Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

hiver démographique

  • L’hiver démographique est-il inéluctable ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Ferdinand Sudres, cueilli sur le site de la revue Éléments et consacré à l'hiver démographique dans lequel est entré l'Europe...

    Hiver démographique 3.jpg

    L’hiver démographique est-il inéluctable ?

    Lors de sa conférence de presse fleuve du 11 janvier 2024, le président de la République a évoqué la nécessité d’un « réarmement démographique » du pays. Ces termes n’ont pas manqué de provoquer une petite polémique dans le landerneau parisien : les féministes accusant le chef de l’État de vouloir imposer aux corps des femmes des choix politiques et la droite rappelant à bon droit qu’Emmanuel Macron avait participé au gouvernement durant lequel la courbe démographique française avait entamé une descente vertigineuse.

    En 2023, l’Insee nous apprenait que la France avait enregistré son plus bas taux de natalité depuis 1946 avec moins de 700 000 naissances et un taux de natalité s’établissant à 1,6 enfant par femmes. Alors que la France disposait encore d’une natalité dynamique par rapport au reste de l’Europe, elle semble rentrer dans un hiver démographique de long terme, c’est-à-dire une baisse concomitante de ses naissances associée à un vieillissement de plus en plus important de sa population.

    Cet hiver démographique, phénomène bien connu en Italie ou au Japon, constitue en réalité un phénomène mondial qu’il appartient à tout acteur de la Cité d’appréhender. Si le défi écologique ou climatique est toujours en première ligne des préoccupations et de l’intérêt médiatique, le défi démographique, plus obscur, invisible par définition, constitue en réalité la plus grande menace pour l’équilibre de nos sociétés reposant largement sur une utilisation extensive du capital humain.

    Il nous faut ainsi établir les données du problème et identifier les causes aussi subjectives que matérielles qui concourent à ce vieillissement accéléré de l’ensemble de la population du globe et singulièrement de la population européenne. La démographie et le maintien d’une population active ne sont pas qu’une lubie économiste ou le dernier avatar d’une pensée chrétienne accrochée à la procréation. cette problématique doit être saisie comme centrale, car elle conditionne le futur et la stabilité socio-économique de nos pays et particulièrement du continent européen.

    L’hiver démographique arrive

    L’Europe et les pays fortement développés comme le Japon ou la Corée du Sud connaissent depuis la fin des années 1990 des niveaux démographiques alarmants. Pour la Corée du Sud, le point de non-retour semble déjà passé. Avec en moyenne 0,7 enfant par femme, il est désormais admis que la Corée du Sud perdra la moitié de sa population active d’ici 2050 et passera en dessous de 35 millions d’habitants d’ici la fin du siècle. Le Japon et l’Italie sont d’ores et déjà les pays les plus vieux du monde et leur atonie économique structurelle repose en partie sur cette situation démographique désastreuse.

    Néanmoins, si la situation alarmante des pays européens et des pays d’Asie du Sud-Est est déjà largement connue, on observe une baisse structurelle du taux de natalité dans la quasi-totalité des pays du monde et un vieillissement de certaines sociétés moins riches et moins développées. À ce titre, l’Amérique du Sud, connaissant désormais un taux faible de natalité, enregistre un vieillissement accéléré de sa population. Alors que les États-Unis d’Amérique avaient mis cinquante ans pour voir la part de leur population âgée de plus de 60 ans passer de 10 à 20 %, des pays comme le Pérou, la Colombie ou le Venezuela mettront moins de trente ans à passer cette limite déterminante avec un système de protection sociale moins performant, toutes proportions gardées, que le système américain.

    En Afrique, dont l’augmentation démographique est à juste titre une source d’inquiétude, particulièrement pour le Vieux Continent, on observe que nombre de pays africains connaissent une baisse démographique tendancielle de leur taux de natalité, malgré une démographie encore galopante en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale. L’augmentation de la population mondiale résidera pour le siècle en cours essentiellement en Afrique qui conserve encore un taux de natalité important, à l’inverse du reste de la planète. Les pays du Maghreb ont d’ores et déjà terminé leur transition démographique et la natalité des grandes métropoles africaines est passée sous la barre du taux de renouvellement des générations.

    Dans le monde entier, depuis la Covid-19, les pays qui observent une augmentation de leur démographie se comptent sur les doigts d’une main. Seules la Mauritanie, l’Afghanistan et Israël affichent encore des taux de natalité croissants alors que la plupart des pays sont non seulement passés sous le seuil de renouvellement des générations, mais subissent également une baisse continue de leur taux de natalité.

    Selon l’ONU, le taux de natalité mondial s’établirait en 2023 à 2,2 enfants par femme. S’il est encore supérieur au seuil de renouvellement des générations, porté en partie par le déploiement de la démographie africaine, l’espèce humaine semble sur la voie d’une baisse structurelle de sa natalité. Les transitions démographiques rapides et désormais le vieillissement accéléré de la population constituent des phénomènes de plus en plus structurels non seulement en Europe où près de 30 % de la population aura plus de 60 ans en 2040, mais également dans d’autres parties du monde comme l’Amérique latine ou l’Asie du Sud-Est. Pour l’Empire du milieu, les effets de long terme de la politique de l’enfant unique, conjugués à une urbanisation et à un développement rapide, ont amené le pays à un taux de natalité à un enfant par femme, entraînant un vieillissement accéléré de la population chinoise réduisant ses chances d’hégémonie et de domination à long terme. Avant d’être riches, les Chinois seront vieux.

