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libéralisme autoritaire

  • Thibault Mercier : discriminer, c’est distinguer nous et les autres...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Thibault Mercier au site de la revue Éléments pour évoquer la réédition de son essai, dans une version augmentée, Athéna à la borne - Discriminer ou disparaître ( La Nouvelle Librairie/Institut Iliade, 2023).

     

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    Thibault Mercier : discriminer, c’est distinguer nous et les autres

    ÉLÉMENTS : Il y a bientôt cinq ans, vous publiiez Athéna à la borne, aujourd’hui réédité dans une version augmentée. Quel regard portez-vous sur l’évolution des libertés publiques depuis lors, particulièrement sur la séquence coronavirus ?

    THIBAULT MERCIER. Au-delà du sujet des libertés publiques, longuement abordé dans cet essai, j’ai écrit cet Athéna pour redorer le blason de la discrimination. Dans l’imaginaire collectif « la discrimination c’est mal », mais personne n’est bien capable de donner une définition précise du terme qui fait néanmoins office de repoussoir dans le débat public. Cette discrimination, maniée avec parcimonie, est pourtant un outil primordial de défense de notre culture (et des cultures en générale).

    Depuis 2019, le concept n’a malheureusement pas retrouvé ses lettres de noblesse et la lutte contre la discrimination permet d’ailleurs au Gouvernement de justifier la dissolution d’associations patriotes… Depuis la publication initiale de l’essai, je note tout de même – en feignant l’étonnement – que si la discrimination est toujours condamnée par nos « élites », ces dernières savent en faire très bon usage quand elle sert leurs intérêts. Les citoyens russes n’ont-ils pas fait l’objet de nombreuses mesures à leur encontre depuis le début de la guerre en Ukraine alors que la discrimination fondée sur la nationalité est prohibée ? Le Gouvernement n’a-t-il pas pratiqué une discrimination massive entre les citoyens vaccinés et non-vaccinés durant la crise Covid ? Covid et terrorisme, toutes ces « urgences » ont permis à l’État de favoriser la restriction de nos libertés comme réponse principale à tout problème politique qui se pose. Il suffit de voir les solutions évoquées pour lutter contre le réchauffement climatique ou assurer la sécurité à Paris pendant les Jeux olympiques 2024…

    ÉLÉMENTS : De la même manière, quelles conclusions tirez-vous de l’interdiction du colloque d’hommage à Dominique Venner le 21 mai dernier et de la multiplication des arrêtés préfectoraux visant d’autres événements politiques ?

    THIBAULT MERCIER. Des clandestins ont le droit de défiler dans Paris pour contester la loi immigration démocratiquement votée, mais des Français n’ont pas le droit de rendre hommage à Thomas tué à Crépol et des « historiens à lunettes » ne peuvent organiser un colloque d’hommage à un des leurs. Le Gouvernement pratique l’inverse de la préférence nationale… Malheureusement ces interdictions ne sont que la conséquence de l’affaire Dieudonné de janvier 2014, quand le Gouvernement s’est arrogé le droit d’interdire des spectacles de l’humoriste, car il risquait d’y être tenu des propos contraires à la loi. C’est à cette occasion que le Conseil d’État, ou plutôt le juge Bernard Stirn statuant seul, est revenu sur une jurisprudence vieille de 80 ans et a validé ces interdictions pour protéger un « ordre public immatériel » qui n’est que le faux-nez d’une nouvelle morale étatique, morale diversitaire et inclusive.

    Et désormais, les arrêtés préfectoraux sont par exemple justifiés par « le risque que des slogans ou des propos de nature à mettre en cause la cohésion nationale ou les principes consacrés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et par la tradition républicaine soient exprimés ». On punit donc désormais le « pré-crime » (comme dans la nouvelle « Rapport minoritaire » de l’écrivain de science-fiction Philip K. Dick). Et avec des termes aussi larges (« propos de nature à remettre en cause »), on pourrait interdire quasiment toute manifestation d’opposants politiques.

    ÉLÉMENTS : Que vous inspire la notion de « libéralisme autoritaire » ? Face à sa dérive, pensez-vous qu’il possible de dissocier certains acquis de la philosophie libérale, en premier lieu la liberté d’expression ?

    THIBAULT MERCIER. On considère que le libéralisme est une doctrine politiquement neutre dont le principal but serait de défendre la liberté individuelle. Il me semble au contraire que le libéralisme est une sorte de religion, de monothéisme jaloux, porteur de son dogme intangible et qui ne supporte pas la critique ou la remise en question. Emmanuel Macron et son Gouvernement nous le prouvent régulièrement avec leur politique du « en même temps » qui permet de pratiquer des coupes claires aussi bien à droite qu’à gauche pour avoir les coudées franches au centre. (D’où l’erreur d’une partie de la droite – qui n’a pas vu qu’elle serait la prochaine sur la liste – ayant appelé à la dissolution de la NUPES après ses déclarations relatives aux événements du 7 octobre au Proche-Orient).

