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paul mccarthy

  • Requins, caniches et autres mystificateurs...

    Les éditions Albin Michel viennent de publier une enquête de Jean-Gabriel Fredet intitulé Requins, caniches et autres mystificateurs - La bulle dorée de l'art contemporain. L'auteur est journaliste à Challenge.

     

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    " Il se passe toujours quelque chose sur la scène de l'art contemporain. Le célèbre artiste Maurizio Cattelan exposait récemment à New-York, – au musée Guggenheim ! – son dernier chef-d'oeuvre : une cuvette de WC en or massif. Au printemps 2017, Jeff Koons, autre star du milieu, détournait sans vergogne les chefs-d'oeuvre classiques pour lancer une ligne de sacs d'une grande marque de luxe reproduisant des tableaux célèbres de Léonard de Vinci ou de Rubens ! A Venise, pour signer son grand retour, son ami Damien Hirst proposait, lui, une exposition hollywoodienne, 200 pièces récupérées d'une épave engloutie : en fait, elles ont été entièrement fabriquées dans ses ateliers ! Prix affichés, entre 400 000 et 4 millions de dollars. Dans cet univers sans foi ni loi, des managers affûtés manipulent les prix à l'abri des regards et dictent leur volonté au marché dans l'indifférence de la critique comme des conservateurs de musée qui regardent ailleurs, tétanisés par la crainte de rater les " nouveaux impressionnistes ". Provocation des artistes, conformisme des amateurs : l'art contemporain devait nous aider à comprendre le monde. Il danse aujourd'hui sur un volcan. Bulle des prix, bulle des ego, bulle des gogos : après le Jardin des délices, la Nef des fous ? "

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  • Quand Richard Millet repasse par la station Châtelet-Les-Halles...

    "Je prends quotidiennement le RER, pour moi la station Châtelet-Les-Halles à six heures du soir c'est le cauchemar absolu, surtout quand je suis le seul blanc. Est-ce que j'ai le doit de dire ça ou pas ?" Richard Millet, Ce soir ou jamais, 7 février 2012

     

    Nous reproduisons ci-dessous une chronique de Richard Millet, cueillie sur son site personnel et consacrée au complexe commercial et ferroviaire de Châtelet-les-Halles. Ecrivain et polémiste, Richard Millet a récemment publié Le corps politique de Gérard Depardieu (Pierre Guillaume de Roux, 2014) ainsi qu'un hommage au compositeur finlandais Sibelius, intitulé Sibelius - Les cygnes et le silence (Gallimard, 2014).

     

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    Retour à Châtelet

     

    Je n’aime pas déchoir ; c’est pourquoi j’évite autant que je le peux le complexe commercial et ferroviaire de Châtelet-les-Halles, à la célébrité duquel j’ai pourtant contribué en révélant combien il m’arrive de m’y sentir ontologiquement seul, préférant donc au RER le métro et, malgré la distance, la marche dans le bois de Vincennes où les corneilles criaillent sur les ruines de notre civilisation, m’avait dit, la veille, une blonde jeune femme.

    La civilisation française est morte à Châtelet-les-Halles, penserais-je, le lendemain soir, vers six heures, au moment où, faute d’autre solution, je suis entré dans le grand remugle humain, toutes races et ethnies confondues en un corps fiévreux et en quête de légitimité sociale, tandis que j’examinais sincèrement si je n’étais pas la proie d’une de ces « crispations » que les dévots stigmatisent par l’épithète d’« identitaires », prônant ainsi un état idéal qu’on peut appeler post-identitaire, pour bien se démarquer des « crispés » encore porteurs des cellules-souches héritées d’Athènes et de Jérusalem.

