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  • Jean-Louis Tremblais : « Les USA, premier « État voyou » au monde ! »...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Jean-Louis Tremblais à Nicolas Gauthier pour le site de la revue Éléments à l'occasion de la publication de ses souvenirs de reporter de guerre, Entre les lignes Reportages de guerre et aventure de presse (Erick Bonnier, 2025).

     

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    Jean-Louis Tremblais : « Les USA, premier « État voyou » au monde ! »

     

    ÉLÉMENTS. Votre livre lève le voile sur les dessous des rédactions parisiennes. Il y a ce que l’on a vu, mais qu’on ne peut révéler: pourquoi ?

    J-L TREMBLAIS : Ce livre m’a été inspiré par une citation d’Henri Béraud, grand reporter de l’entre-deux guerres, l’égal d’Albert Londres et de Joseph Kessel, Prix Goncourt 1922 pour Le Martyre de l’obèse. Dans le Flâneur salarié, qui rassemble ses souvenirs de reportages, il écrit cette phrase ô combien pertinente : « Le journalisme est un métier qui consiste à passer la moitié de sa vie à parler de ce que l’on ne connaît pas et l’autre moitié à taire que l’on sait ». Désormais libéré de mon devoir de réserve, puisque je ne suis plus en activité, j’ai décidé de ne plus « taire ce que je sais » pour reprendre la formule de mon maître Béraud. En effet, les limites inhérentes à la presse écrite (calibrage, pagination, bienséance, déontologie, etc.) sont pour moi abolies. Un reportage n’est jamais qu’un résumé présentable et publiable d’une expérience qui s’est inscrite dans la durée, avec ses hauts et ses bas. Une infime portion du vécu réel. Dix feuillets pour raconter plusieurs semaines de péripéties, c’est peu, on en conviendra. Le grand reporter n’est pas censé détailler ce qui s’est véritablement passé : les ratés, les échecs, les refus, les humiliations, les arrestations, les dérapages ou les débandades. Il est là pour témoigner d’un événement tout en occultant les dessous du récit, soit le cambouis de la machine Presse. C’est ce « non paru », ce « non publié », que j’ai souhaité faire revivre en contre-champ de chaque reportage, de sorte que le lecteur puisse lire « entre les lignes » (de front et/ou de prose) et découvrir les dessous du papier glacé, pas toujours héroïques, parfois ridicules, mais toujours humains.

     

    Devoir malgré tout composer avec l’idéologie dominante

    ÉLÉMENTS. Il convient également de ne pas heurter la doxa du moment. Votre ouvrage, où vous nous livrez les dessous de vos reportages, est-il à lire comme une sorte de séance de rattrapage ?

    J-L TREMBLAIS : La doxa dont vous parlez, autrement dit l’idéologie dominante, il faut faire avec, vous avez raison. Arriver à transmettre un message politiquement incorrect dans un article n’est pas toujours facile mais on y arrive plus ou moins, jusqu’au jour où le grand écart et le slalom géant deviennent trop éprouvants pour votre organisme vieillissant. Personnellement, j’avoue que la crise COVID et la guerre d’Ukraine (deux sujets où j’étais en désaccord avec ma direction, alignée sur le narratif officiel) ont été décisives dans mon choix de raccrocher les gants. On ne peut pas être et avoir été (« has been », dans la langue de Shakespeare). Et comme je suis « has been », je vous répondrai que cet ouvrage n’est pas une séance de rattrapage. Rattraper quoi ? Mon avenir n’est pas devant moi, mais derrière moi…

    ÉLÉMENTS. On aurait pu croire que la parole d’un reporter de guerre, qui risque sa vie sur le terrain, valait un peu plus que celle d’un confrère, souvent simple analyste de bureau se contentant de répéter ce qu’il a lu chez d’autres confrères et qui, lui, ne risque jamais rien d’autre que sa place. Le lecteur peut y perdre ses dernières illusions quant à la profession. Et vous, que reste-t-il de celles de vos débuts ?

    J-L TREMBLAIS : N’ayant jamais conçu d’illusions sur cette profession, j’ai la chance de n’en avoir jamais perdues. On ne peut pas vous déposséder de ce que vous ne possédez pas, n’est-ce-pas ? Quand je vois les « confrères » et « consœurs » qui se relaient sur les plateaux de LCI, BFM, Cnews et tutti quanti, je me pince pour savoir si je rêve. Ils/elles sont tous « spécialistes » de l’Ukraine ou du Proche-Orient alors que, pour les trois-quarts, ils/elles (ce n’est pas que je sacrifie à l’écriture inclusive mais le journalisme est aujourd’hui colonisé par la gent féminine) n’ont jamais voyagé plus loin que l’Assemblée Nationale ou les studios de Beaugrenelle-Billancourt. Le summum, c’est quand on leur demande un avis technique sur le missile machin ou le blindé trucmuche. Et qu’ils répondent ! Sans vergogne et avec aplomb, qui plus est ! Alors que nul d’entre eux, nul d’entre elles, n’a entendu siffler une balle à ses oreilles, si ce n’est une balle de tennis… Le journaliste contemporain est un perroquet apprivoisé qui ne pense qu’au cachet, au salaire, à la notoriété et à la célébrité. Au fric et à la frime, pour résumer. Si j’ai choisi le métier de grand reporter (distinct de celui de journaliste), c’est justement pour fuir ces Rastignac de rédaction. Or quel était le seul endroit où on était sûr de ne pas les croiser ? Dans les zones de guerre, évidemment, là où on n’a rien à gagner, mais que des coups à prendre.

     

    « La vérité de la vérité, c’est la guerre », affirmait Michel Foucaut

    ÉLÉMENTS. Puisqu’il s’agit de ne rien cacher aux lecteurs d’Éléments, autant dire la vérité : je vous ai connu au siècle dernier, dans ce que l’on peut nommer la « presse dissidente ». Ce qui m’avait marqué chez vous, c’était une sorte de misanthropie assez célinienne. Après plus de vingt-cinq ans de métier, passés dans des conditions pour les moins inconfortables, désespérez-vous toujours autant de l’âme humaine ?

    J-L TREMBLAIS : Oui, nous étions des dissidents et des précurseurs. Nous avions raison sur tout, mais trop tôt. Et les « autres » ont gagné, ceux qui sont aux commandes. C’est pour cette raison que ni vous ni moi ne présentons le JT de 20 heures, que vous faites des piges pour Éléments et que je fais des livres qui ne se vendront pas (rires) ! Ce que j’ai constaté au cours de mes pérégrinations, c’est que, quelle que soit la longitude ou la latitude, l’être humain n’aime rien tant que faire du mal à son prochain, souvent plus par plaisir que par besoin. Depuis l’époque des cavernes, il excelle en ce domaine. Michel Foucault l’énonçait en ces termes : « La vérité de la vérité, c’est la guerre. » Le reste n’est que littérature. Le comble, c’est que le bipède ne se comporte pas mieux dans la paix. On le voit bien dans nos sociétés occidentales, gavées et châtrées. La violence et la cruauté y sont même plus pernicieuses : État rapace et vorace, lutte des classes et des races, exclusion des pauvres et des faibles, mort des campagnes, etc. En somme, « les hommes sont lourds », comme disait Céline…

    ÉLÉMENTS. Toujours à propos de l’humanité, une chose me frappe dans votre ouvrage, c’est que grande est l’impression que, de l’Afrique noire au Sud-Est asiatique, du Maghreb jusqu’au Machrek, les idéologies ne sont finalement que des habillages et que les appartenances ethniques, tribales, religieuses et culturelles finissent tôt ou tard par reprendre le dessus. Mais peut-être vous ai-je mal lu ?

    J-L TREMBLAIS : Vous avez très bien lu, dans et « entre les lignes ». Les Néandertaliens se défonçaient à coups de massues et de casse-têtes pour le contrôle d’un feu, d’une femme ou d’un cuissot de mammouth. Au moins, c’était clair et net. Rien n’a changé depuis sauf qu’on a effectivement « habillé » cet instinct de mort avec des idéologies. Pour justifier l’injustifiable. Or les idées sont fluctuantes et dépendent des modes. En revanche, les haines ancestrales, tribales ou ethniques, culturelles ou religieuses, ne varient pas d’un iota. Elles donnent le tempo du carnage, toujours.

