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  • Les fondements de l'éthologie...

    Les éditions Flammarion viennent de rééditer un essai de Konrad Lorenz intitulé Les fondements de l'éthologie. Biologiste et zoologiste autrichien, prix Nobel de physiologie, Konrad Lorenz (1903-1989), est l"auteur notamment de L'Agression, une histoire naturelle du mal (Flammarion, 1977), de L'envers du miroir : une histoire naturelle de la connaissance (Flammarion, 1975) et de L'Homme dans le fleuve du vivant (Flammarion, 1981). 

    Pour découvrir, la pensée et l’œuvre de Konrad Lorenz, on pourra utilement faire appel au court essai d'Yves Christen intitulé Konrad Lorenz - Un biologiste au chevet de la civilisation (La Nouvelle Librairie, 2023).

     

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    " Ce livre est l’œuvre maîtresse de l’un des principaux pionniers de l’éthologie, cette science née de la volonté d’appliquer au comportement animal et humain les interrogations propres à la recherche en biologie.
    Un tel objectif exige une méthodologie qui statue sur les compétences requises pour la recherche et sur les différentes modalités expérimentales : la perception comme moyen de connaissance, l’observation des animaux en liberté, en captivité ou simplement apprivoisés, etc.
    On a souvent reproché à Lorenz d’appliquer un peu trop rapidement à l’homme les résultats de ses recherches. Mais n’y a-t-il pas une foule de comportements plus anciens que les nôtres, qui existent en nous et jouent un rôle considérable dans nos actes et dans l’exercice de nos facultés cognitives ? L’édifice lumineux mais fragile de notre rationalité, nous avertit-il, repose sur un terrain d’instincts primordiaux que nous partageons avec des créatures bien plus primitives dans l’échelle de l’évolution et avec qui nous devons compter. "

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  • La civilisation en péril...

    Surpeuplement, dévastation de l’environnement, course contre soi-même, tiédeur mortelle, dégradation génétique, rupture de la tradition, contagion de l’endoctrinement et armes nucléaires...

    En 1973, Konrad Lorenz, prix Nobel de médecine, publiait un ouvrage intitulé Les huit pêchés capitaux de la civilisation un ouvrage dans lequel il alertait sur les menaces qui pesaient sur l'occident.

    Dans sa nouvelle vidéo, Ego Non évoque cet ouvrage du célèbre biologiste et éthologue.

     

                                              

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  • Yves Christen : « Konrad Lorenz reste un personnage iconique »...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Yves Christen au site de la revue Éléments et consacré au grand biologiste et éthologue Konrad Lorenz.

    Biologiste, ancien chercheur dans le domaine de l'immunologie, Yves Christen, qui est l'auteur de plusieurs ouvrages sur les animaux, dont Le peuple léopard (Michalon, 2000) et L'animal est-il une personne ? (Flammarion, 2009), a récemment publié un court essai intitulé Konrad Lorenz - Un biologiste au chevet de la civilisation (La Nouvelle Librairie, 2023).

     

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    Yves Christen : « Konrad Lorenz reste un personnage iconique »

    Éléments : Quel héritage représentent les travaux scientifiques de Lorenz dans la biologie contemporaine ?

    Yves Christen. Konrad Lorenz reste un personnage iconique. Par l’importance de son apport à la recherche mais aussi à cause de ses réflexions sur l’homme, sur la civilisation et sur la société. Son look, son sens de l’anecdote, plus généralement sa personnalité donnaient à la richesse de son enseignement un style et une force remarquables. Il est clair que, de ce point de vue, comparé à son alter ego avec qui il a partagé le Prix Nobel, Niko Tinbergen, il laisse une trace beaucoup plus forte.

