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  • L’américanisation linguistique de l’Union européenne...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Yannick Sauveur cueilli sur le site d'Euro-Synergies et consacré à l'américanisation linguistique de l'Union européenne...

    Yannick Sauveur, docteur en sciences de l’information et de la communication, a été actif, dans les années soixante et soixante-dix au sein de la mouvance prônant l’unification européenne, inspirée par Jean Thiriart. Il vient de publier récemment L'américanisation de la société française.

     

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    L’américanisation linguistique de l’Union européenne

    Si mon essai sur l’américanisation de la société française [1] traite du cas français, il est évident, hélas, que les constats que je fais s’appliquent très largement à l’Europe dans son ensemble, voire à ce qu’on appelle improprement l’Occident. J’ai écrit un long chapitre relatif à l’acculturation linguistique. Même si l’américanisation recouvre tous les aspects de la vie courante : arts, musique, vêtement, restauration, tourisme, il en est un qui me paraît essentiel, être le problème numéro 1, c’est celui de la langue nationale qui est en voie de disparition. En disant nationale, j’entends le français en France (ou Wallonie, ou Québec ou Suisse romande), l’allemand en Allemagne, l’italien en Italie, le castillan en Espagne, etc. Les ravages de la domination culturelle américaine sont, faut-il le déplorer, identiques dans tous les pays se soumettant avec une facilité déconcertante à la colonisation américaine. Le linguiste italien Antonio Zoppetti rappelle le propos de Churchill selon qui « Le pouvoir de dominer la langue d’un peuple offre des gains bien supérieurs à ceux de lui enlever des provinces et des territoires ou de l’écraser en l’exploitant. Les empires du futur sont ceux de l’esprit. »[2]

    L’américanisation n’est pas récente. Le déferlement culturel U.S., déjà présent dans la première moitié du 20ème siècle, prend son envol avec la fin de la 2ème Guerre mondiale : chewing-gum, bas Nylon, cigarettes blondes, coca-cola envahissent les territoires libérés. Ces nouveaux produits de consommation sont associés à un message subliminal, celui de liberté et c’est ainsi que la majorité des peuples vont entendre cette nouvelle occupation que certains nommeront plus tard une colonisation douce. Les Accords Blum-Byrnes et le Plan Marshall signés respectivement en 1946 et 1947 vont accélérer la domination politico-économico-culturelle tant il est vrai que tout est lié et qu’une domination qui ne serait que militaire n’aurait pas de sens, ce qu’a bien compris le politiste et ancien conseiller de Jimmy Carter, Zbigniew Brzezinski, pour qui « La domination culturelle des États-Unis a jusqu’à présent été un aspect sous-estimé de sa puissance globale. »

    Voilà pour le contexte historique. En ces années 40 et 50, les langues nationales sont encore épargnées. Au début des années 60, un auteur français, Etiemble, écrit un pamphlet, Parlez-vous franglais ?[3]. À la même époque des auteurs italien ou allemand auraient pu, tout aussi bien, écrire Parlez-vous italianglese ? ou Parlez-vous germanglais ? Etiemble fustige (déjà !) le sabir atlantique (« une langue au niveau le plus bas ») et l’invasion de l’anglais. Succès éditorial remarquable mais fiasco du point de vue de son influence. La lecture du livre d’Etiemble, à 60 ans de distance, prête à sourire tant il est vrai que les parking, dancing, building, pressing, lunch, business, fair-play, teenagers paraissent bien ordinaires à nos oreilles des années 2020. Pour s’en convaincre, il n’est pas inutile de citer quelques-uns des mots et expressions couramment utilisés dans les médias grand public : les masters, les think tanks, les followers, les like, les posts, les happy hours, le management, les managers, le turn-over, le feedback, le merchandising, l’inévitable black friday, le coach et le coaching avec ses variantes, equicoach et equicoaching, le coworking, le leadership, les leaders, les show room, les fast food, le drive et les drive in, les hamburger, check in et check out, les looser, les spots diffusés en prime time, les podcasts et les émissions en replay, les talk show, un full time job, les news qui se déclinent en news magazines, en newsletter, le body language, les start-up, faire son coming out (très en vogue dans la classe élitaire de la politique et/ou du spectacle), les check up, les crowfunding (financement participatif), le coliving et autre storytelling. En lisant la presse, je découvre que ThereSheGoes est une application pour aider les femmes à entreprendre ou encore qu’un escape game permet de sensibiliser sur les handicaps invisibles. Quant à la team mise à toutes les sauces, elle fait presque partie du langage courant et dans son sillage, la dream team. J’ai vu récemment un panneau intitulé « Espace Street Workout » qui invite à respecter la charte éthique de la Fédération Mondiale de Street Workout[4] et de Calisthénics. J’arrête là cet exercice épuisant qui n’est pas une spécificité française. En Italie comme en France dans les aéroports ou dans les gares, les portes d’embarquement sont des gates !  

