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  • «L’homme occidental a oublié que le risque fait intégralement partie de la vie»...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Patrice Franceschi au Figaro Vox et consacré à l'aversion morbide de notre société pour le risque. Écrivain et aventurier engagé, Patrice Franceschi a publié de nombreux récits et témoignages et quelques essais, dont Éthique du samouraï moderne (Grasset, 2019) et dernièrement, avec Andrea Marcolongo et Loïc Finaz, Le goût du risque (Grasset, 2023). 

     

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    Patrice Franceschi: «L’homme occidental a oublié que le risque fait intégralement partie de la vie»

    LE FIGARO. – Du XIXe siècle jusqu'au siècle dernier, le risque est valorisé, lié au développement du progrès. Après la première grande catastrophe ferroviaire en France en 1842, Lamartine s'exclame à la Chambre : «La civilisation a aussi ses champs de bataille : il faut que des hommes y tombent pour faire avancer les autres.» Aujourd'hui, à l'inverse, nous avons perdu le goût du risque. Comment s'est produit ce renversement ? Comment se manifeste-t-il aujourd'hui ?

    Patrice FRANCESCHI. Ce qu'il importe de comprendre en premier lieu, c'est que l'aversion au risque est devenue l'une des maladies centrales de l'Occident et que cette aversion est une clef d'explication de tout ce qui «décompose» aujourd'hui notre société. C'est sous ce prisme précis que nous avons écrit Le goût du risque, Andréa Marcolongo, Loïc Finaz et moi-même. Et c'est son originalité.

    En moins d'un siècle, l'homme occidental est tombé dans un grand oubli : celui du lien consubstantiel entre le risque et la vie. Il ne sait plus – ou ne veut plus savoir – que le risque fait intégralement partie de la vie. Il lui est même si intimement lié que le «contrat de départ» de nos existences individuelles n'a pas changé depuis l'aube de l'humanité : nous naissons pour mourir et aucune protection contre le risque n'empêchera cette fin programmée.

    Il faut accepter de voir les choses comme elles sont, et dire ce qu'elles sont. Rien ne peut être entrepris sans prise de risque – et en premier lieu aucune action ou pensée ouvrant des routes nouvelles. Vu sous cet angle, le risque est au fondement de toute nouveauté, de toute révolution. Le basculement vers le refus du risque, dans nos existences quotidiennes comme dans les grands projets collectifs, a eu lieu progressivement. Le confort procuré par la modernité s'est conjugué depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale à un individualisme sans frein doublé d'un narcissisme exacerbé qui nous ont poussé à une quête éperdue de sécurité au détriment de toute liberté si tel est le prix à payer. Cela fait de nous aujourd'hui des peuples effrayés dirigés par des gens effrayés.

    Avant ce grand basculement, la liberté était considérée comme la valeur suprême permettant d'irriguer toutes les autres pour leur donner sens. Et l'on prenait tous les risques pour elle. Désormais, la liberté est une valeur optionnelle.

    Si l'on observe bien les choses, nous devons convenir que l'une des grandes impostures intellectuelles de notre époque est de tout tenter pour nous inculquer la croyance quasi millénariste que le risque pourrait être à jamais banni de nos existences par des lois adéquates, des réglementations strictes, un changement radical de nos comportements quotidiens – ce qui revient à nous faire accepter de force une mutation profonde de notre vision de la vie et du monde, et plus encore, de notre façon de vivre librement. Cette imposture nous a menés peu à peu à la fabrique d'une prison nouvelle. C'est notre société qui l'a édifié elle-même, avec de splendides barreaux dorés... Aucun ennemi extérieur n'a été à l'œuvre. D'une certaine manière, nous avons été à nous-même notre propre ennemi, provoquant par une sorte de contre-volonté inconséquente et perverse, notre asphyxie et notre étouffement progressif. Les hommes libres peinent à respirer.

    On peut ajouter que dans la mesure où notre consentement collectif à cet état de fait ne nous a jamais été demandé, il y a là comme un déni démocratique qu'il faut contester.