    Lorenz reste, aux yeux de tous, comme le fondateur de l’éthologie bien que lui-même n’ait pas revendiqué ce titre, mettant au contraire en avant ses propres précurseurs. Plus important selon moi : il a posé les bases d’une réflexion sur l’instinct chez l’animal et l’homme, sur l’importance des comportements innés mettant à mal la représentation d’un humain compris comme une page blanche sur laquelle l’environnement inscrirait sa marque. Cette vision des choses a démontré son efficacité en psychologie dans la mesure où aucun spécialiste ne peut aujourd’hui se représenter les facultés cognitives sans tenir compte du fait qu’elles reposent sur une forme de prédisposition elle-même matériellement constituée dans le cerveau qui n’a rien de la boîte noire imaginée par les behavioristes, mais qui produit un esprit selon une détermination neuronale précise. Lorenz a aussi eu le mérite de donner à l’évolution des comportements une interprétation darwinienne qui est aujourd’hui celle de la psychologie évolutionniste.

    Il est vrai que l’émergence et le développement de la sociobiologie ont désormais braqué les projecteurs sur la recherche anglo-saxonne. Ce mouvement a aussi conduit à préciser la vision darwinienne du monde, en particulier à travers le concept de gène égoïste, plus conforme à la science actuelle, mais sans éclipser le rôle de Konrad Lorenz.

    Éléments : Y voyez-vous autant d’outils face au déconstructivisme triomphant de l’époque postmoderne dont les déclinaisons sont entre autres la théorie du genre ?

    Yves Christen. Sans beaucoup s’avancer, on peut tenir pour acquis que Lorenz aurait dénoncé ce genre de dinguerie. Il est d’ailleurs affligeant que, des décennies après son enseignement et après tant de travaux de recherche en génétique, en éthologie, en physiologie, etc., puisse fleurir une idéologie à ce point contraire à la réalité, qui plus est dans un cadre universitaire. Une fois encore, Lorenz est le champion de la critique de la page blanche. C’est la raison de son opposition frontale au behaviorisme et il n’y a pas de doute qu’il a remporté la guerre avec cette école de pensée. Ironiquement, à cette dernière qui reposait sur des éléments scientifiques (certes fautivement interprétés), s’est substituée une forme de délire pur et simple dont l’arme principale est la dénonciation de ceux qui n’y adhèrent pas.

    Éléments : Vous êtes l’auteur de L’Animal est-il une personne ? Comment Konrad Lorenz aurait-il réagi face à un autre chapitre de la déconstruction : l’anti-spécisme ?

    Yves Christen. Difficile de faire parler les morts. Je me garderais bien de me prononcer sur la façon selon laquelle Lorenz aurait accueilli mes réflexions, y compris les critiques relatives à certains de ses propos, ce dont je ne fais pas mystère dans le petit ouvrage au sujet duquel vous m’interrogez. J’ose espérer qu’il les aurait considérées avec bienveillance. Concernant mes réflexions sur l’animal, notamment dans l’ouvrage que vous mentionnez (mais aussi dans L’animal est-il un philosophe ?, paru chez Odile Jacob), elles s’écartent de son discours au moins sur un point : Lorenz considère l’homme comme un animal mais pas seulement comme un animal, alors que je le vois comme un animal et strictement rien d’autre. Je ne comprends d’ailleurs même pas ce que, concrètement, pourrait être un animal qui ne soit pas seulement un animal (un robot ? un extra-terrestre ? un ectoplasme ?). J’effectue ce détour afin de mieux cerner ce que l’on entend par anti-spécisme. Il est clair que les sociétés humaines ont souvent (mais pas toujours) une fâcheuse tendance à mépriser les autres espèces et à leur nuire. C’est une pratique tout à fait semblable au racisme. Il n’en reste pas moins vrai que, dans une perspective darwinienne, l’univers du vivant est par nature compétitif et que l’on ne saurait faire du bien et uniquement du bien à tout le monde. Pour ma part, je pense que les sociétés ont le droit (mais est-ce le bon mot ?) de défendre leurs intérêts, y compris en nuisant à d’autres. Mais je ne vois aucun absolu dans un droit de l’homme à se rendre maître des autres animaux. Disons que je ne suis pas humaniste et même, pour reprendre votre terminologie, que, au risque de vous paraître trop proche de Derrida, je souhaite déconstruire l’interprétation humaniste consistant à placer notre espèce sur un piédestal d’autant plus qu’à mes yeux, s’il existe des hommes, il n’y a rien de tel que l’homme (si ce n’est bien sûr en tant qu’espèce zoologique, l’Homo sapiens). En outre, j’estime nécessaire l’empathie à l’égard des autres formes de vie et je considère qu’il existe un devoir de protection de la biodiversité. Comment Lorenz aurait-il réagi dans le cadre du débat actuel ? À coup sûr, il aurait partagé mon empathie pour le monde animal. Aurait-il adhéré à ma critique assez radicale de l’humanisme (je désigne ainsi la philosophie attribuant à l’homme des droits absolus sur les autres vivants) ? Je l’ignore. Se serait-il proclamé anti-spéciste ? Je ne le crois pas mais peut-être aurait-il adopté une autre forme d’anti-spécisme sans se vouloir lui-même déconstructeur…