    À cela ajoutons la transformation de nos villes, tant les périphéries avec les mêmes enseignes, les mêmes publicités, les centres-villes dont les vitrines se parent de slogans ou accroches anglo-saxonisées (Haircuts and Shaves BARBER SHOP Professionnal Service, L’Ideal Coffee - Working Café – Salad Bar – Petite restauration). On reste confondus devant pareille bêtise qui, hélas, se répand à toute vitesse.

    Ce langage, le franglais (Etiemble), le gallo-ricain pour Henri Gobard, le globish[5], langage réduit à 1.500 mots, syntaxe et grammaire simplifiées, voire la très expressive okeïsation, n’est qu’un des aspects de l’américanisation du langage. J’ai indiqué ailleurs[6] qu’il y avait deux types d’américanisation : Américanisation du riche, américanisation du pauvre (insidieuse), américanisation voulue (recherchée) ou subie, le résultat est le même. Et les deux publics peuvent se rejoindre et se retrouver dans un McDo. Cette américanisation subliminale de nos cerveaux (François Asselineau) n’est que la résultante d’un travail de sape en amont opéré depuis des décennies par des gouvernants serviles, des journalistes aux ordres, et plus généralement les élites complices de cette dégradation sans oublier une certaine bourgeoisie qui, par mimétisme, par snobisme envoie ses rejetons aux States (une année pour passer le bac américain, ou études supérieures complètes). Pour ceux-là, l’anglo-américain est une première langue à égalité avec la langue maternelle : les curriculums vitae sont rédigés exclusivement en anglais, même pas en bilingue langue maternelle/anglais ! Toutes les productions scientifiques sont majoritairement en anglais. C’est une erreur de croire que la richesse scientifique doive s’exprimer en anglais pour être reconnue. Le mathématicien Laurent Lafforgue (médaille Fields 2002) considère que, contrairement à l’opinion commune, ce n’est pas grâce à la vigueur et à la qualité de l’école française de mathématiques que les mathématiques françaises continuent à être publiées en français, mais, tout à l’inverse, parce que cette école continue à publier en français qu’elle conserve son originalité et sa force.[7]

    Les conférenciers s’expriment en anglais même s’il y a la traduction simultanée. Comment s’en étonner lorsque le Président de la République, Emmanuel Macron, s’obstine, contre tout bon sens, à ne pas utiliser la langue qui fut celle de la diplomatie pendant des siècles. Loin d’être un cas isolé, d’autres dirigeants, ainsi Mario Draghi, ancien Président du Conseil, ancien Président de la B.C.E., fait ses discours en anglais depuis des années.  La francophonie, elle-même, est en berne mais comment ne le serait-elle pas avec une secrétaire générale de l’OIF (Organisation internationale de la francophonie), Louise Mushikiwabo (photo), élue en 2018 et réélue en 2022, dont la candidature a été présentée en anglais par le président du Rwanda, Paul Kagame. Il est vrai que le Rwanda a remplacé en 2008 le français par l’anglais en tant que langue obligatoire à l’école !

    Comment imaginer qu’Emmanuel Macron, Friedrich Merz, Keir Starmer, Donald Tusk, quand ils se réunissent parlent dans une autre langue que l’anglo-américain ?

