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frédéric dufoing

  • Les huit commandements de la vulgate antifa...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Frédéric Dufoing, cueilli sur le site L'Inactuelle et consacré à l'"idéologie" des antifas. Philosophe et politologue de formation, Frédéric Dufoing est l'auteur d'un essai intitulé L'écologie radicale.

     

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    Frédéric Dufoing: “Les huit commandements de la vulgate antifa”

    Parlons chocolat. Imaginons que vous aimiez le chocolat et vouliez en manger une tartine. Vous vous mettez alors à discuter avec d’autres amateurs de chocolat pour savoir, disons, lequel est le meilleur (le belge ou le suisse ?), avec quel pain il s’accorde le mieux, etc. L’un de vos interlocuteurs vous annonce qu’il aime aussi la confiture, un autre qu’il mange du chocolat mélangé à de la confiture ; un troisième vous invite à venir parler de votre passion du chocolat sur son site consacré à sa passion du pain où écrivent aussi des passionnés de café ; un quatrième vous explique qu’il aime le chocolat parce que c’est généralement moins sucré que le miel, et un cinquième vous dit qu’un de ses amis lecteur du Point aime le chocolat et qu’Hitler lui-même aimait le chocolat ; un septième vous rappelle que, puisque le chocolat est tout de même sucré, il peut favoriser le diabète. Vous répliquez à un huitième amateur de chocolat, et qui l’est aussi de muffins et de thé à la menthe, que vous n’aimez pas les muffins. Votre petite discussion est alors likée et même relayée sur leur site par des industriels du chocolat en mal de notoriété.

    La logique de l’amalgame.

    Si cette même petite discussion autour du chocolat arrive aux oreilles d’un journaliste du Monde, d’un politologue publié par Libération ou d’un auteur de L’Incorrect (et de bien d’autres revues, chaînes de télévision et autres sites internet), voire de la revue Lundi Matin ou d’un animateur du blog d’Alain Soral, vous allez apprendre que vous aimez la confiture, que vous mélangez votre chocolat avec de la confiture, que vous êtes passionné de pain et même de café, qu’au moins l’une des raisons pour lesquelles vous aimez le chocolat, c’est qu’il est moins sucré que le miel, que vous lisez le Point ou devriez le lire et que vous avez fort probablement les mêmes opinions qu’Adolf Hitler. Non content de découvrir tant de choses sur vous-même, vous serez paniqué d’apprendre que vous êtes diabétique et que vous détestez non seulement les muffins mais aussi le thé à la menthe, voire que vous détestez les muffins parce que vous détestez le thé à la menthe. Enfin, on vous signalera qu’en entretenant un tel débat, vous avez encouragé la production industrielle de chocolat ou fait, volontairement ou comme « idiot utile » (confusionniste), la promotion de l’industrie du chocolat, qui exploite des enfants et utilise des pesticides – exploitation à laquelle vous êtes sans doute indifférent (ce qui confirmerait  vos tendances hitléristes) et pesticides auxquels vous êtes sans doute favorable (sinon, pourquoi discuter aussi vainement du chocolat, sans d’ailleurs jamais préciser que vous êtes opposé à l’usage des pesticides ?).

    Ridicule, n’est-ce pas ? Pourtant, ce type de « raisonnements » complètement faux voire absurdes, que l’on qualifie de sophistiques, sont devenus si courants qu’ils s’imposent comme une méthode commune et banale en vue de dénoncer toute forme de pensée – qu’elle soit d’ailleurs correctement formée ou elle-même sophistique. Le meilleur exemple vient d’en être donné avec la Blitzkrieg lancée par Le Monde, Libération et L’Incorrect contre l’initiative éditoriale de Michel Onfray, la nouvelle revue Front populaire, destinée à renouer le dialogue entre souverainistes. Bien sûr, on peut légitimement reprocher beaucoup de choses à Onfray : ses postures médiatiques, ses références philosophiques, ses incohérences. On peut reprocher beaucoup de choses aussi à la démarche que propose sa revue : par exemple, ne serait-il pas plus intéressant de confronter souverainistes et anti-souverainistes ? Mais la moindre des choses serait de critiquer l’homme et sa revue avec rigueur intellectuelle, c’est-à-dire de respecter les règles qui organisent une argumentation et un débat. La plus élémentaire de ces règles consiste à écouter ce que l’adversaire dit et à ne pas lui prêter des positions ou des intentions qu’il n’a pas ou que d’autres ont eu à sa place.