     

    Le rôle mortifère des ONG

    ÉLÉMENTS. Pareillement, vous paraissez en avoir soupé, de la dose quotidienne de moraline humaniste. À ce propos, quid du rôle des ONG, censées soulager les peuples en proie aux guerres civiles, mais dont on est en droit de se demander si elles ne sont pas les épigones de puissances étrangères. En d’autres termes, il n’y a pas que des hommes des services secrets dans ces officines humanitaires, mais tous les hommes des services secrets y sont. Simple vue de l’esprit ?

    J-L TREMBLAIS : Je vais user d’une métaphore zoologique : les ONG sont aux guerriers ce que les rémoras sont aux requins. Elles se nourrissent des restes du prédateur, dans une symbiose parfaite. Savez-vous qu’on en recense dix millions dans le monde, selon le chercheur Thomas Davies dans Routledgge handbook of NGOs and International Relations ? Avant d’être un faux-nez pour les barbouzes (parfois mais pas toujours), c’est d’abord une remarquable entourloupe. Sous couvert de faire le bien, l’« humanitaire » roule en 4X4 et vit en nabab (souvent servi par des boys indigènes), son salaire étant payé par les donateurs privés ou par les subventions publiques. Je connais bien ces parasites qui, sur place, frayent entre eux dans leurs villas de luxe, sans se mélanger, tout en tenant des discours tiers-mondistes et progressistes : « Aimez-vous les uns les autres. Mais nous, on s’aime entre nous ! » Et quand ces bons-à riens prétentieux rentrent chez eux, c’est pour se pavaner avec l’aura du baroudeur et le prestige du bienfaiteur. Une engeance !

    ÉLÉMENTS. D’ailleurs, à en croire le simple exemple du Rwanda, dans la région des Grands lacs, ces mêmes ONG et leurs complices médiatiques semblent avoir tout mis en œuvre pour désigner la France comme complice des massacres entre Hutus et Tutsis. Mais il est vrai que cette partie du monde abrite des trésors en ses sous-sols. Soit de quoi provoquer nombre de convoitises. Mais pourquoi faut-il que cette vulgate soit reprise par nos médias ? À part Hubert Védrine, il ne s’est pas trouvé grand monde pour venir au secours de l’honneur de nos soldats qui, à en croire le colonel Jacques Hoggar, ont pourtant tout mis en œuvre pour éviter ces massacres…

    J-L TREMBLAIS : L’affaire du Rwanda est un cas exemplaire de désinformation. Pendant quatre ans, avant le massacre de 1994, la France a tout fait pour empêcher cet holocauste, notamment en y dépêchant des forces spéciales. Objectif : éviter la descente des Tutsis, qui faisaient partie de l’armée ougandaise (anglophone), vers Kigali. Car nos services secrets savaient qu’un génocide était programmé. L’armée française a rempli sa mission, mais son chef (selon la Constitution de 1958) était le Président de la République. Or, François Mitterrand venait de lancer sa croisade contre la « Françafrique » et ne jurait plus que par l’effacement de notre mainmise-présence sur le continent africain. Il a donc interdit à l’état-major de faire le nécessaire, ce qui était militairement réalisable, mais ne serait pas passé inaperçu. C’est donc justement parce que nos soldats ne sont pas intervenus (veto de l’Élysée) que le pire a eu lieu. Erreur dont les Américains, qui soutenaient l’Ouganda et les Tutsis, ont profité, faisant d’une pierre deux coups : évincer Paris de la région des Grands Lacs et faire main basse (via le Rwanda de Paul Kagame) sur les richesses minières de cette région limitrophe avec la République démocratique du Congo. Nos médias, qui se complaisent dans le mea culpa et la mauvaise conscience post-coloniale, ont fait ce qu’ils font le mieux : taper sur la France, responsable de tous les maux et les vices de l’Afrique, comme il se doit… Sous le regard extatique de Washington et des multinationales anglo-saxonnes. CQFD.

     

    Quid de notre pré carré africain ?

    ÉLÉMENTS. Toujours dans le même registre, la France vient d’être chassée de son « pré carré africain ». Défaite ou bon débarras ? Les Russes et les Chinois paraissent nous remplacer. Bonne ou mauvaise nouvelle pour les Africains ?

    J-L TREMBLAIS : Il n’y a pas eu défaite puisqu’il n’y a pas eu combat. Les pays qui nous expulsent ne sont forts que par nous sommes faibles. Il eût suffi d’une compagnie de Légion à Ouagadougou pour calmer les esprits et mater les putschistes. À la chicotte et sans même sortir un calibre. On n’est pas partis, on s’est couchés. Position qu’affectionne Emmanuel Macron ; tout le monde sait ça. Ce pourrait être un « bon débarras » si nous étions cartiéristes, « La Corrèze plutôt que le Zambèze », affirmait jadis le journaliste Raymond Cartier. Hélas, je crains que nous refassions les mêmes erreurs qu’avec l’Algérie en 1962 : on continuera de payer pour des gens qui nous crachent dessus. En sexologie, ceci porte un nom : c’est le masochisme, la jouissance dans la douleur, la soumission et l’humiliation. En politique, on appelle ça la décadence et la lâcheté. Quant aux Africains, ils ont commencé à s’en apercevoir avec les mercenaires de Wagner et Africacorps, je ne suis pas certain qu’ils aient gagné au change. Ils reviendront vers nous, comme des enfants penauds reviennent chouiner vers papa/maman mais ce sera trop tard : la France n’existera plus.

    ÉLÉMENTS. L’africaniste Bernard Lugan affirme que la pire erreur qu’on puisse faire à propos de ces populations consiste à les considérer comme des « Européens pauvres », alors qu’ils participent d’une autre culture et que là-bas, l’opposition récurrente se situe plus entre paysans et éleveurs qu’entre Africains démocrates et Africains autoritaires. Et le même d’affirmer que s’il a parfois défendu la colonisation quand elle était attaquée de manière injuste et stupide, ce fut malgré tout une erreur majeure d’aller bouleverser les mœurs de ce continent dont la culture n’est finalement pas plus incongrue que celle des occupants. Après tout, le polythéisme africain n’est pas plus incongru que le folklore panthéiste professé par les francs-maçons…

    J-L TREMBLAIS : J’adhère totalement aux thèses de Bernard Lugan, le meilleur de nos africanistes. Les Français ont une vision tronquée de l’Afrique, transposant là-bas nos mentalités et nos traditions. C’est objectivement une forme de néo-colonialisme, porté par les ONG précitées, les médias grégaires et nos diplomates du Quai d’Orsay (les « danseurs de claquettes » de Sciences Po, selon l’expression de mon ami Lugan). Ce qui se joue depuis toujours sur le continent africain, c’est la lutte pour les terres (et donc pour la survie) entre, d’une par les pasteurs nomades, et d’autre part, les agriculteurs sédentaires. Les peuples de la lance et de la vache contre les peuples de la glèbe et de la houe. C’est ce décryptage qu’il faut appliquer au Rwanda (Tutsis contre Hutus) ou au Mali (Touaregs contre Bambaras), par exemple. Les frontières ou les idées n’y ont aucune espèce d’importance. Je vous rejoins lorsque vous déplorez ce qu’on appelait le « fardeau de l’homme blanc » sous la Troisième république République, j’entends par là notre obsession – celle de la gauche, façon Jules Ferry – à vouloir exporter et imposer nos mœurs, us et coutumes à des peuplades qui avaient déjà les leurs. C’est le péché originel de la République française, que nous payons au centuple aujourd’hui…

     

    Israéliens et Palestiniens : tous terroristes !

    ÉLÉMENTS. Quid des Américains, qui distribuent les bonnes notes, jugeant que tel ou tel État est « voyou » ou ne l’est pas ?

    J-L TREMBLAIS : Les Américains ? « Vaste programme », comme répondit un jour le Général de Gaulle à un ministre qu’i l’exhortait à « s’occuper des cons »… De qui parle-t-on ? Des vrais, à savoir les Amérindiens, peuples libres et fiers, ceux qui vivaient dans les grandes plaines, sans contraintes ni entraves, avant l’arrivée de l’homme blanc ? Ou de ceux qui les ont exterminés, avec le fusil et l’alcool, en moins d’un siècle, c’est-à-dire tous les rebuts de l’Europe (de la prostituée ostracisée au prédicateur excommunié, en passant par le forçat ou le convict proscrits), au nom de la Bible et de la « destinée manifeste » ? Qui est le « voyou » dans cette affaire ? Pour moi, « les » voyous sont les États-Unis, cette entité monstrueuse sans passé ni ADN, faite de bric et de broc, enfantée dans la douleur et la violence (vol des terres, extermination des indigènes, commerce triangulaire, traite des Noirs, esclavage des plantations, guerre de Sécession, culte du pétard et de la potence, loi du Talion, etc.), qui ose désormais faire la morale à la planète. C’est cette nation qui règne sur la moitié du monde depuis 1945 et sur son entièreté depuis 1989 (la chute de l’URSS) ! C’est cette nation qui fait le catéchisme et décrète qui sont les « good guys » et les « bad guys » ! C’est cette nation qui est l’arbitre des élégances morales ! Et ce, alors que toutes les guerres menées par Washington depuis celle de Corée sont hors-la-loi. Pour ces cowboys enrichis et surarmés, le droit international n’existe pas. Toutes leurs interventions militaires le démontrent, du Vietnam à Panama, de la Serbie à l’Irak, en passant par l’Afghanistan. Il n’y a qu’un seul « État-voyou », le capo di capo, le parrain des parrains, le cador du mitan, le serial-killer de l’Histoire (souvenez-vous d’Hiroshima et Nagasaki), c’est l’Oncle Sam.