    Nos vies sont encadrées par des normes dans leurs moindres détails. Pourquoi y voir un «cauchemar civilisationnel» ? L'essor de l'intelligence artificielle va-t-il en précipiter l'avènement ?

    Nous vivons effectivement cernés par une quantité prodigieuse et jamais vue dans notre civilisation, de normes carcérales, de précautions inutiles ou de formatages infantilisants. Ils sont toujours édictés «pour notre bien» cela va de soi. L'ensemble forme un filet entre les mailles duquel il devient de plus en plus difficile de se faufiler pour demeurer maître et possesseur de son destin.

    Au final, nous vivons perclus de rhumatismes qui ont pour noms : bureaucratisation effrénée, judiciarisation de notre quotidien, surveillance généralisée de nos comportements, robotisation de nos vies, la liste n'est pas exhaustive tant nous vivons sous algorithmes... Cependant, nul n'a décidé un jour, quelque part, d'en arriver là. Pas de Big Brother caché quelque part, tirant les ficelles du jeu de masque de nos existences. Si un tel tyran existait, il serait aisé de se retourner contre lui. Hélas, les choses se sont faites lentement, par les décisions éparpillées d'un nombre indéterminé mais considérable d'acteurs de tous ordres et de tous niveaux. Perversion des tyrannies molles.

    Il va sans dire que les normes en elles-mêmes sont une bonne chose. Qui voudrait voler dans des avions mal conçus où donner à ses enfants des jouets qui les blesseraient faute d'être fabriqués correctement ? Ce qui pose problème, ce n'est pas l'existence de normes mais leur inflation outrancière, au-delà de toute mesure. Dans un souci pathologique de protection à tout prix, nous avons construit des systèmes administratifs qui ne peuvent justifier leur existence que par une production de normes à jets continus dont la somme nous contraint à vivre corseté. La plupart de ces normes sont injustifiées ou largement exagérées, chacun en a conscience mais ne peut rien faire pour s'y opposer. D'une certaine manière, on nous enjoint de consentir à une vie au rabais – au mieux de nous satisfaire de miettes d'existence. C'est le chant de la vie qui est muselé. Toute entreprise un tant soit peu exaltante est tuée dans l'œuf. Or, il faut vivre sans délai tant la fuite du temps est fugace. Aujourd'hui, on interdirait à Christophe Colomb de partir : destination inconnue, retour improbable… Nous en sommes arrivés à un point où les libertés individuelles sont menacées de disparition. Là est le grand péril existentiel de cette affaire.

    L'intelligence artificielle ne va rien arranger tant elle pourra fignoler ce système aussi doucereux que pervers. Dans la mesure où il est indolore, peu de citoyens prennent parti de lui résister. Les autres, même s'ils partagent le constat d'une disparition ontologique de leur être, préfèrent se résigner plutôt que lutter. Le résultat final est une forme de servitude volontaire dont l'ambition se limite à la seule liberté de consommer.

    Selon vous, même notre manière de faire la guerre a été contaminée par notre aversion du risque. Comment cela se traduit-il ?

    En ce qui concerne le fait militaire, tout s'est accéléré avec l'extension du «principe de précaution». À partir du moment où nous avons commis l'inconséquence de l'inscrire dans la Constitution, il ne pouvait que déborder de son cadre initial pour s'emparer de tous les secteurs de la société, armée comprise. C'était une pente juridiquement inéluctable. Ce principe de précaution avait pour souci la protection de la nature pour les générations futures. C'était un excellent principe et il le demeure à jamais. Simplement, sa place n'était pas dans la Constitution mais dans l'action quotidienne des pouvoirs publics.

