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jean montalte

  • Origines et fins de l’antiracisme (3)...

    Nous reproduisons ci-dessous la troisième partie de l'exploration de Jean Montalte, cueilli sur le site de la revue Éléments, consacrée aux origines de de la "religion" antiraciste...

    Première partie : Origines et fins de l’idéologie antiraciste (1)

    Deuxième partie : Aux origines de l’antiracisme (2)

    Mitterrand_SOS Racisme.jpg

    Origines et fins de l’antiracisme (3)

    L’État laïque se dote d’une nouvelle religion. À quand la séparation ?

    Il est très important de noter que l’antiracisme est idéologie d’État avant d’être portée par les organisations associatives et les O.N.G.. Il ne faudrait pas croire que le régalien aurait été pris d’assaut, incapable de se défendre contre une agression extérieure, fût-elle idéologique. C’est, non seulement avec son plein concours que cette idéologie s’est mise en place, mais à son initiative. De quoi relativiser les thèses farfelues sur un « racisme systémique d’État » qui reste une allégation improuvée, alors que l’antiracisme comme idéologie d’État est parfaitement documentée. Seul l’antiracisme est systémique, n’en déplaise à nos pourvoyeurs de mensonges professionnels.

    Voici ce que Paul Yonnet écrit dans son Voyage au centre du malaise français :  « Pour ce qui concerne l’exercice du pouvoir par les socialistes depuis 1981, il faut multiplier les observations précises et datées afin d’échapper aux ornières à courte utilité des raisonnements politiciens. Pour la droite, en effet, la cause est entendue. Les socialistes, en difficulté en 1985, se sont ralliés, pour en profiter machiavéliquement, au mouvement antiraciste. Or c’est tout simplement là un contresens historique oublieux : l’antiracisme est idéologie d’État plus d’un an avant la naissance de S.O.S. Racisme (octobre-novembre 1984). S.O.S. Racisme descend de l’idéologie d’État antiraciste développée par le socialisme au pouvoir, avant d’y remonter ».

    À l’automne de 1983 s’est déroulée la Marche des jeunes pour l’égalité et contre le racisme, autour d’un noyau de jeunes Maghrébins (dits « beurs ») en « difficulté d’insertion » originaires des Minguettes, un quartier à problèmes de Lyon. La marche est publiquement encouragée et applaudie par de nombreux ministres (Jack Lang, ministre de la Culture, Raymond Courrière, secrétaire d’État aux Rapatriés, Pierre Bérégovoy, ministre des Affaires sociales et de la Solidarité, Georgina Dufoix, secrétaire d’État chargé de la Femme, de la Population et des Travailleurs immigrés). La chose n’est pas sue, mais un homme de confiance membre du cabinet de Georgina Dufoix aide efficacement les marcheurs à organiser leur progression et à faire face à leurs difficultés financières, matérielles et de sécurité. Le Parti socialiste, le Mouvement des radicaux de gauche et le Parti socialiste unifié ont appelé conjointement à rejoindre la marche pour son arrivée à Paris, le 3 décembre 1983. Une banderole unique surplombe celle-ci : « Vivre ensemble avec nos différences. » Dans la foulée de ce qui reste un succès, le M.R.A.P, (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples) lance une campagne sur le même thème en vue d’assises qui se tiennent le 17 et 18 mars 1984 à Paris. Elles sont financées pour moitié par le gouvernement (à hauteur de 900 000 francs) et se déroulent au siège de l’Unesco, où Georgina Dufoix déclare : « Nous devons vivre ensemble avec nos différences. » Cette prescription différentialiste signifie bien évidemment que les Français sont et vont être confrontés à plus de différents et plus de différences qu’auparavant. S.O.S. Racisme n’a donc en aucune manière inventé un discours antiraciste différentialiste. Celui-ci le précède. Il s’y est lové à ses débuts. »

    Nicolas Sarkozy, dans la continuité d’une promotion étatique de l’idéologie antiraciste, a estimé lors de son discours sur la diversité prononcé le 17 décembre 2008 à l’Ecole Polytechnique à Palaiseau que « la France doit relever le défi du métissage ». Pour faire bonne mesure, il a pris soin d’affirmer que « l’universalisme de la France est basé sur le métissage », ce qui fit, on l’imagine sans peine, grincer des dents son conseiller Patrick Buisson. Valéry Giscard d’Estaing, également à droite de l’échiquier politique, avait été précurseur dans ce domaine en promulguant le regroupement familial, réforme mise en place en 1976. Pourtant, une passe d’armes l’opposera à Kofi Yamgnane, né à Bassar au Togo et secrétaire d’État à l’intégration de 1991 à 1993, lorsqu’il évoquera des « risques d’invasions ». Kofi Yamgnane rétorquera : « Giscard d’Estaing a toujours le droit de préférer les Noirs qui distribuent des diamants et concèdent leur chasses à ceux qui nettoient les trottoirs de Paris […]. Ses ancêtres à particule ont arraché à l’Afrique et vendu cent cinquante millions d’hommes, ses esclaves, pour créer leur richesse et leur bien-être. Était-ce invasion ou immigration ? » Il y a lieu, ici, malgré ces accrochages de circonstance, de remarquer que le clivage gauche-droite s’estompe devant les impératifs de cette religion séculière.

    L’antiracisme : l’union de l’Église et de l’État

    Lorsque la psychanalyse était encore en vogue, l’Église envoyait volontiers ses séminaristes faire ausculter leur psyché sur le divan, afin de déterminer quel complexe trouble avait bien pu motiver cette vocation hors d’âge. C’était un substitut branché aux exercices de saint Ignace de Loyola, réputés sentir la naphtaline par un clergé en mal de modernisation. Aujourd’hui, sa soif de ralliement a élu en priorité l’antiracisme et son corollaire l’immigrationnisme. Le Pape François, lors d’un synode sur la réforme de la gouvernance de l’Église, est allé jusqu’à instituer sept nouveaux péchés, très officiellement, dont le « péché contre les migrants ». Toute personne qui mettrait en œuvre des tentatives pour les repousser serait alors coupable de ce péché. En un tournemain, la question est réglée : une ou deux citations relatant la fuite de la sainte famille en Égypte et l’exégèse théologique est bouclée, la caution évangélique scellée. Les confessionnaux devront-ils bruire de ces aveux, dont la chrétienté s’était passée pendant deux millénaires ?

    Le paradoxe, c’est que l’encyclique qui évoque la légitime défense de la race (ce sont les termes de l’époque) n’est autre que l’encyclique Mit Brennender Sorge, écrite le 14 mars 1937, pour mettre en garde contre le national-socialisme. La seule encyclique, à ma connaissance, rédigée en langue vernaculaire, ce qui en dit long sur le prix que lui accordait le Pape. Pie XII manifeste alors – je cite l’encyclique – « une vive inquiétude et un étonnement croissant que depuis longtemps nous suivons des yeux les douloureuses épreuves de l’Église et les vexations de plus en plus graves dont souffrent ceux et celles qui lui restent fidèles par le cœur et la conduite, au milieu du pays et du peuple auxquels saint Boniface a porté autrefois le lumineux message, la bonne nouvelle du Christ et du Royaume de Dieu. »

    Le Pape poursuit et précise l’objet de son inquiétude : « Quiconque prend la race, ou le peuple, ou l’État, ou la forme de l’État, ou les dépositaires du pouvoir, ou toute autre valeur fondamentale de la communauté humaine – toutes choses qui tiennent dans l’ordre terrestre une place nécessaire et honorable,- quiconque prend ces notions pour les retirer de cette échelle de valeurs, même religieuses, et les divinise par un culte idolâtrique, celui-là renverse et fausse l’ordre des choses créé et ordonné par Dieu : celui-là est loin de la vraie foi en Dieu et d’une conception de la vie répondant à cette foi. » Ainsi, « la race » est bien une « valeur fondamentale de la communauté humaine », selon le Pape, et compte au nombre de ces «choses qui tiennent dans l’ordre terrestre une place nécessaire et honorable ». L’inquiétude repose, non sur sa défense, jugée alors légitime car relevant du droit naturel, mais sur un « culte idolâtrique » dont elle pourrait faire l’objet. Sont condamnées, en conséquence, « d’arbitraires  » révélations  » que certains porte-parole du temps présent prétendent faire dériver de ce qu’ils appellent le Mythe du Sang et de la Race ».

    On attend encore la condamnation du mythe antiraciste, du citoyen sans racines et sans identité, qui prétend se substituer à la Révélation évangélique. Non seulement elle ne vient pas, mais cette substitution des révélations est opérée à la tête de l’Église, par son représentant le plus éminent, à savoir le Pape, qui semble voir dans la figure du migrant une nouvelle figure sacrée, messianique pour trancher le mot.  Avec un brin de malice, Laurent Dandrieu n’avait-il pas placé en exergue de son livre Église et immigration, le grand malaise ce tweet du Pape François, daté du 9 août 2016 : « Exigeons que soient respectés les peuples autochtones, menacés dans leur identité et leur existence même » ?

    Jean Montalte (Site de la revue Éléments, 22 avril 2025)

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  • Aux origines de l’antiracisme (2) : « L’idéologie française » de Bernard-Henri Lévy...

