Un texte d'Anne-Corinne Zimmer, diffusé par le site grenoblois Pièces et Main d'Oeuvre et consacré aux nanotechnologies.
L'invasion des nanotechnologies
Avec ses airs de science-fiction, la recherche sur les technologies de l'infiniment petit est pourtant une réalité d'autant plus inquiétante qu'elle est méconnue.
Années 2000, dans les pays industrialisés : des investissements financiers sans précédent se font en faveur de la recherche et du développement des nanotechnologies. L'initiative française "Nano Innov", mise en place en 2008 sous les auspices du Commissariat a l'énergie atomique (CEA), prévoit le développement de trois "pôles d'excellence " 1 : à la clé, 1,15 milliard d'euros d'investissements publics sur cinq ans ou le financement de la recherche (publique) est entièrement subordonnée au partenariat public-privé et au développement d'applications commercialisables, brevetables, et donc, rentables.
Le marché des nanotechnologies, estimé en 2010 à plus de 150 milliards de dollars devrait atteindre, en 2014, plus de 2 600 milliards, soit 15% de la production manufacturière mondiale (estimation Lux Research). La nanotechnologie travaille sur les dimensions de la matière inférieures à 100 nanomètres (1 nm=10-9 m, un milliardième de mètre). À cette échelle, on entre dans la physique quantique. Les matériaux et les éléments (graphite, argent, or, silice) acquièrent des propriétés nouvelles et radicalement différentes : ce qui était rouge devient vert, un métal devient translucide, un matériau non conducteur laisse passer l'électricité... Deux méthodes sont employées pour obtenir les nanomatériaux. La technique descendante : par procédés mécaniques, en réduisant la matière poudre à l'état nanoparticulaire par broyage à haute énergie. Ou la "technique ascendante" : les atomes sont assemblés, sous contrôle informatique, à l'image de briques, conférant formes et tailles souhaitées (tubes, fullerène 2...), afin d'obtenir la configuration recherchée. Ces remaniements au niveau atomique et moléculaire ouvrent aussi la voie à des assemblages hybrides, entre matière inerte et vivante. La conception de nouveaux matériaux multiplie l'éventail des matériaux, des applications et des profits.
Dangers inconnus
Depuis plus de 15 ans, les nanomatériaux sont massivement présents et s'imposent aux consommateurs sans qu'ils en soient informés car aucun étiquetage ni aucune réglementation n'encadre cette invasion : des articles de sports plus légers aux peintures et métaux de surface autonettoyants sous la seule action de la pluie, en passant par les diodes électroluminescentes pour écrans, les téléphones cellulaires ou les pneus longue durée ! L'alimentation n'y échappe pas. Les additifs alimentaires comme le nanosilice sont employés depuis les années 1990 comme anti-agglomérant. Les barres Mars sont enveloppées dans du papier contenant du nano dioxyde de titane de 1 à 5 nm. Autorisé dans sa forme non nano pour l'alimentaire (pour blanchir le glaçage des pâtisseries), son emploi est ici différent : transparent, il sert à empêcher l'oxygène de gagner l'aliment. La liste des nanoproduits est inconnue et impossible à établir, en l'absence d'obligation pour les producteurs, industriels ou revendeurs d'en déclarer la présence.
Alors que le développement des nanos est soutenu massivement par les deniers publics, à peine 0,5 % de ces fonds sont consacrés à l'évaluation des risques sanitaires et environnementaux. Cette carence d'évaluation et d'information est fondamentale pour comprendre ce qui se joue avec les nanotechnologies : tout se passe comme si aucun enseignement n'avait été tiré des désastres provoqués par de nombreuses substances chimiques disséminées au cours du siècle précédent. Tandis que le règlement Reach oblige enfin les producteurs à une évaluation des substances chimiques produites à plus de 10 tonnes par an, la règle appelée "No data, no market" 3 semble ne pas concerner les nanosubstances aux propriétés radicalement nouvelles. Autorités gouvernementales et agences sanitaires et de régulations en appellent à la nécessité d'évaluation et de réglementation depuis dix ans, tandis que le corpus des études scientifiques pointant la toxicité des nanoparticules ne cesse de s'allonger.
Propriétés inédites
Elles présentent en effet des caractéristiques inédites : une puissante réactivité chimique et une pénétration exceptionnelle, leur taille leur autorisant le franchissement de toutes les “barrières". Les études mettent en évidence les dommages sur l'ADN causés par les nanoparticules, un stress oxydatif (mort des cellules) et des effets inflammatoires. Une génotoxicité indirecte, atteignant l'ADN à travers des barrières intactes, à été mise en évidence. De façon générale, les nanoparticules se caractérisent par leur extrême mobilité dans l'environnement et dans les organismes. Quelle que soit la voie d'exposition (inhalation, ingestion, cutané), « elles peuvent être internalisées par les cellules, migrer vers le cytoplasme et le noyau et passer les barrières que l'on croyait les plus étanches du corps humain. Y compris la barrière placentaire », expliquait Patrick Brochard, toxicologue au Laboratoire santé-travail-environnement de Bordeaux II, devant l'Office parlementaires des choix scientifiques et technologiques (OPCST)4. « Les nanoparticules très fines et très allongées sous forme de fibres (comme les nanotubes de carbone) ne sont pas gérées par les cellules, et malgré tous les mécanismes de défense de l'organisme, la particule va persister, intacte, dans les tissus, à l'endroit où elle s'est déposée, ou bien elle va migrer... Cet ensemble d'effets peut entraîner des réactions sur des modèles in vitro : perte de fonction, hyperactivité cellulaire. Au-delà, une réaction inflammatoire au niveau des tissus est susceptible de déboucher sur des pathologies non spécifiques comme fibrose et le cancer », conclut le toxicologue.