    Ce qui m’a frappé, ce soir-là, c’est l’hébétude générale. Ce laboratoire post-racial, cet accélérateur de particules multiculturelles, cet utérus de l’inversion radicale de toutes les valeurs ne parvenait qu’à produire cet état si caractéristique de  la servitude contemporaine dans quoi l’humain s’oublie au point de se sourire à lui-même, au sein d’un grouillement babélien où chacun ignore autrui tout en le surveillant du coin de l’œil et en redoutant de se laisser assimiler par le corps mystique de la nation française, lequel est pourtant mort. J’étais descendu dans un des cercles de l’enfer mondialisé, avec ses damnés frénétiques ou absents, ses sourcilleux djihadistes, ses brebis trottinant d’un pas morne, ses victimes en quête d’un épisode sacrificiel, et nombre de narcissistes, hommes, femmes, enfants, humanoïdes moins soucieux de liberté que d’un surcroît de servitude, pensais-je en remontant vers l’air libre, non sans avoir cherché du regard les gardes rouges de l’antiracisme – incultes écrivains qui, à la suite de l’émission de télévision où j’avais, j’y reviens, évoqué ma détresse à me sentir quelquefois le seul blanc en ce lieu, entendent prouver que je me trompe et que, contre l’évidence, l’« écrasante majorité » non-européenne demeure une « minorité », nonobstant le fait que je m’y retrouve, moi, le minoritaire par excellence, mais sans le « droit » de le dire, un des acteurs officiels du régime m’ayant en outre assuré, lors de cette émission, avec une compassion d’homme de cour, que rien ne lui était plus agréable que de descendre au plus profond de ces entrailles.

                Ces collabos postmodernes n’étaient sans doute pas de service, ce soir-là, ou bien écoutaient-ils le chef de l’Etat discourir, à la Porte Dorée, sur les bienfaits de l’immigration. J’ai bientôt fait sonner le granit du pont Neuf où soufflait un vent froid qui m’a délivré des miasmes. J’ai salué la statue d’Henri IV devant laquelle une espèce de fou tempêtait contre le gouvernement, un exemplaire de Vingt mille lieues sous les mers dans une main, dans l’autre une boîte de raviolis. J’ai préféré regarder, brillant dans la lumière des phares, les jambes soyeuses d’une passante, en hommage à Baudelaire qui a tout dit, en matière de désir comme en politique. Le quai de Conti est plutôt sombre, la nuit, quand on débouche du pont et qu’on le prend sur la droite. La nuit semble même s’y approfondir, ai-je pensé, devant l’hôtel de la Monnaie où se tenait une exposition consacrée à l’ « usine à chocolat » de Paul McCarthy, mouleur de sex toys et gonfleur de ballons dont l’un a récemment connu la gloire d’un détournement néo-situationniste, place Vendôme : une débandade, un fiasco, eût dit Stendhal, un renvoi à l’air du temps, un pet silencieux. Il était d’ailleurs là, ce godemiché sodomique, au premier étage du vénérable hôtel, dans sa verte et discrète gloire, auprès d’un autre gonflage rouge en forme d’étron dressé sous les lambris et les lustres, tandis que Koons, autre industrieux gonfleur, ce qui montre bien la dimension propagandiste du Culturel, exposait non loin de là, au Centre Pompidou, ses chiens constitués de préservatifs noués ensemble, dont un de la « Pinault collection » (ce qui est mieux, nous sommes en France, n’est-ce pas, que la collection Pinault), Koons enculant néanmoins McCarthy quant à la notoriété et à l’argent, constatais-je, depuis le quai venteux, avant de reprendre ma marche et d’arriver devant la statue de Condorcet, entourée par deux étages de blancs bâtiments de type Algeco qu’un puissant projecteur éclairait en donnant à l’auteur du Mémoire sur le calcul des probabilités et des Réflexions sur l’esclavage des nègres l’air, à contre-jour, debout sur le piédestal, d’un Terminator qui eût débarqué non pas du futur mais d’un passé oblitérant tout futur, parce que celui-ci a déjà lieu dans la catastrophe civilisationnelle au cours de laquelle on renie toute forme d’héritage au profit d’un hédonisme ludique et absoluteur, répondais-je à Elie qui m’attendait devant l’Institut de France dont la coupole, pourrait-on lire dans un roman de Jean d’Ormesson, brillait sous une lune éclairant d’un jour blafard la place en hémicycle, déserte, balayée par le vent, en face de la passerelle des Arts aux rambardes surchargées de cadenas aussi clos et insignifiants que le temps où vivent les amoureux venus signaler là leur existence par cet « accrochage » koonsien, penserais-je, quelques heures plus tard, après avoir dîné au Voltaire, en-dessous de l’appartement où est mort l’auteur de l’Essai sur les mœurs, et où j’avais dîné, deux ans auparavant, exactement, en compagnie de Jacques Vergès qui désirait me connaître, après qu’une meute de chiens excités par une romancière à face de vieille fesse, m’eut accompagné aux lisières des forêts intérieures.   