    Éléments : Dans le chapitre VII (p. 61) de Konrad Lorenz.Un biologiste au chevet de la civilisation, vous revenez sur Les Huit péchés capitaux de votre civilisation, un ouvrage publié par le biologiste autrichien en 1973. Parmi ces péchés, « la dévastation de l’environnement » est dénoncée de manière prémonitoire. N’incarne-t-il pas une sensibilité écologiste de droite que nous gagnerons à réhabiliter ?

    Yves Christen. Ce n’est pas fondamentalement une affaire de positionnement à droite. Tous les gens de bon sens devraient être favorables à la protection de l’environnement. Et sans doute le sont-ils, en paroles en tout cas, puisque, dans les faits, beaucoup contribuent à sa dévastation. Ceci étant dit, il me semble évident que la sensibilité écologiste est, par nature, plutôt de le fait des conservateurs, de ceux qui entendent préserver.

    Peut-être devrais-je ici ne pas dissimuler ce qui, me concernant, peut apparaître comme une contradiction. Contrairement à la plupart des rédacteurs d’Éléments, je n’ai en effet pas renoncé à une vision prométhéenne du monde, ce qui ne m’empêche pas de dénoncer l’hubris de notre civilisation moderne. Je garde ma fidélité à Louis Rougier enseignant que le mythe de Prométhée est la préfiguration de la civilisation européenne (lui parlait de civilisation occidentale). C’est une pensée darwiniennement conforme, qui voit dans la marche de l’évolution la marque de la compétition. C’est de ce processus que découlent les désastres écologiques du monde moderne. La sélection naturelle est bien la source de l’hubris. Mais nous lui devons aussi notre existence. C’est tragique mais c’est ainsi. Cependant, rien ne nous oblige à consentir aux conséquences négatives du « progrès », de même que rien ne nous oblige à continuer à prendre un médicament dont les effets secondaires l’emportent sur les effets bénéfiques sans préconiser pour autant l’arrêt de tout recherche pharmacologique.

    Éléments : « La dégradation génétique » est dénoncée comme un autre péché capital. Comment Lorenz aurait qualifié notre déclin anthropologique actuel, à l’heure où les avancées de la génétique confirment pleinement ses intuitions ?

    Yves Christen. Le propos de Lorenz est clair. Il n’aurait sans doute rien eu à soustraire à ses écrits en la matière même s’il va sans dire que le déclin anthropologique dont vous parlez ne relève pas seulement de la génétique. Assurément nous vivons une époque risquée…

    Yves Christen, propos recueillis par Arnaud Varades (Site de la revue Éléments, 4 mars 2024)

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  • Konrad Lorenz a trouvé le chaînon manquant : c’est vous !...

    Nous reproduisons ci-dessous un article de José Javier Esparza cueilli sur le site de l'Institut Iliade et consacré au biologiste et naturaliste Konrad Lorenz.

    On rappellera qu'Yves Christen vient de publier Konrad Lorenz - Un biologiste au chevet de la civilisation (La Nouvelle Librairie, 2023).

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    Konrad Lorenz a trouvé le chaînon manquant: c’est vous !

