui rassemble, dans un discours de gestionnaire rassurant, jeunes diplômés, immigrés et cadres des métropoles mondialisées, et Jean-Luc Mélenchon ou Marine Le Pen, qui rivalisent d'irresponsabilités pour incarner la revanche des antisystèmes et des classes populaires, le «marché» électoral de la droite dite de gouvernement s'est, faute de discours cohérent, réduit comme peau de chagrin.

    Pour survivre, la droite devra bâtir un discours autonome qui réinvestisse le champ du politique plutôt que celui du gestionnaire.

    La recomposition actuelle du paysage politique français autour des deux extrêmes et l'apparition d'En Marche signeraient à terme l'avènement d'un grand parti centriste, majoritaire, mais traversé de courants profondément divergents et incohérents, constitué d'alliances de circonstances instables et ponctuelles rappelant les gouvernements de la IVe République.

    Ce schéma risque de «satelliser» la droite en caution économique d'un programme qu'elle ne maîtriserait plus. Cependant, la faiblesse du score de MLP au premier tour des présidentielles, et les divisions internes du FN auquel les départs de Marion Maréchal-Le Pen et de Florian Philippot portent un coup, constituent une opportunité immense pour que la droite de gouvernement effectue, à l'occasion de ces prochaines années, le travail sur elle-même analogue à celui des conservateurs britanniques au milieu des années 2000 devant une gauche économiquement et sociétalement libérale, et des extrêmes qui prêchaient la révolution.

    La gauche avait, en son temps, assumé l'abandon du peuple qui a tout perdu: la droite pourrait assumer celui des élites postmodernes qui ont tout gagné. L'urgence de la droite, face à son risque de dissolution, est de récupérer trois pôles: l'électorat populaire (attaché à des valeurs de responsabilité, d'autorité et percevant les ravages du libéralisme libertaire), l'électorat bourgeois des provinces et assimilé, souvent de culture catholique et sociale, et celui de la gauche dite «réac», chevènementiste.

    Comme l'avait fait le think-tank Terra Nova dès 2011 en orientant cyniquement le PS vers l'électorat de la coalition des bobos et des minorités, il s'agirait ici pour la droite d'abandonner l'élite déracinée et déterritorialisée, qui aurait tout à perdre d'un changement de son discours, pour rassembler la bourgeoisie de province et les classes populaires dans une sorte de «Terra Nova inversé».

    Ce Terra Nova inversé n'aurait pas pour objet de promettre une quelconque revanche, mais de proposer aux «perdants» économiques et culturels de porter un changement de paradigme.

    Face à l'idéologie de la déconstruction qui rassemble pour mieux les déchirer les deux «camps» des gagnants et des perdants de la mondialisation libérale-libertaire, la droite doit bâtir un discours autonome et crédible.

    Pour ce faire, elle refuserait de ne concevoir la nation que comme un agglomérat d'individus dont le politique n'aurait qu'à organiser l'interaction pour en maximiser l'épanouissement matériel ; et elle refuserait dans le même temps de promettre la «revanche» des classes populaires par des promesses intenables ou de verser dans le décroissantisme, marqueurs des deux extrêmes.

    Refuser l'idéologie de la déconstruction, c'est à la fois refuser son matérialisme individualiste post-politique qui continue à atomiser la société en produisant des «gagnants» et des «perdants», et refuser sa méthode de la table rase surfant sur les fausses promesses et les colères stériles ; c'est assumer la nécessité pour toute société qui souhaite perdurer et vivre librement de protéger les trésors chèrement accumulés au fil des siècles.

    C'est donc affirmer le besoin de transmission de notre culture, qui suppose un espace clos, un territoire, afin de générer la confiance et la fraternité nécessaires à l'existence d'une vie démocratique enracinée - d'une vraie démocratie, tout simplement.

    Ce projet aurait à son cœur le rejet de l'émerveillement béat et des frustrations violentes, lui préférant l'enracinement dans le passé pour une projection vers l'avenir. Son maître-mot ne serait pas «construire», mais «grandir», y compris à partir du local, plus propice à l'élaboration apaisée de solutions concrètes aux véritables problèmes de fond.

    La protection qu'il offrirait n'est pas refus du changement, d'où le rejet du mot-caricature de «conservatisme»: elle réhabiliterait l'idée que l'innovation n'est ni bonne, ni mauvaise, mais qu'il revient à notre volonté politique de la saisir comme une opportunité et de la maîtriser comme un danger.

    C'est ainsi réhabiliter la place du politique, sa vocation à orienter plutôt qu'à accompagner les changements qui sont loin d'être inéluctables.

    Ce serait donner envie aux Français de redécouvrir qu'ils peuvent encore, en tant que peuple, maîtriser les décisions qui ont trait à des sujets structurants pour notre avenir (écologie, transmission des savoirs et des valeurs, rapports à la mondialisation et au libre-échange, rapports à la technologie notamment quant à ses impacts éthiques et sociaux, etc.).

    Ce serait donc leur permettre de reprendre goût à leur propre liberté politique.

    «Un être humain a une racine par sa participation réelle, active et naturelle à l'existence d'une collectivité qui conserve vivant certains trésors du passé et certains pressentiments d'avenir», disait Simone Weil.

    Cette refondation idéologique est à même de séduire l'électorat cible, mais aussi d'aller au-delà.

    Pour les classes populaires ou moyennes, et la bourgeoisie dite de province, il s'agit de reconnaître la valeur d'une patrie en partage, ainsi que le capital immatériel que représente la «décence commune» dont parle George Orwell sans laquelle «l'unité politique n'est qu'une coquille vide» (M. De Jaeghere).

    Mais c'est aussi un discours capable de rassembler d'abord les libéraux, au sens premier du terme - ceux qui aspirent à la protection des personnes contre l'arbitraire du pouvoir, ceux qui estiment qu'il appartient à chaque institution, Etat compris, de se cantonner à son rôle pertinent (notamment en matière économique),.

    Mais aussi ceux qui reconnaissent que l'économie de marché ne fonctionne durablement - et n'est même historiquement apparue - que dans le cadre de communautés culturelles enracinées, assumant une certaine éthique, et structurées par des Etats-nations démocratiques.

    Enfin, c'est un discours susceptible de séduire une partie de l'électorat préoccupé par la question sociale, en développant des politiques fondées sur la notion de responsabilité plutôt que sur l'humiliation d'un assistanat organisé: les Français veulent travailler et non vivre d'allocations ; ils veulent se sentir intégrés dans la société et pas sans cesse renvoyés à leurs origines par un discours victimaire et moralisateur.

    Cette velléité de bâtir un nouveau parti de masse à droite, ni gestionnaire, ni démago, trouve de nombreux échos intellectuels et médiatiques, des anciennes gauche et droite: Finkielkraut, Brague, Debray, Gauchet, Onfray, Delsol, Polony.

    A l'heure où ce combat culturel est mené avec brio, la droite, si elle ne veut pas disparaître, devra prendre le chemin de crête périlleux qui consiste à rejeter en bloc le confort d'une politique gestionnaire en s'affranchissant d'une idéologie qui lui aliène le nouveau cœur de son électorat putatif: les classes moyennes et populaires, et la bourgeoisie dite de province.

    (Figaro Vox, 6 octobre 2017)

     

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