Une persistance indéfinissable
De plus, aucune analyse du cycle de vie de ces nanomatériaux n'a été réalisée. Leur devenir dans l'environnement pose déjà question. Le nano-argent, abondamment utilisé comme antibactérien, risque, une fois libéré dans l'environnement, de rompre l'équilibre écologique en anéantissant les bactéries. Des nanopréparations de pesticides sont déjà sur le marché (BASF Syngenta, Bayer), avec l'avantage de mieux se dissoudre dans l'eau et d'être efficaces plus longtemps avec un dosage réduit. La plupart des nanoparticules sont déjà reconnues comme persistantes, toxiques, bioaccumulables, et capables de se mouvoir sans fin... Elles rempliraient ipso facto les critères pour entrer sur la liste de la convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants. Pire, leur haute réactivité chimique leur permet de se lier aux polluants déjà en circulation (PCB, PFOS), leur conférant potentiellement une durée de vie encore plus longue. En dépit de cela, rien ne semble en mesure d'entraver leur développement. D'ailleurs, une partie non négligeable des financements publics alloués au plan Nano Innov est attribuée à « l'acceptabilité sociale ». Ce qui signifie présenter au public une myriade d'applications tenues pour réalisables et ne parler que des "bénéfices" : médicaux, environnementaux et, bien sûr, économiques.
Vers un contrôle total ?
Les nanotechnologies forment une révolution d'ensemble dont nanomatériaux et nanoparticules ne sont que les instruments. In fine, il s'agit de l'élaboration d'un véritable système, défini sous le terme de convergence et appelé "NBIC" : Nano, Bio, Info, Cogno 5. Soit la convergence de plusieurs technologies, biologie, sciences cognitives (neurosciences), informatique, robotique dont la nanotechnologie est l'élément habilitant. La biologie synthétique crée de nouveau systèmes vivants (autoréplicants) programmés pour exécuter des tâches précises : bactérie E. Coli surpuissante pour la dépollution, polymères nanobiologiques intégrant des protéines permettant aux objets de se reconstituer...
Au-delà de l'alliance de la biologie, du vivant et de la nanotechnologie, se profilent les risques d'une humanité et d'une société entièrement sous contrôle, jusque dans ses comportements. Devant l`OPCST, François Berger, membre du réseau européen de nanobiotechnologie, Nano2life et chef de l'équipe de "Nanoneurosciences fondamentales et appliquées" au sein du pôle Minatec, donne un exemple des applications en cours avec un enthousiasme qui a de quoi inquiéter: « On peut manipuler le comportement alimentaire d'un singe en stimulant son hypothalamus (...). Il y a un réel danger dans les domaines de l'obésité ou de l'anorexie. Avouons que des outils implantés qui traiteront la maladie avant qu'elle n'apparaisse peuvent aussi être un avantage, même si cela a un côté impressionnant. (...) La valeur ajoutée des nanotechnologies transférées dans le domaine médical est indiscutable au niveau scientifique et industriel ».
Le ministère de la Recherche n'a pu que confirmer l'existence de « technologies permettant de modifier le comportement humain », parmi lesquelles « l'inhalation de nanoparticules psychotropes». Bien sûr, la majeure partie des financements publics est allouée aux recherches pour la Défense et l'armement et la "sécurisation de la société", via les nouveaux instruments de contrôle (identification, RFID, puçages, traçabilité) permis par cette convergence. Les risques d'une espèce humaine sous contrôle (dont les outils sont aux mains d'une poignée de multinationales) sont trop importants pour ne pas questionner les fins poursuivies au moyen de la nanoscience.
Anne-Corinne Zimmer, journaliste
1. Ces pôles se situent à Grenoble (Minatec), Paris (Saclay) et Toulouse. L'ensemble des champs de la nanoscience est couvert et rassemble sur ces sites la recherche fondamentale et le développement industriel via les partenariats public-privé.
2. Un fullerène est une molécule composée de carbone pouvant prendre une forme géométrique rappelant celle d'une sphère, d'un ellipsoïde, d'un tube (appelé nanotube) ou d'un anneau.
3. "Pas de données, pas de marché" est la règle voulue par Reach.
4. OPECST, Auditions publiques sur les nanotechnologies : risques potentiels, enjeux éthiques. Rapport n°3658 Assemblée nationale et n°208 Sénat (2007)
5. Le projet américain NBIC porté depuis 2001 par la National Science Foundation a été exposé dans le rapport de W. Bainbridge et Roco « Converging technologies for improving human performances ». L'ETC Group a choisi de parler de BANG pour Bit (information) Atome, Nano, Gêne.