    On m’a demandé mille fois quels auteurs il fallait lire pour se construire une vision du monde alternative à la décomposition contemporaine. Je manque de science et de savoir pour répondre à cette question, mais je peux citer les auteurs qui m’ont marqué et dire pourquoi. Parmi eux, aujourd’hui, il y a Konrad Lorenz.

    On disait de Konrad Lorenz qu’il avait appris à parler aux animaux. Certains ont de lui le souvenir d’une image : grand, longiligne, cheveux et barbe blancs, marchant dans la campagne suivi d’une cohorte de canards qui l’avaient adopté comme “mère”. Cet éminent biologiste, lauréat du prix Nobel de médecine en 1973, fut l’un des grands scientifiques du XXe siècle. Mais si Konrad Lorenz nous intéresse ici, ce n’est pas seulement pour ses recherches scientifiques, mais aussi parce que, dans le sillage de son travail de biologiste, il a développé une philosophie morale d’un immense intérêt, une anthropologie toujours d’actualité.

    La science du comportement

    Konrad Zacharie Lorenz naquit à Vienne, en Autriche, en 1903. Passionné de biologie, il étudia la médecine à New York et la zoologie à Vienne. Il eut très tôt l’intuition de ce qui allait être sa grande contribution à la science : dans quelle mesure les processus biologiques humains peuvent-ils être comparés à ceux d’autres animaux ? La science étudiait l’anatomie des animaux et la science des humains ; elle arrivait à des conclusions intéressantes, notamment dans le domaine de l’évolution. Mais au-delà de cela, qu’y a-t-il de commun non seulement dans l’anatomie, mais aussi dans le comportement des différents animaux ? Par quels schémas suivent-ils, et en quoi ressemblent-ils au comportement humain ? Ce sont des questions dont les réponses se trouvent non seulement en biologie, mais aussi en psychologie.

    Dès le début de ses études, Konrad Lorenz se documente sur le sujet et, lisant les psychologues, il découvre avec consternation qu’aucun d’eux n’a la moindre idée de la manière dont se comportent les animaux. Tout ce qu’il avait découvert dans ses observations du monde animal se heurtait à leurs explications. Il en a tiré deux conclusions. La première : cette branche de la science, l’étude comparative du comportement animal, l’éthologie, est encore inexplorée. La seconde : il en serait le pionnier. Et il n’a alors que 24 ans.

    Professeur à l’université allemande de Königsberg (aujourd’hui Kaliningrad, dans la Baltique russe), Lorenz a eu la chance de pouvoir enseigner la psychologie sous un angle biologique. Appliquer la théorie de la connaissance de Kant à la biologie darwinienne : tout un programme ! Konrad Lorenz n’était pas un darwiniste au sens où cette expression est utilisée aujourd’hui, qui désigne une théorie philosophique plutôt qu’un modèle scientifique, mais il était darwinien sur le plan méthodologique : il croyait que la nature se déroule dans un mouvement évolutif sur la base de la sélection naturelle. Lorenz n’aimait pas utiliser le concept d'”évolution”, trop chargé d’implications idéologiques, et préférait utiliser le terme technique de “phylogenèse”, qui désigne des processus évolutifs sans connotation de progrès moral.

    La guerre interrompt ses recherches. En 1941, il est incorporé dans l’armée allemande en tant que médecin de campagne. Sa mission : traiter les patients du service de neurologie et de psychiatrie de l’hôpital de Posen. Il n’avait jamais pratiqué la médecine auparavant, mais cette expérience lui a permis d’accumuler d’importantes connaissances sur les névroses et les psychoses. L’année suivante, un événement terrible lui arrive : envoyé comme médecin au front, il est fait prisonnier par les Russes. Les Russes le font travailler dans les hôpitaux de guerre, également dans le domaine des maladies nerveuses. Il apprend aux Russes ce qu’est le polynévrite – une maladie que la médecine soviétique ne connaît pas – et c’est là, dans le camp, qu’il écrit son premier livre. Plusieurs années de captivité l’attendent encore. Il ne peut rentrer en Autriche qu’en février 1948.