    Le principe de précaution s'est ainsi fait moloch. Il a accouché d'un certain nombre d'aberrations logiques dont la plus fascinante, intellectuellement, est le concept de «guerre zéro mort». Que la guerre ne tue plus personne – sous-entendu chez nous – est un but aussi louable qu'inatteignable par définition. Donner ce but au soldat, même inconsciemment, le mène mécaniquement à donner le primat de son action non plus au succès de sa mission militaire, mais au retour intact au bercail. Résultat : toutes nos guerres se font «à moitié» et nous les perdons sans exception, d’une manière ou d’une autre.

    Dans ce domaine, ce ne sont pas les soldats eux-mêmes qui sont responsables – la plupart d'entre eux, surtout les jeunes, ne demandent qu'à accomplir leur vocation pour défendre ce qui leur est cher – mais les chefs, notamment politiques, puisque dans nos démocraties le militaire demeure subordonné au politique.

    Vous écrivez que «la sécurité endort les hommes quand la liberté les tient éveillés». Pourquoi opposer sécurité et liberté ?

    Parce que cette opposition est une évidence depuis toujours. L'image d'un vase communiquant entre sécurité et liberté est plus pertinente que jamais : plus vous mettez de sécurité quelque part plus vous enlevez de liberté, et vice versa. Dans Le goût du risque, nous n'affirmons jamais que pour vivre libre il faudrait supprimer le désir de sécurité. Ce serait très sot. Nous disons que c'est le «juste milieu» entre ces deux opposés qui est en cause. Le fléau de la balance s'est déplacé vers le «tout sécurité» au détriment du souci de liberté. Il est impératif de rééquilibrer les choses pour vivre dignement.

    La peur de la mort est un des principaux facteurs d'inhibition face au risque selon vous. La façon dont a été gérée la crise du Covid en est-elle l'illustration ?

    Dans les sociétés occidentales, la mort est devenue un tabou. On la cache, on l'édulcore, on l'euphémise, elle ne nous est plus familière comme aux temps difficiles de jadis. Nous ne l'acceptons plus. C'est une autre des conséquences de nos sociétés de confort et d'individualisme. Ce tabou de la mort s'est mué en totem inattaquable puisque la mort gâche la pleine jouissance d'un consumérisme absolu se voulant modèle de vie.

    Jamais dans notre histoire bimillénaire nous n'avons eu aussi peur de la mort. C'est aussi l'une des raisons pour lesquelles nos armées ont pour premier principe de l'éviter à leurs soldats, quel qu'en soit le prix, c'est-à-dire au détriment de l'efficacité au combat s'il le faut, tant leurs concitoyens, comme leurs chefs politiques, leur reprochent le moindre sang versé. Si nous avions été dans cet état d'esprit au cours de la Seconde Guerre mondiale, il n'y aurait eu ni De Gaulle, ni la France Libre, ni Jean Moulin, ni réseaux de résistants. La liberté, hélas, à un prix souvent élevé. Il faut à nouveau consentir à la mort pour ce qui est plus grand que nous, surtout dans une époque où les orages de l'histoire se rapprochent.

    Aujourd'hui, le soldat mort au combat pour la défense des siens est devenu un problème politique presque insoluble, celui d'une société qui ne supporte plus la disparition de qui que ce soit, pour quelque raison que ce soit. C'est l'air du temps... Notre société a évacué le fait principal de la condition humaine : le tragique contenu dans cette condition. Or, seul le sens du tragique permet de surmonter les épreuves.

    Comme le disaient avec lucidité les philosophes grecs dont la pensée nous a forgés des siècles durant, la crainte de la mort est le début de la servitude. L'injonction de ces penseurs à vivre sans tenir compte de l'effroi provoqué par notre finitude est une leçon que nous devons nous réapproprier. En y ajoutant que la seule chose dont, en vérité, nous devons avoir peur est de mal employer le peu de temps que la vie nous concède avant que le destin nous contraigne à quitter la scène de l'existence. Il faut mesurer la longueur de vie non à l'étalon de la durée, mais à celui de l'intensité.

    La gestion de la crise du Covid a été l'illustration de ce qui vient d'être dit. C'est la peur de la mort qui a dicté nos conduites dans cette épreuve, non la volonté de préserver la liberté et le goût de vivre. Et chacun sait qu'être gouverné par la peur est la pire des politiques que puisse subir un citoyen dans une démocratie acceptable.