    Zeitgeist nullipare

    Le sujet de la démographie est un sujet complexe. Il se situe à l’intersection du privé et du public. Il concerne l’espace privé, ce que font les gens dans leur chambre à coucher, ou ailleurs, ce qui ne devrait pas normalement relever de l’examen de l’État ou des décideurs publics, mais il concerne surtout le collectif et le destin tout entier de la Cité. Si faire un enfant est une question intime, la natalité est une cause collective.

    Dans le monde occidental, cette baisse brusque de la natalité depuis la Covid-19 tient d’abord à une cause générationnelle. La génération dite Z (née entre 1997 et 2004) arrive peu à peu à l’âge de procréation. Génération socialisée par les écrans, déstructurée par le confinement, inquiète des évolutions du monde et d’un futur incertain, marquée par une solitude grandissante et une difficulté à s’engager, voire tout simplement à procréer, elle s’affirme comme une génération fortement nullipare (autrement dit : qui n’a jamais porté d’enfant ni accouché), où le projet d’enfant vient contrecarrer les aspirations individuelles. Dans un sondage récent paru dans Libération, l’IFOP estimait qu’un quart des jeunes Français de moins de 24 ans n’avaient pas pratiqué d’activités sexuelles dans les douze derniers mois, un chiffre record par rapport à la précédente enquête publiée en 2006. Par ailleurs, s’il y a une quinzaine d’années, la maternité était encore l’idéal de la quasi-totalité des Françaises (98 % en 2006), elle n’est plus aujourd’hui un rêve pour toutes : 13 % des Françaises âgées de 15 ans et plus (+11 points depuis 2006) expriment leur préférence pour une vie sans enfant, et leur nombre est trois fois plus élevé chez les femmes sans enfant en âge et en capacité de procréer (31 %). À l’inverse, la « famille nombreuse » (3 enfants et plus), qui était un idéal de vie pour près d’une femme sur deux il y a encore une quinzaine d’années (49 % en 2006), n’attire aujourd’hui plus qu’une Française sur trois (32 %).

    Le développement des réseaux sociaux explique en partie ce phénomène de non-natalité. Selon une étude récente de la Fondation de France, près de 25 % des jeunes Français sont en état de solitude aggravée, n’ayant plus ou peu d’interactions sociales avec autrui.Cette solitude moderne, paradoxale,car inscrite dans une absence de relation humaine réelle mais dans une surmobilisation et un surinvestissement de relations numériques éphémères, participe à un grand mouvement nullipare de la société.

    Parallèlement, la figure de la maternité et de l’enfant disparaît peu à peu de l’environnement des sociétés. Les grands ensembles urbains où vivent la majorité de la population sont de plus en plus rétifs à la présence des enfants. Les parcs, aires de jeux, ou autres infrastructures publiques dédiées à la présence enfantine, sont de moins en moins construits ou déployés.

    L’individu contre la famille

    Par ailleurs, les lieux de sociabilité et de rencontre, ferments de la civilisation européenne, comme les bars ou les cafés, tendent peu à peu à disparaître. Les boîtes de nuit, symbole de la jeunesse et de la sociabilité des années 1980 et 1990, subissent une désaffection profonde de la génération Z et ferment les unes après les autres.Selon le sociologue Jérôme Fourquet, un phénomène puissant de repli sur l’espace intime et l’intérieur irrigue désormais toute la société et particulièrement les plus jeunes. Cette civilisation du plaid, inquiète et adepte de safe space, souvent solitaire, semble devenir de plus en plus incapable de se projeter dans un avenir commun et particulièrement de troquer sa liberté de monade solitaire contre la charge de la parentalité.

    La baisse de la natalité en France et en Europe réside également dans la dégradation des conditions matérielles d’existence des jeunes. Le marché du logement, par exemple, constitue le frein le plus évident à la fondation d’une famille. L’exiguïté des lieux d’habitation comme l’instabilité structurelle dans leur occupation par l’impossibilité récente d’accès à la propriété découragent les couples à fonder une famille.

    De plus, l’évolution de la politique nataliste a eu un effet catastrophique sur la démographie française. Alors que le pays se félicitait d’associer un haut niveau d’accès à l’emploi pour les femmes et une natalité relativement dynamique, les réformes des allocations familiales, particulièrement sous le quinquennat Hollande, ont participé à enrayer ce qui était encore un atout déterminant de la France dans le concert européen. La fin de l’universalité des allocations familiales a entraîné une diminution de la natalité des couples de classes moyennes supérieures ou de la petite bourgeoisie. Si on ne fait jamais un enfant pour les aides, la perspective d’un soutien financier de l’État rassure quant à la possibilité de la conception d’un deuxième ou d’un troisième enfant. Des études ont ainsi exposé le lien mécanique entre la fin de l’universalité des allocations familiales, au mépris de la tradition historique de la gauche républicaine en faveur de toutes les familles, et le début de l’hiver démographique français.