    De retour dans son pays, Lorenz parvient à obtenir de l’Académie autrichienne des sciences le financement d’une petite station de recherche à Altenberg. Dans des conditions extrêmement difficiles – la dure période de l’après-guerre – il commence à mener ses travaux. Il se fait rapidement connaître des scientifiques qui, ailleurs, étudient le même domaine : le comportement animal. Quelle est la discussion de l’époque ? Celle-ci : le comportement animal est-il inné ou acquis, vient-il avec les gènes ou est-il le résultat d’un apprentissage ? Lorenz, au début, pensait que c’était inné. Mais après d’innombrables discussions, il a trouvé la clé : l’inné et l’acquis ne doivent pas être considérés comme deux concepts opposés et contradictoires. Au cours de la phylogenèse – l’évolution – l’apprentissage produit des comportements adaptatifs qui sont basés sur des qualités innées. Les animaux peuvent donc apprendre, mais ce qu’ils peuvent apprendre est programmé dans leurs gènes.

    Et les humains ?

    La théorie est nouvelle et fait de Lorenz une célébrité. En 1961, il publie The Evolution and Modification of Behaviour, son premier ouvrage majeur.

    Ses recherches le mènent au prix Nobel – partagé avec deux autres éthologues – en 1973. Mais entre-temps, quelque chose s’est agité en lui. Lorenz est un zoologiste ; il s’intéresse naturellement beaucoup plus aux canards qu’aux humains… Mais qu’en est-il des humains ? Pourquoi se comportent-ils comme s’ils avaient obstinément contredit leur nature, leur survie en tant qu’espèce ? Est-il possible de comparer les comportements des animaux à ceux des humains ?

    Oui, c’était possible. Et c’était possible précisément en raison de ce qui différencie l’homme de l’animal. En effet, l’homme, en tant qu’être vivant, en tant qu’animal, est un être incomplet. Lorenz a découvert que la grande majorité des espèces sont régies par des schémas transmis génétiquement : ce que nous connaissons sous le nom d'”instinct” n’est rien d’autre que l’ensemble des ordres spécifiques, tracés au cours de l’évolution et imprimés sur le cerveau animal, qui permettent aux êtres d’apprendre pour survivre. Et l’homme ? L’homme a aussi cette capacité, et multipliée ; cependant, son monde instinctif est beaucoup plus désordonné : l'”instinct” – appelons-le ainsi – ne lui suffit pas pour savoir ce qu’il doit faire. Il lui faut quelque chose qui s’appelle la culture.

    Lorenz s’inscrit ainsi dans l'”anthropologie culturelle”, au sens que lui donne Arnold Gehlen : la culture n’est pas quelque chose qui s’oppose à la biologie, mais, chez l’homme, elle est une conséquence de notre propre nature. La nature humaine est donc conçue de telle sorte que son développement doit nécessairement conduire à la civilisation. Et la civilisation est, pour ainsi dire, un “organe” biologique pour nous : un outil indispensable à notre survie. La nature de l’homme est sa culture.

    Or, que se passe-t-il si l’homme entreprend de renverser le courant de la civilisation, si l’homme, au nom d’idéologies utopiques et rédemptrices, entreprend de renverser la nature, de modifier la condition humaine et de créer une culture complètement détachée de la nature de l’homme ? Dans ce cas, nous signerions notre arrêt de mort en tant qu’espèce ; nous entrerions dans une période de décadence humaine. Et c’est là le danger que Lorenz voyait poindre – déjà à son époque et encore plus aujourd’hui – pour notre civilisation.

    Notre nature est la culture

    Il ne s’agissait pas de l’intuition obscure d’un visionnaire. Au contraire ! La perception de Lorenz était ancrée dans des aspects très réels de notre vie collective, aspects qui n’ont d’ailleurs fait que s’intensifier au cours des trente dernières années. Prenons un exemple : le relativisme moral et la permissivité, qui tendent à faire croire que les inhibitions sociales ne sont que des tabous répressifs, des interdictions sans signification. Lorenz nous dit qu’il n’en est rien : précisément parce que la nature de l’homme est la culture, ces tabous et ces interdits, qui font partie du répertoire de la civilisation, sont indispensables à notre espèce ; sans eux, qui nous permettent de contrôler et de maîtriser nos pulsions biologiques, nous serions perdus.