    Les diverses formes de souveraineté.

    Or, non seulement la revue n’est pas encore parue, et donc aucun contenu n’est disponible à ce jour, mais, de surcroît, on se demande comment on peut porter un jugement global, catégorique et uniforme sur une revue dont les contributions sont nécessairement contradictoires – c’est son principe et son très grand intérêt : elle organise un débat. On n’a pourtant pas hésité à affirmer qu'Onfray et sa revue – comme si l’un se réduisait à l’autre – défendraient une souveraineté identitaire, qualifiée « d’extrême droite ».

    Comme si toute forme d’identité – objet de recherche de Claude Levi-Strauss, et titre d’un de ses ouvrages – renvoyait mécaniquement à un imaginaire racial, national, essentialiste, par opposition à l’hybridité, au multiculturalisme, à l’universalisme, au bigarré, au métissage – termes du reste opposés ou inassimilables les uns aux autres et présentant des sens très variés.

    Comme si l’identité, réduite à l’une de ses versions, était illégitime et sordide face au légitime et noble internationalisme, réduit à… on ne sait plus trop quoi, car l’internationalisme soviétique, celui des anarchistes, celui de la mondialisation du XVIe siècle, celui de la mondialisation du XXe, celui du catholicisme médiéval triomphant, celui de l’islam salafiste, celui de la république des lettres ou celui toujours espéré et jamais construit du syndicalisme, ce n’est pas exactement la même chose… Il en va de même du cosmopolitisme. Lançons un concours :  qui était le plus cosmopolite entre Ivan Illich, Alexandre le Grand, Maïmonide, Gandhi, Magellan, Saartje Baartman, un immigrant wallon au Canada, un immigrant chinois en Indonésie, l’ancien esclave Olaudah Equiano, les paysans français qui demandaient l’abolition de l’esclavage dans leurs cahiers de doléances ou n’importe quel patron de multinationale qui, comme le chantait Brel, a un doigt (c’est-à-dire une villa, une entreprise ou un compte en banque) dans chaque pays ?

    Comme si la souveraineté elle-même, dont il est justement question de débattre dans la revue, ne pouvait pas relever de plusieurs logiques et définitions très différentes, et pas seulement d’une référence à l’« identité » : la souveraineté populaire n’est ni la souveraineté nationale, ni la souveraineté étatique, moins encore la souveraineté (ou l’autarcie) biorégionale, fédérale ou communale, dont Onfray, en héritier de Proudhon, se dit partisan. Là-dessus, toutes ces souverainetés ne sont pas toujours aisément articulables, compatibles – la nation ayant par exemple été pendant deux cents ans le tombeau des peuples, au sens propre comme au sens figuré : les peuples meurent dans les guerres faites au nom de la nation et se voient écartés du pouvoir par cette fiction hypocrite qui est à son service, la représentation.

    Comme si toute forme de compartimentation, de séparation, de distinction entre un « eux » et un « nous » était nécessairement nuisible et artificielle c’est-à-dire, puisque c’est devenu un terme repoussoir, une catégorie de souillure qu’on appelle l’« extrême droite ». On pourrait disserter pendant des heures sur les concepts de « gauche » et de « droite », qui n’ont de légitimité conceptuelle que dans la croyance que l’on a de leur existence et n’ont servi qu’à la dictature des partis et de la militance sectaire, donc de la « démocratie » représentative. On pourrait aussi disserter pendant des heures sur le terme « extrémiste », honteusement hybridé au si beau et si digne « radical ». Cependant, l’expression « extrême-droite » est devenue un tel raccourci dogmatique, un tel automatisme rhétorique, à l’instar du terme « fasciste », qu’il faut s’y arrêter un instant.

    Les huit commandements de la vulgate « antifa ».