    Par ailleurs, l’instabilité des économies occidentales, tertiarisées et flexibles, contribue à dissuader tout projet d’enfants. L’Italie constitue à ce titre un pays malheureusement exemplaire dans ce phénomène. Depuis 2000, la croissance italienne est nulle et son industrie est à la peine. Le baby-boom italien, situé dans les années 30 et non la fin des années 40, a pour conséquence tardive une impossibilité pour beaucoup de jeunes Italiens d’avoir accès à un emploi stable en dépit d’un haut niveau de formation universitaire. Le vieillissement de la société italienne a entraîné une sclérose tant du marché locatif que des possibilités professionnelles. Ainsi en 2023, 21 % des jeunes Italiens étaient au chômage contre 17,4 % des jeunes Français. Le marché locatif italien empêche également les jeunes de quitter le foyer familial. L’Italie affiche ainsi le triste record de 42 % de jeunes de 25 ans vivant encore chez leurs parents. Malgré les promesses du nouveau gouvernement de Giorgia Meloni, la natalité italienne ne repart toujours pas, lestée d’une situation économique, locative et sociétale particulièrement problématique et d’un manque criant d’infrastructures publiques pouvant concilier l’accueil d’un enfant et le maintien d’une vie professionnelle pour les parents, en particulier pour les mères.

    Des enfants de plus en plus tard

    Enfin, la baisse de la natalité trouve aussi sa cause dans la progression vertigineuse de l’infertilité des couples. Celle-ci s’explique par deux facteurs. En premier lieu, les femmes ont en moyenne leur(s) enfant(s) de plus en plus tardivement. En France, l’âge du premier enfant s’établit à 28 ans contre 22 ans en 1960 selon l’INSEE. Ce décalage constant de l’âge de conception de l’enfant repose dans une inadéquation entre l’âge de fertilité le plus élevé et l’entrée dans la vie professionnelle.

    En effet, les femmes sont les plus fertiles entre 20 et 30 ans, au moment de leur entrée dans le monde professionnel et où le besoin de faire ses preuves et d’être productif est le plus fort. Ainsi, et en notant un manque tangible d’éducation sexuelle du public féminin à ce sujet, l’âge du premier enfant se décale de plus en plus vers la trentaine au moment où les grossesses deviennent de plus en plus difficiles et où la femme comme l’enfant courent un risque accru.

    De plus, on observe également l’augmentation de l’infertilité masculine. La qualité du sperme de l’homme occidental n’a cessé de régresser. Selon Santé publique France en 2018, les études ont confirmé une altération globale de la santé reproductive masculine en France, depuis les années 1970, avec une baisse significative et continue de 32,2 % de la concentration spermatique entre 1989 et 2005. Les principales causes de cette crise sanitaire demeurent dans l’exposition constante des populations occidentales et européennes aux perturbateurs endocriniens. Malgré un plan de recensement et de lutte contre ces substances lancées par la Commission européenne et le gouvernement français en 2021, comme la mobilisation de parlementaires nationaux sur ce sujet, les populations européennes demeurent fortement exposées à ces substances issues de l’industrie chimique ou de traitements médicaux qui affectent fortement la capacité reproductive des couples. Ainsi, les troubles de l’infertilité concernent près de 3 millions de couples en France réduisant d’autant plus les capacités démographiques des populations.

    L’immigration, pharmakon contre la dépopulation

    Face à cet effondrement de la démographie européenne, certains, comme l’inénarrable démographe Hervé Le Bras ou une partie de la gauche, voudraient recourir à une immigration plus importante, capable d’apporter les forces vives et les naissances qui manquent désormais à un continent vieillissant.

    Il va sans dire que ce remède contre la dépopulation qui vient serait pire que le mal. Néanmoins il nous faut expliquer pourquoi l’immigration ne saurait en rien le moyen de régler le vieillissement démographique accéléré de nos sociétés.

    La dépopulation demeure encore un risque peu identifié, voire hypothétique pour beaucoup ; pourtant, les premiers effets de ce vieillissement démographique se font d’ores et déjà sentir par la dégradation des systèmes de soins aux populations reposant largement sur un capital humain à haute valeur ajoutée. Si les Français sont légitimement inquiets de la crise de l’hôpital public et de la disparition progressive dans de larges territoires de médecins généralistes ou spécialistes, peu identifient cette question comme le prolégomène de la crise démographique. En effet, le débat public circonscrit la cause de cette crise aux effets désastreux de l’application du numerus clausus lors des précédentes décennies. Il nous faut convenir que cette limite bureaucratique au nombre de médecins a fortement dégradé l’offre médicale. Néanmoins, de nombreux pays comme l’Allemagne ou le Canada n’ayant pas mis en place de tels mécanismes subissent également une baisse de la démographie médicale et un manque de bras et de médecins dans leurs hôpitaux. La cause ne résulte pas d’une décision bureaucratique, mais bel et bien des premiers effets de cette crise démographique et de la difficulté de trouver soit dans la population autochtone soit même parmi les populations immigrées des personnes disposant des qualités requises pour effectuer ses tâches.

    L’immigration ne sera pas ainsi la solution pour repeupler nos campagnes de médecins ou pour raccourcir les délais d’attente dans les urgences. En effet, l’immigration hautement qualifiée sera, dans les années à venir, une ressource rare et chère. Non seulement nous ne pouvons ni moralement ni politiquement vider les pays en développement de leur force vive, dont leurs médecins et leurs ingénieurs, mais, bientôt, beaucoup de pays pourvoyeurs d’immigration hautement qualifiée comme l’Asie ou l’Amérique seront dans l’incapacité de répondre à leurs propres besoins en raison du vieillissement démographique. Récemment, la Turquie a annoncé sa volonté de faciliter l’entrée de médecins d’origine d’Afrique noire pour pallier elle aussi au vieillissement accéléré de sa population et à un manque de personnels de santé.