    ÉLÉMENTS. Il ne vous a pas échappé que la question israélo-palestinienne est au cœur de l’actualité. Là encore, on évoque le terrorisme du Hamas, qui est avéré. Mais quid du terrorisme d’État, celui d’Israël, qui a récemment bombardé un État souverain, le Qatar ? D’ailleurs, dans cette région du monde, les peuples qui la composent n’ont-ils pas été, à un moment ou à un autre, des terroristes avant de fonder des États constitués ?

    J-L TREMBLAIS : Non seulement cela ne m’a pas échappé mais je n’en peux plus de vivre à l’heure de cette « chikaya » familiale, sur laquelle le monde, en général, et la France, en particulier, se focalisent. J’ai l’impression de vivre entre la Judée et Gaza, alors que j’habite dans les monts du Lyonnais ! Dans le pays du « tablier de cochon », cette spécialité gastronomique et identitaire que je vous recommande, à moins que votre confession vous l’interdise, bien sûr… Peu me chaut, à moi, que des cousins brouillés (la tribu d’Ismaël – les Arabes – contre celle d’Isaac – les Juifs –, cf. le Pentateuque et le chapitre relatif à Abraham) s’étripent pour des oliviers, des chevrettes et des mers mortes. J’ai effectué une dizaine de reportages en Israël et en Cisjordanie (et aussi dans la bande de Gaza). Ma conclusion : il n’y a aucune solution pacifique tant le contentieux est multiforme (embrouilles bibliques, tracé des frontières, statut de la Ville Sainte, incompatibilités religieuses, etc.). Terrorisme ? Si les Juifs ne l’avaient pas pratiqué après-guerre (je pense aux groupes armés sionistes comme l’Irgoun ou Stern), jamais ils n’auraient pu chasser les Anglais qui administraient la Palestine et les Arabes qui y habitaient. En face, les autres ne valent pas mieux, surtout depuis la radicalisation de l’Islam et la régression que cela induit. En réalité, on a affaire à un conflit entre des fanatiques possédés par une conception dévoyée de leur Dieu. Mais il ne faut jamais oublier que le litige premier est purement territorial : au nom de la Shoah, on a légitimé la création ex nihilo d’un État israélien et l’expropriation manu militari des Palestiniens. À cet égard, j’aime à citer Cioran dans L’inconvénient d’être né : « Hitler est sans aucun doute le personnage le plus sinistre de l’Histoire. Et le plus pathétique. Il a réussi à réaliser le contraire, exactement, de ce qu’il voulait, il a détruit point par point son idéal. »

    Jean-Louis Tremblais, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Site de la revue Éléments, 24 octobre 2025)

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  • Privatiser l’audiovisuel public : une si bonne idée ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Nicolas Gauthier cueilli sur le site de la revue Éléments et consacré à la polémique qui enfle autour de la mainmise de la gauche sur le service public de l'audiovisuel et à l'idée d'une privatisation intégrale comme unique remède...

     

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    Privatiser l’audiovisuel public : une si bonne idée ?

    Notre gauche médiatique, c’est un peu comme les sportifs anglais, qui ne font preuve de fairplay que lorsqu’ils gagnent. Ainsi, nos donneurs de leçons aiment tourmenter leurs adversaires politiques, mais ne supportent pas de se trouver à leur tour dans la tourmente. Jurisprudence France Inter ?

    Normalement, selon leurs calculs (comme disent les technocrates), la chasse à courre devrait obéir à des règles immuables. En bonne logique, Mediapart lance l’affaire, avant d’être tôt relayé par Libération et L’Humanité. Puis, Le Monde et France Inter se chargent de l’onction officielle. Les loups chassent en meute ; les rats aussi, semble-t-il. Seulement voilà, la gauche n’a plus le monopole du fric et de la rancœur. La preuve par Vincent Bolloré, par exemple, qui, à droite, a le portefeuille et le cœur. Et qui vient les chatouiller sur leur propre terrain, avec leurs propres méthodes. Car lui aussi, sait chasser en meute et faire sien le principe d’opportunité. La vidéo de L’Incorrect, où l’on voit Thomas Legrand et Patrick Cohen expliquer comment ils vont influer en même temps sur les municipales à Paris (en s’occupant de Rachida Dati) et sur l’élection présidentielle à venir (en faisant la retape de Raphaël Glucksmann contre Jean-Luc Mélenchon).

    Et son système, calque de celui de ses adversaires politiques, d’aussitôt tourner en boucle : Cnews fait enfler la polémique, aussitôt relayée par le JDNews, ensuite reprise par Europe 1 et qui fait la une du Journal du dimanche. Du beau boulot. À gauche, on n’aurait pas mieux fait.

    Delphine Ernotte acculée…

    D’où une Delphine Ernotte, femelle blanche de plus de 50 ans, matriarche du service public, et qui, bousculée par la vague médiatique, est désormais tenue de se justifier. Bon, elle ne le fait pas n’importe où, mais dans Le Monde, gardien vespéral des élégances démocratiques, ce 18 septembre. Sa stratégie ? Simple comme bonjour : « La galaxie de Vincent Bolloré veut la peau de l’audiovisuel public, réclame sa privatisation et l’exprime avec violence. (…) On a besoin de toutes les bonnes volontés républicaines de ce pays pour s’élever contre cette violence verbale de nature presque politique».  Allons bon. Comme si l’audiovisuel public n’en faisait pas, lui, de la politique. Passons.

    D’ailleurs, si l’on résume : le méchant Bolloré attaquant le gentille Ernotte vaudrait donc brevet de bonne conduite « républicaine » pour ce service public censé être au service de la nation. Pauvre Marianne qui, à force de se voir embrigadée de force par tel ou telle, doit aujourd’hui peiner à s’asseoir, à force d’avoir mal au fion.

    Rachida Dati ou la « diversité » à géométrie variable…

    Après la lecture des Évangiles, le sermon, publié dans Le Monde, quatre jours plus tard, dans un éditorial anonyme. Et là, il y en a pour tout le monde. Rachida Dati, ministre de la Culture (jusqu’à quand ?) : « En multipliant les propos dévalorisants, la ministre de tutelle de l’audiovisuel préfère se joindre à la curée au lieu de défendre et de mettre en avant ses réussites, comme les audiences record de Radio France». Hormis les relents nauséabonds de misogynie et de marocanophobie, on ajoutera que ce n’est pas parce qu’une émission cartonne qu’elle est forcément bonne. Autrement, Cyril Hanouna serait à la place d’une Léa Salamé, la nouvelle speakerine de France 2, et Christine Kelly à celle de Delphine Ernotte.

    Et la même tribune d’en appeler ensuite aux mannes géopolitiques : « Trop de précédents étrangers disent ce que peut recouvrir une attaque en règle contre un service public de l’information par un courant politique sous le couvert de la lutte pour la liberté d’expression : un démantèlement suivi par la mise en place d’une parole monolithique. En France, la transformation des médias privés rachetés par Vincent Bolloré, traduite par la purge de leurs rédactions, a d’ailleurs suivi ce modèle».  Si France Inter se retrouve prise dans son propre piège, c’est donc à la faute de Cnews. La dialectique est un peu courte, madame.