    Nous reproduisons ci-dessous la suite de l'exploration de Jean Montalte, cueillie sur le site de la revue Éléments, consacrée aux origines de de la "religion" antiraciste...

    Première partie : Origines et fins de l’idéologie antiraciste (1)

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    Aux origines de l’antiracisme (2) : « L’idéologie française » de Bernard-Henri Lévy

    Nous allons explorer, dans le cadre de notre enquête sur les origines de l’antiracisme, grâce à l’auteur de La Barbarie à visage humain, ce qu’il nomme le fascisme aux couleurs de la France. Tout un programme. L’auteur a l’amabilité de nous prévenir : « Je ne dirais pas que j’ai pris plaisir à cette descente aux abîmes de l’idéologie française. J’ai eu peine, parfois, à réprimer une nausée face à ce que j’y découvrais et aux vapeurs qu’il m’y fallait respirer. » Munissez-vous donc de vos sacs de vomi chers lecteurs, il y a de quoi gerber, je vous le confirme, dans cette « descente aux abîmes » que constitue l’enquête philosophique intitulée L’idéologie française. Je dis bien enquête philosophique puisque Bernard-Henri Lévy prend soin de  distinguer sa démarche de celle de l’historien, et il fait bien… « L’idéologie française était un livre, nous dit-il, non d’histoire mais de philosophie. C’était un livre qui, lorsqu’il disait « pétainisme », entendait une catégorie, non du temps, mais de la pensée. » 

    Ainsi, le « pétainisme » étant élevé à la dignité d’une catégorie métaphysique soustraite aux contraintes du temps et de l’espace, pourra désigner des phénomènes, des attitudes, des pensées, des discours, qui n’ont qu’un rapport très lointain avec le phénomène circonscrit historiquement de la Collaboration. Au fond, soyons un peu taquin, il y a de quoi voir dans cette méthode la mère de tous les amalgames ! Pourquoi, en effet, s’embêter avec des contraintes, étayer son propos en se basant sur des réalités vérifiables plutôt que divaguer lyriquement ? Aussi, il faudra bien se garder de confondre la thèse philosophique de Lévy avec les travaux historiques d’un Zeev Sternhell, par exemple, aussi contestables soient-ils par ailleurs et même si la thèse d’une origine française de l’idéologie fasciste semble les unir, pour ainsi dire naturellement, dans l’esprit des lecteurs. Leurs démarches respectives sont bien distinctes et nous aurons l’occasion de le vérifier. Sternhell tiendra, d’ailleurs, à se démarquer publiquement de Bernard-Henri Lévy – on ne mélange pas les torchons et les serviettes ! – : « Il convient de souligner ici la grande faiblesse de cet ouvrage de vulgarisation qu’est L’idéologie française de Bernard-Henri Lévy, qui ignore les impératifs de la recherche scientifique, ne craint pas le ridicule en disant qu’il existait une idéologie commune à tous les Français et qui serait proche du fascisme. »

    Cette méthodologie singulière, qui s’affranchit de la logique historique, scientifique, des faits et des documents, de la réalité, en somme, permet d’exécuter de belles cabrioles herméneutiques. Elle permet des affiliations rétroactives, des à peu près, des généralisations abusives. Elle permet – et c’est un des sommets de cette mise en application de cette méthode – de salir la mémoire et l’œuvre de Péguy, tué le 5 septembre 1914, c’est-à-dire tout au début de la première guerre mondiale, dans un livre qui traite du fascisme et du pétainisme, donc de phénomènes bien postérieurs à sa mort héroïque sur le champ d’honneur. Il s’agit là d’un exercice conceptuel qui exige une rare dextérité philosophique et, sans doute, une absence d’inhibition morale presque complète.

    Lutter contre le « mensonge français »

    Dans la préface à la seconde édition de L’idéologie française, Bernard-Henri Lévy évoque « la nécessité d’ouvrir un nouveau front dans la juste lutte contre le mensonge français. » Quand on a le courage de ses idées, fût-il germanopratin sur les bords, on annonce la couleur. Et Lévy ne s’en prive pas. Nous lui savons tous gré d’une telle franchise. Franchise qui, tout de même, pâlit un peu, par contraste, lorsqu’il substitue à l’attitude guerrière, la pose victimaire : «  Et je publie donc ce livre […] qui va devenir, en quelques semaines, l’épicentre d’une tempête dont je n’avais, évidemment, rien pressenti et dont la violence, l’acharnement ad hominem, l’excès, me paraissent, avec le recul, très étranges. » Notre soldat d’une engeance particulière, celle des petits bichons, n’imaginait pas une seule seconde qu’il puisse y avoir des réactions vives à ses éructations anti-françaises diluviennes. C’est un cas de curiosité psychologique, sans doute, mais nous n’avons pas de divan assez large pour convier son ego à s’y allonger.

    Ce qui est très fort chez Lévy, et qui fera des émules, c’est de représenter le courant idéologique majoritaire, d’être du bon côté du manche, et de réussir à se faire passer pour le persécuté, avec cette rhétorique qui tient davantage du délire obsidional que de la démonstration philosophique : « L’attaque vient de la gauche et de la droite. Elle vient des cercles intellectuels, mais aussi politiques et journalistiques. J’ai l’impression, sur le moment, de voir se constituer une sorte de parti, aux frontières indécises mais assez vaste, puisqu’il va du Débat à Esprit, de l’Action Française, ou de ce qu’il en reste, au Parti communiste et aux réseaux personnalistes – un parti donc, ou un axe [ c’est nous qui soulignons pour les raisons que vous imaginez ] qui semble n’avoir d’autre objet que de discréditer ce livre-édit. » Donc une coalition AF-Coco-Personnaliste qui fond sur le discours anti-français d’un Bernard-Henri Lévy comme une hydre à mille têtes dans tout le pays. Si vous avez des témoins qui ont assisté à ces événements, prière de contacter la rédaction d’urgence et nous mettrons à jour les indices d’évaluation d’une paranoïa peu banale, avec prosternation subséquente devant l’idole injustement lapidée.

    Nous pouvons lire sur le site de Bernard-Henri Lévy Une autre idée du monde qu’il a participé, en 1984, à la fondation de l’association SOS Racisme. Il en porte visiblement les stigmates, dont cette volonté de rabaisser la France – « Il faut réduire le caquet du coq gaulois » dira-t-il -, de la salir et la peur panique d’une hypothétique mais très imminente – imminente depuis quarante ans, mais quand on aime on ne compte pas ! – montée du fascisme, qui a dû atteindre de tels sommets depuis le temps qu’il n’est décidément plus discernable que par satellite de pointe.

    Paul Yonnet, dans Voyage au centre du malais français, fait cette observation éclairante à cet égard : « Mais la relation de l’antiracisme à la suggestion de l’idée de mort ne se limite pas à cette magie de péché fondée sur des mécanismes de rétroaction historique menant au dégoût de soi et aux moyens d’y mettre fin. Il y a aussi une suggestion de l’idée de mort destinée aux antiracistes, à usage interne, destinée à majorer la racistophobie au travers de signaux laissant entendre l’imminence d’un envahissement de la société, non par les immigrés cette fois, mais par les Français racistes ». À S.O.S. Racisme, il est même suggéré beaucoup plus aux militants, comme l’inévitabilité de la défaite devant l’intarissable fécondité de la « bête immonde » qui monte, ou va monter (l’une des propriétés du racisme vu par les antiracistes est en effet qu’ « il monte»). Le slogan affiché par voie de presse dans l’Île-de-France pour annoncer le concert annuel de S.O.S. Racisme en 1991 était : « La fête, vite! » C’est la réponse que l’organisation a trouvée au fameux « Le Pen, vite! » vu partout dans l’Hexagone durant une décennie. À ce slogan d’attente des premiers jours qui suivraient la défaite du vieux monde de l’établissement républicain, selon les partisans du Front national, S.O.S. Racisme a répondu par un slogan d’attente des derniers jours. L’espérantisme lepéniste n’est détourné par un thème crépusculaire que pour y renvoyer, non pour le démentir: la dernière fête, peut-être, avant que le ciel ne nous tombe sur la tête.