    Par ailleurs, une immigration massive ne peut pas régler le problème structurel de la baisse de la natalité. On l’observe particulièrement en Amérique du Nord où le Canada comme les États-Unis subissent depuis de nombreuses années une immigration massive largement encouragée par les gouvernements libéraux et démocrates au pouvoir à Washington DC et à Ottawa. Au Canada par exemple, malgré l’entrée de près de 500 000 personnes par an depuis le début de l’ère Trudeau, la démographie canadienne a elle aussi atteint un stade critique, en dépit de l’apport de nombreux immigrés, avec 1,4 enfant par femme. De plus, comme l’a montré le même Hervé Le Bras, dans Le destin des immigrés, si les immigrés sont beaucoup plus féconds à leur arrivée sur le sol de leur pays d’accueil, dès la deuxième génération le taux de natalité s’adapte globalement à celui du pays d’accueil. Recourir à l’immigration serait donc, face au problème de la natalité, reculer pour mieux sauter… dans le vide.

    Enfin, face à ce vieillissement accéléré de la population et un risque d’hiver démographique en France et en Europe, miser sur l’immigration c’est réduire la stabilité ethnoculturelle des différents pays et ainsi saper un esprit communautaire, voire un simple esprit de redistribution entre tous les citoyens. La dépopulation et le vieillissement poseront à l’avenir des problèmes de grande ampleur, mêlant une charge de plus en plus intense sur les dépenses publiques et privées pour prendre en charge une population sénescente mais aussi altérant l’affectio societatis des collectivités par la rareté croissante d’un capital humain de haute qualité. Devant le vieillissement de la population, il faut ainsi rappeler que le maintien d’une unité ethnoculturelle est un préalable vital pour garantir la stabilité de nos pays.

    Aux bébés citoyens ?

    Retour au 11 janvier 2024. La gauche a fait feu de tout bois contre l’expression du président de la République de « réarmement démographique ». Si ce terme semble le concept central d’une simple opération de communication présidentielle forgée par un cabinet de conseils américain, il ne permet en rien d’appréhender le problème de l’hiver démographique et encore moins d’y apporter une solution.

    Il existe une constante dans l’étude des politiques de natalité : toute politique coercitive ou d’imposition morale faite aux femmes de faire des enfants, émanant d’une entité politique, est toujours une politique sans effet. Le moindre manuel scolaire publié sous la Troisième République alertait chérubins (et parents) de ce manque croissant d’enfants qui mettait à mal la capacité de défense et de prospérité du pays, particulièrement dans l’entre-deux-guerres, où une Allemagne revancharde accumulait les performances démographiques face à une France saignée à blanc et qui avait connu une transition démographique rapide sans commune mesure avec le reste de l’Europe. Les exhortations natalistes de tel ou tel gouvernement n’y ont rien fait.

    Il a fallu attendre le déploiement d’une politique familiale, dès 1942, sous le régime de Vichy, puis poursuivie par le Conseil national de la Résistance, le tout mêlé à un optimisme renouvelé des populations au sortir de la guerre, pour donner lieu au baby-boom. La politique nataliste doit ainsi reposer sur une volonté de l’État d’aider les couples à avoir des enfants et sur une politique réelle, appuyée sur des mécanismes financiers et administratifs qualitatifs, et non des injonctions moralisatrices ou patriotiques. À ce sujet, la Pologne comme la Hongrie donnent des exemples de mesures fiscales réelles pour soutenir et améliorer des taux de natalité très bas.

    Si la gauche veut réduire le problème de la natalité à une problématique purement individuelle et intime, elle en oublie que tout système socialisé repose sur une natalité dynamique. En effet la puissante armature sociale de l’État français, qui représente près de 700 milliards d’euros, est exclusivement financée par les prélèvements obligatoires des actifs et leur renouvellement.

    Le dernier mouvement social portant sur l’augmentation de l’âge à la retraite a démontré l’absolue irresponsabilité de la gauche Nupes au sujet de la natalité, s’enfermant dans des positionnements impolitiques et des postures morales, fortement éloignés des causes réelles de cette dégradation de la protection sociale pour les Français.

    Selon l’expression lumineuse de feu Patrick Buisson, cette réforme des retraites c’est le paiement des enfants que nous n’avons pas eus. Le système redistributif français ne peut reposer que sur une natalité dynamique et c’est cet impensé fondamental tant de nos gouvernants que d’une large partie du personnel politique, à l’exception notable du Rassemblement national et de Reconquête !, qui génèrent les drames sociaux actuels et futurs que vivront nos compatriotes. Sans une remontée de la démographie non pas à des niveaux délirants mais bien à un niveau moyen de 1,8 ou de 1,9 enfant par femme, la stabilité de notre système social est pour ainsi dire condamné.

    Quelles solutions reste-t-il alors pour le personnel politique ?

    L’hiver démographique menace. Néanmoins, une fois les données établies et les défis analysés, des solutions demeurent pour améliorer le taux de natalité marginale des Français.

    En premier lieu, le rétablissement d’une politique inconditionnelle d’allocations familiales universelles est un préalable obligatoire. Si, comme on l’a dit, l’argent public n’enfante pas, il permet en revanche d’augmenter la natalité marginale. Or, c’est bien ces quelques points supplémentaires qui permettront de sauver notre ordre social et préserver l’intégrité de notre pays.

