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  • Vivons-nous en dictature ?...

    Nous reproduisons ci-dessous la deuxième partie d'un entretien donné par Eric Werner au site de la revue Éléments à l'occasion de la parution de son essai intitulé  Prendre le maquis avec Ernst Jünger - La liberté à l’ère de l’État total (La Nouvelle Librairie, 2023).

    Philosophe politique suisse, alliant clarté et rigueur, Eric Werner est l'auteur de plusieurs essais essentiels comme L'avant-guerre civile (L'Age d'Homme, 1998 puis Xénia, 2015) De l'extermination (Thaël, 1993 puis Xénia, 2013) ou dernièrement Légitimité de l'autodéfense (Xénia, 2019). Contributeur régulier d'Antipresse, il publie également de courtes chroniques sur l'Avant-blog.

     

    Première partie de l'entretien : L'Etat est-il notre ami ou notre ennemi ?

     

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    Prendre le maquis avec Éric Werner (2/4) – Vivons-nous en dictature ?

    ÉLÉMENTS : Qu’est-ce qui vous fait dire que nous vivons en après-démocratie, titre de l’un de vos livres ?

    ÉRIC WERNER. Je regarde la date de parution de L’après-démocratie : août 2001, juste un mois avant les attentats du 11 septembre ! Le livre n’en parle donc pas, pas plus, bien sûr, qu’il ne parle des lois qui ont été promulguées en réponse aux attentats en question : lois instaurant un régime de suspicion généralisée, sous couvert de lutte contre le terrorisme. L’État en a également profité pour renforcer considérablement son emprise sur la société. L’après-démocratie vient juste avant. Le livre reflète en revanche l’évolution antérieure, celle prenant place entre la chute du mur de Berlin en 1989 et le 11 septembre. La chute du mur de Berlin n’a pas seulement en effet été une date importante en politique extérieure, mais également intérieure. Comme le relevait à l’époque Alexandre Zinoviev, c’est le moment où les dirigeants occidentaux ont commencé à s’affranchir d’un certain nombre de contraintes qu’ils s’imposaient à eux-mêmes par souci d’image. Le miroir étant cassé, elles avaient perdu toute importance. Une évolution s’est ainsi amorcée, évolution qu’on peut, effectivement, décrire comme nous faisant passer de la démocratie à l’après-démocratie. L’expression est à mettre en parallèle avec celle d’avant-guerre civile : titre d’un autre de mes livres, paru deux ans plus tôt, en 1999. Dans L’après-démocratie, on parle de quelque chose qui vient après, dans L’avant-guerre civile de quelque chose qui vient avant. Mais dans un cas comme dans l’autre, on est dans un entre-deux : un interrègne, si l’on veut. Sauf que ce n’est pas un état de choses stable, mais évolutif : un processus, donc. On se dirige d’un point à un autre. Les années 90 du siècle dernier ont été pour le régime occidental une décennie de transition, au sens où l’écart entre son étiquetage officiel, la démocratie, et la réalité n’a cessé tout au long de cette période de croître et de se creuser. Aujourd’hui il est abyssal, et tout le monde sait que nous ne sommes plus en démocratie : nous avons basculé dans autre chose. Pas seulement, me semble-t-il, dans l’après-démocratie, mais dans l’après-après démocratie. On n’en était pas encore exactement là l’époque.

    ÉLÉMENTS : Vous dites que nous sommes face à une « nouvelle espèce de totalitarisme ». Quelle est sa nature ? Et sa nouveauté ? Peut-on parler comme Mathieu Bock-Côté d’un « totalitarisme sans le Goulag » ? Comment se manifeste-t-il ?

    ÉRIC WERNER. Du régime actuel on peut effectivement dire que c’est un totalitarisme sans Goulag. Sauf que si, pour l’instant encore, il n’y a pas de Goulag, rien ne nous dit qu’il n’y en aura pas un demain (ou après-demain). Il y a quelques mois, le président tchèque, un ancien cadre militaire de l’OTAN, a dit que la police devrait accroître ses contrôles sur les citoyens russes vivant en Europe. Il a également établi un parallèle avec les citoyens japonais vivant aux États-Unis pendant la Deuxième Guerre mondiale. On n’a pas assez prêté attention à cette déclaration. Rappellera-t-on qu’en 1941, après Pearl Harbor, une grande partie des citoyens japonais vivant aux États-Unis ont été déportés dans des camps d’internement. Personne ne sait ce que les services occidentaux ont aujourd’hui dans leurs tiroirs. Mais ils ont l’habitude d’y mettre pas mal de choses, se réservant la possibilité, le cas échéant, de les en faire émerger. Rappellera-t-on le précédent du Patriot Act en 2001. L’expression de « totalitarisme sans Goulag » est donc à prendre avec des pincettes. On ne saurait dire par ailleurs que Guantanamo ou les prisons secrètes de la CIA n’aient rien à voir avec le Goulag : rien à voir, assurément non. Même remarque encore à propos des lois antiterroristes, qui ont pour particularité de faire entrer dans le droit ordinaire certaines caractéristiques de l’état d’exception, comme la répression préventive. Si demain le régime occidental devait ouvrir des camps d’internement, il n’aurait pas besoin de beaucoup légiférer dans ce domaine. Les bases légales existent déjà. Mais j’irais plus loin encore. Cela n’a pas de sens de parler de « totalitarisme sans le Goulag », car en lui-même déjà, le totalitarisme renvoie à l’idée de Goulag. Le Goulag est un totalitarisme en plus petit, tout comme le totalitarisme est un Goulag en plus grand. Qu’est-ce que la société de surveillance, sinon un Panoptikum à plus grande échelle : celle de la société tout entière ? On a de bonnes raisons d’ailleurs de penser que les technologies auxquelles ont aujourd’hui recours les autorités dans ce domaine ont été au préalable testées en milieu carcéral. On relira à ce sujet Technosmose, le roman d’anticipation de Mathieu Terence (Gallimard, 2007). L’auteur y décrit une prison du 3ème type, prison annonçant la société de demain (le demain de l’époque). Elle joue le rôle de laboratoire expérimental. « Imaginer la prison idéale, c’est rêver de la société idéale », dit son concepteur. Inutile de dire qu’on ne s’évade jamais de telles prisons. Il est très difficile également de s’évader de la société de surveillance.