    Il est des pays où les mouvements, revues, sites, partis, associations, personnalités et produits culturels qualifiés « d’extrême droite » font l’objet d’un « cordon sanitaire », c’est-à-dire d’un refus d’expression dans l’espace public, sous prétexte que leur donner la parole reviendrait à les légitimer, à les reconnaître comme valables et normaux. Dialoguer avec l’« extrême droite », même pour la critiquer, lui permet de répandre ses idées de manière épidémique – ne parle-t-on pas, du reste, de « peste brune » ? – ou littéralement d’activer ses idées dans les cerveaux amorphes des auditeurs passifs… Car ces idées s’y trouvaient déjà, en particulier chez les gens « peu éduqués » : on vous présente régulièrement des études statistiques sur les diplômes des électeurs d’extrême droite. Les gens « peu éduqués », qui ont peu de diplômes (pour ceux qui ne le sauraient pas, on est éduqué lorsqu’on a un diplôme supérieur), c’est la version méprisable du peuple – ceux que les défenseurs de la représentation aux XVIIe et XVIIIe siècle ont réussi à écarter du pouvoir. Ainsi crée-t-on une catégorie marketing, une sorte de jugement ad hominem collectif qui associe : maladie infectieuse, souillure, bêtise, crédulité, manque d’éducation et de culture, « petit peuple » et passivité moutonnière. On ajoutera que les gens qui relèvent de cette catégorie sont irrationnels et passionnels (vieux cliché appliqué au peuple, c’est-à-dire aux pauvres depuis des siècles), tout comme ils sont motivés par la « haine » qu’amène l’« ignorance ». Relèvent donc de cette catégorie aussi bien les contaminants (autrement dit les politiques ou propagandistes) que les contaminés (électeurs ou trolls de comptoirs et de forums), mais aussi ceux qui parlent avec eux, même pour les critiquer (les confusionnistes), ou ceux qui refusent de les mépriser.

    Les huit commandements des préposés à la détection, au fichage et au marquage épidémique des gens censés relever de l’« extrême droite » – préposés qu’on appelle des antifas – sont les suivants :

    1. Si l’on est ami avec quelqu’un qui a les opinions x, on a les mêmes opinions ;
    2. Si l’on est l’ami d’un type qui est ami avec un type qui a les opinions x, on a les mêmes opinions ;
    3. Si l’on a partagé un moment, un événement, ou discuté avec un individu qui a les opinions x, on a les mêmes opinions ;
    4. Si l’on est admiré ou cité par des individus ayant une opinion x, on a les mêmes opinions ;
    5. Si l’on a participé à une émission ou écrit dans une revue, on en partage les opinions, en tout ou en partie, anciennes, présentes et futures ;
    6. Si l’on a défendu les opinions x, on les défend encore et on les a toujours défendues, ou on les défendra toujours ;
    7. Si l’on a la même opinion qu’un individu x, on partage toutes les opinions de cet individu ;
    8. Si l’on partage les opinions d’un individu, on les défend forcément en arguant des mêmes raisons et des mêmes justifications que lui, voire en visant les mêmes buts.

    Qu’est-ce qu’un fasciste ?

    Quant aux idées de l’extrême droite, ses opposants se gardent bien de les définir clairement, ce ne serait d’ailleurs pas très pratique : ce qui ne s’énonce pas clairement se dénonce d’autant plus facilement. Aussi personne ne sait-il exactement ce qu’est l’extrême droite. Certains mouvements désignés sous ce vocable infamant optent pour des politiques ultra-libérales, d’autres pour des politiques étatistes et protectionnistes. Certains s’accommodent très bien du parlementarisme, d’autres privilégient plutôt les systèmes oligarchiques.

    Et s’il s’agit d’une idéologie raciste, on la retrouve absolument partout, dans tout le spectre des projets politiques. Et puis, qu’entend-t-on pas racisme ? Est-ce l’essentialisation de catégories d’humains (par les genres, les statuts, les caractéristiques physiques ou mentales, etc.) ? La croyance en l’existence de races ou de cultures hiérarchisées, dont certaines auraient comme destin de dominer ou d’exterminer les autres ? La croyance en des races ou des cultures différentes, non hiérarchisées, mais destinées à ne pas entrer en contact faute de quoi le métissage les détruirait ? La croyance en l’existence de races ou de cultures destinées à être finalement mixées, mélangées, ou dans l’idée qu’une culture prétendument plus tolérante que les autres devrait les prendre sous son aile pour les protéger ? La croyance dans la prépondérance du groupe auquel on appartient, quel qu’il soit, et donc l’hostilité viscérale envers les autres groupes, en particulier quand naît une concurrence pour l’utilisation d’un territoire ou de ses ressources ? La croyance en la nation opposée à d’autres nations – ce qui implique, si l’on est aussi raciste, l’adéquation de la nation et de la race, ou de la nation et de la culture, ou encore de l’Etat, de la nation, de la race et la culture ? L’obsession pour l’homogénéité du groupe, quel qu’il soit, et quoi qu’implique cette homogénéité ? S’il s’agit de la forme que prend la structure de la communauté, est-ce que l’on est donc favorable à un Etat totalitaire ? Ou simplement à un Etat autoritaire ? Ou à l’idée d’un chef charismatique ? Ou au contraire aux vertus de traditions rigides, respectables parce qu’elles sont anciennes ? Toutes ces définitions – et il y en a d’autres – peuvent être contradictoires, ou amener à des conclusions opposées…

    Tout le monde est-il d’extrême droite ?