    Poser l’évidence du fait raciste

    Observons bien d’ailleurs le sigle du mouvement: comme pour toutes les organisations de type S.O.S. (S.O.S. Plomberie ou autres), il s’applique à des équipes spécialisées dans l’intervention d’urgence – elles n’ont pour vocation ni le travail de fond ni la prévention une fois que l’événement a eu lieu. Le sigle a pour fonction, chaque fois qu’il est prononcé, de poser l’évidence du fait raciste, que les Français racistes frappent et frapperont encore. Subtilement, Léon Boutbien, membre de la commission de la Nationalité, a fait remarquer, lors de l’audition des leaders du mouvement, que ce combat antiraciste était mené « sous le signe d’une incantation presbytérienne, car en fait S.O.S., c’est  » Sauvez notre âme », c’était l’incantation presbytérienne des marins quand ils allaient mourir ».  « Sauvez nos âmes, le racisme est là comme la fatalité d’une mer déchaînée qui nous entraîne inexorablement vers l’abîme » : c’est l’incantation implicite mais très environnante – des antiracistes qui voudraient croire qu’eux-mêmes et faire croire que les Français vont en mourir. »

    Qui de mieux placé, alors, pour sauver notre âme que Bernard-Henri Lévy. Il est si christique, à un degré que seul saint François d’Assise a pu atteindre, qu’il fut même stigmatisé ! Lévy – oui oui ! – a prétendu que des stigmates sont apparus sur son corps, les stigmates du Christ tout bonnement, à l’exemple de Padre Pio, qui doit être flatté – de là où son âme nous surplombe — d’un lien confraternel si sublime. L’anecdote a été confiée au micro de Christophe Barbier pour L’Express le 8 février 2010. Barbier qui suggère à Bernard-Henri Lévy qu’un tel événement doit changer un homme, le rendre mystique, croyant à tout le moins, s’entend rétorquer pour toute réponse : « non ». Puis un développement verbeux, une logorrhée sur l’essence de l’homme qui réside non dans la chair, les muscles et autres propriétés secondaires, mais dans le signifiant. L’homme est fait de mots, et ces mains du philosophe qui saignent, ce sont des mots qui saignent. Voilà voilà ! Mais pour l’heure, les mots de notre philosophe ont surtout vocation à faire saigner la France, pour lui faire expier ses crimes, qui sont innombrables.

    Bernard-Henri Lévy s’est fixé un but digne du Bouddha avec L’idéologie française : l’éveil. Raison pour laquelle ce livre ne peut être lu qu’en position du lotus, sous peine de n’y rien comprendre. Rien moins que de déchirer le voile d’illusion qui encombre la vue et fait miroiter une « France imaginaire » dans laquelle nous serions « tous fils de Lumière, issus d’une Histoire fabuleuse, peuple de communards, de dreyfusards, de maquisards, – nos hérauts avantageux dans l’ordre de l’honneur. » Or nous savons désormais que tout cela est faux, une sinistre farce, une fable propre à égarer les fous. L’heure est grave, et c’est à Lévy qu’il incombe de remettre les pendules à l’heure : « Il est l’heure, enfin, de regarder la France en face. » Jusqu’alors nous la regardions de biais, les plus téméraires osèrent un regard de trois quarts, mais personne n’était allé plus loin dans cette franchise envers soi-même, dans ce respect scrupuleux des lois de l’optique – Ô mânes de Descartes qui honora cette science de son génie pourtant si français, avez-vous déserté nos faibles esprits ?

    Notre fringant auteur-prophète-éveillé-stigmatisé passe au peigne fin un certain nombre de thèmes qui sont comme les soubassements idéologiques du fascisme et du nazisme – pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? – à savoir : la Nation, la Terre, le Corps. En ce qui concerne la nation, on voit bien ce qu’elle fait là. La terre, elle, est incriminée pour cette raison toute simple : « La terre où il faut être né pour participer des valeurs de la race. La terre où il faut prendre racine pour appartenir au grand corps de la Nation. » Gaston Bachelard a pourtant consacré deux très beaux livres à la Terre, dans le cadre de sa philosophie de l’imagination matérielle : La Terre et les rêveries de la volonté et La Terre et les rêveries du repos, où il n’est pas tellement question d’appartenance raciale mais d’une « métaphysique de l’adhésion au monde ». Bernard-Henri Lévy serait-il de ceux qui, comme l’écrivait Jean-François Mattéi dans L’ordre du monde, « incapables de sentir en eux leurs propres racines, s’acharnent à arracher celles des autres » ?

    Mais le corps ? Suggérez-vous que le fascisme commence quand on entreprend une série de pompes pépère dans son salon ? L’auteur évoque, alors, à propos du corps une « identité compensatoire » – formule qui vaut ce qu’elle vaut c’est-à-dire pas grand-chose en définitive – et l’injonction à « faire corps, se faire corps, chanter haut et fort la gloire de Dieu le Corps. » Mais puisque notre auteur n’est pas particulièrement fatigué par l’effort entrepris, son corps étant par trop éthérique pour souffrir, il poursuit : « Relisez l’hymne de Drieu encore à Doriot « le bon athlète », qui « étreint » le « corps débilité » de « sa mère », la France, et « lui insuffle la santé dont il est plein ». » Vous avez compris : Le triomphe de la volonté, le paganisme charnel, le sauvetage herculéen de mémère patrie…

    Tous les français sont coupables !

    La thèse de L’idéologie française est très simple : les français, qu’ils soient communistes, anarchistes, pétainistes, monarchistes, personnalistes, chrétiens, athées, païens, rouges, bruns, rouges-bruns sont tous coupables, à tout le moins très suspects. Il est même question – c’est le titre d’un chapitre – de « pétainisme rouge » (sic). Et la formule gaullienne « une certaine idée de la France » se voit supplantée subtilement par « une certaine idée de la race ». Un président de la république offre une synthèse de choix : Mitterrand. Voici ce qu’en dit Lévy : « Nous avons eu un président de la République qui a pu revendiquer à la fois, et sans contradiction, son passé de pétainiste et de résistant : je l’ignorais à l’époque – mais quelle leçon ! Quelle improbable, mais implacable, illustration de ma thèse ! » Et oui, pétainiste, résistant, pas de différence, puisqu’ils ont en commun d’être français – crime des crimes – et par ce fait, comptables de l’ignominie du fascisme. La France n’est-elle pas, selon notre philosophe, « la patrie du national-socialisme » où la xénophobie est « considérée comme un des beaux-arts » ? Oui, ça ose tout…

    La résistance avait pourtant bénéficié d’un traitement de faveur et d’un regard indulgent, il est vrai au prix d’une interprétation frauduleuse du phénomène réel que recouvre ce terme. Paul Yonnet écrit à ce propos, toujours dans Voyage au centre du malaise français : « La Résistance n’intéresse les étudiants vaincus de 1968 et les post-soixante-huitards que dans la mesure où elle est résistance à la France, avons-nous écrit, résistance contre la France. Logiquement prend naissance le mythe – celui-là, pure affabulation – d’une Résistance antinationale, antipatriotique, fondée sur le refus de la « patrie pétainiste, concrète et charnelle à souhait, pétrie de sang et de mort, dont on peut fouler le sol, humer les odeurs familières, contempler les cimetières et entendre les angelus ». La Résistance serait motivée par une « pure idée gaullienne, abstraite et désincarnée », opposant « un nationalisme de l’Idée » à un « nationalisme de la terre », une  « France des nuées […], de papier […], sans odeur » à la France « du limon » qui est nécessairement celle du « vieux fonds fasciste » hexagonal. Bernard-Henri Lévy, qui concrétise en 1981, dans un essai-pamphlet, une décennie de révision historique menée par la génération de mai 1968, explique le défaut de résistance sous l’Occupation par un déficit d’abstraction et d’attachement « aux grands signifiants d’universalité». Trop d’amour de la patrie, des racines et des ancêtres, de la « nation substantielle » aurait empêché les Français de prendre les armes, et c’est en somme d’une révolte contre le sentiment patriotique qu’aurait dépendu la massification d’un comportement de résistance, qui ne s’est pas produit. Comme l’a écrit Pierre Nora, en examinant L’idéologie française, « le mépris a priori des faits est consubstantiel aux nécessités de la démonstration » que ce livre contient. L’engagement dans la Résistance ou la France libre a eu lieu en réaction à des événements concrets se produisant sur le sol de France et est entièrement subsumé par l’idée patriotique la plus traditionnelle : c’est France d’abord, organe des F.T.P.F. (Francs-Tireurs et Partisans français), l’organisation militaire d’un Front national, le Front national de lutte pour l’indépendance et la libération de la France; c’est Défense de la France, qui changera de titre, à la Libération, pour devenir France-Soir; «Ni traître ni boche » définira les motivations du ralliement aux organisations unies dans le Conseil national de la Résistance. Dans le genre nationaliste, de Gaulle était plutôt un ultra, souvent taxé pour cette raison de « maurrassien ». La Résistance aurait été surprise d’apprendre qu’elle incarnait une idée pure et abstraite contre une idée « substantielle » de la nation. Que cela plaise ou non, elle se voulait compétitive avec le pétainisme sur le même champ de valeurs patriotiques, celui de « la France éternelle», de «la France de toujours», de la France à longue mémoire. Voici d’ailleurs comment Raymond Aron, de Londres, le 15 juin 1941, voyait dans l’interrogation des « maîtres du passé», alors florissante dans l’Hexagone, le signe d’un salutaire « retour à la France», apte, selon lui, à fortifier les bases d’un esprit de résistance. Comme par hasard, Aron revendiquait Péguy, cible centrale de Lévy dans L’idéologie française (« Péguy le raciste », « Péguy le nigaud», créateur d’un « racisme sans racisme», etc.): « Nul signe plus frappant de la ferveur patriotique qui anime les Français que cette interrogation des maîtres. Les colonnes des journaux sont remplies d’articles sur Molière, sur Corneille, sur Racine, sur Montesquieu. On fait le compte de ce qui a résisté au désastre. Un poète entre tous paraît présent, vivant dans notre patrie meurtrie: Charles Péguy – tué d’une balle au front en septembre 1914, Péguy, fils du peuple, catholique et socialiste à la fois et avant tout Français. »

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  • Origines et fins de l’idéologie antiraciste (1)...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean Montalte, cueilli sur le site de la revue Éléments et consacré aux origines de de la "religion" antiraciste...