    ÉLÉMENTS : « Lorsqu’on se rend compte qu’on est en train de basculer dans la dictature, en règle générale il est déjà trop tard pour réagir. Le point de non-retour est depuis longtemps dépassé », écrivez-vous. Serait-ce le syndrome de la grenouille appliqué à l’homme ? Plongée dans l’eau chaude, la grenouille s’échappe ; plongée dans une eau fraîche que l’on porte progressivement à ébullition, elle s’engourdit et meurt…

    ÉRIC WERNER. Quand je dis qu’il est trop tard pour réagir, je parle des gens qui croient qu’on est en démocratie. C’est ce que leur racontent les autorités, et ils le croient. Ils subissent donc le sort de la grenouille : ils meurent. Ce n’est bien sûr qu’une image. Cela étant, beaucoup de gens aussi résistent à la propagande, même s’ils ne sont qu’une minorité. Eux, en revanche, ne meurent pas. L’essentiel est donc de résister à la propagande, de ne pas se laisser engourdir par les violons officiels parlant de choses qui n’existent pas : État de droit, indépendance de la justice, grands médias objectifs n’ayant d’autre souci que la recherche de la vérité, etc. C’est très exactement le discours de Pangloss dans le Candide de Voltaire : nous vivons dans le meilleur des mondes possibles. Il n’en est évidemment rien. Au-delà, se pose la question des outils qu’on utilise. Quel sens cela a-t-il d’utiliser les outils de la démocratie quand il n’y a plus de démocratie ? On peut certes continuer à les utiliser. Beaucoup le font. Sauf qu’au minimum, ils se condamnent ainsi à l’impuissance. C’est perdre son temps et son énergie. Il importe donc, si l’on est raisonnable, d’en utiliser d’autres, mieux adaptés à la réalité. Plus fondamentalement encore, l’essentiel est de comprendre qu’on ne peut pas faire n’importe quoi à n’importe quel moment. Il y a des choses qu’on peut faire à certaines époques mais non à d’autres : à d’autres elles n’ont aucun sens, à limite, même, deviennent contre-productives. Il faut donc être attentif aux changements d’époque. Le recours aux forêts intervient dans un contexte de changement d’époque.

    ÉLÉMENTS : Le mot « dictature » n’est-il pas inadéquat ? On s’est souvent moqué de Mai 1968, révolution sans mort. Qu’en est-il d’une dictature sans Goulag (on l’a dit), sans condamnés à mort, sans camps de prisonniers politiques ? Jean-Yves Le Gallou a pu parler de « moulag », un goulag mou. D’autres de post-totalitarisme. D’autres encore de « globalitarisme ». Etc. Tout notre problème ne vient-il pas de notre incapacité à mettre un mot sur ce nouveau régime de surveillance et de répression ?

    ÉRIC WERNER. Toutes ces expressions sont sujettes à caution, celle de « totalitarisme sans goulag » en particulier, mais je viens d’en parler. L’expression de « goulag mou » me semble également inappropriée. Je ne pense pas que le régime actuel soit particulièrement mou : assurément non. Il peut au contraire se révéler d’une extrême férocité. On l’a vu en France lors de la répression du mouvement des Gilets jaunes, mais pas seulement. Il n’y a peut-être pas de « camps de prisonniers politiques » en Occident (pas encore), en revanche on ne peut pas dire que les gens ne sont pas persécutés pour leurs opinions. Ces persécutions sont bien réelles. Il faut être aveugle pour prétendre le contraire. Zinoviev distinguait entre le communisme comme idée et le communisme comme réalité. De même, à mon avis, il faut distinguer entre le régime occidental comme idée et le régime occidental comme réalité. En ce sens, peu importe les mots qu’on utilise. L’important, c’est de bien décrire la réalité, sans se laisser égarer par les fausses apparences, concrètement par la propagande nous disant, par exemple, que nous vivons dans un « État de droit ». Ce n’est en aucune manière le cas. Je ne dirais pas que le droit ne joue aucun rôle dans le régime occidental. Mais le droit est surtout aujourd’hui un instrument de pouvoir, plus exactement encore d’intimidation. Les autorités l’appliquent ou ne l’appliquent pas suivant l’intérêt qu’elles ont ou non à l’appliquer. Elles-mêmes, en tout état de cause, se considèrent comme au-dessus des lois : en témoigne, entre autres, leur recours de plus en plus fréquent aux services spéciaux pour gérer certaines situations (y compris d’ordre privé, comme on l’a vu récemment en Suisse). L’hybris, il est vrai, leur fait parfois perdre le sens des limites, en sorte qu’elles en subissent ensuite les conséquences. Mais on ne dira pas que cela ait un quelconque lien avec l’ État de droit. C’est juste lesdites limites se rappelant à leur bon souvenir. Il en va de même de l’utilisation du droit à des fins de règlements de compte et autres échanges de bons procédés (comme, bien sûr, cela n’arrive jamais). Plus fondamentalement encore, le droit est une épée de Damoclès. Il peut vous tomber dessus à tout moment, pour tout et à peu près n’importe quoi. Mais il ne tombe jamais par hasard. En ce sens, comme je viens de le dire, il a rôle d’intimidation.