    Quand France Inter n’était ni de gauche et ni de droite…

    Ou de l’art de peindre des diables sur les murs pour ensuite faire mine d’y croire, comme si la parole de Radio France n’était-elle pas, elle aussi, de longue date « monolithique ». Ce qui ne fut d’ailleurs pas toujours le cas, il convient de le noter. Ainsi, au siècle dernier, sur France Inter, un certain Jean-François Chiappe, époux de Marina Grey, fille du général Denikine, chef de la contre-révolution russe ayant manqué de peu de battre l’Armée rouge, fut l’un des principaux animateurs des émissions historiques diffusées par le service public. Dans le même temps, il assurait la formation politiques des militants du Front national d’alors. Et personne n’y trouvait rien à y redire, même ses homologues communistes ayant également leurs ronds de serviette dans ce qui s’appelait alors l’ORTF, avant qu’un Valéry Giscard d’Estaing ne vienne y mettre mauvais ordre en procédant à son démantèlement.

    Dans le même registre, et cela devrait faire honte à Delphine Ernotte, il n’est pas si lointain, le temps où un Michel Polac, avec son émission Droit de réponse, diffusé sur un TF1 pas encore privatisé par la droite chiraquienne, invitait indifféremment Claude Cabanes, de L’Humanité, Dominique Jamet du Quotidien de Paris, Jean Bourdier de Minute, et même des ludions incontrôlables tels que Jean-François Kahn, directeur des Nouvelles littéraires.

    La privatisation, nouvelle paupérisation…

    Et c’est quand TF1 fut racheté par le groupe de BTP Bouygues que ce bel éclectisme prend fin. Dans un registre similaire, et à l’époque où la télévision était tenue par l’État, les amateurs de musique y trouvaient leur compte. Pour ceux de l’opéra, il y avait Ève Rugierri. Ceux de rock pouvaient regarder Chorus, d’Antoine de Caunes ou Les Enfants du rock, de Pierre Lescure avec Jean-Pierre Dionnet et Philippe Manœuvre, tandis que ceux de chansons françaises à l’ancienne, pouvaient trouver leur miel avec La France aux chansons, de Pascal Sevran. Aujourd’hui ? Plus rien, si ce n’est du rap partout et de la chanson de qualité frelatée, façon Laurent Delahousse déroulant le tapis rouge devant une Juliette Armanet.

    Comme quoi la privatisation n’est pas forcément la solution à tout. De cette dernière, il est actuellement beaucoup question, le groupe Bolloré en ayant fait l’un de ses étendards. Mais ces positions sont-elles aussi caricaturales qu’on le dit ? Rien n’est moins sûr, un Pascal Praud se montrant bien souvent nostalgique de l’ORTF à papa. Certes, le Moloch public nous coûte « un pognon de dingues », comme dirait « l’Autre ». 4 milliards d’euros par an, ce n’est pas rien. 665 millions d’euros pour Radio France, c’est plus que l’ensemble du budget de toutes les radios privées réunies. 14 chaînes de télévision, c’en est au moins quelques-unes de trop, à l’instar de leurs 59 stations de radio. Ainsi, les partisans de la privatisation du service public ne sont pas sans arguments. Bref, il conviendrait peut-être de « dégraisser le mammouth », tel que jadis préconisé par Claude Allègre, ministre de l’Éducation de Lionel Jospin.

    Ce qu’en dit Marine Le Pen…

    Ainsi, Marine Le Pen, interrogée par Le Journal du dimanche du 21 septembre, ne semble pas tomber du cocotier vis-à-vis de la polémique en cours : « Non, je ne suis pas surprise. C’est un secret de Polichinelle que madame Ernotte est une militante très marquée à gauche. Mais là, elle franchit un cap supplémentaire. Elle n’est absolument pas dans son rôle. Et ce type de type de sortie devrait conduire à son départ. Parce qu’il ne revient pas à la présidente de France Télévision de distribuer des brevets d’honorabilité aux chaînes privées». Quant à l’éventuelle privatisation de ce qui fut naguère un joyau français, cette réponse : « Nous proposons une privatisation quasi-totale, avec quelques exceptions : garder une voix pour l’international, un canal d’urgence pour les crises et le lien avec l’Outre-mer».

    Est-ce la bonne solution ? Pas forcément, sachant qu’au lieu de réformer en profondeur l’institution en question (tâche éventuellement impossible, tant les syndicats y dictent leur loi), une Marine Le Pen entend, sans lui faire un procès d’intention, peu ou prou la brader. Mais à qui ? Des fonds d’investissement étrangers ? Des multinationales n’ayant que faire de nos contingences nationales ou de ce qui en demeure ? Vaste question, la logique de ceux qui font la politique n’étant pas toujours celle de ceux qui la commentent.

    Nicolas Gauthier (Site de la revue Éléments, 23 septembre 2025)

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  • Macron : quand Macheprot s’en va-t’en guerre…

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Nicolas Gauthier, cueilli sur le site de la revue Éléments et consacré à u va-t-en guerre nommé Macron...

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    Macron : quand Macheprot s’en va-t’en guerre…

    Lors de son intronisation, le 14 mai 2017, Emmanuel Macron remonte les Champs-Élysées à bord de son « Command Car » ; soit, en français vernaculaire, un VLRA (véhicule léger de reconnaissance et d’appui). Il est alors beau comme un camion bâché. À l’époque, on a presque envie d’y croire. Mais après François Hollande, le peuple est alors prêt à tout avaler ; même la Terre plate pour que cela nous épargne les platitudes du mandat précédent. Le soufflé retombe vite, surtout après la prestation du rappeur Kiddy Smile, arborant un tee-shirt orné du slogan « Fils d’immigrés, noir et pédé », lors de la Fête de la musique. Là, à l’Élysée, l’artiste est entouré de ses pairs à torse-poil, les pectoraux moulés dans des tops en dentelle résille, devant un couple présidentiel manifestement émoustillé. Pour en revenir au registre militaire, nous sommes loin de l’armée coloniale de jadis et du Chant des Africains, dont les membres étaient connus pour ne pas se battre à coups de sacs à main.

    Il n’empêche, la Cage aux folles n’empêche pas le virilo-militarisme ; tout le monde sait ça depuis les Village People.

    La « guerre » mise à toutes les sauces…

    Ce sera donc la « guerre » contre le terrorisme, la « guerre » contre le Coronavirus, la guerre contre les « Gaulois réfractaires ». On ne saurait reprocher à monsieur Trogneux de n’avoir pas fait son service militaire – question de générations. Néanmoins, il n’est pas illicite de s’interroger sur cette propension au vocabulaire guerrier.

    Au siècle dernier, alors que j’avais le plaisir d’interroger le général Marcel Bigeard, l’aujourd’hui défunt confiait à l’auteur de ces lignes : « Tous ces objecteurs de conscience, ces réformés, ces antimilitaristes, il suffisait de les voir dans la tribune du défilé du 14 juillet. On aurait dit des gosses devant leurs jouets. Tous ces jolis tanks, ces beaux soldats, ces héros ; ça leur faisait manifestement quelque chose. Ils ignoraient seulement que la guerre, c’est une dégueulasserie, qu’on y voit trop souvent ses camarades partir alors qu’ils ont toute la vie devant eux. La guerre, il faut bien sûr la faire, mais seulement quand on n’a plus le choix. Et quand on la fait, c’est généralement pour tenter de réparer les conneries du monde politique. » Pour matamore qu’il fut parfois, l’éphémère secrétaire d’État à la Défense nationale de Valéry Giscard d’Estaing (1975-1976), parlait d’or.

    Bref, Emmanuel Macron accommode la “guerre” à toutes les sauces, surtout lorsque de salons et principalement dès lors qu’il a l’occasion de la faire au peuple l’ayant élu. Récemment en visite au Cameroun, il s’agenouille devant le président local, Paul Biya, histoire de demander pardon pour la “guerre” menée par la France à ce pays, dès lors qu’il voulut accéder à l’indépendance. Une repentance qui ne s’impose évidemment pas, et encore moins que celle effectuée en rampant devant le FLN, quand il assure que cette « guerre » de colonisation a abouti à un « crime contre l’humanité ». Un comble, cette contrition s’étant faite contre d’autres colonisateurs ; arabes, ceux-là qui mènent aujourd’hui l’Algérie à la ruine économique, sociale et politique.

    Un jour en « guerre » contre le Hamas et l’autre contre la Russie…

    Après les massacres du 7 octobre 2023, le même entend monter une coalition internationale contre le Hamas palestinien, sur le modèle de celle naguère mise sur pied pour en finir avec l’État islamique. Aujourd’hui, Emmanuel Macron nous affirme que nous sommes en “guerre” contre la Russie, après avoir plus ou moins affirmé le contraire aux débuts du tragique conflit fratricide russo-ukrainien. Et de tenir un discours plus qu’alarmiste en un “off” n’en étant pas véritablement un devant un parterre de journalistes choisis, assurant, en substance, que les chars russes pourraient bien se retrouver à Quimper en un week-end même pas prolongé. Alors, qui croire ? Emmanuel ? Ou Macron ?