    Par ailleurs, une réflexion d’ensemble doit être menée quant à la préparation de l’accueil et du suivi de l’enfant. Ainsi, la persistance de violences obstétricales terrifiantes sur certaines jeunes mères, mises en lumière par des collectifs féministes, participe malheureusement au grand dégoût de l’enfantement pour une large partie des jeunes femmes françaises. L’État doit ainsi reconstruire un cadre protecteur et accueillant pour les familles françaises en garantissant un suivi et une qualité de services dans tout le parcours de l’enfantement.

    À ce sujet, le manque de plus en plus criant de place en crèche constitue un jalon fondamental des politiques natalistes. Il conviendrait de mettre sur pied un plan de grande ampleur, centré sur les collectivités territoriales, à commencer par les municipalités, de façon à exiger des administrations publiques comme des acteurs du secteur privé qu’ils mettent en place des crèches professionnelles et de façon à ce qu’un véritable service public de la petite enfance décentralisé puisse voir le jour soit au niveau des communes soit au niveau des départements dans les zones rurales. Ainsi, un tel mouvement ne pourra être entrepris que par la revalorisation des métiers touchant à la petite enfance et à ses rémunérations.

    Par ailleurs, un grand plan de lutte contre l’infertilité passant par le recensement des perturbateurs endocriniens (et des entreprises fabricant les produits incriminés), couplé au développement de pratique médicalisée pour aider à l’enfance (que ce soit la FIV, soit la fécondation in vitro, sinon la PMA), pourrait contribuer à permettre à des couples ayant un désir d’enfant tardif, c’est-à-dire à plus de 30 ans, de l’obtenir. Il conviendrait de s’inspirer des pays nordiques, le Danemark en tête, qui ont été très tôt sensibilisés à la problématique de l’infertilité masculine et ont développé depuis de nombreuses années des dispositifs sociaux d’évaluation de la fertilité chez les jeunes et des soutiens financiers aux couples infertiles ou éprouvant des difficultés à enfanter pour répondre à leur désir d’enfants.

    Enfin, c’est bien un discours de réenchantement démographique qu’il faudra construire. L’image culturelle et médiatique de la maternité et de la paternité doit être revalorisée comme un moment de joie et d’accomplissement personnel, mais aussi comme une modalité réelle de réussite de l’individu, à l’heure où des vies professionnelles hachées et souvent dépourvues de sens réduisent l’homme au simple rang de producteur ou d’exécutant. L’éducation sexuelle doit aussi être renforcée, entre autres pour alerter les jeunes filles sur les risques d’une grossesse tardive et sur la réalité de la ménopause.

    La prise en charge politique réelle du problème démographique ne doit pas se fourvoyer dans un choix binaire : le déploiement d’un discours coercitif, voire patriotique, qui rebute les couples, ou la seule mise en valeur du choix individuel qui est à terme aussi dangereux et profondément impolitique. À cet égard, on ne peut que se lamenter du temps perdu dans de vains débats sur la natalité. La France, par son histoire, a été un pays où la politisation de cette question et le déploiement concomitant de mesures financières ou administratives réelles avaient su concilier une pleine liberté accordée aux couples et un État protecteur de l’enfance.

    Remarquons, au passage, que le tournant néolibéral a contribué à sortir de l’agenda public la question de la procréation, au moment même où les évolutions sociétales et migratoires rendaient ce sujet absolument central.

    L’hiver démographique n’est pas encore une fatalité pour la France ni même pour l’Europe. Si des causes structurelles et collectives concourent à cet esprit nullipare, le citoyen comme les pouvoirs publics doivent se mobiliser face à ce défi et promouvoir des réponses politiques visant à reconstruire un État protecteur des familles et des enfants, gages de notre avenir collectif.

    Ferdinand Sudres (Site de la revue Éléments, 28 février 2024)

     

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • L'hiver démographique européen...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Gérard-François Dumont à l'Observatoire de l'immigration et de la démographie et consacré à l'hiver démographique européen.

    Géographe, économiste et démographe, Gérard-François Dumont est professeur émérite à Sorbonne Université et président de l’association Population & Avenir et de sa revue éponyme. Il a, notamment, publié Démographie politique - Les lois de la géopolitique des populations (Ellipses, 2007) et, avec Pierre Verluise, Géopolitique de l'Europe, de l'Atlantique à l'Oural (PUF, 2015).

     

    Hiver démographique.jpg

     

    Gérard-François Dumont et l’hiver démographique européen

    Observatoire de l’immigration et de la démographie (OID) : Vous avez consacré deux récentes Analyses de Population & Avenir à la démographie européenne. Vous expliquez notamment que l’Union européenne est entrée, durablement, dans un « hiver démographique ». Qu’est-ce que cela signifie ?

    Gérard-François Dumont : Il est malheureusement fréquent de présenter une analyse erronée des évolutions démographiques qui se déroulent après la transition démographique. Vous vous rappelez que cette grande mutation, due à de nombreux progrès dans la médecine, la pharmacie, l’hygiène ou le progrès technique…, consiste dans le passage de taux de moralité et natalité élevés (de l’ordre de 40 naissances et décès pour 1 000 personnes) à des taux de mortalité et de natalité divisés par trois ou quatre, mutation qui en Europe et selon les pays, s’est déroulée grosso modo de la fin du XVIIIe siècle au milieu du XXe siècle.