    Ce qui précède va à l’encontre d’une thèse à l’heure actuelle très à la mode, celle du gouvernement des juges. Il y aurait ainsi trop de droit en Occident et pas assez de démocratie. Il n’y a en réalité pas plus de droit que de démocratie. Le gouvernement des juges n’a rien à voir avec l’État de droit. C’est un pouvoir comme les autres, à la limite même plus dangereux encore que les autres, car plus hypocrite. Certains me reprocheront peut-être mon manque de nuance. Mais je dis la réalité.

    Revenons-en maintenant à l’étiquetage. Le mot totalitarisme s’impose tout naturellement (« Tout dans l’État, rien en dehors de l’État, rien contre l’État »), mais il faut alors parler d’une nouvelle espèce de totalitarisme : la pierre angulaire en est les services spéciaux articulés aux NTIC, d’une part, au contrôle de l’information de l’autre. On pourrait aussi parler de tyrannie, mais en précisant bien que le tyran est aujourd’hui collectif : c’est la suprasociété (autre nom de la Nouvelle Classe). Dictature, pareil, sauf que la dictature actuelle n’a bien sûr rien à voir avec l’institution du même nom dans l’ancienne Rome. On parle d’autre chose, à certains égards même du contraire, puisque à Rome la dictature était instaurée pour six mois et qu’au bout de ces six mois le dictateur rentrait dans le rang : c’était un régime d’exception. Aujourd’hui, à l’inverse, l’exception est devenue la règle, comme on le voit avec les lois antiterroristes.

    ÉLÉMENTS : Savez-vous que sur la base de certains passages de votre livre, Prendre le maquis avec Ernst Jünger, Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur français, pourrait vous faire arrêter si jamais il vous prenait l’envie de venir en France ? Quand vous écrivez : « Cela va du simple non-consentement silencieux à la guerre de partisans, en passant par la résistance passive, la désobéissance civile, la grève, le sabotage, l’émeute, le refus de payer l’impôt, etc. » Il a fait interdire des réunions et dissoudre des mouvements pour moins que cela… Aujourd’hui il ferait condamner Ernst Jünger, là où Mitterrand rendait hommage à Jünger pour ses cent ans… C’est sûr, les libertés n’ont pas entretemps avancé.

    ÉRIC WERNER. Vous remarquerez qu’à aucun moment, dans mon texte, je ne parle de créer un mouvement : je ne crois pas du tout à ces choses, elles sont d’une autre époque. Pour le reste, si les autorités veulent me compliquer la vie, elles trouveront toujours un prétexte pour le faire : celui-là ou un autre. Dans ce passage, j’explique ce qu’est la résistance, quelles sont concrètement les choses qu’elle inclut en son concept. Je ne dis donc pas ce qu’il faut faire ou ne pas faire, je dis ce qui est. C’est une énumération factuelle. A priori cela n’a rien d’illégal. Mais effectivement les autorités peuvent très bien décréter le contraire. La dictature n’est pas un vain mot. À partir de là, la question de savoir si ce que l’on dit est légal ou illégal n’a plus tellement d’importance. On peut même complètement la laisser de côté. On est très loin également du débat wébérien sur le savant et le politique. Max Weber avait établi une ligne de séparation stricte entre la science et la politique : c’était la neutralité axiologique. En elle-même elle est très discutable. Il n’est pas aussi facile que ne le dit Weber de séparer jugements de fait et jugements de valeur. Mais elle a un rôle protecteur. Avait. Aujourd’hui elle ne nous protège plus de rien. Ce ne sont plus aujourd’hui seulement certains jugements de valeur qui sont criminalisés mais certains jugements de fait. Littéralement, il n’y a plus aucune limite.

    ÉLÉMENTS : Y a-t-il un pilote dans l’avion ? Autrement dit : peut-on envisager une dictature sans dictateur, pilotée par ce que Marx appelait dans un autre registre un « sujet automate » ? Ne consacrez-vous pas votre premier chapitre à « l’automatisme ». Qu’est-ce qu’il faut entendre par ce terme ? L’asservissement de l’homme par la technique qui nous « encerclerait » ? Automatisation, atomisation, anomie ?