    A tel point que, si l’on rend sur les forums internet, on se fera traiter de fasciste si l’on est pour le port d’arme individuel (liberté à laquelle était farouchement opposé le fascisme, ainsi que les régimes les plus pro-capitalistes de l’histoire humaine) ; contre l’avortement (le fascisme y était favorable, même si sa politique nataliste et le concordat l’ont forcé à mettre de l’eau dans son vin) ; pour l’euthanasie (parce qu’on promeut potentiellement l’élimination des faibles, comme le défendaient les nazis) ; contre l’euthanasie (parce qu’on prive l’individu d’une liberté essentielle, comme le défendent les catholiques) ; contre la PMA (parce que l’on prive une femme de la liberté d’utiliser la science pour son bien-être) ; ou pour la PMA (parce que l’on favorise les mères porteuses, ce qui nuit à la liberté de la femme) ; pour la démocratie directe (parce que le peuple est raciste et irrationnel)  ou pour son contraire, à savoir le pouvoir d’un individu ou d’un groupe (parce que cela détruit les libertés individuelles). Et l’on peut continuer ainsi à l’infini.

    Les antifas vous expliquent plus volontiers, sans davantage de clarté pour autant, ce que n’est pas l’extrême droite : pour ne pas être d’extrême droite, il faut être pour la démocratie (oui, mais laquelle ? Parlementaire ? Directe ? Participative ? Communale ? Centralisée ? Fédérale ? …), ou contre le racisme, avec ce signe imparable, paraît-il, qu’il faut être « pour les immigrés », posture assimilée au fait d’être « pour l’immigration » (oui mais laquelle ? Quand ? Comment ? Pourquoi ?… Est-on moins raciste si l’on accepte les immigrés à condition qu’ils abandonnent leur culture d’origine ou qu’on contraire ils vivent dans leurs ghettos ?). Pour ne pas être d’extrême droite, il faut aussi être féministe (oui, mais quel féminisme : l’égalité ou l’équité homme/femme ? Le féminisme différentialiste ? Le féminisme évolutionniste, qui tient compte des données biologiques ? Le féminisme relativiste ou le féminisme universaliste ? Le féminisme qui nie l’existence des genres ou celui qui transformer les contenus de genres ?). Et il faut enfin parfois être contre le capitalisme, mais sans trop savoir ce que c’est, sinon à évoquer la méchante finance et les horribles multinationales. En somme, à peu près tout le monde, sauf eux (?), est potentiellement, par une caractéristique ou par une autre, d’extrême droite, grâce à l’effet de contagion sophistique.

    Onfray est-il d’extrême droite ? Pour le savoir, il faut répondre à une double question antifa : est-il clairement favorable à ce qui n’est vaguement pas d’extrême droite ? Et est-il vaguement favorable à ce qui est vaguement d’extrême droite ? Si la réponse est non à la première question, et oui à la seconde, ne lisez surtout pas Front populaire. Vous pourriez être contaminé.

    Frédéric Dufoing (L'Inactuelle, 9 juin 2020)

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  • L'arnaque du grand débat...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Frédéric Dufoing, cueilli sur L'Inactuelle et consacré au Grand débat initié par Emmanuel Macron et à sa conclusion. Philosophe et politologue de formation, chroniqueur, Frédéric Dufoing a notamment publié L'écologie radicale (Infolio, 2012).

     

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    Frédéric Dufoing: “L’arnaque du grand débat”

    Le grand débat organisé par le président Macron constitue d’ores et déjà un cas d’école de ce déni de démocratie qu’on appelle « démocratie participative ». D’abord parce que ce fut l’exécutif, et non la population ou même le parlement, qui jugea de l’opportunité de cette consultation ainsi que de sa date de lancement, de sa durée et de ses modalités concrètes, en l’occurrence l’envoi de cahiers de doléances par le biais des communes et les réponses à un questionnaire en ligne sur l’Internet.

    Une stratégie de l’attente.