    Quels sont les antidotes à la «maladie du risque» ?

    La soif de liberté avant tout. Pouvoir encore dire : vivre libre ou mourir. Et ainsi retrouver l'élan vital du plus puissant principe d'existence qui ait jamais été prononcé en ce bas-monde. Second antidote : l'amour de la vie, puissante et entière.

    En définitive, il faut savoir dire non à ce qui abaisse notre humanité – et être prêt à en payer le prix puisque le plus beau des risques reste la liberté.

    Patrice Franceschi, propos recueillis par Guillaume Daudé (Figaro Vox, 8 décembre 2023)

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  • Le traçage, un pas de plus vers le totalitarisme numérique ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Patrice Franceschi à Figaro Vox et consacré au traçage numérique que le gouvernement souhaite mettre en place sous prétexte de lutte contre l'épidémie de Coronavirus. Écrivain et aventurier engagé, Patrice Franceschi a publié de nombreux récits et témoignages et quelques essais, dont dernièrement Éthique du samouraï moderne (Grasset, 2019).

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    Patrice Franceschi: «Le traçage est un pas de plus vers le totalitarisme numérique»

    FIGAROVOX.- Dans votre tract, Bonjour Monsieur Orwell, paru chez Gallimard, vous vous insurgez contre l’application StopCovid et plus largement contre le contrôle numérique de masse à l’heure du Covid. Mais nous confions déjà un nombre incalculable d’informations autrement plus intimes aux Gafa, sans aucun des garde-fous proposés par le gouvernement. Dès lors, votre combat n’est-il pas un peu paradoxal? Le danger ne vient-il pas beaucoup plus des Gafa que des États? En outre, après le confinement et à l’heure du déconfinement partiel, ce type d’outil peut aussi être un bon instrument pour retrouver certaines de nos libertés, à commencer par celle d’aller et venir …

    Patrice FRANCESCHI.- Pour commencer, je ne suis pas le seul à m’insurger contre la volonté gouvernementale de traçage numérique des Français. De plus en plus de citoyens sentent que si l’emploie de cette application est votée le 27 mai au parlement, nous entrerons dans une zone dangereuse pour nos libertés futures. La problématique soulevée par la pandémie va bien au-delà de sa dimension sanitaire. De quoi s’agit-il si l’on veut bien regarder cette affaire autrement que par le petit bout de la lorgnette? Dans la mesure où l’État, en nous confinant d’autorité, nous a privé pendant deux mois de nos libertés fondamentales, tout ce qui est rattaché à ce virus pose la question du sens et de la valeur de l’existence. Pourquoi vivre si l’on n’est pas d’abord libre? Telle est la question fondamentale que pose le projet gouvernemental.

    Le danger qui nous menace avec cette application, sous des apparences incroyablement anodines, est celui d’une intrusion de l’État dans nos vies privées et notre intimité, ce qui revient à une nouvelle réduction de nos libertés individuelles et collectives du fait de cette surveillance. Tout cela au prétexte d’un peu plus de sécurité. Ce projet de loi a quelque chose de très particulier et d’absolument nouveau qui risque de nous faire basculer dans un monde qui, à moyen terme, sera celui du totalitarisme numérique dont la réalité ne peut échapper qu’aux étourdis. Voilà l’enjeu: c’est la première fois dans l’histoire de notre démocratie que nous sommes face à un tel défi. Mais, bien entendu, cela ne nous est pas présenté ainsi et l’on joue sur deux de nos culpabilités supposées pour nous faire accepter l’inacceptable: n’être pas assez «modernes» et ne pas vouloir tout faire pour sauver nos semblables. On veut même nous faire croire des choses pourtant invalidées par les faits, comme l’anonymisation des données collectées ou leur caractère «agrégé». Quant au volontariat sur lequel il serait basé, qui ne voit pas les effets pervers qu’il engendrerait? Je rappelle qu’il y a trois semaines, 472 experts en cryptologie et sécurité informatique issus des plus prestigieux instituts scientifiques français, ont publié une mise en garde publique qui dit textuellement ceci: «Toutes ces applications induisent en fait des risques très importants quant au respect de la vie privée et des libertés individuelles. L’un d’entre eux est la surveillance de masse par des acteurs privés ou publics… Les risques d’atteinte à la vie privée liés aux technologies Bluetooth sont reconnus depuis bien avant la crise sanitaire.»