    Doit-on pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain ? Alain de Benoist dans un édito d’Éléments de juillet 2010 a pu dire qu’aucune doctrine n’était intégralement fausse et qu’il fallait notamment retenir du libéralisme l’idée de liberté, associée à celle de responsabilité. Cela étant dit, son livre, Au-delà des droits de l’Homme, significativement intitulé « Pour défendre les libertés », montre clairement que le libéralisme est loin d’être la seule doctrine permettant la promotion des libertés. C’est aussi mon point de vue. La rhétorique et la disputatio, qui impliquent une liberté d’expression et d’opinion prononcée, ne nous viennent-elles pas des Anciens, à des époques où le libéralisme n’avait pas encore été inventé ?

    ÉLÉMENTS : Quel rôle accordez-vous à la féminisation accrue du corps judiciaire française dans la mise en place de ce « nouvel ordre totalitaire » de l’anti-discrimination (p. 33) ?

    THIBAULT MERCIER. Plus qu’une féminisation, c’est une tyrannie de la faiblesse – pour reprendre l’expression de Paul-François Paoli – qui s’est développée dans le corps judiciaire, et dans la société en général. On valorise désormais la compassion et l’émotion au détriment de la raison et de la force. Ayant récusé l’ordre naturel des choses, y compris ses aspects tragiques, ses limites, ses fatalités, nous vivons dans un monde rempli d’individus pleurnicheurs, infantiles, envieux et plaintifs qui agissent en justice pour chaque pseudo-humiliation ou blessure de l’ego. À l’opposé de ces « valeurs » contemporaines infantilisantes, c’est plutôt le goût de l’orgueil et de l’honneur que nous devrions retrouver pour vivre en société sans se sentir oppressé, discriminé ou victimisé au moindre désagrément de l’âme.

    ÉLÉMENTS : Alors que les élections européennes approchent, quelles propositions concrètes pourraient être défendues au niveau de l’UE pour œuvrer au droit à l’identité de nos peuples autochtones ?

    THIBAULT MERCIER. Je ne suis pas un spécialiste du droit de l’Union européenne. Quoi qu’il en soit je note que 2024 sera également le 50e anniversaire de l’adhésion de la France à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui nous place sous la juridiction de la Cour européenne du même nom. Il serait utile de profiter de cette occasion pour faire le bilan critique de l’application en France d’un droit qui est devenu universaliste, rempli de moraline, et déconnecté de toutes considérations historiques et culturelles. Sans forcément sortir de la CEDH, il faut rappeler à ses juges qu’une nation doit pouvoir légitimement apporter des limites aux droits de l’homme, par exemple en pratiquant une préférence culturelle. Citons les exemples des maires de Florence et de Vérone en Italie qui ont décidé de prohiber les échoppes de kebab et les enseignes McDonald’s dans leur centre historique pour préserver la beauté architecturale et privilégier la cuisine italienne et les produits locaux. Comme ces maires, il est nécessaire de comprendre que la liberté, notamment économique, n’est pas absolue et qu’elle doit se voir opposer les limites, légitimes, des peuples qui défendent leur identité.

    Thibault Mercier, propos recueillis par Arnaud Varades (Site de la revue Éléments, 29 décembre 2023)

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  • Emmanuel Macron, le contre-populiste...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque la politique d'Emmanuel Macron... Philosophe et essayiste, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et L'écriture runique et les origines de l'écriture (Yoran, 2017).

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    Alain de Benoist : « Contrairement aux apparences, Emmanuel Macron est un contre-populiste ! »

    Voilà un an qu’Emmanuel Macron, le Président que personne n’avait vu venir, est à l’Élysée. Que sait-on, maintenant, sur lui ? Peut-on dresser un premier bilan de son action ?

    Macron a eu beaucoup de chance. Mais il faut reconnaître qu’il a su forcer la chance. Il a parfaitement mesuré l’envie de « dégagisme », de renouvellement, mais aussi de « verticalité », qui montait dans l’opinion depuis des années. Instruit par l’expérience de ses prédécesseurs, dont il ne veut pas répéter les fautes, il a parfaitement compris que les vieux partis institutionnels ont fait leur temps et que le clivage droite-gauche ne veut plus dire grand-chose dès lors qu’il ne renvoie plus qu’à une « alternance unique ». C’est ce qui lui a permis de réussir là où Giscard et Rocard avaient échoué : regrouper au « centre » les libéraux de gauche et de droite acquis à la mondialisation.

    Sur le plan de la personnalité, Macron est un libéral autoritaire, absolument pas un moraliste « humaniste » (il est aussi dénué de scrupules que Sarkozy, et s’il a fait appel à Jean-Michel Blanquer, c’est avant tout pour adapter l’école aux exigences de l’entreprise). « Agnostique » sur les problèmes de société, c’est un homme qui n’a pas d’amis mais seulement des conseillers techniques, qui a réussi à faire de ses ministres des employés et de sa majorité parlementaire une armée de zombies, simple reflet de son électorat. Le « macronisme », c’est Macron et rien d’autre.