     

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    Origines et fins de l’idéologie antiraciste (1)

    Le sang du pauvre, c’est l’argent, disait Léon Bloy. Désormais le sang du pauvre, c’est aussi l’antiracisme, cette idéologie de mort. Elle a été et reste le meilleur alibi fourni à ceux qui haïssent leur pays d’accueil et les habitants – les autochtones – qui l’ont reçu en héritage. L’ennemi à abattre, le seul, c’est le facho, c’est-à-dire le kouffar de la religion antiraciste, l’hérétique étant vraiment trop démodé. Et la conférence des évêques se déroule désormais à la cérémonie des Césars ou tout autre lieu où s’entrelèchent nos élites plus mondaines que culturelles. Le temps est loin où un Claude Lévi-Strauss pouvait encore opposer la sagesse mesurée d’un humanisme déjà en fin de course à l’hystérie collective qui allait s’emparer du monde occidental : « Rien ne compromet davantage, n’affaiblit de l’intérieur et n’affadit plus la lutte contre le racisme que cette façon de mettre le terme à toutes les sauces, en confondant une théorie fausse, mais explicite, avec des inclinations et des attitudes communes dont il serait illusoire d’imaginer que l’humanité puisse un jour s’affranchir. »

    Nous connaissons, en effet, le slogan : « l’extrême droite tue », qui s’est enrichi récemment d’un très précis et très précieux « partout tous les jours dans le monde ». L’important n’est pas que ce soit vrai, mais que vous y croyez ou que vous dansiez autour de ce fétiche pour qu’une pluie acide tombe sur les membres innombrables de l’internationale nazie qui dirige en secret le monde. Marc Vanguard, statisticien, a diffusé le nombre d’attentats perpétrés par les islamistes en France depuis 2012, à savoir 57 attentats islamistes, plus de 300 morts ; puis ceux qui ont été perpétrés par l’ultra-droite, à savoir 4 attaques, 4 morts. Ces chiffres ont inspiré ce commentaire à un militant d’extrême gauche, dont on peut savourer le sens logique parfaitement aiguisé : « Total des morts causés par l’extrême droite depuis 2012 : 304 ». C’est une rhétorique qui prend de l’ampleur, malgré son absurdité évidente pour qui n’a pas subi une ablation du cerveau. Clémence Guetté (LFI), n’a-t-elle pas donné le signal de départ pour cette interprétation de qualité en déclarant : « Tous les attentats en France sont commis par l’extrême droite » ?

    Le réel et la logique sont racistes

    Si vous trouvez que la logique est offusquée ici, c’est que vous n’êtes pas encore au courant : la logique c’est raciste ! Jean-François Braunstein, dans La religion woke, nous le rappelle opportunément : « Mais l’idéologie woke n’est pas qu’un snobisme passager et sans conséquences. On a affaire à des militants qui s’enthousiasment pour leur cause. Ce ne sont plus des universitaires, mais des combattants au service d’une idéologie qui donne sens à leur vie. Quiconque a eu l’occasion de tenter de débattre avec des wokes comprend très bien qu’il a affaire, au minimum, à des enthousiastes, et dans bien des cas à ce que Kant nommait des “visionnaires”. Il suffit de consulter l’une des nombreuses vidéos qui relatent la prise de pouvoir des wokes à l’université d’Evergreen aux Etats-Unis pour comprendre qu’il n’est pas envisageable d’argumenter avec ces jeunes militants, assez comparables aux gardes rouges chinois durant la révolution culturelle. Comme le résume très brutalement l’un des agresseurs de Bret Weinstein, le seul professeur qui ait eu le courage de résister à ces militants et qui essayait de les raisonner : “Arrête de raisonner, la logique c’est raciste.” Cette affirmation résume la radicalité d’un mouvement inaccessible à la raison. » Toute cette rhétorique fonctionne à la manière des discours religieux et nous en sommes au point où, selon le mot de Nietzsche, « on a considéré la valeur de ces valeurs comme donnée, comme réelle, comme au-delà de toute mise en question. »

    On voudrait nous faire croire, cependant, que les excès du wokisme seraient infidèles à une idéologie antiraciste originellement pure de toute souillure ou de mauvaises intentions, dénuée d’agressivité envers l’homme blanc, ou plus précisément envers les nations qui accueillaient les populations venues du Sud. Cette falsification a rendu pratiquement impossible l’usage du terme wokisme, qui sonne désormais son Philippe de Villiers, tout empêtré dans ses barbelés.

    Continuité de l’antiracisme

    L’antiracisme était bien, dès sa naissance, une idéologie agressive et haineuse. J’ai écrit ailleurs, pour montrer la continuité entre un prétendu antiracisme universaliste qui serait le bon et un mauvais antiracisme indigéniste, décolonial et identitaire, qui en serait le dévoiement, voire la trahison : « Dans la perspective du mouvement décolonial – bien mal nommé – la dissolution de la “blanchité” semble indispensable pour permettre l’assomption des minorités éternellement opprimées, comme si cette oppression était, pour les Blancs, une occupation à plein temps, une préoccupation de tous les instants ! Paranoïa ? Allons, allons… Rien de nouveau sous le soleil, saint Coluche avait procédé à la même annulation du Blanc, du Français de souche, pour permettre une adhésion facilitée aux thèses de l’antiracisme institutionnel. Voici les propos que ce dernier a tenus le 26 mars 1985, lors du septième concert annuel de SOS Racisme : “Les Français sont pas français : la France est au milieu du reste et tout le monde passe par là… Dans notre histoire, toutes nos mères ont été violées, sauf celles qui n’ont pas voulu.” “Tout le monde passe par là”, sous-entendu tout le monde doit continuer à passer par là, exit par conséquent la moindre velléité ou tentative de contrôler les flux migratoires.

    Commentaire de Paul Yonnet, auteur de Voyage au centre du malaise français : “L’attention doit être immédiatement attirée sur le fait que cet élément persistant de la base antiraciste lie explicitement – et de façon spontanée – l’extinction d’un fait national français – et même du fait national français – à la transformation de sa composition ethnique. C’est là une conception racialiste de la nation qui donne raison à tous ceux qui disent vouloir sauvegarder l’homogénéité ethnique de l’Hexagone pour que la France puisse persister dans un être profond.” Culture du viol exceptée, cette conception des choses – ou plutôt cette rhétorique – n’a pas beaucoup varié : il faut dissoudre le fait français pour avaliser une société multiraciale et aujourd’hui la “blanchité”, facteur d’oppression systémique, universelle, totalitaire et cosmique. Ce néo-antiracisme n’est finalement pas si novateur… Il a seulement accompli sa mue et perfectionné ses éléments de langage pour donner l’impression d’une forte charpente idéologique, le travail sur la sémantique se substituant au sens du réel. »

    Si, finalement, un Macron déclare benoîtement qu’il « n’y a pas de culture française », c’est pour répondre à un même besoin d’annihilation du fait national français. Il se situe en cela, dans la droite ligne de l’idéologie antiraciste, d’hier et d’aujourd’hui.

    Le discours antiraciste est indissociable, depuis le début, d’un discours anti-français. La déclaration, tristement célèbre, que Bernard-Henri Lévy a placée au seuil de son livre L’idéologie française est caractéristique de cet état de fait, et sert de modèle infiniment réitérable : « Je ne dirais pas, nous confie-t-il, que j’ai pris plaisir à cette descente aux abîmes de l’idéologie française. J’ai eu peine, parfois, à réprimer une nausée face à ce que j’y découvrais et aux vapeurs qu’il m’y fallait respirer. » S’ensuit une logorrhée sur le thème pétainisme égale idéologie française, qui permet au sieur Lévy de rayer d’un trait de plume ce pays, son peuple, son histoire et sa culture : « Le problème, à la limite, ce n’était même pas l’antisémitisme comme tel ; ce n’était pas l’énoncé de la thèse et, pour ainsi dire, le passage à l’acte ; c’était, en amont de l’énoncé, dans ce secret nocturne des textes où se fomentent les actes de pensées, l’identification d’une matrice, à la fois philosophique et littéraire, dont la plupart des éléments se perpétuent jusqu’aujourd’hui et qu’il suffit de synthétiser pour qu’apparaisse, sinon le pire, du moins son site : culte des racines et dégoût de l’esprit cosmopolite, haine des idées et des intellectuels dans les nuées, anti-américanisme primaire et refus des nations abstraites, nostalgie de la pureté perdue ou de la bonne communauté – telles étaient les pièces de la machinerie qui, lorsqu’elle tourne à plein régime et lorsqu’elle vient, aussi, au contact de l’événement, dessine la forme française du délire, et l’accouche. » Pour finir : « L’idéologie française était un livre, non d’histoire mais de philosophie. C’était un livre qui, lorsqu’il disait pétainisme, entendait une catégorie, non du temps, mais de la pensée. »