    Or, dans les figures présentant le principe de cette transition démographique, notamment dans de nombreux livres scolaires, il est affiché des taux de natalité et de mortalité stables au terme de cette transition[1]. Mais il n’en est rien. La stabilité relève du mythe, hier comme aujourd’hui[2].

    En revanche, dans de nombreux pays, après la fin de la transition démographique et le renouveau démographique consécutif à la Seconde Guerre mondiale, il faut constater des niveaux de fécondité durablement inférieurs au seuil de simple remplacement des générations qui est, dans les pays à haut état sanitaire, de 2,1 enfants par femme. Il fallait nommer le concept permettant de recouvrir ce phénomène et j’ai donc proposé comme formulation « l’hiver démographique », par analogie avec le fait qu’à cette saison, dans les régions septentrionales de la planète, les températures sont négatives.

    Toutefois, il importe de préciser que l’intensité de l’hiver démographique peut fortement varier selon les pays et les périodes. Ainsi, au tournant des années 2020[3],, parmi les pays en hiver démographique, la fécondité s’étage entre 0,9 et 1,8 enfant par femme, soit des écarts qui témoignent d’une grande fragmentation et s’expliquent par différents facteurs variés, dont les différences dans les politiques familiales et dans leurs évolutions, ainsi que des aspects culturels.

    OID : Est-ce une singularité européenne ? Qu’en est-il pour les ensembles géopolitiques proches tels que le Maghreb, l’Afrique subsaharienne ou encore la Turquie ?

    Gérard-François Dumont : Même si l’hiver démographique est général en Europe, ce n’est pas une singularité européenne. Il se constate aussi dans d’autres régions du monde, en Asie orientale avec la Corée du Sud ou le Japon, en Océanie avec l’Australie ou la Nouvelle-Zélande, en Transcaucasie avec l’Arménie ou la Géorgie.

    En revanche, les niveaux de fécondité sont plus élevés dans d’autres régions du monde. Par exemple, au Maghreb, l’évolution majeure se résume à des trajectoires différentes de l’avancée dans la transition démographique selon les pays. Il en résulte un contraste entre le Maroc et la Tunisie, qui se trouvent au seuil de remplacement des générations, et l’Algérie, qui a enregistré une remontée de la fécondité dans un contexte d’islamisation du pays signifiant un arrêt, voir une régression, dans la hausse de l’âge au mariage.

    L’Afrique subsaharienne, à l’exception de quelques pays, n’a pas terminé sa transition démographique. Sa fécondité moyenne a effectivement baissé d’environ 7 enfants par femme dans les années 1950 à un chiffre légèrement supérieur à 4 au début des années 2020, chiffre qui doit être relativisé compte tenu d’une mortalité infantile encore très élevée, quinze fois supérieure à celle de l’Europe.

    La Turquie compte une fécondité encore légèrement supérieure au seuil de remplacement, soit 2,3 enfants par femme, mais cette fécondité se traduit par un nombre élevé de naissances et, donc, un solde naturel (naissance moins décès) très élevé dans la mesure où la Turquie hérite de générations nombreuses de femmes en âge de procréer. Le contraste est donc fort entre une Union européenne (à 27 après le Brexit) qui enregistre un déficit des naissances par rapport au décès depuis 2012 et une Turquie dont le solde naturel annuel est aux environs de 700 000.

    FOCUS : rappel des principales définitions
    par Gérard-François Dumont

    Taux de natalité : rapport du nombre de naissances vivantes au cours d’une période (en général l’année) à la population moyenne de la période (considérée comme la population en milieu de période) ; il est généralement exprimé pour mille habitants.

    Taux de mortalité : rapport entre le nombre de décès d’une période (en général l’année) et la population moyenne de la période ; il est généralement exprimé pour mille habitants.

    Taux de mortalité infantile : nombre d’enfants morts pendant une période déterminée, généralement l’année, avant d’atteindre l’âge d’un an rapporté à mille naissances vivantes de la même période.

    Indice de fécondité : somme des taux de fécondité par âge pour une année donnée ; cet indice indique le nombre moyen d’enfants que mettrait au monde au cours de sa vie féconde une génération qui aurait des taux par âge identiques à ceux observés l’année considérée.

    Seuil de simple remplacement des générations : fécondité nécessaire pour que les femmes d’une génération soient remplacées nombre pour nombre à la génération suivante, donc une trentaine d’années plus tard ; en conséquence, un effectif de cent femmes est remplacé par un effectif semblable de cent femmes. Ce seuil est de 2,1 enfants par femme dans les pays à haut niveau sanitaire et hygiénique.

    Dépopulation : situation d’un territoire dont le solde naturel est négatif, c’est-à-dire lorsque le nombre de décès est supérieur à celui des naissances.

    Dépeuplement : situation d’un territoire dont le solde démographique total, qui combine les naissances et les décès ainsi que les immigrations et émigrations, est négatif. Un pays peut donc être caractérisé par une dépopulation sans pour autant être en dépeuplement (dans ce cas, l’excédent migratoire compense le déficit naturel) et un pays en dépeuplement peut ne pas être en dépopulation (dans ce cas, l’excédent naturel reste insuffisant pour compenser le déficit migratoire).

    OID : Vous montrez que les pays européens se comportent différemment les uns des autres et qu’il existe quatre grands types de régimes démographiques, c’est-à-dire quatre grandes combinaisons, en fonction du mouvement naturel (natalité et mortalité) et du mouvement migratoire (émigration et immigration) : accroissement naturel positif et accroissement migratoire positif, accroissement naturel négatif et accroissement migratoire positif, accroissement naturel positif et accroissement migratoire négatif, accroissement naturel négatif et accroissement migratoire négatif. Dans quelle situation se trouve la France ?