    Sa façon de gouverner est typique du style managérial : apparaître sympathique, ouvert et détendu, aller « au contact », favoriser par principe le « dialogue » et la « délibération », mais sans jamais dévier d’un pouce de ce qu’il a décidé par avance. En d’autres termes, parler avec tout le monde mais n’écouter personne. Main de fer et sourire commercial. C’est ainsi qu’il est arrivé à faire passer sa loi de « moralisation de la vie politique », puis la réforme du Code du travail, puis celle de la SNCF, en attendant celles de l’audiovisuel public, des retraites et de la fiscalité.

    À sa manière, n’est-il pas, lui aussi, un populiste ?

    Je le définirais plutôt comme un contre-populiste. Il a opéré pour la classe dominante le regroupement que les populistes tentent de réaliser à la base. Dans son vocabulaire, le clivage principal est désormais celui qui oppose les « progressistes » aux « conservateurs ». Les premiers sont tout simplement les libéraux, les seconds ceux qui restent attachés à des valeurs ou des principes que l’individualisme moderne n’a pas encore liquidés.

    L’objectif qu’il s’est fixé est simple : réformer la France pour l’adapter aux exigences de la modernité libérale. Et pour ce faire, parier sur les ambitions et les initiatives individuelles des « premiers de cordée » plutôt que sur les énergies et les passions collectives. Cette volonté d’être en phase avec l’idéologie dominante est le cœur même de sa doctrine. « L’article un du macronisme, c’est l’européisme », constatait récemment Marcel Gauchet. L’idée sous-jacente est celle énoncée jadis par Margaret Thatcher : « Il n’y a pas d’alternative. »

    Comme l’a écrit Paul Thibaud, « Macron considère la France de l’extérieur, à partir de l’universalisme direct où il s’est établi. » Il reconnaît, certes, à l’appartenance nationale une valeur sentimentale, mais la réduit à sa capacité d’adaptation au milieu ambiant. La France n’est pas, pour lui, le support d’une identité commune, mais une quasi-entreprise (une « start-up ») qui doit avant tout se tourner vers l’avenir et à laquelle il faut donner toutes ses chances de réussir, fût-ce au détriment des perdants, étant entendu que sa capacité à réussir implique son alignement sur les critères de Maastricht, ce qui ne peut qu’aboutir à toujours plus de précarité, de dévaluation salariale, de difficulté à vivre pour cette partie grandissante de la population qui n’appartient pas aux secteurs compétitifs insérés dans la mondialisation. D’où sa réputation justifiée de « Président des riches » – mais sans doute faudrait-il plutôt dire de « Président des gagnants ». Les nouvelles fractures politico-sociales ne peuvent donc que s’aggraver.

    Quelles sont les chances de l’opposition ?

    Déjà assuré d’une majorité aux ordres, Macron n’a de surcroît aucune opposition crédible face à lui, ce qui est à peu près inédit dans notre histoire. Il gouverne de manière d’autant plus autoritaire qu’il manœuvre dans un champ de ruines. À gauche, le Parti socialiste ne parvient toujours pas à se relever, tandis que La France insoumise se divise de plus en plus entre les lignes d’Alexis Corbière et de Clémentine Autain ; c’est-à-dire entre partisans d’une forme de populisme inspirée de Podemos, qui veulent « fédérer le peuple », et ceux qui veulent surtout ne pas se couper des « forces de gauche ». Mélenchon fait partie des premiers, mais il ne peut aller jusqu’au bout de sa démarche, car cela l’obligerait à un changement de cap radical à propos de l’immigration.

    À droite, la concurrence des appareils de partis ruine toute tentative d’union. Certes, la porosité est plus grande à la base, mais cela reste limité au plan local. À l’échelon national, il manque une figure charismatique nouvelle, susceptible de rallier aussi bien les classes moyennes que les classes populaires, rôle que ne peuvent tenir, pour des raisons différentes, ni Marine Le Pen ni Nicolas Dupont-Aignan ni Laurent Wauquiez. Sans une telle figure, tous les efforts de la « droite hors les murs » resteront vains. Il manque aussi, et peut-être surtout, l’aggiornamento doctrinal qui permettrait à cette droite de congédier une fois pour toutes la tentation libérale qui, de pair avec l’opportunisme, pousse tant de Républicains à rejoindre les rangs macroniens au motif qu’après tout, Macron réalise ce qu’ils voulaient faire eux-mêmes depuis longtemps.

    Certains espèrent que, lorsque le macronisme aura commencé à décliner, le vieux paysage politique bipolaire va renaître de ses cendres après lui. Je ne le crois pas un instant. L’élection de Macron a engagé un processus de recomposition générale sur lequel on n’est pas près de revenir. C’est en cela que réside son caractère historique.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Gauthier, 15 juin 2018)

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