    Macron a lancé le processus au moment où la contestation du pouvoir était devenue régulière et que les revendications des manifestants bénéficiaient d’un soutien très large de la population. L’initiative gouvernementale a permis de faire croire que le pouvoir était à l’écoute alors qu’il s’était montré aussi brutal dans sa réaction policière qu’intransigeant dans ses réponses politiques. Cette consultation a permis aussi de gagner du temps en justifiant l’attentisme politique par le respect des résultats, laissant ainsi pourrir la situation et testant l’obstination des manifestants.

    Le « grand débat » a fait rentrer les aspirations populaires dans un cadre ordonné, conforme, présentable ; il a donné à la parole supervisée par l’Etat une légitimité supérieure à la parole libre de la rue et offert un canal d’expression à l’électorat de base du pouvoir, trop bourgeois pour se manifester physiquement, ainsi qu’aux notables communaux. Grâce à cette longue série de consultations, les médias allaient avoir un autre os à ronger, et des revendications nouvelles allaient enfin émerger d’ailleurs que des ronds-points.

    Un débat tronqué.

    Le gouvernement n’a bien entendu établi aucun critère préalable afin de juger si la participation au grand débat était suffisante pour en valider la portée. Si elle n’avait pas été suffisante, le gouvernement aurait argué que le peuple n’éprouvait pas le désir de s’impliquer et de débattre, et donc que l’une des principales revendications des gilets jaunes – le référendum d’initiative citoyenne – n’était pas viable. Si la participation avait été bonne, au contraire, le gouvernement pouvait s’en attribuer le succès. Les chiffres de participation, 1.500.000 personnes, furent artificiellement gonflés de 300.000 [1] : cela restait peu, mais c’était toujours davantage que le nombre de manifestants dans les rues – et beaucoup moins tout de même que leur soutien dans les sondages.

    Les médias n’hésitèrent pas à répéter en boucle que cette consultation visait à établir l’« opinion des Français », alors qu’ils rechignaient dans le même temps à admettre que les gilets jaunes « représentaient le peuple ». Tous oubliaient au passage qu’il est infiniment plus facile d’envoyer des réponses depuis un ordinateur que de s’assembler sous la pluie, autour d’un brasero, ou en manifestant sous les gaz et les flashballs. En définitive, les « révoltés » qui ont participé au grand débat font un peu penser aux travailleurs prêts à accepter n’importe quel boulot précaire en remerciant bien bas le patron pour sa mansuétude.

    Les résultats ont donné lieu à une grand-messe médiatique, sans tenir compte du fait qu’on n’avait même pas attendu la fin des dépouillements ! A l’heure où le premier ministre annonça avoir tiré les leçons de la consultation, à peine plus de 50% des interventions avaient été dépouillées [2]. Or, là où l’on peut se permettre de tirer des conclusions électorales quand un certain nombre de circonscriptions donnent des tendances, il n’en va évidemment pas de même lors du bilan d’une consultation, qui implique une prise en compte qualitative et exhaustive des attentes plutôt qu’un simple aperçu quantitatif et statistique. En outre, quelle valeur accorder à un débat dont les questions furent choisies à l’avance par le pouvoir ? Il s’agissait bel et bien d’orienter les réponses, en enfermant les répondants dans de faux dilemmes, par exemple à travers la question sur la baisse des dépenses publiques.

    Macron le sophiste.

    Le bilan définitif fut tiré lors d’un interminable monologue du chef de l’Etat, écouté avec une attention religieuse par les journalistes dûment sélectionnés de l’assistance, qui ont ensuite servilement ânonné le sermon. Macron n’a répondu à aucune des demandes, pourtant peu audacieuses, collectées lors la consultation ; ou, plutôt, il y a répondu par des ellipses et des paraboles : le judoka habile sait éviter les coups et se servir du mouvement de son adversaire pour lui faire une clef de bras.

    Les citoyens voulaient proposer et décider eux même des lois ? On leur a offert la possibilité de les soumettre à d’autres qui en débattraient et prendraient les décisions à leur place. Ils auront droit aussi à davantage de proportionnalité lors des élections, mais doublée d’une réduction du nombre de représentants ! Les citoyens voulaient de la justice fiscale, c’est-à-dire une plus grande équité ? On leur a livré une vague réduction de l’impôt sur le revenu (quelle réduction, avec quelle assiette, sur la base de quels revenus ?), mais pas de retour à l’impôt sur les grandes fortunes et la finance. Plus encore, les salariés financeront leur baisse d’impôt avec une augmentation du temps de travail ! Et les pensions ? Elles seront réindexées, sans qu’on sache avec quel indice d’indexation : le prix du pétrole, qui monte, ou celui des textiles, qui s’écroule ?