    J’ai déjà eu l’occasion de commenter ce livre à l’occasion du changement de statut opéré par la chaîne Arte pour permettre au philosophe milliardaire de se maintenir pour un huitième mandat au poste de président du conseil de surveillance de la chaîne. Voilà ce que j’écrivis : « Je connais des mauvaises langues qui dénient à Bernard-Henri Lévy la qualité de philosophe sous prétexte qu’il n’a inventé aucun concept de toute sa vie. Nous voyons ici à quel point ces critiques se fourvoient. C’est à lui qu’on doit l’élévation à la hauteur d’une catégorie philosophique le concept de pétainisme qui n’a plus besoin d’être référé à une réalité précise. De quoi rassurer notre cher député Delogu qui n’aura plus à se sentir ignare sur cette question. L’ignorance historique est permise puisqu’il s’agit d’une catégorie de l’esprit, désormais applicable à tant de réalités diverses et rétroactives qui plus est. Nous apprendrons qu’elle s’applique même à Charles Péguy. Salir la mémoire et l’œuvre de Péguy, tué le 5 septembre 1914, c’est-à-dire tout au début de la Première Guerre mondiale, dans un livre qui traite du fascisme et du pétainisme, donc de phénomènes bien postérieurs à sa mort héroïque sur le champ d’honneur, c’est un exercice conceptuel qui exige une rare maîtrise de la logique et une absence d’inhibition morale presque complète. Bernard-Henri Lévy nous a rendu cet immortel service de nous apprendre à renier, voire haïr notre patrie, sans fard ni complexe. Mettre une claque à sa grand-mère est devenu une activité philosophique comme une autre, une praxis salubre de défascisation, de dénazification. »

    Une rupture annoncée entre « Beurs » et « Juifs »

    On voudrait aussi nous faire croire que le mouvement décolonial, par antisionisme voire par antisémitisme, se serait mis la communauté juive à dos et que cette opposition était impossible à prévoir à l’orée du mouvement antiraciste originel, qui aurait uni dans une osmose parfaite toutes les communautés, toutes les minorités ; il est vrai, sur le dos du beauf, du Gaulois, du Français de souche qui n’existe pas mais qui peut, malgré son inexistence, par magie sans doute, faire l’objet d’une haine viscérale. Petit aparté : il est très important d’avoir bien présents à l’esprit ces deux axiomes : le français de souche n’existe pas lorsqu’il menace de défendre son identité. Il existe quand on peut déverser sur lui sa haine. Bref, c’est également faux… La rupture entre Juifs et Beurs était déjà en germe dans le SOS Racisme des origines. En effet, Paul Yonnet écrit dans Voyage au centre du malaise français. L’antiracisme et le roman national : « Quelques grandes dates ponctuent l’histoire de l’organisation. Octobre 1984 : dépôt des statuts de l’association humanitaire SOS Racisme à la préfecture de police de Paris. Juin 1985 : apogée de la popularité du mouvement auprès des moins de quarante ans, dont témoigne la foule des militants de loisirs qui se presse au grand concert gratuit de la Concorde. Août 1987 : apogée de la popularité personnelle du président Harlem Désir après son passage à l’émission télévisée L’Heure de vérité. 1988 : l’âme du mouvement, son penseur et tacticien principal, Julien Dray, devient député du Parti socialiste, où il anime un courant ultra-gauche. Fin 1990- début 1991 : implosion du mouvement à propos de l’attitude à adopter face à la guerre du Golfe. Deux camps se forment : pacifiste et belliciste. Le second, qui comprend la quasi-totalité de la composante juive et l’un des principaux bailleurs de fonds (Pierre Bergé), abandonne SOS Racisme, non sans avoir dénoncé l’« infantilisme » d’Harlem Désir. » Où l’on peut constater que les questions internationales ont toujours divisé un camp antiraciste dont l’unité est purement fantasmatique.

    Désormais Julien Dray a son rond de serviette sur les plateaux de CNews, débat courtoisement avec Sarah Knafo sur le plateau de FigaroTV, en devisant sur la stratégie à adopter concernant les problématiques d’insécurité et d’immigration, problématiques qu’il a toujours interdit aux Gaulois d’aborder sous prétexte d’antiracisme, exerçant son terrorisme idéologique pendant des décennies.

    La suggestion de l’idée de mort

    Paul Yonnet, encore dans son livre Voyage au centre du malaise français, évoque « les effets chez les individus ou les groupes d’individus de l’idée de mort suggérée par la collectivité », une notion centrale développée par l’anthropologue Marcel Mauss. Marcel Mauss rapporte, en effet, l’existence « de véritables maux de conscience qui entraînent des états de dépression fatale et qui sont eux-mêmes causés par une magie de péché qui fait que l’individu sent être dans son tort, être mis dans son tort ».

    Paul Yonnet écrit, à propos de l’effet morbide suscité par le discours antiraciste, autrement appelé magie de péché par Marcel Mauss : « Pour le redire d’une autre manière, cet antiracisme, libéré de ses deux adversaires européens du demi-siècle que furent l’impérialisme raciste du nazisme et les empires coloniaux, a pour socle référentiel l’immigration (et pour caution latérale et adjacente, jusqu’à un passé récent, destinée à établir de fausses équivalences de situations, le lointain apartheid en Afrique du Sud). Il est relié aux phénomènes de suggestion de l’idée de mort de deux manières. Une première fois parce qu’il remonte la chaîne des culpabilités rétrospectives en nazifiant la tradition française par glissement et association d’événements : si quelques individus de nationalité française ont provoqué la mort au cours de crimes racistes récents, il faut entendre que ce serait dans la droite ligne d’une histoire marquée par “les crimes de la colonisation” et “la participation française à la solution finale”, pour reprendre des expressions aujourd’hui aussi banalisées qu’elles étaient jugées scandaleuses il y a quarante-cinq ans. Décidément, ce pays ne pourrait jamais que donner la mort.

    Ainsi, se sentant “être dans son tort”, ou “être mis dans son tort”, selon la définition de la magie de péché donnée par Marcel Mauss, le Français “antiraciste” se trouve en situation psychologique de vouloir précipiter passivement ou activement la disparition de cet ensemble France traditionnellement si meurtrier, de se prémunir à tout le moins contre le regain d’une aussi douteuse identité, pour “régénérer” l’une et l’autre “par le sang neuf” de l’immigration, comme on le lit si souvent. C’est pourquoi, aux Français qui s’inquiètent de l’avenir d’une identité (et une identité est tout autant une réalité subjective qu’objective, donc avant tout une représentation de l’identité), aux Français qui se demandent : “Serons-nous encore français dans trente ans ?”, l’antiracisme répond : “Non, et d’ailleurs c’est mérité, cela vaut mieux comme cela.” Un concept résume cette attitude : le sociocentrisme négatif, défini par Pierre-André Taguieff comme “haine de soi, idéalisation du non-identique, de l’étranger, de l’Autre”. Sachant ce que nous savons déjà, il saute aux yeux que la résistance à SOS Racisme et à l’idéologie antiraciste actuelle est une résistance à cette magie de péché. »

    Jean Montalte (Site de la revue Éléments, 11 avril 2025)

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  • Renovatio Cloaca...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean Montalte, cueilli sur le site de la revue Éléments, dans lequel il cingle la soumission à la bêtise gluante qui nous étouffe et en appelle à une grande aération...

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    Renovatio Cloaca

    Des remugles remuent dans la peine de l’aube, bien navrante, et je végète dans un cloaque d’ennui, et je ne suis pas seul. Je réclame du neuf ! Du neuf, du neuf ! Renovatio, etc. Mais le précepte « tenir bon » s’accroche à nos basques, comme un glaiseux qui suppure tantalesquement. « Et voici que je fais toutes choses nouvelles » ! Non ! Tu abomineras toute initiative, tout poil qui dépasse, hirsute, de cette face glabre que j’ai voulue pour toi, de toute éternité… Nous nous mouvons, en somme, dans la dimension du Temps, en plein cœur de la relativité générale qui nous restreint dans nos mouvements, même dans ceux de l’esprit. Et tout nous relativise : l’univers, l’espace-temps, Ségolène Royal en décongélation, Xavier Bertrand en fermentation, nos pulsions, nos motions, tout !

    Je vais vous dire ce que j’en pense : tenir bon c’est dangereux pour la santé du ciboulot. Pendant que les autres saccagent, soumissionnent pépère dans les colonnes de Libé, saluent les nouveaux maîtres débonnaires d’Alep qui distribuent chariatiquement des vivres aux habitants, vous tenez bon. Pendant que Marcon allocutionne sur le thème « C’est pas ma faute à moi », réminiscence de L.O.L.I.T.A., vous tenez bon ! C’est une posture épuisante, une claustration évidente. À ce rythme-là, nous finirons tous au cabanon. Tant va la cruche à l’eau… C’est terrible de voir à quel point les hommes, sous ce régime ramollissent, fondent, dégoulinent, s’oblitèrent dans les ondes, sont annihilés par cette tourbe, ingérés par le devenir-fourmilière du monde, et le blabla sonore, pontifiant-chiant, grotesquement collabo-pourri.