    Pour Trump, Macron est « un gars sympa »…

    Le problème, c’est que ses homologues internationaux, le prenant de moins en moins au sérieux, ne prennent même plus la peine de l’écouter. La preuve par Donald Trump qui, en juin dernier, affirme : « On ne cherche pas un cessez-le-feu. Je n’ai pas dit qu’on cherchait un cessez-le-feu. Ça c’était Macron. Un gars sympa, mais qui n’a pas souvent raison… » Le pétulant Matteo Salvini, ministre transalpin des Transports, ne pouvait évidemment demeurer en reste, lorsque raillant le premier des Français, à propos du possible envoi de troupes françaises sur le théâtre des opérations : « Vas-y toi, si tu veux. Tu mets le casque, le gilet pare-balles, le fusil et tu pars en Ukraine ! » Et Giorgia Meloni, présidente du Conseil qui laisse dire, humiliation suprême que ne vient même pas laver la convocation de l’ambassadrice italienne à l’Élysée.

    Pourtant, on peut malgré tout mettre au crédit de son locataire de faire ce qu’il peut pour que la voix de la France soit encore entendue dans le vaste monde. La promesse de la reconnaissance d’un État palestinien, éternelle arlésienne de notre géopolitique, ne manque certes pas d’un certain panache ; mais, en même temps (comme il dit), cela tombe malheureusement à contretemps.

    Au moins ne se couche-t-il pas trop devant Netanyahu…

    Pourtant, notre homme aura pourtant été sage en refusant de participer à la Marche contre l’antisémitisme, le 13 novembre 2023, rompant ainsi avec la douteuse tradition d’un François Mitterrand défilant à Paris en 1990, lors de la profanation du cimetière juif de Carpentras, ou d’un autre François, Hollande celui-là, s’en allant faire le beau à l’occasion de la manifestation censée honorer les morts de Charlie hebdo. De même, il n’a pas tort en ne se soumettant pas au discours officiel israélien niant la réalité de ce qui ressemble de plus en plus à un génocide dans la Bande de Gaza ; ou, à défaut, d’un populicide organisé.

    Résultat ? Emmanuel Macron se fait agonir d’injures par Benyamin Netanyahu, le Premier ministre israélien, à l’occasion d’une lettre frôlant l’incident diplomatique, pour ensuite s’en reprendre une couche par Charles Kushner, père du gendre de Donald Trump et accessoirement ambassadeur américain en France, lequel stigmatise « son absence d’action suffisante (…) en matière de flambée d’antisémitisme. » De quoi je me mêle ? Pour un peu, on se sentirait presque macroniste, ne serait-ce que l’espace d’un moment, tant honteux que fugace.

    Ces choses dites, Emmanuel Macron serait mieux inspiré de partir en “guerre” contre ses propres démons, sachant qu’on ne saurait, « en même temps », une fois encore, tenter de brandir haut un drapeau qui, par ses soins, a trop souvent été abandonné dans le caniveau.

    Nicolas Gauthier (Site de la revue Éléments, 26 août 2025)

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  • « L’occidentalisme » est-il la meilleure réponse à « l’islamo-gauchisme » ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Nicolas Gauthier, cueilli sur le site de la revue Éléments et consacré à l'occidentalisme...

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    « L’occidentalisme » est-il la meilleure réponse à « l’islamo-gauchisme » ?

    Pour commencer, un peu de sémantique, tant ces vocables sont à l’évidence biaisés. L’islamisme est une chose ; le gauchisme en est une autre, et accoler ces deux termes tient plus de l’oxymore que d’un projet politique cohérent, tant il est impossible d’être les deux à la fois ; la preuve par ces militants LGBTQ+ affichant leur soutien au Hamas palestinien. On imagine vite la longévité de ces gugusses dans la Bande de Gaza.

    Mais cet occidentalisme, de plus en plus répandu à droite, et guère plus cohérent, participe lui aussi d’une autre fiction, « l’Occident » en question étant une notion tout aussi fantasmatique. Jadis, le terme recouvrait une réalité tangible. On pouvait parler d’église d’Occident, celle de Rome, ou d’église d’Orient, sise à Byzance, tout comme on pouvait encore évoquer l’Occident chrétien et l’Orient musulman. Mais cet Occident recoupait alors les frontières de l’Europe, ce qui n’était déjà plus le cas durant la Guerre froide, sachant que ce que l’on nommait alors « Occident » se limitait à un conglomérat antisoviétique, alliance militaro-économique allant de Washington à Séoul, tout en passant par Ankara, Tokyo et Paris. Bref, un assemblage hétéroclite et de circonstance, face à un ennemi commun : l’URSS, lequel était d’ailleurs plus conjoncturel que structurel, la bolchevisation de la Russie n’ayant été qu’une parenthèse de 70 ans. Ce qui est bien court, à l’échelle civilisationnelle, au même titre que cet Occident de circonstance.

    L’illusion de l’Occident…

    Ce qui fait écrire à Alain de Benoist, dans son éditorial du dernier numéro d’Éléments : « Depuis quelques mois, nous assistons en direct à la dislocation de “l’Occident collectif”, à la fin de la mondialisation libérale, au découplage entre l’Europe et les États-Unis. Et aussi au début de la fin de l’ère libérale : les quatre principales puissances mondiales (USA, Chine, Russie, Inde) peuvent maintenant être considérées, à des titres divers, comme des puissances “illibérales”. »

    Bref, nos occidentalistes de droite révèrent une chimère ; tout comme leurs homologues islamo-gauchistes, avec leur convergence des luttes toute aussi imaginaire. Le tout sur fond de choc civilisationnel. À droite, celui entre un Occident chrétien fantasmé et un Orient musulman cauchemardé aux prétentions d’hégémonie planétaire ; à gauche, celui, tout aussi eschatologique, entre exploiteurs et exploités, colonisateurs et colonisés, alors que si les Israéliens sont à l’évidence colonisateurs, les Arabes l’ont aussi été bien avant eux.

    Israël, rempart de la chrétienté ?

    Malin comme pas deux, Benyamin Netanyahou, profite du Noël 2024 pour déclarer aux chrétiens du monde entier : « Israël mène le monde dans le combat contre les forces du mal et de la tyrannie. Mais notre bataille n’est pas encore terminée. Avec votre soutien et avec l’aide de Dieu, je vous assure que nous prévaudrons. » Pour un peu, on se croirait dans La Guerre des étoiles, le Premier ministre israélien étant en l’occurrence rhabillé aux couleurs des chevaliers Jedi, pour mieux prêcher la croisade contre les hordes de Dark Vador. Ce 30 juillet, c’est un drôle de paroissien, Michel Onfray, qui semble acquiescer, dans les colonnes du JDNews : « Israël est le navire amiral de cet Occident. » À croire que ce philosophe soit l’un des derniers penseurs à croire dur comme fer à la réalité de l’Occident, alors qu’il donnait naguère de sérieux gages de scepticisme, affirmant que le Christ n’était qu’une affabulation historique.

    À propos de chrétiens palestiniens, la réalité, autrement moins irénique, semble contredire le sermon du révérend père Netanyahou et d’Onfray, son sacristain du moment, à en croire les déclarations fracassantes de l’évêque palestinien Sani Ibrahim Azar, prononcées quelques jours après les massacres du 7 octobre 2023 : « Depuis que l’extrême droite est au pouvoir, les agressions à l’endroit des chrétiens sont en forte augmentation. Les attaques contre les églises et les cimetières chrétiens se multiplient. Nous ressentons que nous ne sommes plus les bienvenus en Israël. »

    À droite, certains se rebiffent…

    Comme quoi la réalité est toujours plus complexe que les fantasmes des islamo-gauchistes et des occidentalistes. Ce que rappelle fort bien Alexandre de Galzain, journaliste à Radio Courtoisie, sur le site de Causeur, périodique autrement plus plausible que tant de ses confrères occidentalistes, en matière « d’israélo-droitisme » : « Dans sa bouche, devant l’Occident, le voilà qui affirme qu’Israël serait le rempart de la civilisation face à la barbarie, que “l’armée la plus morale du monde” serait aussi notre bouclier, qu’Israël se battrait en fait pour nous. (…) Quand donc Israël s’est-il battu pour autre chose que lui-même ? » Plus audacieux encore : « L’Israël de M. Netanyahou, bouclier de la civilisation occidentale, de la chrétienté ? La belle affaire ! Il a été établi que M. Netanyahou finançait l’État islamique à Gaza contre le Hamas [Hamas qu’il avait par ailleurs promu face à l’OLP nationaliste et laïque, ndlr], qu’il finançait l’Azerbaïdjan contre l’Arménie ! Ah, et quel beau gardien de la morale que celui qui massacre femmes et enfants par milliers ! »

    Et le meilleur pour la fin : « L’aveuglement volontaire de la droite sur la situation israélienne est particulièrement préjudiciable en cela qu’elle refuse de comprendre que l’intérêt de M. Netanyahou réside en sa propre personne. Ce politicien corrompu, que toute la France abhorrerait si elle devait subir son règne, n’a pour but que d’échapper à la prison qu’il mérite tant. »

    Il est à mettre au crédit de notre consœur Élisabeth Lévy, matrone en chef de Causeur, d’avoir publié ce texte avec lequel elle n’est évidemment pas d’accord. Mais, indique-t-elle en avant-propos, il ne s’agit rien de moins que de « la douleur de la liberté ». Chapeau bas.