    Les citoyens se plaignaient des connivences sociales et du centralisme parisien ? On leur a donné la suppression de l’ENA (la belle affaire !), et de plus grandes « responsabilités » pour les entités locales, notamment financières, alors que ces prérogatives impliquent en fait une plus grande tutelle de l’Etat central ! En somme, le chef de l’Etat a fait de la sophistique, finissant même par justifier sa politique par les reproches qui lui avaient été faits…

    Eh bien, c’est cela, la démocratie participative : des bavardages servant les intérêts de ceux qui les organisent. La réflexion populaire ne s’y manifeste pas vraiment, et les citoyens n’ont pas de décision à prendre. Leur parole, déjà corsetée, biaisée, sert de matériau bien formaté pour le pouvoir, qui en tire les interprétations les plus aberrantes. Si l’enfer est pavé de bonnes intentions, la démocratie participative en est le marbre.

    Frédéric Dufoing (L'Inactuelle, 29 avril 2019)

     

     

    [1] https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/gilets-jaunes/nombre-de-participants-gonfle-approximations-analyse-partielle-les-petits-arrangements-du-grand-debat_3312165.html

    [2] https://www.nouvelobs.com/politique/20190412.OBS11475/grand-debat-la-moitie-des-contributions-n-ont-pas-ete-prises-en-compte.html

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  • Nature ?...

     Le numéro 49 de la revue Krisis, dirigée par Alain de Benoist, avec pour rédacteur en chef Thibaut Isabel, vient de paraître. Cette nouvelle livraison est consacrée à la nature...

    Vous pouvez commander ce nouveau numéro sur le site de la revue Krisis ou sur le site de la revue Eléments.

    Bonne lecture !

     

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    À la question de la conciliation de la croissance et de l’écologie, la réponse devrait apparaître évidente à toute personne sensée : une croissance infinie est incompatible avec une planète finie. Cependant, cette évidence qu’un enfant de 5 ans comprendrait, il semble que les responsables politiques et économiques ne peuvent ni ne veulent la comprendre. Elle fait l’objet d’un déni de leur part à tous, à l’exception notable, récente et limitée du Pape François, mais il est vrai qu’il s’agit d’un chef de gouvernement sans responsabilités proprement politiques – sa responsabilité est d’abord religieuse, et le Vatican est un État sans territoire et ne faisant pas partie de l’organisation des Nations-Unies. La plupart des responsables, y compris voire surtout les ministres de l’Environnement, se gargarisent de l’affirmation de la compatibilité de l’économie et de l’écologie, en soulignant même parfois la racine grecque commune des deux termes. Cela permet de contourner, mais de façon purement rhétorique, une «vérité qui dérange» pour le dire comme l’ex-vice-président Al Gore à propos du seul changement climatique. Il n’empêche qu’il y a incompatibilité radicale entre la logique de la société de croissance – et donc de l’économie – et l’impératif écologique; cependant, le déni de cette incontournable vérité dérangeante, quand il n’est pas affiché frontalement, est contourné par toutes sortes de subterfuges comme le développement durable, source de toutes les croissances vertes.

     

    Sommaire

    Serge Latouche / Peut-on concilier la croissance et l’écologie?

    Entretien avec Bertrand Guest / L’idée de nature chez Humboldt, Thoreau et Reclus.

    Yves Christen / Le mystère de la biophilie.

    Alain Gras / Monde animal et monde humain.

    Falk Van Gaver / Pour une éthique du vivant.

    Jean-François Gautier / Aux origines de la «phusis» hellénique.

    Jean Guiart / Témoignage : Nature et culture, des concepts vides et sans fondement.

    Entretien avec Augustin Berque / La catastrophe écologique moderne.

    Jean-François Gautier / Des cosmopolitiques multiples.

    Thibault Isabel / Le respect de la nature comme élévation du sentiment d’exister.

    Entretien avec Jean-Claude Guénot / Le réveil du sauvage.

    Pierre Schoentjes / De la guerre aux années hippies : pacifisme, retour à la terre et écologie chez Exbrayat.

    Alain Sennepin / Le grand cachalot.

    Débat entre Frédéric Dufoing, Thibault Isabel et Falk Van Gaver / Le christianisme est-il éco-compatible?

    Alain Santacreu / L’écosophie à venir.

    Jean-François Gautier / L’espace, le quantique et les oiseaux.