    Vous vous dites sûrement : « Une fois embastillé en HP, j’aurai tout loisir de me droguer, et à l’œil en plus ! » Sans doute, mais n’oubliez pas une chose : cette plantureuse infirmière que vous reluquez, dont les miches affriolantes vous émoustillent, n’a qu’une seule préoccupation en ce qui vous concerne : votre posologie. Pareille relation sédative ne peut vous combler. Elle vous prive du plus-que-vie fourni d’ordinaire par les liesses dionysiaques de la bagatelle. Et, dans ces endroits, il est interdit de se livrer aux charnelles effusions : c’est un axiome d’hygiène mentale. Demandez à Artaud. Je l’entends qui s’énerve, à l’écho lointain de Rodez : « Ceux qui font si bien des façons […] ceux qui remuent des idéologies ayant pris rang dans l’époque, ceux dont les femmes parlent si bien […] qui parlent des courants de l’époque […], (vous) barbes d’ânes, cochons pertinents, maîtres du faux verbe, trousseurs de portraits, feuilletonistes, rez-de-chaussée, herbagistes, entomologistes, plaie de ma langue. »

    Ce qu’il faudrait

    Hegel, l’ogre à l’Absolu métaphysico-stomacal, tenait pour suffisant, en matière de réfutation d’une philosophie, le reproche qu’elle procure de l’ennui. Oui, bon sang ! Et Céline, sur ce chapitre, s’exprime tranquillement, ce qui n’est pas dans ses habitudes : « L’écueil c’est l’ennui. » Et de vous à moi, on se fait bien chier. Il faut le dire sans ambages. Une fois que c’est sorti, on se sent beaucoup mieux. On peut vaquer à ses occupations, checker ses mails, se préparer un latte Machiatto bien tarlousifiant. On peut ENFIN respirer.

    Dans sa monographie consacrée à Rabelais pour la collection Écrivains de toujours, Manuel de Diéguez déclare : « Vraiment, de toute notre histoire, le XVIe siècle est aujourd’hui le plus proche du nôtre : ce n’est pas une ombre que nous évoquerons en parlant de Rabelais. » Si l’analogie valait pour le XXe siècle auquel l’auteur fait référence, elle porte avec plus de vraisemblance encore s’agissant du XXIe siècle. En effet, nous vivons une époque de nouvelle scolastique, étriquée, insipide et fielleuse par-dessus le marché. Un nouveau Rabelais, déployant sa verve, entouré de ses géants rigolards, ne serait pas de trop pour enfoncer ces laquais de la non-pensée et démantibuler leurs sophismes dans une orgie de rires gargantuesques ! Hegel : « La vérité est le délire bachique où il n’y a pas un seul membre qui ne soit ivre. »

    Petit rappel, au passage, venant du napolitain Giambattista Vico : « Les peuples sont d’abord naturellement cruels ; ils deviennent ensuite sévères, puis bienveillants, délicats ; et enfin ils s’énervent. » En somme, on en a vraiment plein le cul. Pardonnez mon plagiat de Tyler Durden, c’est mon côté deleuzien, schyzo-analyste à mes heures perdues.

    Longtemps, si je me souviens bien, nous avons cru pouvoir dénoncer les truismes, aberrations, sophismes et absurdités, en un mot la Bêtise, escomptant sur ce vilipendage en règle pour se soustraire à son chancre érosif. Le temps, hélas, des Bouvard et Pécuchet bien indentifiables, est révolu. Et si c’était fini, me susurre à l’oreille le corbeau pique-assiette qui me dévore. Le tout, semble-t-il, et qui rassasie les fioles fragiles, c’est d’accoucher de conneries closes, comme il existe des maisons closes. Louer les pensées comme des catins, pour mieux les souiller, pour mieux s’en aller. Et se purger de l’esprit, de son résidu de pus. S’agenouiller, s’abêtir – bien en-deça du conseil pascalien et loin de ses objectifs d’automatisation sotériologique. La bêtise a essaimé. Elle s’est mise à migrer, à engloutir, à forclore, à tout circonscrire. La bêtise, le conformisme, la sclérose et l’atrophie mentale, la gangrène de l’animal-machine, le langage empaqueté, standardisé, calibré, sont autant de flux de néant à l’horizon de l’occident. Les abrutis sont légion, ils déambulent, zombifiés, grouillant en pur paître, patibulaires et satisfaits. Ils détiennent l’avenir, en sont les légataires-concessionnaires, exclusifs propriétaires.

    « C’est à cela même dont l’esprit se contente qu’on peut mesurer l’importance de sa perte. » Hegel, Phénoménologie de l’Esprit. La perte est grande, certes, mais l’idée de cette perte est minuscule, indiscernable, tant il va de soi qu’on ne saurait s’exprimer qu’en égrenant des évidences vides, des énoncés livides. La gauche et sa scolastique éculée, avenue de la post-modernité spongiforme, ne sont pas seules en cause. Il est par trop commode de projeter dans une altérité irréductible à soi, aussi hétérogène à soi que la presse française au souci de la vérité. Le mal qui nous ronge est en nous, hors et en nous, comme disait Pascal de Dieu. Oui, la bêtise est substance divine, omnipotente, omniprésente, omnichiante, franchement lassante. Elle est tout ce qui génère les formes mortes, contre lesquelles Dominique de Roux s’était insurgé, dans le sillage de Gombrowicz. Elle n’appartient à aucun camp politique, à aucune école philosophique. Elle est cette pâte à tout remodeler, qui, selon l’injonction paulinienne, ne fait pas acception des personnes. Tentaculaire et gluante, elle attend son magazine Pulp dédié. Divine anti-trinitaire, elle est un monothéisme très pur, sans dogme et pourtant munie d’un clergé se démultipliant comme les têtes de l’Hydre.

    Jean Montalte (Site de la revue Éléments, 13 décembre 2024)

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  • Quête de l’Infini et inquiétude européenne...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean Montalte, cueilli sur le site de la revue Éléments et consacré à la tentation faustienne de l'Europe...

     

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    Quête de l’Infini et inquiétude européenne

    Anaxagore, au Ve siècle avant notre ère, a résolu en ces termes, et par avance, le principe de raison suffisante, énoncé par Leibniz (pourquoi y a-t-il de l’être plutôt que rien ?) : « Quel est le but qui vaudrait que l’on choisît de naître plutôt que de ne pas exister ? Spéculer sur le ciel et sur l’ordre du cosmos entier. » Être ou ne pas être, interrogeait Shakespeare. Anaxagore répond : être, pour contempler les astres, les étoiles, la voûte céleste, et s’en repaître comme d’un breuvage aussi succulent qu’intarissable. « Les esprits dignes de contempler les choses profondes conçoivent pour l’illimité une confiance sans limite », lui rétorque Goethe par-dessus les siècles, puisque l’univers s’est ouvert aux dimensions de l’Infini, révolution scientifique dont Alexandre Koyré avait tiré les conséquences dans un ouvrage de synthèse fameux.

    J’ai la passion des chimères. Mon vœu le plus cher serait de vivre dans un château vaste comme le monde, à l’instar des Gormenghast. J’ai l’appétit cosmique propre à ma race. Inquiétude métaphysique, soif de dépassement, voilà les traits constitutifs de tout Européen bien né. Cette quête de l’ailleurs, je tente parfois d’en dompter la démesure, tant elle peut briser l’âme qui s’y livre sans retenue. Je me paie alors une cure de banalité. J’essaie de trouver dans la proximité des choses et des êtres la poésie invisible qui y est recelée, comme l’œuf de la colombe mystique dans sa coquille cernée de boue, en attente du troisième règne selon Joachim de Flore, celui du Saint-Esprit. Voyez l’ampleur de mes divagations… Chesterton, alors, se présente comme un antidote salvateur : « C’est une chose de raconter une entrevue avec une gorgone ou un griffon, une créature qui n’existe pas. C’en est une autre de découvrir que le rhinocéros existe bel et bien et de se réjouir de constater qu’il a l’air d’un animal qui n’existerait pas. » Si je peux me passer de ces créatures sorties de l’imaginaire européen, il m’est sans doute plus difficile de ne pas jeter un regard théorique sur l’Univers, de temps à autre, pour éprouver ce vertige du cosmos qui a le don de conjurer les forces entropiques menaçant mon cerveau du ratatinage.

    La pulsion faustienne

    David Engels, dans son dernier livre Défendre l’Europe civilisationnelle, sous-titré Petit traité d’hespérialisme (Salvator, 2024), qualifie l’esprit européen de faustien, dans la lignée de Spengler. Tantôt, ce trait idiosyncrasique se traduit dans une soif spirituelle portée vers la transcendance divine, tantôt cette même quête de dépassement s’abîme dans le règne du matérialisme, de la marchandise, de la croissance illimitée et de la technique. Selon David Engels, parmi toutes les explications qui tentent de rendre compte du déclin des grandes civilisations, la raison profonde qui mérite de retenir notre attention est la suivante : l’abandon graduel de la transcendance pour la matière.

