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défense

  • Armée nationale, esprit guerrier et stabilité politique...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Pierre de Lauzun cueilli sur Geopragma et consacré à la disparition progressive dans les pays européens d'une force armée véritablement nationale. Membre fondateur de Geopragma, Pierre de Lauzun a fait carrière dans la banque et la finance.

     

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    Armée nationale, esprit guerrier et stabilité politique

    La théorie qui définit l’Etat comme ayant le monopole de la force ne nous dit pas ce qu’est cette force. Dans toute entité politique, un enjeu essentiel est donc de savoir qui détient la force effectivement, et donc qui la constitue.

    Concrètement, dans une société humaine la force pour être force suppose la réunion de deux éléments : des moyens matériels évidemment, et donc entre autres financiers ; mais aussi voire surtout un esprit de combat, en un sens un esprit guerrier, qui doit pour cela exister quelque part dans la société et être entretenu puis mobilisé. Normativement, cette force doit alors bien sûr être construite de façon à œuvrer pour la société en question, en étant loyale au pouvoir politique légitime.

    Tout cela paraît trivial, mais dans la réalité cela ne va pas de soi et l’histoire le prouve ; dans nos sociétés, c’est considéré comme automatiquement réalisé, alors que rien ne le garantit sur la durée longue.

    Force guerrière et société civile

    L’histoire montre de très nombreux exemples de sociétés où la force appartient de fait à un corps semi-étranger par rapport à la société.

    Prenons les empires historiques. Selon Gabriel Martinez-Gros s’inspirant de l’analyse magistrale d’Ibn Khaldûn, le schéma général du pouvoir était le suivant : on avait d’un côté une armée professionnelle, principalement constituée de mercenaires et généralement issue d’une population ethniquement allogène ; et d’un autre côté, un peuple plus développé et plus riche, mais désarmé, qui payait les impôts, ce qui finançait cette armée et permettait la domination exercée par le pouvoir politique. Pour Ibn Khaldûn, la démobilisation de la population centrale était le résultat de la civilisation, qui amollit les esprits et les cœurs et décourage de combattre. Ce schéma est notamment représentatif des divers empires musulmans, y compris en Inde. De leur côté, les Ottomans ont longtemps utilisé, avec les janissaires, une solution hybride : des enfants étrangers mais enlevés à leurs familles et élevés très tôt dans des camps.

    Pour les Romains, un tel schéma a été vrai surtout à la fin, car auparavant les soldats étaient des citoyens romains. Quant à la Chine impériale, sa faiblesse était l’intégration insuffisante de la culture militaire dans la culture de gouvernement ; d’où une fragilité par rapport à des envahisseurs guerriers (Mongols puis Mandchous), militairement supérieurs et qui ont donc pu s’emparer de l’empire et, pour ces derniers, le dominer pendant 3 siècles.

    Dans une autre configuration, traditionnelle en Amérique latine et de plus en plus présente en Afrique, l’armée, sans être en général ethniquement à part, fonctionne de fait comme un corps politique séparé. Or comme chacun sait, dans ces pays au moins, il suffit d’une faible troupe pour s’emparer d’un pays. D’où la fréquence ahurissante des coups d’état militaires, un peu ralentie en Amérique latine, mais en plein expansion en Afrique. On retrouve des faits quelque peu analogues en Thaïlande ou a fortiori en Birmanie.

    L’exception de l’Europe traditionnelle

    En revanche, dès le haut Moyen Age, l’Europe a échappé à ce schéma. A l’époque, puis dans tout l’Ancien régime, une classe militaire (la noblesse) prenait en charge la direction du combat et fournissait une part appréciable des troupes ; or non seulement elle n’était pas marginalisée, mais elle jouait un rôle central dans l’organisation du pays, tout en étant autochtone. Cette même base sociologique est encore quelque peu présente aujourd’hui chez bien des officiers. En outre, à partir du XIXe siècle, le patriotisme (voire le nationalisme) a permis et justifié la levée en masse et la notion de peuple combattant, qui est encore plus à l’opposé du schéma impérial décrit ci-dessus. Et donc, sauf exceptions, le pouvoir militaire en Europe n’est traditionnellement pas étranger à la société et ne joue pas de rôle spécifique.