    Notre scientifique s’est donc lancé dans une véritable croisade contre de nombreux clichés de la culture occidentale des années 70 et suivantes. Par exemple, l’agressivité. Notre société pacifiste a tendance à considérer toute agressivité comme un trouble, toute violence comme un mal, et prêche une condamnation sans appel de tout ce qui n’est pas un pacifisme strict. Mais Lorenz explique à l’inverse que l’agressivité est consubstantielle à tout être vivant, car elle fait partie du répertoire des instruments biologiques d’adaptation : un être vivant dépourvu d’agressivité serait condamné à succomber à l’environnement.

    Notre société espère mettre fin à l’agression en supprimant les “situations stimulantes” qui déclenchent les comportements agressifs ou en leur imposant un veto moral. Pour Lorens, c’est comme “essayer de réduire la pression dans une chaudière en fermant la soupape de sécurité”. En d’autres termes, assurer l’explosion. La réflexion est intéressante : on peut y penser en regardant le spectacle violent, n’importe quel week-end, de jeunes éduqués dans le pacifisme le plus strict. Que faire alors de l’agressivité pour qu’elle ne nous nuise pas, pour qu’elle ne se retourne pas contre la société elle-même ou ne devienne pas une pathologie ? Lorenz, fidèle à l’idée que notre nature est culture, se tourne vers les institutions sociales : l’agressivité naturelle doit être réorientée vers des formes d’activité qui permettent une “décharge cathartique”, de la compétition scientifique au sport, en passant par les institutions qui ont traditionnellement canalisé l’agressivité sociale, comme l’armée.

    Les pacifistes n’ont évidemment pas accueilli Lorenz. Pas plus que les autres papes de toutes les autres idéologies de l’époque – nous insistons : triomphantes aujourd’hui – car le savant autrichien s’était justement placé exactement aux antipodes de leurs thèses. C’est ce qui s’est passé avec son explication de l’égalitarisme. L’égalité – disait Lorenz – est complètement contre-nature. Il est juste de garantir à chacun le droit à l’égalité des chances, mais notre monde, dans un esprit de confusion pseudo-démocratique – ses mots – en est arrivé à la conviction que l’aptitude à utiliser ces chances est également la même pour tous, et que tout le monde peut atteindre le même point. Pour nier qu’il existe des différences innées entre les hommes, écrit-il, on a postulé qu’il est possible de le conditionner pour n’importe quoi. Dieu merci, ce n’est pas le cas ! Ce n’est pas le cas, en effet, car les hommes sont radicalement et naturellement inégaux. Et si un système éducatif, par exemple, s’obstine à les considérer tous comme égaux, il échouera nécessairement. Encore une bonne réflexion à la lumière de notre système éducatif actuel…

    Et si nous ne pouvons pas rendre l’homme différent de ce qu’il est, alors sommes-nous condamnés à ce qu’il n’y ait jamais aucun mouvement, aucun changement, aucun progrès ? Lorenz ne dit pas cela. Ce qu’il soutient, toujours en utilisant les outils de la biologie, c’est que tous les systèmes vivants ont besoin d’un équilibre entre les processus de changement et les processus de conservation. Dans toute réalité vivante, il existe, écrit-il, “deux mécanismes antagonistes : l’un tend à fixer ce qui est acquis, tandis que l’autre tente de supprimer progressivement ce qui est fixé afin de le remplacer par une réalité supérieure”. Si nous mettons de côté ce que nous avons conquis, le stable, le fixe, nous provoquons “la formation de monstres, tant dans le domaine de l’héritage générique que dans celui de la tradition culturelle”. Mais si nous nous fermons à tout changement, cela entraînerait “la perte du pouvoir d’adaptation, la mort de l’art et de la culture”. Conclusion : “Chaque génération doit recréer un nouvel équilibre entre le maintien de la tradition et la rupture avec le passé”.