    Les young leaders ne sont plus une spécificité franco-américaine. On les retrouve en Italie, en Allemagne, et même… en Afrique (Promotion 2023 de la French-African Foundation sous le haut patronage du Président Emmanuel Macron et du Président Paul Kagame). Les élites atlantistes sont associées aux cercles et organisations mondialistes : Fondation Rockefeller, Fondation Ford, Bilderberg Group, Aspen Institute. L’anglo-américain est tout naturellement la langue de communication pour ces participants du Bilderberg Group (réunion 2023) : Edouard Philippe, ancien Premier ministre français, Albert Bourla, Président de Pfizer, Paolo Gentiloni, Commissaire européen aux Affaires économiques et financières, à la fiscalité et à l’Union douanière, à la Commission européenne, Roberta Metsola, présidente du Parlement européen, etc. La présidente du Conseil italien et proche de Trump, Giorgia Meloni, fait partie de Aspen Italia.

    Léopold Sédar Senghor (photo), prévoyait que le français pourrait être à la fois la langue de l’unité européenne, la langue véhiculaire du bassin méditerranéen et celle de l’unité de l’Afrique ! Hélas ! Celui qui a tant œuvré pour la francophonie serait bien amer de constater que l’anglais règne en maître dans toute l’Union européenne alors que l’anglais n’est langue officielle d’aucun pays de l’U.E*. À l’appui de l’anglais comme langue de l’U.E., les partisans invoquent le coût des traductions alors que la richesse induite par la diversité des langues est de loin supérieure au coût, en réalité négligeable.[8]

    Dans une Europe débarrassée de la domination anglo-américaine, une authentique politique d’Éducation nationale devrait avoir pour mission l’apprentissage, dès l’entrée dans l’enseignement secondaire, de trois langues (en plus de la langue maternelle) et se poursuivre dans l’enseignement supérieur avec l’approfondissement d’une langue autre que l’anglais. Encore faudrait-il que dès le plus jeune âge, tant dans les familles que dans l’enseignement primaire, le civisme fût la règle : respect de sa langue maternelle (ou d’adoption pour les immigrés) et apprentissage rigoureux de celle-ci. Les patrimoines linguistiques nationaux doivent être protégés. Il est inutile d’empiler des lois alors qu’il suffit d’appliquer strictement les lois existantes (loi Toubon en France), ce qui suppose que les publicitaires, et autres communicants, révisent prestement leur vocabulaire.

    Les partenariats et financements des organismes promouvant les langues nationales doivent être développés : Alliance Française, Goethe Institut, Institut Cervantes, etc. Le multilinguisme des élites doit être promu avec la connaissance minimale de l’allemand, de l’espagnol et du français. Est-ce utopique ? Oui, assurément dans le cadre actuel de l’U.E. mais certainement pas dans le cadre d’une Europe qui veut recouvrer les moyens de sa puissance, et la défense et la restauration des langues nationales en font partie. Avant toute chose, tout complexe d’infériorité doit être banni. La domination culturelle (et donc linguistique) anglo-saxonne n’est pas synonyme d’une quelconque supériorité mais renvoie à notre soumission voulue, acceptée.

    Yannick Sauveur (Euro-Synergies, 27 juin 2025)

    * Note Métapo infos : La langue anglaise reste la deuxième langue officielle de deux pays de l'UE : l'Éire et Malte...

     

    Notes:

    [1] Yannick Sauveur, L’américanisation de la société française, Éditions Aencre, 2024.

    [2] Winston Churchill, Discours aux étudiants de Harvard, 6 septembre 1943.

    [3] Etiemble, Parlez-vous franglais ? Gallimard, 1964.

    [4] Le code éthique du Street Workout correspond, peu ou prou, à ce qu’on entendait par esprit sportif au temps de Pierre de Coubertin. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?!

    [5] Contraction de Global et English, Jean-Paul Nerrière, ancien vice-président d’IBM USA serait à l’origine du globish.

    [6] Cf. Questions-réponses, site Eurasia.

    [7] Cité in Claude Hagège, Contre la pensée unique, Odile Jacob, 2012.

    [8] Cf. Claude Hagège, Contre la pensée unique, Op.cit.

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  • Le naufrage du français, le triomphe de l'anglais...

    Les éditions Hermann viennent de publier une enquête de Lionel Meney intitulée Le naufrage du français, le triomphe de l'anglais.

    Lionel Meney, docteur ès lettres, est linguiste et lexicographe. Il a étudié à la Sorbonne et à l’École normale supérieure de Saint-Cloud, et enseigné à l’Université Laval de Québec. Spécialiste de l’étude comparée des français du Québec et de France, du contact du français et de l’anglais, ainsi que des idéologies linguistiques, il est l’auteur de plusieurs ouvrages dans le domaine du langage.