    Et les intérêts de la France et de l’Europe ?

    En fait, le problème de la perception française du conflit israélo-palestinien, comme de celui opposant l’Ukraine à la Russie, c’est que le monde politico-médiatique, au lieu de camper sur une ligne médiane, celle d’un pays tiers qui pourrait, en qualité de possible arbitre, tenter de mettre terme à ces conflits fratricides, prenne parti pour l’un ou l’autre des protagonistes en présence ; ce au nom d’arguments moraux : l’agresseur et l’agressé. Comme s’il suffisait d’avoir été agressé pour incarner le « bien », alors que l’agresseur serait fatalement le « mal » incarné. Ce fut longtemps la politique étrangère du général de Gaulle, qui tenta toujours de jouer les médiateurs, même au plus fort de la Guerre froide. C’est aussi François Mitterrand, qui réserva l’un de ses premiers voyages officiels en Israël pour y plaider… la cause palestinienne. Et même de Jacques Chirac, imparable dès lors qu’il s’agissait de ménager la chèvre et le chou. Le tout sans trop de passion, mais avec un semblant de raison ; au contraire d’un Emmanuel Macron qui, un jour, entend mettre sur pied une coalition internationale contre le Hamas pour ensuite affirmer vouloir reconnaître un État palestinien qui, de fait, se trouverait sous la houlette du même Hamas.

    Et les intérêts de la France et de l’Europe, dans tout cela ? Ils semblent être aux abonnés absents, quand ce n’est pas pris en otages pour de bas calculs électoraux. Jean-Luc Mélenchon cible un électorat musulman pour tenter de parvenir au second tour de la prochaine élection présidentielle. Marine Le Pen semble miser sur la martingale inverse : avoir normalisé les relations de son mouvement avec les institutions juives de France n’était pas une mauvaise chose en soi. Mais pourquoi systématiquement soutenir un État tiers, au lieu de promouvoir les intérêts français et européens ? Pour s’assurer le soutien d’un hypothétique “vote juif” ? Lequel est d’ailleurs plus que divisé quant à la politique israélienne, tel qu’en témoigne cet appel signé par plus de 1 200 rabbins venus du monde entier, enjoignant Benyamin Netanyahou de radicalement changer sa politique.

    Ces rabbins qui contestent la politique israélienne…

    Un retournement ainsi justifié par le rabbin américain Ron Kronish, dans une tribune publiée par le journal Times of Israel : « Si cette guerre a pu être considérée comme “juste” à ses débuts, elle est devenue profondément “injuste” au cours des derniers mois. » Pour tout arranger, Donald Trump se permet désormais de contredire l’État hébreu à propos de cette famine frappant les Gazaouis : « Israël porte une grande responsabilité ». Et le même, cité par le Financial Times, de s’alarmer : « Mon peuple commence à détester Israël… »

    Si le tiers-mondisme passablement mondain de La France insoumise ne fait plus guère illusion, est-ce vraiment le moment le mieux choisi pour une certaine droite, souvent libérale et conservatrice, de prendre fait et cause pour un Occident fantomatique et un Israël de plus en plus honni par la planète entière ? Ou alors, c’est à croire que si certains ramaient autrefois pour fuir le Titanic, certains puissent aujourd’hui développer l’énergie du désespoir pour de force y grimper. Notre vieux continent mérite sûrement mieux.

    Nicolas Gauthier (Site de la revue Éléments, 5 août 2025)

     

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  • Les dessous du conflit israélo-iranien...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Nicolas Gauthier cueilli sur le site de la revue Éléments et consacré  à la guerre ouverte déclenchée par Israël contre l'Iran...

     

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    Benyamin Netanyahou et les dessous du conflit israélo-iranien

    En attaquant l’Ukraine, le 22 février 2022, Vladimir Poutine ne savait peut-être pas à quelle point cette équipée brouillonne, qui devait alors se conclure en quelques semaines, allait bouleverser la géopolitique mondiale. Les attaques israéliennes contre l’Iran, déclenchées ce 13 juin, en sont aujourd’hui la conséquence logique.

    Ainsi, en se concentrant tous ses efforts sur Kiev, Moscou laisse le champ libre à d’autres initiatives, toutes aussi hasardeuses, dont celle du Hamas, le 7 octobre 2023, ayant entraîné les massacres qu’on sait. Dès lors, l’enchaînement est inéluctable et la réponse de l’État hébreu aussi prévisible qu’impitoyable : Tel-Aviv peut alors se déchaîner sur le Hezbollah libanais tout en commençant, déjà, à menacer l’Iran. Principe d’opportunité oblige, ce qui demeure de Daech en Syrie en profite pour mettre à bas le régime de Bachar el-Assad. Là, ce n’est pas en deux semaines, mais seulement en quelques jours. En effet, le Hezbollah n’est plus en mesure de lui venir en aide ; pas plus que le Kremlin, bien trop occupé en Ukraine.

    Résultat ? L’arc chiite qui allait de Téhéran à Beyrouth en passant par Damas n’est plus ; privant ainsi la République islamique d’Iran de toute profondeur stratégique. Pour tout arranger, Donald Trump négocie en direct avec les Houthis yéménites, l’ultime allié de l’ayatollah Khamenei. Ce principe d’opportunité, qui a profité aux Syriens de Daech, Israël le fait sien à son tour, en attaquant l’Iran à un moment d’autant plus idoine que le revenant de la Maison-Blanche n’a, malgré ses dénégations, rien à refuser à Benyamin Netanyahou.

    Trump et Netanyahou : qui donne les ordres, qui les reçoit ?

    La preuve en sont ces révélations d’Adrien Jaulmes, correspondant du Figaro à Washington, ce 14 juin : « Les négociations entre les États-Unis et l’Iran, rouvertes par Trump à la surprise générale en avril dernier, avaient d’abord semblé déjouer les plans de Netanyahou, depuis longtemps favorable à une action militaire contre le programme nucléaire iranien. » Mais, toujours selon la même source : « Donald Trump et ses conseillers auraient fait semblant de s’opposer publiquement à des frappes israéliennes. L’objectif était de convaincre l’Iran qu’aucune attaque n’était imminente et de s’assurer que les militaires et les scientifiques iraniens figurant sur les liste des cibles d’Israël ne prendraient pas de précautions particulières. Pour parfaire la couverture, des collaborateurs de Netanyahou avaient même déclaré aux journalistes israéliens que Trump avait tenté de retarder une frappe israélienne, lors d’un appel téléphonique, le lundi 10 juin. » Citant l’International Crisis Group, think thank américain, Adrien Jaulmes note néanmoins : « Cela n’était pas conforme à la stratégie du président américain. Netanyahou a clairement forcé la main à Trump. » Bref, de l’attelage américano-israélien, on ne saura jamais vraiment qui tient la laisse ; qui est le maître et qui est le chien.

    L’incontestable supériorité technologique d’Israël

    D’un strict point de vue militaire, l’opération israélienne est un indéniable succès. Pourtant, il y a une dizaine d’années, un diplomate iranien assurait à l’auteur de ces lignes : « Avec les missiles S-300 fournis par les Russes, l’Iran est sanctuarisé. Si cent avions israéliens viennent nous attaquer, seule une vingtaine en réchapperont. » C’est en 2010. Un an avant, Gérard de Villiers, dans La Bataille des S-300, un SAS redoutablement bien documenté, écrit strictement la même chose. Seulement voilà, c’était il y a quinze ans et la technologie a fait des progrès depuis et, en la matière, l’écrasante supériorité israélienne est indubitable. Ainsi, les deux cents chasseurs partis bombarder l’ancienne Perse, ce vendredi 13 juin, sont tous rentrés intacts à leurs bases respectives. Certes, la riposte iranienne n’est pas mince, mais demeure strictement anecdotique, comparée aux dégâts causés par la partie adverse.