    Les auteurs du numéro

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  • Nouvelle économie ?...

    Le numéro 48 de la revue Krisis, dirigée par Alain de Benoist, avec pour rédacteur en chef Thibaut Isabel, vient de paraître. Cette nouvelle livraison est consacrée à la nouvelle économie du monde numérisé et robotisé qui vient...

    Vous pouvez commander ce nouveau numéro sur le site de la revue Krisis ou sur le site de la revue Eléments.

    Bonne lecture !

     

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    " D’après un rapport mené par un cabinet de stratégie allemand, 42% des emplois français actuels seront très probablement automatisés à moyen ou long terme. Chacun doit mesurer l’ampleur d’une telle prévision: les répercussions immédiates d’un choc d’automatisation aussi considérable risquent d’être ressenties non seulement dans l’économie, mais dans la société tout entière. Le monde ne sera plus le même dans cinquante ans, en bien comme en mal. Les discours qui nous paraissent aujourd’hui alarmistes deviendront peut-être demain dramatiquement réalistes; et les utopies naïves prendront des allures d’urgence et de nécessité. Comment les systèmes d’aide sociale auxquels la France est habituée se maintiendront-ils dans une société où le chômage de masse prendra de telles proportions? A contrario, imagine-t-on qu’un régime économique aussi inégalitaire puisse tenir sur la durée? Lorsque des robots et des algorithmes assumeront la majeure partie du labeur autrefois pris en charge par des travailleurs humains, le travail perdra lui-même le caractère de fatalité qu’il avait revêtu jusqu’à lors. Un monde sans travail, ou qui impliquerait tout du moins une part de travail réduite, semble donc désormais possible. Cela pose une multitude de questions. Qui continuera de travailler? Comment subviendra-t-on aux besoins de tous les autres? Une société peut-elle survivre si le chômage touche l’essentiel de sa population, alors que la quantité de richesses produites n’a jamais été aussi grande? "


    Sommaire :

    Éditorial

    Entretien avec Bernard Stiegler / Un monde en pleine mutation.

    Sylvain Fuchs / Les mirages de la finance: une utopie contemporaine.

    David D. Clark / Un autre Internet est-il possible?

    Cornelius Castoriadis / Document: L’individualisme néolibéral  et la montée de l’insignifiance (1996).

    Débat entre Denis Collin et Pierre-Yves Gomez / L’économie  du XXIe siècle à la lumière de Karl Marx.

    Thomas Guénolé / Peut-on sortir de la mondialisation?

    Thomas Hennetier / Aux sources de l’économie globale: la conquête européenne du «nouveau monde».

    Jérôme Maucourant / Karl Polanyi contre la société de marché.

    Olivier Rey / Ivan Illich et le désastre croissantiste.

    Arnaud Diemer / Repenser le travail.

    Frédéric Dufoing / Vers une économie écologiste.

    Marc de Basquiat / Le revenu d’existence.

    Karl Polanyi / Le texte: Le marché autorégulateur et les marchandises fictives (1944).

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  • Nation et souveraineté...

    Le numéro 46 de la revue Krisis, dirigée par Alain de Benoist, avec pour rédacteur en chef Thibaut Isabel, vient de paraître. Cette nouvelle livraison est consacrée à la nation et à la souveraineté.

    Vous pouvez commander ce nouveau numéro sur le site de la revue Krisis ou sur le site de la revue Eléments.

    Bonne lecture !

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    " Nous vivons à l’ère de la mondialisation. Les flux de communication n’ont jamais été aussi intenses. Nous échangeons sur les réseaux sociaux avec des Américains, des Brésiliens ou des Chinois, alors que, dans le même temps, nous ignorons parfois jusqu’au nom de notre voisin de palier. Le monde moderne rétrécit la distance qui nous sépare du lointain, tout en nous éloignant paradoxalement de notre prochain, c’est-à-dire de celui qui se trouve au sens propre « juste à côté de nous ». La modernité engendre des bienfaits indéniables, sans lesquels nous ne pourrions plus vivre : nous sommes heureux de voyager, de découvrir d’autres contrées avec une facilité inédite dans l’histoire. Mais la mondialisation implique un brouillage des repères. Tout évolue à un rythme frénétique. Autrefois, les hommes vivaient dans le même monde, de la première à la dernière heure de leur vie. Or, depuis un demi-siècle, notre paysage a été considérablement dépaysé. Nous sommes confrontés à des produits matériels et culturels venus des quatre coins du globe, comme les plats que nous mangeons, les films que nous regardons ou les vêtements que nous portons. Et nous voyons surgir à chaque décennie une véritable révolution technologique qui bouleverse la société : l’automobile, la télévision, le téléphone portable, l’Internet. Face à des changements aussi rapides, l’ici et l’ailleurs n’ont plus guère de signification. Les gens finissent par se demander qui ils sont, et d’où ils viennent. Cette situation explique la résurgence de l’idée nationale dans le discours politique. Devant l’infini de l’horizon, on cherche à renouer des racines. Reste à savoir sous quelle forme, et par quels moyens. "