    Une menace mortelle pour l’humanité

    Notre problème spécifiquement moderne est que cet équilibre entre changement et tradition est en train de s’effondrer. Il en résulte une dégradation sans précédent de nos vies. En 1973, Konrad Lorenz a publié une sorte de bréviaire de ses idées : Les huit péchés capitaux de la civilisation, qu’il prolonge deux ans plus tard avec Le reflet du miroir. L’humanité, nous dit Lorenz, est un « ensemble fonctionnel qui est complètement perdu à la recherche de son chemin ». Ce qui est menacé n’est pas notre avenir, notre bien-être, mais l’existence même de l’espèce humaine. Et quels sont ces “péchés capitaux” ? Premièrement : la surpopulation urbaine. Deuxièmement : la désolation de la nature. Troisièmement : l’obsession de la compétition avec soi-même. Quatrièmement : l’obsession de la recherche du plaisir à tout prix, qui nous a conduits à ne plus pouvoir trouver de satisfaction dans quoi que ce soit. Cinquièmement : la tendance à nier les causes biologiques ou génétiques des choses et à tout ramener à une question d’éducation ou d’influence sociale. Sixièmement : la rupture de la tradition, qui a conduit à une véritable guerre civile des générations. Septièmement : l’éducation endoctrinée, c’est-à-dire la survalorisation de l’opinion individuelle (le fameux “c’est ma vérité”) et la sous-valorisation des certitudes fondées sur la connaissance objective (“c’est la vérité”). Et huitièmement : les armes nucléaires, que Lorenz considère comme la cause d’une permanente “atmosphère de catastrophe globale”.

    Les huit péchés capitaux de la civilisation n’est pas le meilleur livre de Lorenz ni le plus complet, mais il a une très grande valeur informative. Il est surtout très utile de comprend comment l’auteur pense : à partir de ce qu’il a appris en tant que biologiste, Lorenz observe le monde humain et en tire ses conclusions. Est-il catastrophiste ? Non, il est critique. Konrad Lorenz croyait que l’homme a toujours une chance. Dans les dernières années de sa vie, il a signé un livre de dialogues avec le philosophe autrichien Karl Popper, publié en Grande-Bretagne : The Future is Open. Malgré ses précédents écrits, Lorenz y apparaît finalement bien plus optimiste que son interlocuteur.

    Quelle était la préoccupation de Lorenz ? La déshumanisation à laquelle se trouve confrontée l’humanité.  Son livre L’Homme en péril l’a clairement montré. « En détruisant les institutions et les dons anciens, écrit-il ailleurs, nous nous condamnons à une véritable régression (…) Si cette évolution se poursuit sans contrôle, si aucun mécanisme, aucune institution de préservation n’apparaît, le phénomène pourrait bien signifier la fin de la civilisation et, je le prends du moins très au sérieux, la régression de l’homme à un état pré-cromagnétique. »

    Konrad Lorenz est mort à Altenberg, où se trouvait sa première ferme, en 1989. Peu de temps avant, il écrit : « Nous sommes le chaînon manquant longtemps recherché entre l’animal et l’être véritablement humain ». Il s’était également déclaré croyant : il disait qu’il était croyant parce qu’il croyait en l’origine divine du plus grand miracle de tous, le premier à se produire, à savoir la Création.

    Pourquoi, en somme, Konrad Lorenz ? Parce qu’il nous a appris qu’il existe une nature humaine, que cette nature est directement liée aux institutions culturelles et sociales, à la tradition, et que si nous rompons avec tout cela, au nom d’une illusion plus ou moins idéologique, nous pouvons détruire non seulement la civilisation, mais aussi l’humanité elle-même. Nous sommes ce que nous sommes et nous avons nos règles : nous pouvons avancer au-delà elles, mais pas les nier. L’humanité ne s’invente pas au rythme des idéologies éclairées. Une bonne réflexion pour l’Europe d’aujourd’hui !