    ÉRIC WERNER. Les trois mots sont importants. Commençons par le premier. L’automatisation est aujourd’hui associée aux NTIC, en lesquelles on peut raisonnablement voir le point d’aboutissement de la civilisation technique. Tout, ou à peu près tout, fonctionne aujourd’hui automatiquement, y compris, au moins en apparence, l’homme lui-même. Ce n’est pas exactement nouveau comme tendance. La division industrielle du travail, théorisée au début du XXe siècle aux États-Unis, relevait déjà de la robotisation. Elle s’était heurtée à l’époque à une forte opposition ouvrière. Christopher Lasch en parle dans son livre, Le seul et vrai paradis. Mais elle a fini par triompher. Les syndicats eux-mêmes ont fini par s’y rallier. Comme le montre Christopher Lasch, ils ont préféré se battre sur les salaires et le niveau de vie plutôt que sur les conditions de travail. À tort, d’après lui. Aujourd’hui, les mêmes problèmes réapparaissent, mais en pire. D’où les burn-outs et autres symptômes d’épuisement au travail. C’est très bien étudié par les psychiatres et les spécialistes de la médecine du travail. Plus les cancers en constante augmentation, en particulier chez les moins de cinquante ans (+ 80 % en trente ans). C’est en fait une vie d’esclave, mais sans le nom. Certains font de la résistance passive, comme le héros de la nouvelle de Melville, Bartleby. Mais ils ne sont pas la majorité. La plupart s’essoufflent à suivre. Maintenant, y a-t-il un pilote dans l’avion ? Bien sûr qu’il y en a un. Il y en a toujours un. Il n’y a rien non plus de mystérieux dans ses motivations : c’est la recherche du profit, et pour cela des gains de productivité. La volonté d’asservissement est elle aussi une motivation. On voudrait faire croire que les robots ont pris le pouvoir ou s’apprêteraient à le prendre : il n’en est évidemment rien. Les robots font ce qu’on leur dit de faire, c’est tout. Il en va de même des humains utilisateurs. Sauf que les humains ont la possibilité de se révolter, possibilité que n’ont pas les robots. Mais c’est bien la seule différence. Autrement ils ressemblent beaucoup aux robots. C’est pourquoi, justement, on parle de robotisation. La robotisation, comme métaphore de l’asservissement.

    ÉLÉMENTS : Et l’atomisation ?

    ÉRIC WERNER. Aristote explique dans la Politique que le propre d’un régime tyrannique est d’« employer tous les moyens pour empêcher le plus possible tous les citoyens de se connaître les uns les autres » (1313 b 4-5). Ne se connaissant plus les uns les autres, il leur est dès lors difficile de se révolter. C’est en soi déjà une forme d’atomisation. L’atomisation est aussi un produit de la civilisation technique. C’est très bien décrit par Hannah Arendt dans Les Origines du totalitarisme. L’atomisation est le terreau même du totalitarisme. Mais ce que dit aussi Arendt, c’est que le totalitarisme fait aller l’atomisation jusqu’au bout d’elle-même. Beaucoup de traits du régime actuel se laissent interpréter sous cet angle. On l’a vu par exemple avec les mesures de confinement liées au Covid-19. Sous couvert de lutte contre la pandémie, le régime a testé son aptitude à contrôler les allées et venues des citoyens et surtout à les isoler les uns des autres. Ce n’est pas en vain, par ailleurs, que les dirigeants se sont fixé pour objectif la déconstruction de la famille traditionnelle, en fait de la famille tout court : le but étant que rien ne fasse plus écran entre la multitude des individus et l’État. La cancel culture et la destruction de l’école traditionnelle pourraient aussi s’interpréter sous cet angle. En règle générale, le lien social passe par le partage d’une culture commune. Si le but est d’« employer tous les moyens pour empêcher le plus possible tous les citoyens de se connaître les uns les autres », la liquidation de la culture ne peut pas ne pas apparaître comme un objectif souhaitable. L’asservissement passe ici par l’analphabétisme de masse.

    ÉLÉMENTS : Reste l’anomie…

    ÉRIC WERNER. L’anomie est l’absence de loi. Par absence de loi, il ne faut pas entendre la tendance à s’affranchir des lois existantes (il y a un lien avec l’anomie, mais le problème ici qui se pose est surtout celui de la dualité du juste et du légal), mais bien la remise en cause d’un certain nombre de barrières de séparation, celles, en particulier, rendant possible la construction de soi au cours des premiers âges de la vie : comme la distinction du vrai et du faux, du bien et du mal, la différence des générations, des sexes, etc. On ne dira pas, là encore, que les pouvoirs en place ne sont pour rien dans cette évolution. « Avec le totalitarisme, observe Ariane Bilheran (Psychologie du totalitarisme, Guy Trédaniel, 2023, p. 177), ce sont ces garde-fous qui sautent et nous font régresser dans la vie psychique la plus archaïque, marquée par le primat d’un état pulsionnel. » Les autorités voient tout cela plutôt d’un bon œil, car avec la construction de soi c’est la capacité même de résistance de l’individu qui disparaît. L’individu n’existe pour ainsi dire plus, il s’est transformé en molécule docile et malléable, le cas échéant robotisée. Autant dire que les autorités ont désormais le champ libre, rien ne s’oppose plus à leurs entreprises. L’état pulsionnel réserve, il est vrai, parfois certaines surprises. Mais il y a la police. L’anomie d’un côté, la police de l’autre. Ce sont les deux faces d’une même réalité : le totalitarisme. La police ne remplace évidemment pas la construction de soi. Elle est juste là pour veiller à ce que les effets liés à la non-construction de soi restent sous contrôle. C’est l’équivalent en politique de la gestion des flux tendus en économie. On pousse le système à ses extrêmes limites en intervenant le cas échéant pour empêcher qu’il ne tombe en panne.

    ÉLÉMENTS : Comment résister à l’automatisme ? Par la culture, dites-vous. La résistance par le livre. Quelle est la fonction des grands textes, littéraires ou philosophiques ?