                Un dîner raffiné, au cours duquel Vergès me disait, entre autres choses, que Robespierre n’aurait pas toléré qu’on manquât à la syntaxe, murmurait-il en levant son cigare dans une pénombre qui sentait la fin d’un temps, m’étais-je dit en pensant que c’était le seul point sur lequel je donnerais raison à Robespierre, ce maître de la mort française, comme je me le redirais en quittant le Voltaire, cet autre soir, pour déboucher sur le quai qui porte son nom et gagnant l’autre rive afin de longer le Louvre, sur le quai qui porte le nom de Mitterrand, autre fossoyeur de la France. La décadence de ce pays se lit aussi dans le nom des quais et des rues, et Paris est une ville morte, la capitale de l’insignifiance française et du renouvellement d’un peuple par son contraire, disais-je à Elie que j’ai laissé au pont Neuf pour me diriger vers le grand collecteur des Halles, où je suis descendu entre des clochards et de très jeunes filles qui défiaient le froid, jusqu’au quai quasi désert du RER où une équipe d’ouvriers vêtus de combinaisons blanches et de casques intégraux s’apprêtait à désosser le revêtement mural de la station, quelques lettres du nom Châtelet étant déjà tombées de sorte que le nom devenait une énigme archéologique, sous l’œil résigné de quelques Chinois, de Tamouls et d’Africains, ces frères humains qui, comme moi, attendaient l’ultime convoi de la nuit.

    Richard Millet (Site officiel de Richard Millet, 18 décembre 2014)

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  • Le "plug anal" de McCarthy place Vendôme : un accident industriel ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un excellent point de vue d'Eric Conan, cueilli sur le site de Marianne et consacré aux réactions à l'affaire du plug géant de la place Vendôme. Dans ce domaine également, le système commence à se fissurer...

     

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    Deux réalisations de Paul Mccarthy...

     

    Le "plug anal" de McCarthy place Vendôme : un accident industriel ?

    Que se passe-t-il ? Si le sabotage du « plug anal » géant de Paul MacCarthy - lui-même géant de la création contemporaine - érigé place Vendôme pour l’ouverture de la Foire internationale d’art contemporain (Fiac) a produit l’habituel concert de basse-cour des coucous suisses piaillant par réflexe « Réacs ! Réacs ! Réacs ! », de grandes voix ont significativement divergé. A commencer par celle de l’un des commissaires politiques les plus écoutés du marché de l’art contemporain, le critique Philippe Dagen. Cette fois-ci, au lieu de hurler avec les idiots utiles de l’avant-gardisme chic et de la provocation toc, il a condamné dans sa chronique du Monde une opération relevant selon lui du « vulgaire » et de la « trivialité » : « Il y a mieux à faire que gonfler un phallus couleur sapin dans les beaux quartiers de Paris ».

    La surprenante mise en garde de Philippe Dagen est en fait un signal d’alarme lancé à un monde dont lui-même fait partie : la bulle spéculative de l’art contemporain qui s’emballe depuis quelques années. Il prévient qu’elle pourrait exploser et le pot aux roses être découvert à cause d’erreurs comme celle qui a fait « pschitt ! » place Vendôme. Les komsomols à front bas de l’art contemporain se réjouissent du scandale McCarthy - selon eux une réussite totale : l’artiste est un héros d’avoir été agressé physiquement par un dangereux crétin et sa baudruche est grandie d’avoir été dégonflée. Mais Philippe Dagen, lui, a compris autre chose. Et il sermonne le Comité Vendôme (qui réunit les enseignes de luxe de la célèbre place), les organisateurs de la Fiac et la Mairie de Paris pour avoir mis en scène cet « enculoir » (selon la traduction de Delfeil de Ton dans L’Obs) rebaptisé « Tree » pour les petits enfants et les grands journalistes faux-culs. Attention, leur fait comprendre la vigie culturelle du Monde, le choix de ce spécialiste des « provocations pornographiques et scatologiques » risque de mettre à nu les ressorts du système économique de l’art contemporain : une coterie de riches, de critiques et de fonctionnaires de la Culture s’accaparant l’espace public pour décréter « œuvres » des signes qui servent de plus en plus la rente financière et sa défiscalisation massive. Un secteur en plein essor.