    Mais ce que l’on perçoit ici est la nécessité pour ce modèle d’avoir simultanément en place un esprit guerrier ou du moins combattant dans une fraction suffisante de la population, et la permanence d’un lien d’identification entre la force que cela permet de constituer et le reste de la population.

    L’évolution préoccupante en cours

    Or nous sommes maintenant entrés dans une ère nouvelle. Dans les pays dits occidentaux, la levée en masse a été abandonnée, tant pour des motifs techniques que par lassitude populaire. De fait, le patriotisme, vibrant d’autrefois, n’est plus très perceptible, du moins en Europe ; on ne va pas en déduire trop vite qu’il a disparu, mais de fait sa capacité de mobilisation est faible. Corrélativement, les armées occidentales, presque toutes professionnalisées, signalent une difficulté appréciable à recruter, notamment mais pas seulement à la base où la tendance à la diversification ethnique est croissante, tant chez les Américains que chez les Européens. Au niveau des officiers, le maintien relatif d’une tradition militaire dans une partie minoritaire de la société aide à corriger le processus, même si des signes inquiétants d’affaiblissement apparaissent ; notamment, les armées perdent souvent leurs cadres trop tôt.

    On peut donc discerner, à l’état certes de germe, les voies possibles d’une évolution ultérieure vers une situation analogue aux types décrits ci-dessus. Il suffirait, si on peut dire, que la composition de la force publique la mette de plus en plus à part de la société, par ailleurs de plus en plus hétérogène, et que cela débouche sur une moindre identification avec la population prise dans son ensemble ; parallèlement la tradition militaire nourrissant le corps des officiers s’atrophierait. D’où une armée dont la culture serait éloignée de celle nécessaire à la logique du système européen traditionnel. Il se pourrait en outre que d’autres forces apparaissent petit à petit ici ou là, dans des zones de non droit. Le résultat en serait une autonomisation de la force armée, militaire mais éventuellement policière. Théoriquement en outre, l’Europe serait bien plus vulnérable à une telle évolution que les Etats-Unis.

    Le cas européen et le rôle des Américains

    Mais justement ce rapprochement conduit à une autre considération ; le rappel que, de fait et dans l’opinion d’une majorité des pays européens, leur défense dépend en réalité plus des Etats-Unis que de leur armée propre, même si celle-ci y a son rôle. Dans cette perspective, le risque pour l’Europe est donc l’approfondissement d’une forme plus accentuée encore de protectorat américain, cette force armée étrangère jouant de fait un rôle prépondérant dans la défense nationale. En un sens donc, il y a déjà présents des éléments d’empire (au sens de l’analyse précédente), mais ils sont américains.

    Certes, la limite de cette comparaison est le fait que l’armée américaine ne joue pas de rôle direct dans la vie politique interne des pays européens ; et on peut s’interroger sur ce que feraient les Américains en cas de vrai conflit armé interne dans un pays européen. Mais tant qu’on n’en est pas là, la situation actuelle peut se perpétuer voire s’accentuer : dans la grande majorité des pays européens, de fait, le cœur de métier du militaire s’appuie sur une structure extérieure.

    Par contraste bien sûr, on voit ce vers quoi où il faudrait s’engager : il s’agirait notamment de favoriser et faire renaître l’esprit du combat, la capacité à susciter des hommes loyaux qui acceptent le sacrifice ultime pour la communauté, en nombre suffisant. Mais on peut avoir les plus grands doutes que l’Union européenne soit le cadre politique et culturel adapté pour cela.

    Pierre de Lauzun (Geopragma, 2 octobre 2023)

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  • Pour que rien ne change au sein de l’UE...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré au cap politique choisi par l'Union européenne...

    Économiste de formation et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Il a également publié un manifeste intitulé France, le moment politique (Rocher, 2018).

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    Pour que rien ne change au sein de l’UE

    Les eaux calmes et les saisons tranquilles sont propices au « en même temps ». Tout se concilie, tout s’arrange, tout s’accorde, et qu’importe si le bateau se déroute, il arrivera à bon port ! Tout se complique si le vent forcit et la mer se creuse. Le luxe du « en même temps » n’est plus permis, les choix s’imposent, avec les renoncements qu’ils appellent et la dureté qui tranche.