    Par certains aspects, cette guerre n’est pas comparable aux autres conflits ayant ensanglanté le Proche et le Moyen-Orient, les deux belligérants n’ayant aucune frontière en commun. L’avantage revient donc plus à celui qui maîtrise au mieux les avancées scientifiques permettant de frapper de loin qu’à celui capable d’aligner le plus de soldats pour aller se battre de près. Pour tout arranger, ce qui demeure d’aviation à Téhéran relève du domaine du dérisoire. Dans celui de la guerre du futur, l’État hébreu a déjà marqué des points décisifs. L’opération des téléphones portables piégés, fomentée dix longues années durant par les maîtres espions du Mossad et ayant décapité nombre de cadres du Hezbollah, a durablement marqué les esprits. Celle ayant intoxiqué le gratin militaire de l’armée iranienne, pour le pousser à se rassembler en un lieu et à une date évidemment connue du Mossad, afin de mieux pouvoir les atomiser, ce même vendredi 13 juin, demeure une autre remarquable manipulation.

    La « menace existentielle » d’Israël fondée sur une manipulation médiatique ?

    Après, quels sont les motifs de cette guerre ? Israël excipe évidemment de sa « survie », faisant de la République islamique d’Iran une « menace existentielle », surtout quand au bord d’acquérir l’arme nucléaire. À l’époque des missiles S-300 plus haut cités, il ne s’agit pourtant pas d’une priorité pour l’ayatollah Khamenei, pas plus que le président d’alors, Mahmoud Ahmadinejad n’entend « rayer Israël de la carte », tel que soi-disant prétendu lors d’une conférence prononcée le 25 octobre 2005. À croire que tout cela puisse participer d’une autre manipulation, médiatique, celle-là ; ce que semblait croire Le Point, à l’époque et qui, pourtant, n’est pas connu pour être un hebdomadaire furieusement antisioniste.

    Quand Tel-Aviv écoutait Téhéran…

    Ainsi, le 26 avril 2012, peut-on lire, sous la signature du journaliste Armin Arefi : « Le vent est-il en train de tourner sur l’Iran ? Présentée comme inévitable il y a encore quelques semaines, le risque de frappes israéliennes – et même d’une guerre régionale – semble inexorablement s’éloigner. Le revirement date du jour qui a vu deux responsables israéliens en exercice – le ministre de la Défense Ehud Barak et le chef d’état-major Benny Gantz – annoncer publiquement que la République islamique n’a pas décidé de se doter de la bombe atomique. Une information en réalité connue depuis plusieurs années des divers services de renseignement américains, mais aussi israéliens. » Bigre. Cela qui signifie que si les accords irano-américains sur le nucléaire iranien avaient suivi leur cours, peut-être que cette République islamique n’essaierait pas, aujourd’hui, de véritablement se doter de l’arme fatale en question…

    D’ailleurs, cela aurait-il été aussi grave pour la paix dans le monde ? Après tout, au siècle dernier, l’État hébreu s’est lui aussi équipé de l’arme nucléaire, en toute illégalité et ce dans le plus grand secret. Que l’Iran rétablisse ce déséquilibre n’aurait peut-être pas été non plus un péril pour la région. C’est en tout cas ce qu’estimait Jacques Chirac, le 29 janvier 2007, cité par Le Monde : « Je dirais que ce n’est pas spécialement dangereux. (…) Ça veut dire que si l’Iran poursuit son chemin et maîtrise totalement la technique électronucléaire, le danger n’est pas dans la bombe qu’il va avoir et qui ne lui servira à rien. Il va l’envoyer où, cette bombe ? Sur Israël ? Elle n’aura pas fait deux cents mères dans l’atmosphère que Téhéran sera rasé de la carte. »

    Ce que Tel-Aviv n’avait pas à craindre, Le Point officialisant, le 26 avril 2012 toujours, ce qui s’écrivait dans des rédactions moins en vue : Mahmoud Ahmadinejad, par une erreur de traduction en anglais, dont on ne sait si elle fut ou non volontaire, a vu ses propos déformés. D’où la tardive mise au point de cet hebdomadaire : « Dans une interview à Al Jazeera, reprise par le New York Times, Dan Meridor, ministre israélien du Renseignement et de l’Énergie atomique, a admis que le président iranien n’avait jamais prononcer la phrase “Israël doit être rayé de la carte”. Il a tout de fois ajouté : “Mahmoud Ahmadinejad et l’ayatollah Khamenei ont répété à plusieurs reprises qu’Israël était une créature artificielle et qu’elle ne survivrait pas.” » Dans le registre de ces « créatures artificielles », le président iranien incluait par ailleurs l’URSS, dont il disait : « Qui pensait qu’un jour, nous pourrions être témoins de son effondrement ? » Et Le Point de rappeler : « Pourtant, c’est bien cette première citation erronée qui a été reprise en boucle par les médias du monde entier, attisant d’autant plus les soupçons autour du programme nucléaire iranien. »

    L’actuelle rhétorique eschatologique de Benyamin Netanyahou ne reposerait donc que sur du vent, au même titre que les sempiternels appels à un « droit international » tout aussi fumeux que paradoxalement des plus solides, depuis le temps que tant de nations s’assoient régulièrement dessus. Et la suite des événements ? Quid d’une éventuelle solution politique ? Le Premier ministre israélien parait n’en avoir guère plus à Téhéran qu’à Gaza. Certes, il compte sur l’apathie des États sunnites voisins, finalement pas mécontents de voir leur concurrent chiite dans la tourmente. Malgré ses protestations, la Russie devrait se cantonner dans la posture verbale, même si la Chine pourrait éventuellement hausser le ton, étant dépendante en grande partie du pétrole importé d’Iran.

    Renverser le régime iranien de l’intérieur : une chimère ?

    Et puis, il y a ce rêve de moins en moins inavoué consistant à renverser, de l’intérieur, le régime des mollahs. Là, il y a peut-être loin de la coupe aux lèvres, tel que souligné par Delphine Minoui, journaliste franco-iranienne et spécialiste incontestée de son pays natal, dans Le Figaro de ce 16 juin : « La société est divisée en trois groupes. Le premier, minoritaire, applaudit les frappes israéliennes. Le deuxième reste fidèle au régime, pour des raisons idéologiques ou d’intérêt économique. Le troisième, majoritaire, ne soutient ni la République islamique ni les frappes israéliennes. Il se réjouit de la mort des commandants corrompus des gardiens de la révolution, mais rejette toute forme d’agression contre le territoire et toute tentative d’imposer un système politique venu de l’extérieur. » Voilà qui est bien court pour subvertir le régime de l’intérieur…

    De son côté, notre confrère Régis Le Sommier, dans Le Journal du dimanche, n’écrit pas fondamentalement autre chose : « L’ère du carpet-bombing est révolue, mais Netanyahou y croit toujours, pour satisfaire une partie de son opinion publique. » Et surtout jouer la montre, histoire de repousser son inévitable comparution devant la commission d’enquête qui l’attend, négligeant qu’il a été devant le massacre commis par un Hamas ayant réussi à bousculer Tsahal, armée pourtant donnée pour toute puissante, le 7 octobre 2023.

    Posséder l’hégémonie technologique sur le temps court est une chose. Avoir une vision politique sur le temps long en est une autre. Tôt ou tard, Benyamin Netanyahou pourrait l’apprendre, fut-ce à ses dépens.

    Nicolas Gauthier (Site de la revue Éléments, 17 juin 2025)

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  • Édouard Philippe à la rescousse du « bloc central » ? C’est pas gagné !

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Nicolas Gauthier , cueilli sur le site de la revue Éléments et consacré à Édouard Philippe, l'homme providentiel du centre mou, progressiste et raisonnable...

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    Le prix de ses mensonges...

     

    Édouard Philippe à la rescousse du « bloc central » ? C’est pas gagné !

    Ce n’est pas l’imagination qui tuera les représentants du « bloc central ». La preuve par Le Prix de nos mensonges. (JC Lattès), livre programmatique d’Édouard Philippe, l’ancien Premier ministre mirifique qu’on sait. À le lire, notre homme serait « en colère ». On en tremble déjà. Et derrière ce « nos mensonges », ne s’agirait-il pas surtout des « siens » ?