    Pour nous faire accepter l’entrée dans ce nouveau monde, on ne cherche pas seulement à nous anesthésier par des propos lénifiants. On joue depuis le début sur la sacralisation de la santé et sur la peur qui caractérise l’esprit de notre temps. La peur s’est révélée être aussi un virus dont la propagation a été fulgurante dès lors qu’on nous a affirmé que nous étions en guerre - mais la guerre, c’est véritablement «autre chose», notamment parce qu’elle tue majoritairement des hommes dans la fleur de l’âge et non majoritairement des personnes âgées comme avec le Covid-19. C’est à cause de la peur que nous nous sommes tous retrouvés en résidence surveillée, hypothéquant l’avenir de notre jeunesse par l’effondrement économique résultant de cette panique, injustifiée au regard des faits. Des pays européens comme la Suède s’y sont refusés, montrant qu’il y avait d’autres choix.

    En ce qui concerne les GAFA et leurs dangers pour les libertés, vous avez parfaitement raison. Il est tout à fait exact que nous sommes entrés depuis longtemps dans une époque de surveillance généralisée permise par l’extension sans fin des nouvelles technologies et le piétinement des progrès de l’humanisme. Nous vivons sous algorithme et ce n’est pas une bonne nouvelle pour notre vie intérieure, lieu premier de notre liberté. N’est-ce pas une raison supplémentaire pour avoir la sagesse de refuser d’aller plus loin? Mais il est vrai que l’effet d’accoutumance joue à plein et que la résignation est proche, même quand nous comprenons que le projet de loi StopCovid franchit une étape cruciale puisqu’il ne provient pas d’un géant privé des Gafa, mais de l’État lui-même, ce qui est très différent. Une digue serait rompue si ce projet de loi était voté et nous ne pourrions plus revenir en arrière. Il ne s’agit pas d’un fantasme. Toute l’histoire des sciences montre qu’une invention, lorsqu’elle est efficace, ne cesse de s’étendre. Il y a un effet de cliquet constant. En matière de contrôle, il n’est pas de retour dans le passé quand celui-ci est le fait d’un progrès technologique. La surveillance numérique serait si efficace que les pouvoirs publics y reviendraient à la première occasion car il y aura toujours un «virus» quelconque pour nous menacer. Il portera même toutes sortes de noms - à commencer par celui de terrorisme - permettant de justifier la poursuite du contrôle des citoyens, jusqu’à ce que ce contrôle devienne la norme.

    Vous me demandez enfin si ce type d’outil peut quand même être un bon instrument pour retrouver certaines de nos libertés, à commencer par celle d’aller et venir. Oui, sans doute au départ. Mais, honnêtement, ce ne serait que reculer pour mieux sauter. Une illusion de plus, en quelque sorte. Car aller et venir en étant constamment surveillés est-ce réellement aller et venir?

    Vous vous érigez en défenseur inconditionnel de la liberté. Mais la première des libertés n’est-elle pas la sécurité?