    Gérard-François Dumont : Au début des années 2020, la France n’est ni en dépopulation, ni en dépeuplement. D’une part, son hiver démographique entamé au milieu des années 1970 a été moins intense que la moyenne des pays européens, notamment en raison de sa politique familiale et d’une immigration à composition par âge jeune. En conséquence, depuis, les naissances sont restées supérieures aux décès, donc le solde naturel est positif, contrairement à une quinzaine de pays européens en dépopulation. Toutefois, depuis 2015, les rabotages de la politique familiale ont engendré, comme je l’avais annoncé, une baisse de la fécondité qui, complétée par les effets de la pandémie Covid-19, accentue son hiver démographique. Et comme son solde migratoire est également positif, la France n’est pas non plus en dépeuplement contrairement à plusieurs pays européens.

    OID : Les deux « ingrédients », natalité et immigration, ne sont d’ailleurs pas dissociables dans la mesure où, notamment, l’immigration contribue aussi de façon significative aux naissances. Peut-on estimer l’impact de l’immigration sur la natalité en France ? Comment se caractérise la fécondité des femmes immigrées ainsi que celle des femmes d’origine immigrée ? Assiste-t-on à une convergence vers la fécondité « nationale » ?

    Gérard-François Dumont : Effectivement, selon la formule que j’ai proposée, l’immigration ne rend évidemment pas stérile. Les immigrés, c’est-à-dire, selon une définition propre à la France, les personnes résidant en France et nées à l’étranger de nationalité étrangère, peuvent donc avoir une fécondité différente des personnes nées sur le territoire national. Certains ont des fécondités plus faibles que la moyenne, lorsqu’il s’agit d’immigrés originaires de pays européens ; d’autres ont des fécondités supérieures à la moyenne, notamment lorsqu’il s’agit de personnes originaires de pays du Sud. J’explique souvent que, pour comprendre ce phénomène, la France compte deux territoires « témoins », Mayotte et la Guyane. Ces deux départements français d’outre-mer ont des fécondités avoisinant respectivement 5 et 4 enfants par femme, essentiellement en raison de la fécondité fort élevée des immigrées comoriennes pour Mayotte et des immigrées surinamiennes pour la Guyane. Il en résulte que, dans ces deux départements, le nombre d’étrangers est supérieur à celui des immigrés. En France métropolitaine, le département à la fécondité la plus élevée est la Seine-Saint-Denis, ce qui est évidemment lié à son accueil d’immigrées originaires de pays du Sud.

    L’impact de l’immigration sur la natalité en France n’est pas contestable, mais il serait trompeur de penser que ce phénomène n’est pas semblable dans d’autres pays européens dont la fécondité est plus faible que la France, comme l’Allemagne ou l’Autriche, avec de nombreux immigrés originaires de la Turquie. Il est vrai que, dans le passé, des convergences ont pu se constater, par exemple chez les immigrés italiens. De même, les harkis, dont la fécondité était, à leur arrivée en France en 1962, d’environ sept enfants par femme, ont vu les générations suivantes abaisser leur fécondité. Mais il faut raisonner en flux migratoires et non en nombre d’immigrés constaté à une date donnée. Les descendants de générations arrivées du Sud depuis longtemps ont abaissé en moyenne leur fécondité, mais, comme le montrent Mayotte, la Guyane ou la Seine-Saint-Denis, de nouvelles arrivées s’effectuent avec un comportement de fécondité plus proche des pays d’origine, dans un contexte où les nouveau-nés sont aussi une quasi-garantie de non-expulsion si les personnes sont en situation irrégulière.

    OID : Vous évoquez l’Italie dont le solde naturel (naissances « moins » décès) est négatif depuis 1995. Chaque année, l’Italie compte 250 000 décès de plus que de naissances. Si elle est pour l’instant épargnée, à quel moment la France connaîtra-t-elle une situation semblable ?

    Gérard-François Dumont : La dépopulation en Italie s’explique notamment par deux causes qui ne se sont pas exercées en France. D’une part, une quasi-absence de politique familiale. D’autre part, une société qui a longtemps continué de considérer que l’enfant devait naître dans le mariage, puisque les naissances hors mariage n’étaient socialement pas très acceptées ; cette attitude a été abandonnée en France depuis les années 1990, expliquant que plus de la moitié des naissances surviennent hors mariage. Sauf retour à un printemps démographique ou immigration massive de populations plus fécondes, la France est inévitablement appelée à connaître à terme une dépopulation d’autant que, logiquement, le taux de moralité augmente avec le vieillissement de la population (et la pandémie). Si l’État ne revient pas sur les rabotages de la politique familiale, un scénario possible est que ce phénomène apparaisse au cours des années 2020.

    OID : Vous employez une image forte en disant que se dessine actuellement, « avec les dynamiques engagées, une image très nette, celle d’une Europe qui a déjà d’abord plus besoin de cercueils que de berceaux ». Les décideurs publics, en Europe et en particulier en France, ont-ils conscience de la problématique ?