    ÉRIC WERNER. Les grands textes sont le complément intellectuel du recours aux forêts. S’en nourrir est une manière aussi de se ré-enraciner. Cela étant, il ne faut pas les fétichiser. Ils ne prennent sens qu’au travers d’un travail d’appropriation personnelle ne s’arrêtant jamais vraiment. L’effort visant à en tirer la « substantifique moelle » doit en permanence être recommencé, approfondi. Dire aussi que les grands textes offrent une alternative à la propagande officielle, celle déversée 24 heures sur 24 dans l’espace public, et qu’à ce titre ils ouvrent un espace de liberté. Ils montrent qu’il y a une autre manière de poser les problèmes que la manière officielle. En soi déjà c’est très subversif. Rien d’étonnant dès lors à ce que les autorités les tiennent en suspicion. De fait, ils sont de moins en moins enseignés dans les établissements d’enseignement public, écoles et universités. En beaucoup d’universités américaines, ils ont même tout simplement été écartés du plan d’études. Un universitaire américain le déplore en ces termes : « D’ici à quelques années, il n’y aura plus personne pour transmettre l’héritage intellectuel classique » (Le Figaro, 9-10 décembre 2023). La censure littéraire est également un problème. Au cours de l’année universitaire 2022-2023, 3 362 références de livres ont été interdites et retirées des établissements publics aux États-Unis, parmi lesquelles le roman de George Orwell, 1984. Dans certains Etats, les bibliothécaires qui ignorent ces interdits s’exposent à des peines d’amendes et de prison (Le Figaro, 21 décembre 2023). Censurer George Orwell, d’un point de vue totalitaire, cela me paraît logique. Personnellement je pense que cette tendance n’en est encore qu’à ses débuts. On est habitué depuis toujours à avoir un accès facile aux classiques et à la culture. C’est encore dans une certaine mesure le cas. Mais moins aujourd’hui déjà qu’hier. Cela le sera probablement moins encore demain. C’est le pendant laïc de la sécularisation. Après la sortie de la religion, la sortie de la culture. Tant la culture que la religion font obstacle à l’automatisme, partant aussi à la domination totale. Il est donc normal que l’État total cherche à les supprimer. Il ne sera vraiment tranquille que quand toute trace en aura été effacée. À partir de là, on voit bien qu’on ne peut pas se contenter de dire que le livre nous aide à résister. Il nous aide, certes, à résister, c’est un adjuvant aux forces morales, mais lui-même est aujourd’hui très exposé. C’est l’autre aspect de la question. Les grands textes nous fortifient moralement, mais nous-mêmes, en sens inverse, avons à prendre leur défense, car l’époque ne leur est guère favorable. On pense en particulier aux mesures de protection qu’il conviendrait de mettre en œuvre pour les soustraire à la censure, et à terme aux autodafés appelés très probablement à se multiplier ces prochaines années. Elles aussi, ces mesures de protection, relèvent du recours aux forêts.

    Ajouterais-je que, pour utiles et importants qu’ils soient, les grands textes ne permettent pas à eux seuls de répondre à toutes les questions que nous nous posons sur nous-mêmes et sur la conduite à tenir en l’époque troublée qui est la nôtre. Il en faudrait d’autres reprenant certes les textes en question mais les complétant en même temps, un peu comme ont su si bien le faire les humanistes à l’époque de la Renaissance lorsque, s’inspirant de la sagesse antique et s’appropriant les préceptes des moralistes stoïciens et épicuriens, ils ont écrit leurs propres ouvrages pour répondre aux questionnements spécifiques de leur temps. Car ce n’étaient pas ceux de l’Antiquité ! De même, « faire bien l’homme », comme on le disait au XVIe siècle, ne se décline assurément plus aujourd’hui dans les mêmes termes qu’au XVIe siècle. Entre-temps, beaucoup de choses ont changé : non pas peut-être l’homme lui-même, mais à coup sûr la société, et par voie de conséquence aussi la politique. Le livre de Jünger nous montre à cet égard la voie à suivre. Il dessine les contours d’une sagesse adaptée à notre temps. Mais lui-même, ce livre, date déjà de plus d’un demi-siècle ! Qu’est-ce que « faire bien l’homme » en 2023 ? Concrètement ? Même si le Traité du rebelle laisse entrevoir certaines réponses, il ne peut pas répondre complètement à notre place. Nous seuls, sur la base de notre propre expérience personnelle, en même temps que des expériences vécues avec d’autres, pouvons apporter une réponse sinon complète, du moins relativement appropriée.

    Eric Werner, propos recueillis par François Bousquet (Site de la revue Éléments, 16 janvier 2024)

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  • Le fétiche et la marchandise...

    Les éditions Bouquins viennent de publier un essai de Michel Onfray intitulé Le fétiche et la marchandise.

    Philosophe populaire, polémiste, tenant d'un socialisme libertaire, Michel Onfray a publié de nombreux ouvrages, dont dernièrement sa trilogie  Cosmos (Flammarion, 2015), Décadence (Flammarion, 2017) et Sagesse (Flammarion, 2019), Théorie de la dictature (Robert Laffont, 2019), La nef des fous - Des nouvelles du Bas-Empire (Bouquins, 2020), Anima (Albin Michel, 2023) ou, dernièrement, Autodafés - L'art de détruire les livres (J'ai lu, 2023).

     

    Onfray_Le fétiche et la marchandise.jpg

    " Dans son nouveau livre, Michel Onfray dénonce la marchandisation des corps et des esprits comme une nouvelle forme de totalitarisme.