     

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    " Black Friday, booster, checker, click and collect, drive, fake news, follower, healthy, liker, outlet, people, podcast, smartphone, streaming... Le français subit une véritable déferlante de mots anglais. En France, on entend et l’on voit l’anglais partout. Le français va mal, très mal, au point qu’on peut parler de naufrage.

    Pour établir ce diagnostic, Lionel Meney a procédé à une large enquête dans les rues de grandes villes françaises, dans les grands magasins, les boutiques de quartier, les entreprises, les médias, sur les sites Web. Le verdict est clair : le français a décroché face à l’anglais. Dans le langage courant, on assiste à une invasion jamais vue d’anglicismes. Plus grave encore, le français a cédé la place à l’anglais dans les secteurs clés des sciences, des techniques, de la diplomatie, du commerce...

    Il faut agir. Réveillons-nous ! Prenons en main le destin de notre langue avant qu’il ne soit trop tard. "
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  • C'est le français qu'on assassine !...

    Les éditions Blanche viennent de publier un essai de Jean-Paul  Brighelli intitulé C'est le français qu'on assassine et préfacé par Ingrid Riocreux. Normalien et agrégé de lettres, ancien professeur de classes préparatoires, Jean-Paul Brighelli est un polémiste féroce dont on peut lire les chroniques sur le site Bonnet d'âne et auquel doit déjà plusieurs essais comme La fabrique du crétin (Folio, 2006), A bonne école (Folio, 2007), Tableau noir (Hugo et Cie, 2014) ou Voltaire et le Jihad (L'Archipel, 2015).

     

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    « En s'attaquant à notre langue, c'est à la Nation que l'on s'attaque.

    " La France, ton français fout l'camp ! " : baisse dramatique du niveau orthographique, conséquence d'un enseignement à la dérive ; réformes absurdes de l'apprentissage de la langue, " négociations " en classe sur la graphie et " simplification " de la grammaire –; jusqu'à ce qu'il n'en reste rien ; utilisation massive de l'anglais –; et, pire, du globish –; par de hautes instances françaises, y compris des candidats à la présidence de la République...

    Tout révèle une inspiration commune : la langue, c'est la Nation, et dans le grand concert mondialisé, les nations ne sont pas bienvenues.

    Du coup, les " communautés " s'organisent autour de leurs propres langages, et y sont souvent encouragées par l'institution éducative : l'arabe ou le turc oui, mais le français, de moins en moins. Si la langue française est la base de notre culture, la dégrader peut suffire à suicider une France vieille de douze siècles.

    Mais c'est cela aussi, l'objectif : la France doit disparaître, et c'est en attaquant à la base sa langue et sa culture qu'on en finira le plus vite avec elle.
    Annihiler la cinquième langue la plus parlée au monde n'était pas une mince affaire. Mais si nous continuons sur notre lancée autodestructrice, à l'horizon 2030, ce sera fait.

    Que faire ? C'est par l'apprentissage systématique de la langue –; dans ce qu'elle a de plus beau et de plus emblématique –; que nous pouvons échapper au sort qui nous est promis par le néo-libéralisme : intégrer et assimiler la mosaïque de populations qui se pressent sur notre territoire. C'est par la langue que nous pouvons résoudre les tensions entre " communautés " –; un joli mot inventé pour faire croire qu'il n'y a plus de communauté unique des citoyens français.
    C'est par la langue que nous pouvons résister à la déferlante de cette mondialisation qui prétend nous éparpiller façon puzzle. »

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  • Non, défendre la langue française n'est pas réac !...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un point de vue de Jacques Drillon, cueilli sur le site de l'Obs (ex-Nouvel Observateur) et consacré à la défense de la langue française... Jacques Drillon est journaliste dans la presse musicale, écrivain et linguiste.

     

     

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    Une du quotidien Libération en mai 2013 pour soutenir le projet de loi du ministre de l'enseignement supérieur destiné notamment à introduire l'enseignement en anglais à l'université...

     

    Non, défendre la langue française n'est pas réac !