    Gérard-François Dumont : Les décideurs publics, ce sont les responsables politiques et leurs administrations. Les premiers demeurent logiquement soucieux de leur prochaine échéance électorale, ce qui ne les conduit guère à prendre en compte les processus démographiques qui ont des logiques de longue durée. En outre, en France notamment, des prismes idéologiques nuisent à une compréhension des réalités. Ainsi la France avait incontestablement une politique familiale qui, en dépit de certaines insuffisances, était satisfaisante et d’ailleurs vue comme un modèle dans de nombreux pays étrangers. Les mises en cause de cette politique, dans les programmes de la droite et de la gauche, puis sa mise en œuvre par le gouvernement Jospin arrivé au pouvoir dans la seconde moitié des années 1990, avaient fini par être remisées, notamment grâce aux pressions du parti communiste, alors membre du gouvernement de gauche plurielle. Pourtant, Un quart de siècle plus tard, on a assisté à un processus de démantèlement de tous ses aspects depuis 2015.

    En Europe, des pays ont partiellement conscience de la problématique et des initiatives pour limiter l’intensité de l’hiver démographique ont été prises en Russie, en Allemagne, en Hongrie, en Pologne, ou encore en Italie en avril 2021. Des résultats ont été obtenus. Mais toutes les initiatives ne relèvent pas des choix les plus pertinents. Et, au sein de l’Union européenne, le raisonnement dominant, précisé dans nombre de communications de la Commission, demeure le même et peut être résumé ainsi : qu’importe la natalité, l’Europe trouvera toujours des immigrés pour compenser son insuffisance de natalité et, donc, de population active.

    Autre exemple, la Commission européenne a publié un « Livre Vert » sur le vieillissement de la population[4]. Ce Livre Vert suggère des mesures qui favoriseraient un meilleur vieillissement actif, un meilleur emploi des personnes âgées et des systèmes de retraite mieux adaptés. Il s’intéresse donc essentiellement à la gérontocroissance, c’est-à-dire à l’augmentation du nombre de personnes âgées, donc au « vieillissement par le haut ». Mais, en dépit de son titre et de son sous-titre qui donne l’impression d’embrasser tous les âges en recourant aux mots « vieillissement » et « générations », il ne traite nullement de l’autre aspect du vieillissement, celui « par le bas », lié à la fécondité et à la natalité fortement abaissée en Europe. Dans ce contexte, il est heureux que l’Assemblée nationale ait organisé en mars 2021 une table ronde sur cette question.

    OID : Pour conclure, quel regard portez-vous sur la création de l’OID, dont l’objectif principal est de permettre l’émergence d’un débat dépassionné, factuel et construit sur l’immigration et la démographie ?

    Gérard-François Dumont : La statistique démographique devrait livrer, dans des délais raisonnables, des résultats incontestables soumis à la réflexion des citoyens. Mais la France connaît trois difficultés pour qu’il en soit ainsi. D’abord, notre système statistique pèche par absence de registres municipaux de population ou par des délais élevés d’obtention des résultats. En deuxième lieu, il s’est détérioré et la fiabilité des données ne s’est pas améliorée[5]. En outre, il faut bien constater l’existence de certains « experts » qui livrent aux médias d’apparentes certitudes qui ne sont que le résultat de leur prisme idéologique. Fidèlement à l’enseignement de mon maître Alfred Sauvy[6], il convient de s’en tenir, sans a priori, aux faits.

    Gérard-François Dumont (Observatoire de l'immigration et de la démographie, 10 mai 2021)

     

    Notes

    1. Rappelons que la première formulation de cette mutation a été formulée par Adolphe Landry dans son livre intitulé La révolution démographique (1934). Cet auteur ne voyait pas de retour à l'équilibre à l'issue de la transition, sauf mise en place par les pouvoirs publics d'une politique favorable à la natalité. Puis, en 1945, c’est la formulation d’un américain, Frank Notestein qui a prévalu : Notestein, Frank W., « Population. The Long View », in : Schultz, Theodore W., Food for the World, University of Chicago Press, 1945, pp. 36-57.
    2. Cf. par exemple : Sardon, Jean-Paul, Calot, Gérard, « Les incroyables variations historiques de la fécondité dans les pays européens. Des leçons essentielles pour la prospective », Les analyses de Population & Avenir, n° 4, décembre 2018. DOI : https://doi.org/10.3917/lap.004.0001
    3. Sardon, Jean-Paul, « La population des continents et des pays : données et analyse », Population & Avenir, n° 750, novembre-décembre 2020.
    4. Sous-titré « Promouvoir la solidarité et la responsabilité entre générations », 27 janvier 2021.
    5. Le Penven, Éric, « Les enfants disparus du recensement français. Combien, où et pourquoi ? », Les analyses de Population & Avenir, n° 20, janvier 2020. https://www.cairn.info/revue-analyses-de-population-et-avenir-2020-2-page-1.htm Dumont, Gérard-François, « Une exception française : son recensement de la population. Quelle méthode ? Quelles insuffisances ? Comment l’améliorer ? », Les analyses de Population & Avenir, n° 3, décembre 2018. https://www.cairn.info/revue-analyses-de-population-et-avenir-2018-13-page-1.htm
    6. Dumont, Gérard-François, « Qu’est-ce qu’une méthode scientifique ? L’exemple d’Alfred Sauvy », Les analyses de Population & Avenir, n° 23, avril 2020. https://www.cairn.info/revue-analyses-de-population-et-avenir-2020-3-page-1.htm
    Lien permanent Catégories : Entretiens, Points de vue 0 commentaire Pin it!