    José Javier Esparza (Institut Iliade, juin 2023)

     

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  • Un biologiste au chevet de la civilisation...

    Les éditions de La Nouvelle Librairie et l'Institut Iliade viennent de publier un court essai d'Yves Christen intitulé Konrad Lorenz - Un biologiste au chevet de la civilisation.

    Biologiste et écrivain, Yves Christen est l’auteur de nombreux livres, notamment L´animal est-il un philosophe ? (Odile Jacob, 2013),  L’animal est-il une personne ? (Flammarion, 2009), Le peuple Léopard (Michalon, 2008), L’homme bioculturel (Rocher, 1986), Marx et Darwin (Albin Michel, 1981) et L’heure de la sociobiologie (Albin Michel, 1979).

     

     

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    " Biologiste et fondateur de l’éthologie, Konrad Lorenz a consacré sa vie à l’étude des poissons, des oies, des corneilles et de beaucoup d’autres animaux, sans jamais cesser pour autant de penser à l’homme en arrière-plan. Or, son regard sur la civilisation moderne était celui d’un homme inquiet, ce dont témoigne le titre de deux de ses ouvrages: Les Huit Péchés capitaux de notre civilisation et L’Homme en péril. Lorenz nous a quittés en 1989 mais, à l’évidence, ses préoccupations conservent toute leur actualité. A travers un examen attentif de l’œuvre de Lorenz et de ses apports à la connaissance scientifique, Yves Christen nous montre tout ce que nous avons à retenir d’un homme qui a passé sa vie dans l’amicale proximité des animaux. Il y a là de riches enseignements pour les hommes de notre siècle. "

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  • Confinez-vous avec : ... Milieu animal et milieu humain, de Jakob von Uexküll !

    Avec la crise du coronavirus, les maisons d'édition reportent la publication de leurs nouveautés à des jours meilleurs. Cette période sera donc l'occasion de vous signaler, au gré de l'inspiration du moment, des ouvrages, disponibles sur les sites de librairie en ligne (ceux dont l'activité se poursuit...), qui méritent d'être découverts ou "redécouverts".

    On peut trouver aux éditions Rivages, dans la collection de poche, un essai de Jakob von Uexküll intitulé Milieu animal et milieu humain. Biologiste germano-balte, Jakob von Uexküll (1864-1964) a défini dans son oeuvre le concept d'Umwelt, de monde spécifique des systèmes vivants, et a, notamment, fortement influencé l'éthologue Konrad Lorenz.

     

     

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    " Jakob von Uexküll est un biologiste allemand de racines estoniennes qui a été professeur de biologie à l’Université de Berlin après la Première Guerre mondiale qui avait ruiné sa famille. Von Uexküll a fait de nombreux travaux remarquables, mais il est surtout connu aujourd’hui pour sa théorie de l’Umwelt. Ce dernier terme qui veut dire environnement en allemand veut aussi dire bien autre chose sous la plume de von Uexküll puisqu’il s’agit surtout du rapport à l’environnement qui est en jeu pour lui. Le biologiste allemand considère en effet que chaque animal y a accès par l’intermédiaire de ses sens physiologiques et que ceux-ci étant différents d’une espèce à une autre, des animaux d’espèces multiples peuvent à la fois habiter un environnement différent et similaire. Ce faisant, von Uexküll introduit une notion de signification dans une biologie foncièrement mécaniste et en transforme substantiellement la pratique et la porté.En France, en particulier, von Uexküll a été lu par des philosophes comme Gilles Deleuze qui en ont fait grand cas mais qui l’ont pratiqué dans une traduction qui date pour le moins. Une nouvelle traduction n’était donc pas du luxe. Aujourd’hui, un courant encore minoritaire mais chaque jour plus puissant, la biosémiotique, a repris les idées de von Uexküll et les retravaille d’une façon extrêmement intéressante et inventive dans des universités comme celles de Tartu, de Copenhague ou de Prague. Mine de rien, c’est toute la question des relations homme/animal qui peut être reposée à nouveaux frais. "

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