    L’art dit contemporain suscite en effet aujourd’hui plus de commentaires dans les pages « Finances » et « Argent » des journaux que dans la rubrique « Culture ». Le Monde Eco Entreprise nous apprend que « 76% des collectionneurs l’achètent pour faire un investissement » : pour les très riches à la recherche de bons placements, « l’art est aujourd’hui le plus porteur. Selon Artprice, son indice a augmenté depuis 2012 de 12 % quand celui de l’or baissait de 49 % et les prix immobiliers de 3 % ». Ce marché, qui a augmenté de 40 % en un an et de 1 000 % sur dix ans, vient d’être rassuré par le gouvernement anti-passéiste de Manuel Valls qui assomme les retraités et les familles mais a maintenu pour les riches l’exonération des œuvres d’art de l’impôt sur la fortune.

    « L'art des traders »

    L’un des artistes les plus côtés, Jeff Koons (les homards gonflables…), lui même un ancien financier, est représentatif de cet « art des traders » analysé par Jean Clair, historien de l’art et ancien directeur du Musée Picasso : « Est arrivée la crise de 2008. Subprimes, titrisations, pyramides de Ponzi : on prit conscience que des objets sans valeur étaient susceptibles non seulement d’être proposées à la vente, mais encore comme objets de négoce, propres à la circulation et à la spéculation financière la plus extravagante ». Le développement de cette bulle spéculative confirme les pronostics faits bien avant la crise par Jean Baudrillard, critique regretté des simulacres de la société de consommation. Il avait décrit la capacité de cet autre marché à « faire valoir la nullité comme valeur » : « Sous le prétexte qu'il n'est pas possible que ce soit aussi nul, et que ça doit cacher quelque chose », l’art contemporain « spécule sur la culpabilité de ceux qui n'y comprennent rien, ou qui n'ont pas compris qu'il n'y avait rien à comprendre. Autrement dit, l'art est entré (non seulement du point de vue financier du marché de l'art, mais dans la gestion même des valeurs esthétiques) dans le processus général de délit d'initié ».

    Délit d’initiés, car, comme les subprimes et la titrisation, cette valorisation financière de la nullité repose sur une division du travail tacite entre collectionneurs privés, fondations (qui défiscalisent à hauteur de 60 %), musées d’Etat et journalistes afin de décider dans le dos du public des valeurs à la hausse. Dans ce système, l’artiste est en fait plus créé qu’il ne crée. « Les commissaires se sont substitués aux artistes pour définir l’art », résume Yves Michaud, philosophe et ancien directeur de l’Ecole des Beaux-Arts. L’important n’est pas l’artiste mais ce processus associant collectionneurs, fonctionnaires et critiques qui le désignent. Dans un milieu de plus en plus fluide : les collectionneurs pénètrent les conseils des musées publics, les « artocrates » passent du ministère de la Culture, aux musées et aux fondations, les grands collectionneurs prescrivent le marché tandis qu’à coup d’expositions et d’achats, les fonctionnaires d’un Etat culturel de plus en plus co-financé par le mécénat privé orientent l’argent des contribuables pour valider auprès du public la cote des artistes sélectionnés. C’est l’un de ces petits marquis de la rue de Valois qui avait dit il y a quelques années au peintre Gérard Garouste qu’il n’aimait pas sa peinture « qui ne représentait en rien l’art français ».

    Imposture en bande organisée

    Comme toute les impostures en bande organisée, cet art d’initiés additionne les risques. D’abord ceux que représentent les grands enfants que sont ces nouveaux artistes. Ils peuvent vendre la mèche comme l’avait fait un jour Jeff Koons : « Mon œuvre n’a aucune valeur esthétique… Le marché est le meilleur critique ! » Une fois qu’ils sont starisés, il est parfois difficile de les contrôler et ils peuvent se montrer approximatif dans le réglage du niveau de provocation, comme McCarthy ou comme cet autre génie qui avait, la nuit, pendu aux arbres d’une place de Milan des imitations d’enfants pour se gausser des ploucs locaux horrifiés au petit matin... Car leur créativité sans bornes est aussi facile que risquée : n’importe qui peut être candidat à l’art conceptuel. Ce qu’avait anticipé Claude Levi-Strauss dans son fameux article sur « le métier perdu » en peinture a bien muté : il n’y a plus besoin d’une formation technique aux métiers de l’art pour récupérer une vieille palette sur un chantier, faire faire un tonneau à une voiture, mettre du caca en conserve ou produire des pénis en chocolat. « L’acte artistique ne réside plus dans la fabrication de l’objet, mais dans sa conception, dans les discours qui l’accompagnent, les réactions qu’il suscite », explique la sociologue Nathalie Heinich, auteur du Paradigme de l’art contemporain (Gallimard).