    Pour commencer, je ne suis heureusement pas le seul à «m’ériger en défenseur inconditionnel de la liberté» Nous sommes nombreux à ne pas vouloir «aller à Munich» et c’est heureux. Regardez les débats autour de nous actuellement. C’est rassurant. En second lieu, l’argument que la première des libertés est la sécurité est un argument contradictoire dans les termes. Car que vaut l’idée de vivre en sécurité si l’on est dépourvu de liberté? Voyons les choses de plus près: la recherche de sécurité a toujours été l’une des quêtes essentielles de l’humanité. Cependant, elle n’avait encore jamais autant pris le pas sur tout le reste. L’une des équations de la vie nous enseigne pourtant qu’il existe un rapport constant entre sécurité et liberté - un rapport en forme de vase communiquant: augmenter l’une, c’est diminuer l’autre dans la même proportion. Longtemps, nous avons su doser intelligemment ce rapport pour nous assurer une vie à peu près sure et à peu près libre, dans un monde imparfait, fugace et volatil. Depuis peu, nous avons rompu cette sorte de pacte pour faire de la sécurité le nouvel étalon de nos sociétés, et de la liberté un accessoire optionnel. A mes yeux, cela ne permets pas de constituer de véritables communautés humaines. Nous devons reprendre l’ascendant sur notre destin. C’est pour cette raison que le texte «Bonjour monsieur Orwell - en libre accès de lecture sur le site Gallimard - s’adresse à tous les Français qui veulent demeurer des citoyens libres et refusent d’être ravalés au rang de simples consommateurs que les puissants mènent à leur gré comme des troupeaux craintifs. Il concerne tous ceux qui ne placent rien au-dessus de la liberté et considèrent que c’est cette valeur supérieure qui donne sens à toutes les autres. Et qu’ainsi, elle ne supporte aucune aliénation. On ne peut pas être libre à moitié ou au trois-quart. On l’est ou on ne l’est pas.

    Toute société doit-elle accepter une part de risque?

    Il faut d’abord rappeler que le risque est consubstantiel à la vie - et que nous naissons pour mourir. Le risque - et particulièrement celui de mourir - appartient à notre humble condition. Pénétrées de cela, toutes les sociétés, jusqu’à il y a peu, admiraient les hommes capables de prendre les risques nécessaires à l’accomplissement de grandes choses. Il fallait en passer par là pour progresser, inventer, découvrir et conquérir. Tout cela est terminé - surtout en Occident où nous vivons une époque définitivement post-héroïque. Raison pour laquelle on ne cesse de théoriser depuis trente ans la fin du courage. Le risque a ainsi changé de statut. Devenu répréhensible et condamnable, il est ce qu’il faut éviter à tout prix, quelles que soient les circonstances et les raisons. Le temps présent des sociétés contemporaine nous enjoint donc de tout faire pour vivre sans risque - ce qui, fondamentalement, est absurde. Dans le domaine militaire, ce rejet a conduit au concept de «guerre zéro mort» dont on constate aujourd’hui l’impossibilité manifeste - sauf à accepter de perdre toutes les guerres, ce qui est en train de nous arriver. En la matière, si j’étais cruel, je pousserais le raisonnement encore plus loin, jusque dans ses derniers retranchements, en demandant: l’existence d’une armée digne de ce nom sera-t-elle encore possible dans l’avenir si le soldat occidental de demain, abandonnant le vieux consentement à donner la mort comme à la recevoir, place sa sécurité au-dessus de sa mission par refus du risque tel qu’on le lui a inculqué dans sa société?

    Durant cette crise du coronavirus a-t-on assisté à une dérive du principe de précaution?

    Disons qu’il s’est révélé au grand jour... Mais le mal était déjà profond. Et il vient de loin. Bien des idées honorables au départ sont détournées de leur fonction initiale par leur simple application pratique. De manière générale, le dévoiement est la règle. Mais autre chose se rajoute au principe de précaution pour le renforcer: notre perception de la mort. Celle-ci est véritablement devenue le tabou des tabous. La mort ne nous est plus familière, c’est un fait. L’effroi qu’elle inspire nous pousse à accepter sans peine ce que nous aurions jadis refusé sans crainte. Soixante-dix ans de paix et de prospérité nous ont éloignés, nous autres Occidentaux, du tragique de la vie et de sa finitude - les réservant aux autres peuples dont nous contemplons de loin les épreuves incessantes. Il ne s’agit pas, bien sûr, de remettre en cause les progrès inestimables apportés par la paix, ce serait pour le moins saugrenu, mais de constater qu’ils ont aussi fait de la mort ce tabou des tabous dont j’ai parlé plus haut, et que cela a des conséquences sur le prix que nous sommes prêts à payer pour demeurer libre.