    L'auteur se fonde sur les prédictions de George Orwell et d'Aldous Huxley dans leurs deux livres les plus célèbres, 1984 et Le Meilleur des mondes, deux romans d'anticipation dont il démontre toute l'actualité à la lumière des dérives de nos sociétés contemporaines. À la multiplicité des anciennes civilisations qui ont jalonné l'histoire de l'humanité s'est substituée la volonté d'instaurer un modèle unique, monolithique : " Ce qui se prépare, écrit-il, n'est pas la bigarrure de civilisations chatoyantes, mais le bloc gris d'un monde totalisant donc totalitaire. L'horizon indépassable se trouve être désormais l'État total, le gouvernement planétaire, l'Empire universel. " Un monde dans lequel, ajoute l'auteur, " tout s'avérera marchandise, où tout se louera, se vendra, s'achètera, se jettera, les corps, les cœurs, les âmes, les chairs, les comportements, les désirs, les plaisirs, les addictions, les volontés. Le transhumanisme travaille à ce projet sur la côte ouest des États-Unis, et c'est dans ce lieu du monde que le monde deviendra un. Huxley et Orwell semblent en avoir donné la feuille de route ".

    Michel Onfray dépasse la seule vision théorique de la nouvelle barbarie qui s'annonce en s'appuyant sur des exemples concrets et d'autant plus saisissants qu'ils sont délibérément ignorés par les médias comme un sujet tabou. Pour lui, " cet inhumanisme vétérinaire promu par le capitalisme ", notamment en matière d'eugénisme, est déjà à l'œuvre. Le déroulé de cet ouvrage, dont le plan est ci-joint, est suffisamment détaillé pour illustrer ce que le philosophe présente comme les étapes différentes et simultanées de la fin de l'humanisme au profit d'une déconstruction de l'homme délibérée. "

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  • Déconstruction ?...

    Le numéro 55 de la revue Krisis, dirigée par Alain de Benoist, avec pour rédacteur en chef David L'Epée, vient de paraître. Cette nouvelle livraison est consacrée à la déconstruction...

    Vous pouvez commander ce nouveau numéro sur le site de la revue Éléments.

    Bonne lecture !

     

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    Au sommaire :

    Yannick Jaffré / Misère de la déconstruction. Deleuze, Foucault, Derrida : valets gauchistes du capital

    Francis Venciton / Vivre avec un humanisme déconstruit

    Pierre Le Vigan / Derrida, Lévinas, Sartre : trois figures de la déconstruction

    David L’Épée / Résister au wokisme

    Pierre-André Taguieff / Le déconstructionnisme : une illusion politico-philosophique inébranlable et ses avatars

    Baptiste Rappin / Société industrielle, management et déconstruction

    Entretien avec Lucien Cerise / « Tout le monde fait de l’ingénierie sociale sans le savoir, comme M. Jourdain avec sa prose »

    Le document : Jean-François Mattéi / Déconstruction et dévastation

    Michel Lhomme / Des précieux à visage radical à la nouvelle religion industrielle des voleurs d’étoiles

    David L’Épée / À la recherche de l’homme déconstruit

    Entretien avec Renaud Camus / « Il ne s’agit plus tant de déconstruction que de fonte, de fusion, de broyage universel »

    Entretien avec Jean-Paul Brighelli / « Le constructionnisme est l’addition létale de bonnes intentions et d’utopie généralisée »

    Juan Asensio / « La Route » de Cormac McCarthy contre la déconstruction

    Le texte : George Orwell / La déconstruction du langage

    Les auteurs du numéro

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  • Disparition de François-Bernard Huyghe, un phare en pleine tempête...

    Nous reproduisons ci-dessous un hommage rendu par Goulven Laënnec à  François-Bernard Huyghe, décédé le 1er septembre dernier. Goulven Laënnec est professeur de philosophie et étudie en particulier la post-modernité et les transmutations qu’elle produit dans la pensée, l’art et les idéologies.

     

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    Disparition de François-Bernard Huyghe, un phare en pleine tempête

    Un brillant analyste

    François-Bernard Huyghe qui vient de disparaître nous laisse une œuvre considérable, faite de livres, de conférences, d’articles dans des revues et magazines, de posts sur son blog, d’interviews réalisées à la télévision ou dans des publications. A l’instar de son père René Huyghe, dont l’œuvre de « Psychologie de l’Art » (titre de sa chaire au Collège de France) constitue à côté de celle de Malraux une somme exceptionnelle pour l’interprétation et la compréhension, esthétiques mais aussi philosophiques, de ce qui a été l’Art qu’on appelle de façon restrictive occidental, celle de François-Bernard Huyghe forme un corpus cohérent de connaissance de ce qu’on pourrait appeler l’idéologie du leurre, arme essentielle de l’hégémonie sur le monde.

    François-Bernard semble avoir eu un parcours atypique dès sa jeunesse : brillant comme il l’était, il n’a pas préparé de concours d’entrée à de grandes écoles, mais fait des études de droit et de politologie. Sceptique sur les utopies ou les contre-utopies comme il l’a montré, on dit qu’il a participé à des actions de barrage aux milices « révolutionnaires » de l’époque à l’université sans pour autant avoir paru adhérer à un mouvement, notamment sur le plan intellectuel.

    Comme un ethnologue étudie les cultures des civilisations, comme un historien de l’Art étudie les créations des artistes, François-Bernard avait entrepris d’étudier les discours du faire croire de ceux qui exercent le leadership.