    Il existe des rayons bio dans tous les hypermarchés, mais nous parlons une langue traitée à mort. Dans son livre «De quel amour blessée», le poète et essayiste Alain Borer institue la notion de «réchauffement linguistique»... C'est cela: nous cherchons à préserver notre eau, notre air, notre sol, nous voulons conserver notre modèle social, notre système de santé, le peu d'industrie qu'il nous reste, nous ravalons les façades d'immeubles, nous protégeons notre patrimoine, mais celui qui s'avise de défendre le français passe pour un barbon, un vieux ronchon hors course - et de droite, par-dessus le marché.

    C'est automatique. Au mieux, il passe pour un poseur, un fayot, un intello. Et pourtant, le français, ce que nous avons de plus précieux, se porte mal. Sa maladie est interne, elle est externe - dans les deux cas volontaire, provoquée, et même revendiquée. Et c'est le plus tragique. L'Etat nous y invite le plus souvent, et c'est le plus absurde.

    Méthodiquement, nous appauvrissons notre vocabulaire. Nous avions deux mots, nous n'en avons plus qu'un : nous avions homonyme (= de même nom) et éponyme (= qui donne son nom), nous n'avons plus qu'éponyme, qui paraît plus chic; nous tirons les conséquences, au lieu des conclusions, nous laissons proliférer les pléonasmes (préparer à l'avance, risque potentiel), nous répétons à la fois (il est à la fois beau, et à la fois riche) parce que nous ne réfléchissons plus à ce que nous disons; nous pervertissons la syntaxe, toujours dans le sens de l'appauvrissement: abuser une femme veut dire la flouer, abuser d'une femme veut dire la violer, et nous ne disons plus qu'abuser une femme (la violer).

    Ajoutons que cela fait suite à la quasi-suppression du verbe violer, lui-même proscrit, parce que trop précis - et nous avons appris à haïr la précision (on n'apprend plus à écrire en cursive, à l'école, mais en attaché). L'anglais y aide: nous avions déroulement, emploi du temps, délai, moment, synchronisation, minutage, nous n'avons plus qu'un seul mot, timing, qui les dit tous, donc aucun.

    Méthodiquement, nous distordons le lien entre écriture et prononciation, puisque nous accueillons les mots anglais sans les franciser dans leur orthographe et en les prononçant à l'anglaise, aïePhone, même s'ils sont français d'origine (entendu l'autre jour: «Il est pauvre comme djob.»). Nous cherchons à tout prix à intégrer les immigrés, mais leurs mots, eux, peuvent rester fichés dans le français sans qu'on en souffre le moins du monde. Nous faisons du communautarisme linguistique.

    Méthodiquement, nous raccourcissons les mots de plus de deux syllabes à coups d'apocopes qui laissent entendre que la rapidité vaut mieux que tout: le docu, le bénef, l'ordi, l'homo, l'info, à tout' ou encore le réac... Ne sommes-nous pas passés, ici même, du «Nouvel Observateur» à «l'Obs»? Nostra culpa. Le raccourcissement, multiplié par l'appauvrissement du vocabulaire, donne des résultats atroces, des images figées, des stéréotypes, comme dans le «langage SMS»: mdr (mort de rire), asv (âge sexe ville)...

    Méthodiquement, nous décourageons toute la créativité lexicale, ricanons des mots nouveaux (courriel, bogue), non parce qu'ils sont recommandés par les autorités, mais uniquement parce qu'ils sont d'apparence française: nous voulons faire perdre toute tonicité à notre langue, parce que c'est la nôtre.

    Et si nous l'encourageons, comme dans la féminisation des noms de titres et fonctions, c'est pour mieux oublier qu'il existait en français une classe de mots dits épicènes (des deux genres), comme un ou une enfant, un ou une secrétaire, un ou une cinéaste, et qu'il suffisait de l'élargir à professeur, auteur, chef sans aller jusqu'aux barbarismes que sont professeure, auteure, cheffe... L'impayable féministe Geneviève Fraisse n'a-t-elle pas parlé des «sans-papières» d'Amsterdam?

    Que le niveau d'orthographe des élèves ait baissé, plus personne ne le conteste (c'est vrai des élèves, c'est vrai des professeurs). Mais la nouveauté est que la faute ne touche plus la seule orthographe d'usage: les pratiques ont toujours un peu flotté sur ces questions, sans qu'on ait à s'en offusquer: combien d'r à embarrasser? quel est le genre du mot écritoire?