    David Engels écrit : « Pour moi, l’Europe proprement dite commence après la fin des grandes migrations avec la restitution impériale de Charlemagne, avec la recréation de l’Église chrétienne en Occident, avec ce grand projet de restitution impériale. C’est cela le véritable début d’une Europe que je définis dans son identité profonde surtout de manière psychologique. Pour moi, le mot-clef, c’est ce que l’on appelle la “pulsion faustienne”, c’est-à-dire cette volonté typiquement européenne de vouloir être en quête : en quête de quelque chose qui est derrière l’horizon ; en quête de quelque chose qu’on ne peut jamais vraiment atteindre ; en quête d’une transcendance, d’une vérité qui est juste derrière l’horizon. Et donc la quête d’une envergure assez monumentale, démesurée, je crois que la démesure, en bien comme en mal, est quelque chose d’assez typiquement européen. (…) La splendeur intérieure de la cathédrale gothique et la démesure inhumaine du gratte-ciel sont tous les deux des expressions d’un même archétype typiquement européen. » Jean-François Mattéi constatait, dans une veine similaire, que « l’Europe ne se comprend elle-même que dans un mouvement qui l’emporte irrésistiblement au-delà d’elle-même ». Mais ce mouvement, sur le modèle du périple odysséen n’exclut pas un retour à l’Île d’origine.

    Cette articulation de la dimension spirituelle ou psychologique et de la dimension technicienne a le mérite de rappeler à une droite prométhéenne, dont je mesure les qualités au demeurant, que, sans un horizon de sens, nous sommes voués à nous enliser toujours plus profondément dans le nihilisme, nihilisme dont les dommages ne peuvent être résorbés par les prouesses techniques, aussi indispensables fussent-elles pour développer notre puissance sur la scène internationale.

    Au Purgatoire ?

    L’erreur symétrique de l’antimoderne ou de l’archéo-primitiviste n’est pas moins nocive pour autant. Certes, la science et ses dérives ne doivent être passées sous silence, encore moins les folies prométhéennes dont l’Européen doit en grande partie son déclin. Jean-François Mattéi écrit dans Le Sens de la démesure : « Le vingtième siècle aura été le siècle de la démesure. Aucune époque ne saurait lui être comparée, aussi loin que notre mémoire remonte. Démesure de la politique, tout d’abord, avec deux guerres mondiales et des conflits régionaux permanents, des déportations et des tortures de masse, des camps de la mort déclinés en allemand et en russe, et, pour culminer dans l’horreur, deux bombes atomiques larguées sur des populations civiles. Démesure de l’homme, ensuite, puisque tous ces crimes ont été commis en son nom, qu’il soit nazi, communiste ou démocrate, ou plutôt au nom d’idéologies abstraites qui, pour mieux sauver l’humanité, ont sacrifié sans remords les hommes réels. Démesure du monde, enfin, avec une science prométhéenne qui a voulu percer les secrets de l’univers, une technique déchaînée qui a cherché à asservir la nature, et une économie mondialisée, sous le double visage du capitalisme et du socialisme, dont les flux incessants d’échanges ont privilégié le prix des choses au détriment de la dignité des hommes. Telle est la démesure revendiquée du progrès, nouveau Moloch auquel il fallait à tout prix sacrifier. » Il semble qu’après la lecture de ces lignes, la messe soit dite. Et pourtant, se rallier aux thèses technophobes, en émules de Theodore Kaczynski – je cite ce nom parce qu’il n’est pas si rare de le voir pris comme exemple –, ce serait signer l’arrêt de mort de l’Europe puissance.

    Une tentation anarcho-primitiviste, qui lorgnerait sur une barbarie originelle telle qu’elle fut fantasmée par un Robert E. Howard, par exemple, l’auteur de Conan le Barbare serait une catastrophe pour l’homme européen et diminuerait d’autant ses forces, tant intellectuelles que matérielles. Ce serait réduire l’homme européen hautement civilisé à l’ombre de lui-même, tout comme « les consécutions des bêtes ne sont que l’ombre d’un raisonnement », pour citer Leibniz.

    Dans un entretien donné à Paris en 1997, un journaliste qui demande à Maurice G. Dantec si, devant la révolution numérique et internet, il serait du côté des utopistes un peu naïfs ou des catastrophistes anti-techno. « Il y a ceux qui y voient l’enfer et ceux qui y voient le paradis, où vous situez-vous ? » Maurice G. Dantec répond : « Au purgatoire. »

    Mesure des Grecs, démesure de l’Europe

    Au fond, l’erreur de l’antimoderne c’est d’avaliser l’équation de la philosophie des Lumières, qui consiste à établir une fausse corrélation entre progrès moral et progrès scientifique et technique. Croyant à cette corrélation et par rejet, répulsion, il récuse tout aussi bien les progrès techniques bien réels et ce qui tient lieu de progrès moraux, dans lesquels ils voient, souvent à juste titre, un pur camouflage de la décadence égalitariste. Contre cette équation, à rebours de cette identification, nous devrions repenser à nouveau frais la question de la technique sans lui associer tout le baratin progressiste qui l’a escortée jusqu’ici.

    L’infini est parfois une notion qui a mauvaise presse, dans nos parages. Dominique Venner fustigeait la « métaphysique de l’illimité », ce qui n’est, certes, pas tout à fait la même chose. Maurras, plus sévère, dans sa préface du Chemin de Paradis de mai 1894, adressée à Frédéric Amouretti, écrit : « Il n’est point contestable qu’il existe sous le nom de pensée moderne un amas de doctrines si corrompues que leur odeur dégoûte presque de penser. […] J’ai surtout horreur ces derniers allemands. L’Infini ! Rien que ces sons absurdes et ces formes honteuses devraient induire à rétablir la belle notion du fini. Elle est bien la seule sensée. Quel Grec l’a dit ? La divinité est un nombre ; tout est nombré et terminé. » Et Boutang, de commenter dans son monumental Maurras, la destinée et l’œuvre : « En vain criait-il contre l’infini à l’allemande, le mauvais infini. L’infini l’habitait, lui jouerait des tours jusqu’à la fin – et la prière de la fin – (Maurras, mal rassasié, lui disait Mistral) calembour métaphysique qui répond à celui d’Eschyle sur son héros, Ulysse, Ulysse éponyme des douleurs. »

    Et, pour finir, évoquons cette grande plume de la littérature française, Paul Claudel, qui dans sa Poétique, compose un poème en prose métaphysique, dans la lignée de Poe avec Eurêka, en congédiant la notion d’infini de sa cosmologie. Retour à l’antique, en somme, où l’infini devient synonyme d’indéfini, voire pire, de démesure. Ainsi, le premier à avoir tenté de penser l’être dans sa dimension métaphysique et cosmologique, Parménide d’Élée, concevait l’Être comme une sphère finie, « une balle ronde ». L’univers, en s’étendant sans limites, commettrait finalement une faute morale, au regard de la philosophie héritée des Grecs.

    Cette distinction entre l’esprit grec et l’esprit européen, qui se développe sur le même axe que l’opposition entre le fini et l’infini, la limite et l’illimité, Albert Camus en donne un résumé saisissant dans son texte L’Exil d’Hélène : « La pensée grecque s’est toujours retranchée sur l’idée de limite. […] Notre Europe, au contraire, lancée à la conquête de la totalité, est fille de la démesure. »

    Des crises et des révolutions

    Nietzsche, dans L’Antéchrist, qualifie l’aboutissement du nihilisme européen de bouddhisme européen, une sorte de quiétisme aspirant à l’ataraxie, au nirvana. La société prospère et pépère des Trente Glorieuses, le plein emploi, le consumérisme, l’abandon de l’Algérie française et de l’Armée, dernier bastion des valeurs chevaleresques et aristocratiques, a bien failli accoucher de cette société en état de léthargie heureuse. Et il n’est pas rare de constater la présence d’un petit Bouddha en porcelaine dans le salon de monsieur Tout-le-monde. Tout indique, à rebours de ces espérances amniotiques, le retour du tragique dans l’Histoire, le retour des peuples européens, saisis par une inquiétude, une angoisse proprement existentielle.

    Pour conclure, je me permets cette longue citation – il n’y a pas un mot à retrancher – de Jean-François Mattéi, qui écrit dans Le Regard vide : « Je considère l’Europe, cette figure unique de l’inquiétude dans le courant des civilisations, comme une âme à jamais insatisfaite dans la quête de son héritage et le besoin de dépassement. En dépit des renaissances, son rythme naturel est celui des crises et des révolutions, qu’elles soient religieuses, avec l’instauration du christianisme dans le monde romain, politiques, avec l’invention de l’État moderne, sociales, avec l’avènement de la démocratie, économiques, avec la domination du capitalisme, mais aussi philosophiques, avec la découverte de la rationalité, scientifiques, avec le règne de l’objectivité, techniques, avec la maîtrise de l’énergie, artistiques, avec le primat de la représentation, et finalement humaines, avec l’universalisation de la subjectivité. Ces ruptures qui forment la trame continue de son histoire, ces créations et ces destructions qui stérilisent son passé et fertilisent son avenir, ces conquêtes de soi et ces renoncements qui sont l’envers de l’oubli et de la domination de la nature, tous ces facteurs indissolublement liés ont contribué à faire de la crise, et donc de la critique, le principe moteur de l’Europe. On comprend que le choc de la Première Guerre mondiale, en rappelant à l’Europe le destin de mort des civilisations, lui ait enlevé l’espoir de ses vieilles certitudes et laissé le regret de ses anciens parapets. »

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  • Plaidoyer pour une pensée créatrice...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean Montalte, cueilli sur le site de la revue Éléments et consacré au besoin de réhabiliter au sein de la mouvance identitaire l'utopie, l'extravagance créatrice et l'imagination conquérante.