    La Soft-idéologie, le premier d’entre eux était dès 1987 l’un des rares livres qui prévoit de façon impressionnante – avant la chute de l’URSS et la métamorphose du « monde libre » en planète – la conjonction des trois victoires irrésistibles qui ont forgée dans la décennie 90 la doctrine de l’upperclass peu à peu dirigeante : victoire idéologique et culturelle de l’extrême-gauche sur les idées conservatrices, nationales ou sur la nouvelle droite ; victoire économique de l’extrême libéralisme financier mondialiste sur les socialismes ; victoire politique de la position centriste, devenant l’extrême-centre, sur les positionnements partisans à gauche ou à droite. Tout cela accompagné par la lutte des classes, qui renverse (sans révolution violente apparente) la classe dirigeante, la bourgeoisie industrielle, et la remplace désormais par la caste issue de la fusion entre banquiers, directeurs de fonds et de grandes entreprises, et hauts-fonctionnaires.

    C’est de l’amalgame improbable et surprenant de cette triple victoire qu’est née un monstre ou une chimère, l’idéologie mère du « neo-cons », c’est-à- dire du néo-conservatisme américaine (qui n’a rien à voir avec la Konservative Revolution). Elle inspire la politique d’hégémonie exclusiviste des États-Unis d’Amérique sur le monde, et en premier lieu sur le dominion confus qu’est l’Europe, conquise dès l’opération Overlord, mais également sur le Moyen-Orient, l’Asie du Sud Est, le Japon etc.

    La soft-idéologie, qui « mêle gestion conservatrice et rêves soixante-huitards » est l’expression d’un désarmement intellectuel et moral subliminal obtenu par l’utilisation du soft-power que donne d’une part l’american way of life avec Holywood, Coca-Cola, Boeing, Disney, IBM, Mac Donald, Levi’s, etc. d’autre part l’influence symbolique (les MBA à Harvard, Stanford, Berkeley, et leurs alumni, etc).
    Elle légitime tout ce que peut annoncer la « pensée unique » qui déjà exclut subrepticement toute possibilité d’objection, a fortiori d’opposition, rejetées comme forces de désordre voire de violence. C’est la continuation du « terrorisme intellectuel » pratiqué durant la IVème République, mais en beaucoup plus malin. Il s’agit d’intensifier la pratique de la censure et l’exclusion, mais sans interdit visible, imposé par la coercition, par un discours soft consensuel, résigné et hédoniste. François-Bernard Huyghe en renvoyant au monde cette image stupéfie tous les « leaders d’opinion », qui lui emboite le pas pour les plus intelligents, ou grimacent pour les autres, scandalisés par cette irrévérence qui congédie leurs répétitions à satiété des dogmes sur lesquels était assise leur autorité.

    Un travail essentiel

    La Langue de coton qui suivra décrit très concrètement les techniques et les méthodes oratoires et rédactionnelles qu’emploie les dominants pour asseoir leur pouvoir. « La langue de coton a le mérite de penser pour vous, de paralyser toute contradiction, et de garantir un pouvoir insoupçonné sur le lecteur ou l’auditeur. » Elle confère donc l’autorité, qui donne le plein pouvoir.

    Par la suite, lorsque la soft-idéologie et sa langue de coton sont captés par les nouveaux maîtres de l’univers néo-libéraux (qui n’ont rien de libéraux) après le crash du monde socialiste, François-Bernard Huyghe oriente sa pensée dans trois directions : l’histoire des mythes eurasiens, constitués par le mixte des informations et désinformations qui circulent le long des routes de la soie ou des épices ; la médiologie, fondée par Régis Debray, qui étudie comment les idées sont formatées par leur véhicule de transmission ; l’analyse en live des phénomènes d’intoxication qui apparaissent avec la révolution numérique et la vogue des réseaux sociaux, ou se transforment avec elle : cyber, terrorismes, influences géopolitiques, à laquelle il se livrera avec l’IRIS, think-tank dédié à l’étude des stratégies internationales.

    Les ouvrages incontournables qu’il publie selon ces trois perspectives sont donc notamment La route de la soie ou les empires du mirage, Les Coureurs d’épice, d’une part. Maîtres du faire croire, de la propagande à l’influence, L’ennemi à l’ère numérique, La Désinformation, L’Art de la guerre idéologique, et son dernier livre, La Bataille des mots ; La Quatrième guerre mondiale, Le terrorisme, violence et propagande, Réflexions sur le Cyber, Fake-News, etc.

    Cette œuvre apparait très cohérente de bout en bout : elle éclaire pour les dénoncer les nouveaux pouvoirs qui utilisent les techniques de la persuasion et de la subjugation pour s’imposer sans avoir à user de la coercition, coercition qu’ils savent pourtant utiliser contre les soulèvements, comme on a pu le voir ces temps derniers.

    En cela, François-Bernard Huyghe, qui a conçu sa propre discipline, est un des grands penseurs de la modernité et de la post-modernité : avec Marshall Mc Luhan, Jean Baudrillard, Régis Debray, Gilles Lipovetski, Raymond Boudon, Michel Maffesoli…

    Il se trouve sur un échiquier de plusieurs thématiques essentielles. Ainsi il fait partie de ceux qui se sont consacrés à l’étude de la production d’une réalité virtuelle destinée à doubler la réalité pour la masquer et rendre dépendants les gens. Ensuite, il prend la suite de tous ceux qui se sont attachés à décrire les mécanismes des propagandes de guerre, et dont il prend la suite, il explique l’évolution et la professionnalisation de ces règles. Enfin il rend compte des modalités d’influence sur les opinions, et même de la façon dont on parvient à prendre le contrôle des consciences des individus et des foules, par des processus qui ressemblent aux phénomènes de contagion et d’imprégnations (impreatment) dans la biologie.