    Le français est aussi un jeu de société très prisé, et parfois difficile; non, la faute nouvelle concerne la nature grammaticale des mots, la différence qu'on établit entre un verbe et une préposition, entre un adjectif et un article: je mais mon manteau, je m'est mon manteau... Cette confusion est infiniment plus grave, plus profonde, justement parce qu'il s'agit d'une confusion, non d'une erreur.

    Que la nature des mots ne soit plus fixée, que la construction des verbes soit laissée au hasard, l'emploi des temps anarchique, et c'est toute la logique grammaticale qui s'effondre comme un pan de falaise. Que l'oral et l'écrit divorcent (une part de bri, une règle de gramaire, deux heuros), et c'est un autre pan qui s'écroule.

    Que des hommes politiques (le «care» de Martine Aubry !) ne parlent bien qu'une seule langue, la langue de bois, et c'est encore un pan de moins.

    Que les organismes publics matraquent des fautes cent fois par jour, et c'est la noyade. La SNCF s'excuse «pour la gêne occasionnée», sans complément d'agent (occasionnée par), et vous recommande: «Assurez-vous de n'avoir rien oublié dans le train» (au lieu de que vous n'avez). La langue est un lien multiple, mais elle est elle-même faite de liens, elle est une construction compliquée, un appareil fragile dont chaque constituant est indispensable à l'équilibre général.

    Et nous nous y prenons toujours de travers. Mauvais choix, stratégies inefficaces, lois inapplicables et/ou inappliquées. Prenons le cas de l'anglais.

    L'Etat s'est montré ferme à cet égard en une première occasion: en 1539, dans l'ordonnance de Villers-Cotterêts, qui instituait le français, aux dépens du latin, comme seule langue dans les documents publics (administration, justice) - loi toujours en vigueur. Une deuxième fois, en 1975, en stipulant:

    Une troisième fois, par la loi Toubon (1994), qui précisait la précédente et visait à donner au consommateur et au citoyen le droit de recevoir toute information utile en français (contrats, modes d'emploi, garanties...). Elle rappelait de surcroît l'article II de la Constitution: «La langue de la République est le français.»

    Mais personne ne sait ce que c'est que la République. En sorte que le Conseil constitutionnel, qui devrait le savoir davantage, eut beau jeu de trancher dans le vif de cette loi, et même, pourrait-on dire, de la châtrer, au nom de la liberté d'expression, qui a parfois bon dos. Furent exclues du champ de son application la publicité, la télévision, la radio. Ne restait plus que le «service public», pas mieux cerné que la République.

    Et puis, plus récemment, la loi Fioraso, votée en 2013 par une petite trentaine de députés, autorise les enseignements en langue étrangère (= anglaise), une première depuis Villers-Cotterêts. Et «le Quotidien du peuple» chinois s'étonne: «En formant ses élites en anglais, la France envoie un mauvais signal aux pays francophones.»

    Pendant ce temps-là, pendant ces allers-retours, ces ordres et contrordres, l'anglo-américain imbibe toutes les couches du sol linguistique français comme le nitrate breton. Certes, la langue évolue, nul ne le nie, encore qu'on comprenne toujours La Fontaine et Ronsard, mais peut-être faudrait-il lui éviter d'arriver en phase terminale.

    L'anglais est le symbole d'une société «ouverte à l'autre» (l'autre, c'est l'Américain), qui suit son temps et l'évolution technique (ils disent «technologique»). Bref, d'une société «moderne». Fausse modernité, modernité de province. Jeunesse de vieux. Ce qu'était Paris à la province, l'Amérique l'est devenue à la France. C'est la même pensée de Formica, qui somnole après le boeuf en daube, rideau de fer tiré, le dimanche après-midi, sur le magasin Au Bon Chic parisien.

    Les mots anglais, c'est plus coule, c'est plus feune, c'est pas comme chez nous. On a l'air moins bête en commandant en anglais, chez Quick, un pepper crazy chicken: comment le faire en français sans rougir?

    L'anglais est aussi un voile pudique jeté sur la stupidité: voilà une pensée retendue, botoxée jusqu'aux oreilles, une pensée de jeunes nés vieillards. Cela vous attire le chaland, une enseigne en anglais, cela brille dans les esprits. Optic 2000, c'est quand même plus vivant qu'Optique 2000, non? Vivant, mais si tarte, et qui date d'une époque où l'an 2000 était encore loin devant !