    Le risque peut venir aussi des collectionneurs, qui par inculture ou passion spéculative, ne savent pas s’arrêter quand il faut, parce qu’ils se flattent, au travers de leurs actes d’achat, d’ignorer le passé, l’histoire, la culture dont il faut faire table rase. « Avoir un Jeffs Koons chez soi dispense de justifier ses gouts tout en envoyant un message clair : "Je suis riche" », explique la marchande d’art Elisabeth Royer-Grimblat. « De la culture au culturel, du culturel au culte de l’argent, c’est tout naturellement que l’on est tombé au niveau des latrines, souligne Jean Clair, Le fantasme de l’enfant qui se croit tout puissant et impose aux autres les excréments dont il jouit ».

    La machine à cash dévoilée

    A ce propos, Philippe Dagen est assez inquiet pour se permettre dans son rappel à l’ordre de sermonner aussi François Pinault. Il reproche au grand collectionneur d’avoir lui aussi commis l’erreur d’exposer dans sa Fondation les œuvres scatologiques de McCarthy et d’autres petits génies dont l’inventivité se réduit à représenter divers carnages, sodomies et supplices sexuels. Il recommande à Pinault et à ses « conseillers » de suivre plutôt l’exemple de son frère ennemi en spéculation artistique, Bernard Arnault, dont la Fondation Vuitton, « loin de chercher le scandale », sait maintenir les apparences, avec un « art ni transgressif ni régressif ».

    Car, insiste Dagen, s’il se réduit à la « blague salace », à la « provocation grasse » et au « scandale sexuel », l’art contemporain aura du mal à continuer de faire croire qu’il est autre chose qu’une machine à cash fonctionnant au coup médiatique. Le risque le plus grave serait de perdre la complicité des élus-gogos et des fonctionnaires drogués au mécénat. Car ces provocations programmées ont besoin de disposer de lieux publics emblématiques et prestigieux (Tuileries, Versailles, Grand Palais, place Vendôme, etc.), la profanation de ces célèbres écrins historiques permettant de sacraliser des « œuvres » – poutrelles de ferraille, animaux gonflables, carcasses de voitures, étrons géants, etc. – qui n’auraient pas le même effet sur un parking de supermarché ou un échangeur d’autoroute. Dagen explique qu’un bug pas banal comme le plug anal « fournit des arguments à tous ceux qui, avec Luc Ferry pour maître à penser, tiennent l’art d’aujourd’hui pour uniformément nul – une vaste blague ». Le philosophe dénonce en effet régulièrement, avec exemples confondant à l’appui, l’« imposture intellectuelle » de cet « art capitaliste jusqu’au bout des ongles », qu’il analyse comme une version nihiliste de la « destruction créatrice » de Schumpeter étendue de l’économie à la culture.

    Derrière les cris des perroquets hurlant aux « réacs »

    Pour l’instant, les réflexes sont toujours là. Canal + continue à ânonner le catéchisme habituel : « Avec cet art qui appuie là où ça fait mal, McCarthy n’a pas fini de déranger et de briser les tabous, et c’est tant mieux pour nous ! ». Et la ministre de la Culture Fleur Pellerin a gagné le prix de la célérité à atteindre le point Godwin de nazification de l’affaire McCarthy en tweetant  : « On dirait que certains soutiendraient volontiers le retour d'une définition officielle de l'art dégénéré ». Plus significatif était le retrait et l’embarras très inhabituel de l’autre ministre de la Culture, Jack Lang, sur le plateau du Grand Journal : il ne dissimulait pas son peu d’empathie pour McCarthy, préférant s’inquiéter de la « spéculation » et de « l’unanimisme » régnant depuis quelques années dans le monde de l’art. Autre parole remarquée, l’aveu récent, au moment de partir à la retraite, d’un des plus grands marchands d’art, Yvon Lambert : « J’arrête aussi parce que mon métier a changé, il n’y a que le fric qui compte ».

    Philippe Dagen a donc estimé urgente sa mise en garde et son article remarqué constitue un tournant historique dans ce petit milieu spéculatif. Le puissant critique du Monde a bien senti, derrière les cris des habituels perroquets hurlant aux « réacs », le silence gêné des professionnels de la profession se demandant si l’affaire du plug anal de 24 mètres de la place Vendôme n’était pas le premier accident industriel du juteux business de l’art contemporain. Philippe Dagen est leur « lanceur d’alerte ».
     
    Eric Conan (Marianne, 26 octobre 2014)

     

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