    En effet, le voilà qui se fâche tout rouge en écrivant : « Si nous voulons avancer, arrêtons de nous mentir ! ». Et peut-être de mentir aux électeurs, au passage ? Si l’homme à la capillarité fluctuante – un jour clone de Kung-fu Panda et l’autre, sosie officiel du défunt Michel Blanc – il a néanmoins de la suite dans son manque d’idées, affirmant, lors d’un entretien accordé au Point, ce 29 mai : « Nous ne sommes pas suffisamment conscients de ce que nous vivons, et nous aimons nous présenter la réalité d’une façon qui nous plaît, plutôt que de nous confronter à ce qu’elle est vraiment. » Ce subit accès de lucidité serait-il à prendre comme une sorte de contrition, ce « nous » le concernant au premier chef, sachant que ce sont « eux », ces fameux « partis de gouvernement », qui sont au pouvoir depuis tant de décennies ? Évidemment que non. Lorsque l’hebdomadaire lui fait remarquer qu’il ne cite « nommément aucun responsable » et qu’il aurait pu tout aussi bien titrer de la sorte son essai, « Et si Macron avait été courageux ? », il préfère éluder, expliquant que « tel n’est pas son état d’esprit ».

    Son projet de rupture ? Continuer comme avant !

    Ça, c’est finaud. Aussi finaud qu’un camion-benne, mais finaud tout de même. Au fait, tant qu’à dévaster les forêts pour imprimer des carabistouilles, autant en apprendre un peu plus sur le programme du potentiel futur Président de 2027 ; ce d’autant plus que le programme en question serait du genre « massif », allant jusqu’à évoquer « un projet de rupture », toujours à en croire Le Point. Bref, un machin propre à faire « bouger les lignes » et à donner dans le « disruptif », comme disent généralement les cons.

    Soyons justes, nous ne sommes pas déçus, ce « projet de rupture » consistant en ceci : « Il s’agit des éléments qui me paraissent prioritaires, l’école, le modèle social et son financement, la réforme de l’État, la justice. Je proposerai une transformation massive aux Français. Je dirai ce qui me paraît nécessaire pour le pays. » Pour « disrupter », ça va « disrupter », et pas qu’un peu, mais à fond les manettes. Il n’y a pas à barguigner : on sent l’homme « en colère », prêt à se battre à mains nues contre la première rame de TGV venue.

    Bon, bien sûr, il y a l’insécurité galopante ; mais il n’en parle pas, ou si peu.

    Toujours plus d’immigrés…

    Évoquer l’immigration ? On le sent dans l’exercice obligé : « Les démagogues professionnels et angoissés du grand remplacement racontent n’importe quoi lorsqu’ils prétendent se fixer l’objectif d’une “immigration zéro”. Il est au contraire absolument certain que la France encore besoin, à l’avenir, de laisser s’installer sur son territoire des étrangers, sans quoi il ne sera pas possible de faire tenir notre modèle économique et social. » Pourquoi ? « Parce que nous aurons besoin d’ingénieurs, de techniciens, d’ouvriers agricoles, de cuisiniers. » Avec un demi-million d’immigrés débarquant en France chaque année, cela devrait pourtant suffire à Édouard Philippe pour faire son marché. Mais non. Il lui en faut toujours plus. Certes, voilà qui devrait faire le bonheur d’une extrême gauche immigrationniste, mais surtout celui du grand patronat, toujours plus avide de main d’œuvre taillable et corvéable à merci. Histoire de jouer aux érudits, il lui faut bien évidemment en appeler aux mannes de Charles Péguy : « La vérité n’est pas toujours sexy, mais je cite souvent Charles Péguy, “Il faut toujours dire ce que l’on  voit ; surtout, c’est plus difficile, voir ce que l’on voit.” ».

    Édouard Philippe vu par Karl Marx…

    Nous, ce que l’on voit, c’est qu’un autre auteur, Karl Marx en l’occurrence et ce avec plus d’un siècle d’avance, dans Le Manifeste du Parti communiste, voyait mieux que bien qui est et ce que représente Édouard Philippe : « La bourgeoisie a noyé les frissons sacrés de l’extase religieuse, de l’enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité traditionnelle, dans les eaux glacées du calcul égoïste. Elle a fait de la dignité personnelle une simple valeur d’échange… La bourgeoisie a dépouillé de leur auréole toutes les activités qui passaient jusque-là pour vénérables et qu’on considérait avec un saint respect. Le médecin, le juriste, le prêtre, le poète, le savant, elle en a fait des salariés à ses gages. La bourgeoisie a déchiré le voile de sentimentalité qui recouvrait les relations de famille et les a réduites à n’être que de simples rapports d’argent… La bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner constamment les instruments de production, ce qui veut dire les conditions de la production, c’est-à-dire les rapports sociaux… Ce bouleversement continuel de la production, ce constant ébranlement de tout le système social, cette agitation et cette insécurité perpétuelle distinguent l’époque bourgeoise de toutes les précédentes… Tout ce qui avait solidité et permanence s’en va en fumée, tout ce qui était sacré est profané, et les hommes sont forcés enfin d’envisager leurs conditions d’existence et leurs rapports réciproques avec des yeux désabusés… » Ite missa est, si l’on peut dire, en évoquant cette homélie marxiste.

    Le énième avatar de la gauche rocardienne…

    Pour ceux qui ne s’en seraient pas doutés, Édouard Philippe, à l’instar de tant d’autres nuisibles, tel Dominique Strauss-Kahn, l’un des plus emblématiques, a usé ses fonds de culotte à l’école de Michel Rocard. On ne dira jamais assez le mal causé par cette « Deuxième gauche », ou « Gauche américaine » étant parvenu à ce tour de force ayant consisté à éloigner la gauche de ses traditionnels combats sociaux tout en contaminant la droite pour l’embringuer dans des luttes sociétales ; tout cela au nom de l’économie de marché.

    À tous les titres, l’impétrant est donc le plus capé pour incarner ce foutu « bloc central », même si aujourd’hui singulièrement vacillant. Ce qui ne signifie pas forcément que le triomphe sera au rendez-vous, loin s’en faut.

    Ainsi, et ce sans surprise, Éric Ciotti, ancien cacique LR rallié à Marine Le Pen, quand Le Parisien du 1er juin lui demande s’il serait un jour prêt à « travailler » avec lui, répond sans ambiguïté : « En aucun cas. Édouard Philippe incarne ce magma central, sans audace et sans courage, qui a tiré la France vers le fond. Nous n’avons pas besoin d’un robinet d’eau tiède, de la poursuite du “en même temps”. » De son côté, Le Figaro remarque, le 26 mai : « Si Édouard Philippe reste le meilleur atout du bloc central pour se hisser au second tour de l’élection présidentielle et espérer l’emporter, quelle que soit l’identité du prétendant RN, les sondages ne traduisent aucune dynamique en sa faveur. »

    La mémoire longue des Gilets jaunes ?

    Il est vrai qu’Édouard Philippe, c’est un peu le canard sans tête dans une impasse en sens interdit, ne disposant, pour seule réserve électorale que la droite des macronistes et la gauche de ce qui demeure des LR. LFI viendra-t-il à sa rescousse en cas de second tour ? Rien n’est moins sûr. Quant à l’autre « bloc », celui de la France d’en bas, on les voit mal plébisciter celui par lequel la grande jacquerie des Gilets jaunes est arrivée. Ce d’autant plus que le bougre persiste dans l’erreur, affirmant au Figaro, le 20 mai, qu’il ne regrette rien de la baisse de la vitesse sur les routes nationales à 80 km/h, même si concédant : « Peut-être que je le ferais différemment. (…) Je n’ai probablement pas réussi à expliquer, c’est ma responsabilité, que cette mesure n’était pas pour emmerder le monde ou gagner de l’argent, mais pour éviter des accidents. » « Sauver des vies » ? Le propos semble des plus baroques en une société où l’on tue les enfants à naître dans le ventre de leur mère, tandis qu’on s’apprête à zigouiller les vieux en passe d’atteindre la date de péremption. Mais, au fait, l’autre raison de la colère des Gilets jaunes n’était-elle pas la hausse des taxes sur le diesel, décidée par notre sauveteur en chef ? Si. Mais on doute qu’une telle mesure ait été mise en place pour « sauver des vies ».

    Édouard Philippe, tout polytechnocrate soit-il, a encore beaucoup à apprendre. Sur la vie, justement.

    Nicolas Gauthier (Site de la revue Éléments, 3 juin 2025)

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