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    Plaidoyer pour une pensée créatrice

    Il arrive souvent que, face aux utopies tantôt consternantes par leur niaiserie, tantôt effrayantes par l’intensité de la folie dont elles sont l’expression, l’honnête homme soit tenté d’opposer le bons sens, le sens des réalités ou de la mesure. Je voudrais, par le présent texte, montrer que le bon sens comme argument d’opposition ne suffit plus, qu’il s’agit de contre-attaquer en proposant une vision, une contre-utopie, pour ainsi dire, qui dépasserait la position réaliste sans la renier pour autant. Aborder les bouleversements actuels en leur opposant le bon sens, c’est finalement emprunter la posture d’un spectateur définitivement sorti du jeu, c’est s’inscrire dans l’inertie et la passivité de celui qui constate le progrès des destructions en gémissant. En effet, Wittgenstein, dans les remarques mêlées, a écrit : « Toute sagesse est froide ; et il est tout aussi impossible de redresser sa vie grâce à une sagesse, qu’il l’est de forger le fer à froid. » Et Pascal, plus lapidaire : « La raison ne saurait mettre le prix aux choses. »

    Robert Musil (1880-1942), écrivain autrichien, romancier, essayiste, comparé à Proust, Joyce et Céline, pour l’importance de son œuvre et l’altitude de son génie, auteur de L’homme sans qualités, a proposé un type d’homme pour, sinon résoudre, au moins répondre à la crise traversée par l’Europe, au seuil de la première guerre mondiale, et au-delà: l’homme du possible.

    Je cite le paragraphe quatre de L’homme sans qualités, intitulé :  « S’il y a un sens du réel, il doit y avoir aussi un sens du possible. »

    « L’homme qui en est doué, par exemple, ne dira pas : ici s’est produite, va se produire, doit se produire telle ou telle chose ; mais il imaginera : ici pourrait, devrait se produire telle ou telle chose […] Ces hommes du possible vivent, comme on dit ici, dans une trame plus fine, trame de fumée, d’imaginations, de rêveries et de subjonctifs ; quand on découvre des tendances de ce genre chez un enfant, on s’empresse de les lui faire passer, on lui dit que ces gens sont des rêveurs, des extravagants, des faibles, d’éternels mécontents qui savent tout mieux que les autres.

    Quand on veut les louer au contraire, on dit de ces fous qu’ils sont des idéalistes, mais il est clair que l’on ne définit jamais ainsi que leur variété inférieure, ceux qui ne peuvent saisir le réel ou l’évitent piteusement, ceux chez qui, par conséquent, le manque de sens du réel est une véritable déficience. Néanmoins, le possible ne comprend pas seulement les rêves des neurasthéniques, mais aussi les desseins encore en sommeil de Dieu. Un événement et une vérité possibles ne sont pas égaux à un événement et à une vérité réels moins la valeur « réalité », mais contiennent, selon leur partisans du moins, quelque chose de très divin, un feu, une envolée, une volonté de bâtir, une utopie consciente qui, loin de redouter la réalité, la traite simplement comme une tâche et une invention perpétuelles. »

    Une atmosphère de démission

    Un esprit aussi fin que celui d’un Philippe Muray verse dans un pessimisme délétère, en reprenant à son compte la théorie hegelienne de la fin de l’Histoire, attribuant à la génération du baby-boom le rôle de fossoyeur de l’Histoire, ce qui est lui faire trop d’honneur. Festivus festivus n’est finalement qu’une figure transitoire, archétype d’une société libérale-libertaire, qui a vocation à disparaître à terme. Et si la fin de l’Histoire n’était qu’une fable, de Hegel à Muray, en passant par Fukuyama, et ce, en dépit de la variété considérable des interprétations qu’on en a proposées ? Si l’Histoire semble avoir atteint un terme, c’est pour une simple et bonne raison, à savoir qu’elle est finie pour ceux qui ont renoncé à peser sur elle, en particulier dans le monde européen, délivrant par là même un permis de dominer à ses adversaires tant sur le terrain géopolitique que sur le terrain idéologique. Adversaires qui ont tout intérêt à accréditer la thèse de la fin de l’Histoire, qui ne signifie pas pour eux l’incapacité à dicter son cours, mais l’assurance qu’elle leur appartient pour toujours.

    Le slogan de mai 68 bien connu « L’imagination au pouvoir » suscite dans notre camp la dérision, et probablement à bon droit, mais ne serait-ce pas cette imagination qui fait leur force, qui leur permet d’imposer une vision qui transforme les sociétés à long terme ? Par la détestable intrusion dans la culture populaire des éléments phares du wokisme (apologie de la « diversité », déconstruction de la famille, des valeurs traditionnelles et « hétéronormées »). Plutôt que de se lamenter sur l’inauthenticité de la « société du spectacle » et l’aliénation qu’elle provoque, il faudrait proposer une contre-scénarisation. Prendre acte d’un état de faits pour ne plus le subir. Pour autant, il est clair que la question des moyens est cruciale, il serait stupide de le nier. Il n’empêche que lorsqu’on voit le zèle déployé – que dis-je le zèle, le fanatisme ! – par la gauche culturelle pour nous matraquer de leur propagande à jet continu, la détermination dans la contre-attaque devrait mobiliser toutes les ressources disponibles. Yves Citton, auteur de Mythocratie, Storytelling et imaginaire de gauche, explique qu’il est « non seulement inévitable mais souvent salutaire de se raconter des histoires et que la société du spectacle doit moins faire l’objet de lamentations que d’efforts de contre-scénarisation ». Pour Paul Ricoeur, un monde sans imaginaire serait « impraticable pour l’action ». De même qu’il y a une critique nécessaire pour miner les positions adverses, il y a une nécessité de proposer une vision organique et motrice pour mettre en branle le processus de création.

    Dans son livre, Kant et la fin de la métaphysique, Gérard Lebrun parle du kantisme comme de la « philosophie inaugurale de la modernité ». Kant a paradoxalement ouvert la voie à une pensée créatrice en distinguant l’entendement et la raison, les catégories qui s’appliquent aux phénomènes et les Idées qui n’entretiennent aucun rapport avec le monde sensible. Je dis : paradoxalement, parce que ses intentions semblaient davantage être de circonscrire nettement le domaine du véritable savoir, excluant hors de ses frontières la métaphysique. Étienne Gilson dans Le réalisme méthodique établit un moyen de distinguer un philosophe réaliste d’un philosophe idéaliste, qu’il soit cartésien, kantien ou postkantien. Le réaliste parle de connaissance tandis que l’idéaliste parle de pensée. C’est pourquoi, Kant, en distinguant fortement le domaine de l’entendement, des connaissances exactes, empiriquement vérifiables et le domaine de la raison, de la morale et du spéculatif, a ouvert un boulevard à des modes de pensée inédits. Toute la postérité immédiate de Kant a donné des fondateurs de systèmes métaphysiques, alors qu’il semblait avoir enterré cette science, ou plutôt cette pseudo-science selon lui, puisqu’elle ne répondait pas aux exigences épistémologiques qu’il avait assignées à un savoir réel et effectif dont le modèle se trouvait dans la physique de son temps, celle de Newton. Schopenhauer, Hegel, Schelling, Fichte, ont tous philosophé en métaphysiciens. Schopenhauer va jusqu’à définir l’homme comme l’« animal métaphysique ». Le récent livre de Jean-Luc Marion, La métaphysique et après, a précisément pour but d’établir qu’il y a une philosophie après la métaphysique, il est vrai en s’entant sur le tronc de la phénoménologie.

    Pour Paul Valéry, la philosophie est un faire sur le modèle poétique. Il loue Nietzsche d’avoir assumé le fait d’être un philosophe-artiste et ainsi de s’être débarrassé du complexe d’infériorité de la philosophie face aux succès concrets de la science. La politique, quant à elle, est le lieu de la contingence – régime sublunaire sur le plan ontologique –, de l’hypothèse, du risque, où s’exerce la vertu de prudence, chère à Aristote. Nous sommes dans le domaine du conjectural, nulle science exacte ne peut s’y installer en maîtresse en se prévalant de déductions ou théorèmes infaillibles.

    « Il en va toujours de même : dans l’ordre de la philosophie, on ne persuade bien qu’en suggérant des rêveries fondamentales, qu’en rendant aux pensées leurs avenues de rêves », a écrit Gaston Bachelard dans L’eau et les rêves. Nos adversaires s’imaginent toujours victorieux et nous, par un déterminisme inconscient, imposé par le thème du « sens de l’Histoire » marxiste, nous sommes accoutumés à nous voir en éternels vaincus, alors que l’Histoire nous donne raison de bien des manières. Plutôt que de devenir les moines copistes d’une civilisation défunte, embrassons avec ferveur la vision d’un avenir qui nous appartient. Avec la sagesse comme socle spirituel, la pensée artiste et créatrice comme mouvement et comme point de mire la puissance européenne retrouvée.

    Jean Montalte (Site de la revue Éléments, 16 avril 2024)

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