    D’une certaine manière, nous devons nous rappeler que l’on se sait rien si l’on ne sait pas que la vie est tragique. Nous devons repenser ce tragique de la mort comme nos anciens, ceux de la philosophie grecque et latine pour qui «la mort n’était pas à craindre.» Ainsi, la seule chose dont nous devons avoir peur est de ne rien faire de valable du peu de temps que la vie nous concède avant cette mort annoncée. Et que faire de valable si l’on ne vit pas en liberté? Nous devons accepter notre finitude et en faire quelque chose de positif. L’esclavage et la servitude volontaire naissent avec la peur de la mort, c’est ainsi. Il ne faudrait pas que nous ayons un jour à demander, comme Bernanos: la liberté, pour quoi faire?

    Au-delà de la crise du coronavirus, diriez-vous que notre monde est plus orwellien que jamais? Pourquoi cette référence à l’écrivain britannique?

    Le fait qu’Orwell soit un écrivain britannique est indifférent. Ce qui importe c’est ce qu’il a écrit et le monde futur qu’il a décrit. De ce point de vue, les faits qui nous entourent sont là pour dire crûment qu’il avait raison. Ceux d’entre nous qui veulent demeurer lucide - première vertu de l’homme libre, pensant et agissant par lui-même - s’en rendent compte chaque jour. Le pire serait d’être dans le déni alors que tout se passe sous nos yeux avec évidence. Le totalitarisme numérique à venir, si nous le laissons pénétrer dans nos vies, est orwellien en ce sens qu’il prendra toujours pour prétexte le bien commun pour se justifier et s’imposer. C’est sa caractéristique centrale. Pour lui, la société est comme une vaste termitière où il peut considérer les termites heureux puisque qu’il les infantilise et les déresponsabilise. Ce type de totalitarisme qui transforme l’homme en animal domestique, rappelle également Huxley et son «Meilleur des mondes». C’est le chemin que suit la Chine, par exemple. Elle est en train de devenir, avec la mise en œuvre de son projet de «Société apaisée», un gigantesque camp de rééducation - dont les musulmans Ouïgours sont les premières victimes de masse à l’heure où nous parlons. Nous devons refuser de faire un seul pas dans cette direction où l’on ne pourra bientôt plus nous appeler «citoyens». Par conséquent, ce n’est pas parce que le projet de traçage numérique de nos vies est difficilement attaquable sur le fond puisque conçu pour notre bien, que nous devons l’accepter. Le maintien des libertés publiques doit se faire de manière inflexible, au détriment, si nécessaire, d’un surcroît d’efficacité sanitaire. La liberté, parfois, coûte cher - et la vie des hommes libres n’est pas une cour de récréation.

    Pour conclure, je formule un vœux. Celui que les hommes et les femmes qui partagent mon refus de nous diriger vers une société aux relents totalitaristes, envoient sans attendre un mail à leur député pour lui demander de voter contre StopCovid le 27 mai. Il reste peu de temps. Mais plus nous serons nombreux à agir moins ce projet de loi liberticide aura de chance de passer au parlement. Pourquoi vivre si l’on n’est pas d’abord libre, telle est, encore une fois, la question face au projet gouvernemental.

    Comme toujours, notre destin est entre nos propres mains.

    Patrice Franceschi, propos recueillis par Alexandre Devecchio (Figaro Vox, 22 mai 2020)

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  • Ils ont tué tous les héros !...

    Les éditions Le Passeur viennent de rééditer un essai de Jean-Claude Guilbert, publié initialement en 1978 et intitulé Ils ont tué tous les héros. Aventurier et journaliste, Jean-Claude Guilbert est notamment l'auteur d'une biographie d'Hugo Pratt et a signé avec Gérard Chaliand et Patrice Franceschi, De l'esprit d'aventure (L'aube, 2008).