    L’Union européenne mesure-t-elle la dureté des temps qui s’annoncent ? Quelles que soient la poursuite et l’issue du conflit en Ukraine, et même si les efforts pour arriver à un cessez-le-feu, puis à un accord de paix devaient déboucher rapidement, le confort du « en même temps » ne lui est plus permis. Sur quatre points au moins, l’Union doit sortir rapidement de l’ambiguïté, corriger le cap et se remettre en ordre de marche.

    Le financement de la défense

    Le projet de mise sous contrôle de toutes les activités économiques, connu sous le nom de « taxonomie », subordonne les capacités d’accès au marché des capitaux et de la dette, comme à l’assurance, des entreprises selon leur activité. Il était entendu que les industries d’armement seraient exclues de la liste des entreprises « vertes » — de celle que l’investisseur finance avec bonne conscience. Mais voilà que l’invasion russe change tout.

    L’Union envoie des armes défensives et létales par centaines de millions d’euros à l’Ukraine, l’Union veut investir dans sa Défense, l’Union se convertit à l’urgence de réarmer. À l’évidence, la taxonomie ne doit pas et ne peut pas paralyser l’effort de défense de l’Union. Même la coalition au pouvoir en Allemagne en convient. La parade qui consiste à corriger temporairement, ou à exclure de la taxonomie, le secteur de l’armement n’est pas satisfaisant. C’est tout le dispositif qui doit être revu, cette taxonomie qui favorise les grands groupes au détriment des PME, cette taxonomie qui sera un enfer administratif, cette taxonomie qui heurte directement la liberté d’investir, et demain peut devenir un carcan sur les libertés individuelles. Car quid d’activités industrielles non directement liées à l’armement, mais qui conditionnent la Défense, comme l’énergie ?

    C’est toute la logique de la taxonomie qui est à revoir. Et il y a urgence. Les financements de marché en fonds propres comme en crédit bancaire doivent permettre le développement de l’autonomie européenne de Défense dans les pays qui ont conservé tout ou partie de leur industrie d’armement. Ceux qui investissent dans l’industrie de Défense de leur Nation doivent non seulement ne pas être pénalisés, mais durablement incités à allouer leurs capitaux à la sécurité collective, aussi bien qu’à la production d’énergie et à l’autonomie alimentaire.

    La fourniture d’énergie abondante et sûre.

    Le projet dit : « Fit for 55 » est basé sur un lien erroné entre la consommation totale d’énergie et le dégagement de GES. C’est faux. Accroître la production d’énergie nucléaire, par exemple, ne signifie pas augmentation du dégagement de GES. C’est surtout malthusien ; limiter la fourniture d’énergie, c’est limiter la réindustrialisation de l’Europe, au moment même où il n’est plus besoin de démontrer combien notre sécurité dépend du raccourcissement des chaînes d’approvisionnement et de la relocalisation massive d’activités sur le territoire européen.

    Les stratèges chinois l’ont dit ; « un pays qui n’a pas d’industrie ne gagne pas les guerres ». J’ajouterais ; un pays qui ne met pas à disposition une énergie abondante, constante et bon marché n’a pas d’industrie. La sortie allemande du nucléaire n’est pas seulement une erreur, c’est une faute contre la sécurité des Nations européennes dont l’Allemagne doit payer le prix. Et voilà pourquoi la révision du projet « Fit for 55 » est urgente. Ici encore, il s’agit de la sécurité des Nations européennes, et de leur capacité à reconstruire les moyens de leur autonomie industrielle.

    La maîtrise des chaînes logistiques et des ressources vitales.

    Au moment même où le petit nombre de pays soumis aux États-Unis annonçait des sanctions « comme nous n’en avons jamais vu » à l’encontre de la Russie et de la Biélorussie, la commission du commerce international au Parlement européen (INTA) continuait comme si de rien n’était à vanter les mérites du libre-échange et à se vouer à la globalisation. Qui peut échapper à la violence de la contradiction ? L’aveuglement géopolitique est éclatant ; qui ne voit que la logique des sanctions est la plus opposée qui soit au libre-échange, et que l’Union européenne sacrifie le mode de vie des Européens et le pouvoir d’achat à l’urgence politique qui lui est dictée ?