    Et il étudie de façon clinique en renversant les perspectives les opérations de terrorisme, de complotisme etc., acceptant de les commenter « à chaud » sur  les chaines télévisées d’information continue par exemple.

    Son but est de dessiller les yeux, pour permettre de voir. Il ne construit pas de doctrine politique ni de philosophie. S’il a une doctrine politique, ce serait probablement celle de George Orwell, qui n’en avait pas hormis celle de refuser la domination de Big Brother. Et s’il a une philosophie, ce serait sans doute celle de Clément Rosset. Ce philosophe essaie de penser le réel sans échappatoire sous forme de monde parallèle : le réel est ce qui est, sans double. Le trompe-l’œil du double exprime le refus du réel ou la volonté de tromper. D’où une conception joyeuse et tragique tout-à-la fois. C’était sans doute celle de François-Bernard Huyghe, dont l’œuvre apparait à la fois objective et dépourvue d’émotivité et en même temps empreinte de gaité, d’ironie et d’humour.

    Tous ceux qui s’opposent à la dénaturation des esprits entreprise pour obtenir une déconstruction chaotique des civilisations suivront encore longtemps les analyses clairvoyantes de François-Bernard Huyghe.
    Il reste un phare puissamment allumé alors que nous naviguons dans la tempête.

    Goulven Laënnec (Polémia, 24 septembre 2022)

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  • George Orwell, un maître de lucidité...

    Les éditions Pardès viennent de publier dans leur collection Qui suis-je ? un George Orwell, signé par Thomas Renaud. Journaliste et critique littéraire, Thomas Renaud, qui collabore à plusieurs de titres de presse, est déjà l'auteur, dans la même collection, d'un Georges Bernanos (Pardès, 2018).

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    " Né le 25 juin 1903 à Motihari (Inde), George Orwell, de son vrai nom Eric Arthur Blair, fut un infatigable militant. Socialiste authentique, il n'hésita pas à rompre avec la gauche officielle de son temps, aveuglée par sa fascination stalinienne. Son souci de la vie digne lui rendait tout aussi suspect un progressisme hors-sol, et il n'hésita pas à se définir lui-même comme un anarchiste tory. Des tranchées de Catalogne jusqu'aux bombardements de la capitale anglaise, il ne renonça jamais à prendre parti dans un monde en décomposition. Orwell fut surtout un contempteur acharné du totalitarisme. Ses deux plus grands succès, 1984 et La Ferme des animaux, sont là pour en témoigner. La tentation totalitaire était la grande question du siècle dernier, mais elle perdure dans le nôtre, considérablement amplifiée par le pouvoir immense qu’offre l'emprise numérique aux mains des tyrans de notre époque. Toutefois, si ces deux romans antitotalitaires méritent, plus que jamais et de toute urgence, d'être relus, ils ne doivent pas occulter la richesse d'une œuvre vaste, d'un journalisme de combat qui ne voulait rester étranger à rien de ce qui menaçait la dignité de l'homme. Ce «Qui suis-je?» George Orwell permet de décou- vrir la vie et l’œuvre d'un infatigable défenseur de ce qu'il nomma la common decency (notre «bon sens») face à la bureaucratie, aux machines, aux puissants. Maître de courage et de lucidité, resté fidèle, toute sa vie, à ce qu'il pensait être la vérité, Orwell meurt prématurément, à Londres, le 21 janvier 1950.« Le totalitarisme a aboli la liberté de pensée jusqu'à un point jamais connu à aucune époque antérieure. [...] L’État totalitaire s'efforce à tout prix de contrôler les pensées et les émotions de ses sujets au moins aussi complètement qu'il contrôle leurs actions. » "

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  • Quand Gabriele Adinolfi se livre à une relecture verticale d'Orwell...

    Les éditions de la Nouvelle Librairie viennent de publier un essai de Gabriele Adinolfi intitulé Mythe ou utopie ? - Une relecture verticale d'Orwell. Essayiste, théoricien et ancien activiste politique italien, Gabriele Adinolfi, qui est l’auteur notamment des Pensées corsaires (Editions du Lore, 2008) et de Années de plomb et semelles de vent (Les Bouquins de Synthèse nationale, 2014), est rédacteur en chef de la revue Polaris et dirige le centre d’études éponyme.

     

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    " La pandémie mondiale et la dictature sanitaire ont donné une nouvelle jeunesse à la fameuse dystopie d’Orwell : Mil neuf cent quatre-vingt quatre. Pour Gabriele Adinolfi, à rebours des interprétations usuelles, le règne du Grand Frère n’est pas une dictature qui menacerait la démocratie, mais l’achèvement de celle-ci, dont la vraie nature ne serait rien moins que tyrannique. Dans cet essai, l’auteur relit les prophéties nées du désenchantement d’un libertaire et les confronte au regard des penseurs de la Tradition. Face aux fantasmes de la « Nouvelle normalité » qui hantent notre psyché et accouchent de monstres dystopiques, contre cette désintégration des consciences, il appelle à faire nôtre l’attitude du squadriste et de l’Anarque, pour retrouver la capacité de s’opposer en bloc aux mensonges du Léviathan contemporain. Une lecture plus que nécessaire pour dépasser les discours superficiels sur les secousses de notre époque. "

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