     

     

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    " Nous sommes trop lâches, trop gras, trop mous. Nous avons perdu depuis un certain jour du Moyen Âge le goût du serment. Nous ne respectons plus la parole donnée et — sous prétexte de réalisme — laideur, bassesses et compromissions envahissent notre vie quotidienne.

    De ce pamphlet aux multiples facettes se dégage une question fondamentale: à force de pensées, sommes-nous devenus avares de notre courage ? Jusqu’où l’égoïsme intellectuel et sa fille naturelle, la lâcheté physique, nous conduiront-ils ? Faut-il choisir le geste ou le discours ? Et ces deux positions, apparemment contradictoires chez l’homme occidental moderne, sont-elles vraiment irréconciliables ?

    En 1976, avec Ils ont tué tous les héros, Jean-Claude Guilbert renouvelait l’essai, ensoleillait la colère, malmenait notre quotidien et lançait un appel romantique prémonitoire à ses contemporains. « Il faut agir et réagir, dit-il, afin que nos quatre vérités d’aujourd’hui ne deviennent pas nos remords de demain. » Sur ce sujet grave, inquiétant et totalement d’actualité si l’on observe les mœurs contemporaines, l’auteur se révèle visionnaire. Un pamphlet salvateur ! "

     

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  • Avant la dernière ligne droite...

    Les éditions Points rééditent, dans leur collection Aventures, Avant la dernière ligne droite, un livre dans lequel Patrice Franceschi raconte sa vie aventureuse, et notamment ses missions humanitaires en Afghanistan, pendant la guerre contre les Soviétiques, dans les années 80.

     

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    " Du Congo à l’Amazonie et de la mer de Chine à la Nouvelle-Guinée, Patrice Franceschi nous fait le récit de ses innombrables aventures. Il a partagé la vie des Pygmées, des Indiens, des Papous, été le premier aviateur à accomplir le tour du monde en U.L.M., et suivi le Nil de sa source à la mer. Il nous raconte aussi la part de sa vie consacrée aux missions humanitaires, de la Somalie au Kurdistan, et dévoile l’intensité de ses années passées au côté de la résistance afghane combattant l’armée soviétique.

    Corse né en décembre 1954, Patrice Franceschi partage sa vie entre écriture et aventure. Ses récits, romans, poésies, essais, sont inséparables de ses engagements et d’une existence libre et tumultueuse où il tente « d’épuiser le champ du possible ». Il est aussi marin et capitaine du trois-mâts d’exploration La Boudeuse. "

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  • De l'esprit d'aventure...

    Les éditions Arthaud viennent de rééditer en collection de poche De l'esprit d'aventure, un dialogue entre Gérard Chaliand, Patrice Franceschi et Jean-Claude Guilbert sur le thème de l'aventure. Et les trois auteurs savent de quoi ils parlent...

     

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    "Qu’est-ce que l’esprit d’aventure ? Quelle est son importance pour l’individu ? Quel rôle joue-t-il au sein des sociétés ? Dans ce dialogue à trois, les auteurs tentent de répondre à ces questions en proposant une conception renouvelée et originale de cet esprit d’aventure, en revisitant l’histoire des sociétés et en interrogeant leurs propres parcours.
     
    Cela les conduit à redéfinir les liens entre action et réflexion, à porter un regard neuf sur les hommes qui ont élargi le champ de la connaissance et sur les personnages mythiques qui ont marqué notre imaginaire."

    Gérard Chaliand, grand voyageur, a théorisé ses expériences d'observateur-participant dans les luttes armées. Patrice Franceschi, président honoraire de la Société des explorateurs français, écrivain-aventurier, est le capitaine du trois-mâts La Boudeuse. Jean-Claude Guilbert, reporter-écrivain, est également l’héritier d’Hugo Pratt.

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