    Qui peut échapper au constat désolant que rend éclatant la séparation du monde qui se déroule sous nos yeux ; parce qu’il appelle l’uniformisation des règles, des lois et des mœurs, parce qu’il signifie en finir avec la liberté des peuples de se donner leurs lois et leurs règnes, et in fine parce qu’il sacrifie la liberté politique à de supposés avantages économiques dont la majorité ne verra rien, ou subira les dommages, le libre-échange, avec son corollaire qu’est la liberté de mouvement des capitaux, appelle la guerre, entraîne la guerre, commande la guerre — et, de fait, provoque la guerre planétaire dont l’Ukraine est le trompe l’œil.

    Les représentants d’une Union européenne qui n’a à la bouche que les mots de paix, de démocratie et de liberté semblent ne pas se rendre compte des paradoxes et des contradictions dans lesquels ils se prélassent, sans voir que le confort des mots se paie — et commence déjà à se payer.

    Qui mesure à quel point le projet d’une taxe carbone aux frontières est une provocation à l’égard d’un monde en développement dont le moins disant environnemental est l’un des avantages compétitifs majeurs, et qui comprend combien les dispositions qui affaiblissent les Nations européennes, pénalisent les productions industrielles et protègent les rentes, contribuent à un désarmement qui est à la fois militaire, national et environnemental ?

    Green Deal

    Le Green Deal est l’enfant condamné de la fin de l’histoire, de la chute d’un Occident étendu au monde, et de la globalisation comme utopie du capitalisme totalitaire. La question n’est pas que la guerre prend le pas sur l’environnement, le climat et la santé humaine. La question est que les priorités de défense, de milieu de vie et de libertés de choix s’accordent pour appeler une révision drastique du Green Deal et des orientations imposées, faut-il le rappeler, sans consultations des électeurs et sans réel débat démocratique dans les Nations concernées.

    Elles s’accordent pour faire de la relocalisation massive des activités industrielles sur le sol des Nations européennes une priorité absolue — ce qui signifie, entre autres, une énergie abondante et produite en Europe. Elles s’accordent pour exiger que l’Europe retrouve son autonomie alimentaire, retrouvent la maîtrise du vivant, végétal et animal, en même temps qu’elle retrouve la biodiversité qui a si longtemps constitué l’une de ses richesses et de ses assurances. L’Europe doit produire à la fois plus et mieux, elle doit permettre au plus grand nombre d’exprimer sa préférence pour les produits locaux, artisanaux et aussi recréer les conditions de l’autoproduction familiale.

    Elles s’accordent pour faire de l’économie circulaire un facteur clé de notre autonomie, imposant la réparabilité des biens d’équipement, pénalisant l’obsolescence programmée, établissant les circuits de production à partir des déchets et rebuts — de la production d’énergie à la récupération des composants — et le système de collecte des objets en seconde ou troisième vie. et elles s’accordent à faire de la sécurité des modes de vie de nos concitoyens la priorité, opposée aussi bien à une écologie punitive devenue folle, qu’aux aberrations des chaînes logistiques étendues à la planète en raison d’un coût du transport artificiellement négligeable.

    De la folie des renouvelables à l’impasse du véhicule électrique, l’Union doit tout reprendre, tout repenser, tout refaire. Les facilités du « en même temps » ne nous sont plus permises. Baisse du pouvoir d’achat, remise en cause de nos modes de vie, ruptures d’abondance pour plusieurs ressources vitales ; si l’Union européenne a quelque chance de retrouver une légitimité compromise, c’est bien en acceptant ses erreurs, en corrigeant les faiblesses et par-dessus tout, en reconnaissant les limites d’arbitrages et de choix qui échappent au suffrage des citoyens des Nations européennes, mais pas aux intérêts de ceux qui les prennent pour cibles. Une seule certitude doit nous guider ; rien de durable ne se fera contre la volonté des Nations, les identités nationales, et le désir des citoyens de bien vivre.

    Hervé Juvin (Site officiel d'Hervé Juvin, 5 avril 2022)

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  • La défense sous le feu des technocrates...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une chronique d'Éric Zemmour sur RTL, datée du 13 juillet 2017 et consacrée à la réduction du budget de la défense imposée par Emmanuel Macron et les  technocrates de Bercy et qui a débouché hier sur la démission du Chef d'état major des armées, le général d'armée Pierre de Villiers...

     

                                           

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  • Comment protéger sa famille...