    Au sommaire de Krisis n°46

    Éditorial

    Entretien avec Pierre Manent / Le sentiment national dans un monde en crise.

    Charles Taylor / Démocratie, nationalisme et exclusion.

    Thibault Isabel / Individualisme, nationalisme et identité à l’ère du village global.

    Entretien avec Dominique Schnapper / La république face aux problèmes d’intégration.

    Pierre-André Taguieff / Sous le « populisme » : le nationalisme.

    Entretien avec Pierre-André Taguieff / La révolte contre les élites ou la nouvelle vague populiste.

    Guy Hermet / Les voisinages incertains du populisme.

    Frédéric Dufoing / La doctrine de l’État fédéral et le déficit démocratique européen.

    Denis Collin / Faut-il enterrer l’État-nation ?

    Otto Bauer / Document : Le concept de nation (1907).

    David L’Épée / Nation et résistance aux empires : le cas helvétique.

    Louis Narot / Charles Maurras et le nationalisme intégral.

    Les auteurs du numéro

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  • Le progrès en question ?...

    Le numéro 45 de la revue Krisis, dirigée par Alain de Benoist, avec pour rédacteur en chef Thibaut Isabel, vient de paraître. Cette nouvelle livraison est consacrée au progrès.

    Le travail accompli par l'équipe de rédaction sur la présentation, le contenu et le rythme de publication de la revue est remarquable !

    Vous pouvez (devez !) commander ce nouveau numéro sur le site de la revue Krisis ou sur le site de la revue Eléments.

    Bonne lecture !

     

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    " Notre époque est orpheline du progrès. Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, la plupart des gens étaient convaincus que l’avenir ouvrirait les portes d’un véritable paradis sur terre. C’était l’ère des grandes utopies. Aujourd’hui, nous avons perdu notre innocence: quel roman, quel film oserait encore dépeindre un XXIIe siècle radieux? La science-fiction contemporaine a abandonné les vieilles utopies technoscientifiques au profit d’une vision inquiète de demain. Les menaces qui nous guettent sont en effet innombrables: crise écologique et climatique, crise financière, crise démographique, crise culturelle, crise terroriste, etc. Mais si notre avenir s’est assombri, nous restons collectivement obnubilés par la croissance des biens de consommation. C’est ce qui nous pousse à plébisciter les téléphones portables et autres tablettes tactiles, avant peut-être d’accepter le développement d’un transhumanisme de masse qui fera de nous des «hommes augmentés». Pour sortir de l’impasse, nous devons de toute urgence réfléchir au sens véritable du progrès humain. "
     
    Au sommaire de Krisis 45

    Pierre-André Taguieff / L’idée de progrès, la «religion du Progrès» et au-delà. Esquisse d’une généalogie.

    Jean-François Gautier / Non-sens et signification dans l’Histoire.

    Patrick Tacussel / Liturgies du progrès.

    Nicolas Rousseau / Narcisse ou les illusions du progrès. La critique sociale de Christopher Lasch.

    Débat entre Frédéric Dufoing et Thibault Isabel / Faut-il avoir peur du transhumanisme?

    Frédéric Dufoing / Le transhumanisme comme biopouvoir.

    Matthieu Giroux / Le mythe prométhéen du surhomme.

    Alain Gras / La dimension technologique de l’illusion progressiste.

    Boris Vian / Poésie : La complainte du progrès (1955).

    Thibault Isabel / Qu’est-ce qu’un écologisme païen?

    Falk Van Gaver / Croissez et multipliez? Le problème de la démographie à l’ère industrielle.

    Entretien avec Ronald Wright / Croissance et déclin des civilisations.

    Ronald Wright / Témoignage : Les ruines de la civilisation maya. Un avertissement pour les peuples modernes?

    Bernard Charbonneau / Document : La bombe atomique (1945).

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