    La revue Survival, consacrée à la survie en milieu hostile, sort en kiosque son sixième numéro (février 2017-mars 2017). Une revue indispensable pour les amateurs de crapahut et d'aventure ainsi qu'à toutes les personnes soucieuses de développer leur capacité de résilience et leur aptitude à la survie individuelle ou collective...

     

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    Sommaire :

    Survie
    Le troc en situation de survie
    Interview Cris Millenium
    IEM : un risque méconnu
    Information d’État : Les conseils suisses et français
    Survivre en temps de guerre : Le siège de Leningrad

    Équipements
    La lanterne à LED Helix
    Alerter pour survivre
    Correspondance entre la température et la force du vent
    Chaussures Muckboots Pursuit Shadow
    Introduction aux couteaux de Bushcraft

    Techniques
    Mieux vaut prévenir…
    Stage mixte défense et premiers secours tactiques
    La défense du domicile
    L’hygiène en situation de survie
    Le noeud de « tête d’alouette »

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  • Europe de la défense, ou défense sans Europe ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue du général Desportes, cueilli sur le site de Bruxelles 2 et consacré à l'échec de la construction d'une défense européenne... Le général Desportes est l'auteur de plusieurs ouvrages de réflexion sur la guerre et la stratégie, tels que Comprendre la stratégie (Economica, 2001), Décider dans l'incertitude (Economica, 2004), La guerre probable (Economica, 2008), Le piège américain (Economica, 2011) ou dernièrement La dernière bataille de France - Lettre aux Français qui croient encore être défendus (Gallimard, 2015).

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    Europe de la défense, ou défense sans Europe

    Déciller les yeux

    Même aux plus aveugles, la réalité doit déciller les yeux : le monde a pris feu autour de nous et la guerre y est revenue en force. Au nord-est, avec l’Ukraine, à l’est avec l’incendie qui ravage le Moyen-Orient, au sud, en Libye, au Nigeria puis au Sahel jusqu’au Mali.

    Une seule évidence : contrairement à nos schémas parfois « simplistes » d’occidentaux chrétiens, le monde ne progresse pas de manière linaire du mal vers le bien. Le monde post-moderne est une utopie de nantis et notre perception du monde, née des rêves de San Francisco en octobre 1945, était une illusion du monde.

    Le retour de la guerre et de la force brute

    Il y a, et il y aura toujours des retours en arrière brutaux et nos manières de guerre devront pouvoir retrouver leurs caractéristiques les plus brutales lorsqu’aucun compromis n’est possible. Monsieur Poutine nous a rappelé que la force brute est un atout autant stratégique que tactique pour celui qui la possède et ne craint pas de s’en servir. Il nous a montré, en creux, que notre force, sans volonté, sans vision, n’avait rien à voir avec la puissance.

    A cela, s’ajoutent deux coups de semonce récents : le Brexit et l’élection de Donald Trump. Prenons-les pour ce qu’ils sont : de véritables opportunités à saisir mais, également, de nouvelles exigences, à court terme.

    Le fait est que : le monde a pris feu autour de l’Europe. L’Europe, et la France d’ailleurs, n’en tirent que des conclusions trop lentes et trop modestes quant au nécessaire renforcement de leur défense.

    L’Europe doit reconstruire l’esprit de défense

    Le problème de l’Europe est qu’elle a tué l’esprit de défense en même temps qu’elle a tué la guerre. Elle a retiré de l’esprit des jeunes générations d’Européens toute légitimité à la guerre comme outil de consolidation ou de défense d’un projet politique ; donc aussi, une grande part de légitimité aux dépenses de défense.

    Une Europe trop lente, trop modeste…

    Le grand problème de la défense européenne c’est qu’elle s’est fondée sur l’idée que la guerre était illégitime. Les processus européens freinent les progrès et empêchent, dans les faits, les interventions. L’Europe intervient moins vite que l’ONU ! Belle performance.

    Personne n’est venu aider la France dans sa phase offensive lorsqu’elle s’est engagée au Mali défendre la sécurité des Européens. La mission européenne de formation de l’armée malienne a été difficile à mettre sur pied. La constitution de l’EUFOR RCA (en Centrafrique) a relevé du feuilleton. Et la force n’a été constituée qu’avec un apport massif de la France d’une part et d’États non membres d’autre part.

    … et peu visible

    Dans la lutte contre l’État islamique — qui concerne pourtant tous les Européens —, l’Europe, en tant que telle, est absente et les Européens presque autant … de la même manière qu’en Afghanistan, l’Europe a conduit sa plus longue et sa plus massive opération sans jamais y exister. Plus que beaucoup d’autres, les Français ont été Européens, en matière militaire en particulier.

    Urgence à re-investir dans la défense

    La succession des désillusions nous contraint au réalisme. La première conclusion relève du principe de précaution. Allons vers l’Europe ! Mais arrêtons de nous départir des moyens nécessaires à l’exercice de nos responsabilités et à la protection de nos intérêts. L’Europe elle-même en a besoin pour que soient remplies les missions dont seules les armées françaises sont capables. Les réinvestissements rapides et massifs de l’État français et des États européens dans leur défense sont aujourd’hui d’une cruciale urgence.

    Construire une vision et des intérêts communs 

    Cependant, la défense ne peut être que la défense d’une vision partagée et d’intérêts stratégiques communs. Force est de constater que l’un et l’autre font défaut. Tant qu’il n’y aura pas de vision stratégique commune, d’intérêt stratégique commun, il n’y aura pas de défense commune car, dans chaque État membre, le sentiment de solidarité européen n’est pas assez fort pour imposer le risque politique national. Plus même, tant qu’il n’y aura pas de vision opérationnelle partagée, il n’y aura pas de forces mutualisées.

    Prenons l’exemple des équipements blindés. Quand l’Allemagne parle de blindés légers, elle pense à la classe 30 tonnes alors que la France rêve à des véhicules inférieurs à 10 tonnes

    Les interventions au sol : une prérogative qui reste nationale

    Pour longtemps encore, ne pourront être partagées que les capacités, aériennes et navales, dont l’engagement ne constitue justement pas un risque politique. Le « pooling and sharing » ne fonctionne que quand il n’y a pas de risque politique.

    [Pour les forces terrestres, c’est une autre question] L’intervention de troupes au sol est trop dangereuse pour dépasser les égoïsmes nationaux. Si nous voulons maîtriser notre action extérieure, nous devons augmenter les nôtres.

    On peut mutualiser des capacités mais pas des forces. Le temps n’est plus aux chimères dangereuses, au rêve longtemps caressé mais visiblement vain. Le temps est d’abord celui du retour à la dure réalité du monde et donc à celui de la restauration de nos capacités nationales de défense.

    Être réaliste : tout recommencer depuis le bas

    Aujourd’hui, il faut juste être réaliste. La démarche « bottom up » ne fonctionne pas : en soixante ans, l’accumulation de petits morceaux de défense européenne n’a jamais permis de créer la vision espérée. Il faut donc reprendre totalement la démarche, en repartant du bas, en exigeant la communauté de vues. Il faut cesser d’ériger l’argument de l’Europe de la défense comme excuse recevable pour la stagnation des budgets de défense.

    Le temps est ensuite au sacrifice de nos vaches sacrées, à la prise de conscience du paradoxe de la Reine Rouge de Lewis Carol. Cela fait soixante ans que le processus de construction de la défense européenne ne fonctionne pas, que dans un monde qui va très vite la politique des petits pas nous fait reculer. Cela fait soixante ans que nous touillons l’Europe de la défense, et il ne se passe rien.

    Ma grand-mère me disait : si au bout d’une demi-heure ta mayonnaise n’a pas pris, jette l’ensemble, reprend un nouvel œuf et de la moutarde nouvelle et mets toi sérieusement au travail. Cela relève désormais de l’urgence vitale

    Général de division Vincent Desportes, propos recueillis par Leonor Hubaut (Bruxelles 2, 28 novembre 2016)

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  • Des citoyens armés pour faire face à la menace terroriste...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné le 16 septembre 2016 par Bernard Wicht à la Radio Télévision suisse pour évoquer la volonté de l'Union européenne de désarmer ses citoyens, en rendant plus difficiles les conditions d'acquisition et de détention des armes. Universitaire, historien des idées et spécialiste en stratégie, Bernard Wicht a récemment publié Une nouvelle Guerre de Trente Ans (Le Polémarque 2011), Europe Mad Max demain ? (Favre, 2013) et L'avenir du citoyen-soldat (Le Polémarque, 2015).

     

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