    Quand arrive ici une troupe de danse japonaise, et qu'il faut mettre son nom sur l'affiche, on le traduit en anglais. Pourquoi ? Nous n'osons même plus être banals, nous ne disons plus à bientôt, mais see you soon. Nous irons bientôt acheter nos lunettes chez Affleloo.

    Honte d'être ce qu'on est, haine de ce qu'on est. Empressement devant tout mot qui permet de se faire remarquer, comme dans une loge d'Opéra, parmi ceux qui sont au courant les premiers. La soif d'anglais est un simulacre, donc une illusion. Elle s'arbore comme ces marques, apposées visiblement sur les vêtements pour faire croire qu'on est autre. Ou pour faire croire qu'on est riche, alors qu'on vit dans un taudis.

    La soif d'anglais, c'est le syndrome du crocodile, cousu sur les polos des banlieusards ou les chemisettes des bourgeois, et qui signifie seulement: vêtement cher. En être ou ne pas en être, là est la question. Voyez la hâte piteuse avec laquelle nous avons dit Beijing pour Pékin. Comme nous aimons perdre ! Comme nous aimons notre servitude ! Quelle fierté nous tirons de notre propre abaissement ! Comme elle était heureuse, Christine Ockrent, de pouvoir interroger en anglais Shimon Peres, qui parle parfaitement le français ! Quelle impatience dans l'humiliation !

    Car enfin, pourquoi disons-nous c'est un peu short ou j'ai dispatché le job? Que disons-nous de plus qu'avec c'est un peu court, ouj'ai réparti le travail? Dans son livre magnifique, violent, précis, impitoyable, Alain Borer cite le secrétaire de Marguerite de Navarre: «On n'a jamais écrit aucune chose en autres langues qui ne se puisse bien dire en celle-ci.»

    C'était en 1545... Et aujourd'hui, on se rappelle le premier discours de Giscard d'Estaing président, qui était en anglais (si on peut appeler ça de l'anglais), et l'on se rappelle aussi qu'en se félicitant de nos derniers prix Nobel, Manuel Valls, qui par ailleurs se ridiculise avec son anglais d'école primaire, a cru faire « un pied de nez au «french bashing"», sans comprendre qu'en utilisant ce terme, il confirmait le french bashing, il en faisait lui-même, du french bashing, il se tirait une balle dans le pied. Et dans le nôtre.

    La vraie modernité est celle des prises de conscience. Nous sommes à l'âge des conséquences, des effets pervers, et de leur prise en compte vigoureuse. On ne peut plus vivre comme avant, lorsqu'on consommait vingt litres aux cent. Cette époque est révolue. Il n'y a plus que les bourges inconscients et satisfaits de l'être pour rouler en 4×4 dans le Marais.

    Nous avons fait notre plein d'incurie, de laisser-aller, d'ultralibéralisme; le temps est venu de réagir, de contrôler notre consommation d'anglais. Faute de quoi nous ne serons plus nous-mêmes, et notre place dans le monde, intellectuelle, économique, politique, se réduira à celle du foie gras et du champagne - qui pèsent peu face au limited edition burger. D'autant que nous parlerons toujours moins bien l'anglais que nos maîtres américains, et que cette infériorité se paie.

    Méditons ce fait : au Japon, où la concurrence n'existe plus, Amazon fait payer le port de ses envois. S'il est quasi gratuit ici, c'est que les libraires existent encore, que nous résistons, et qu'on nous courtise. Or, tandis que huit Tibétains s'immolent par le feu pour défendre leur langue, le ministère des Affaires étrangères («gardien de la francophonie», rappelle Borer) appose une grande affiche publicitaire pour l'A380: «France is in the air.»

    Borer cite de Gaulle : «Il y a d'autres peuples qui veulent nous interdire de parler notre langue», et rappelle que le film français qui se fait couronner aux Etats-Unis est un film muet (titré en anglais tout de même: The Artist); que le groupe français qui a remporté tous les prix est Daft Punk, dont les musiciens ne disent ni ne chantent un mot de français, pour un album intitulé Random Access Memories.

    Le Maître ne récompense que ses fidèles sujets. Le Maître fait mine d'ignorer que 63% de son vocabulaire est d'origine française. L'ancien maître du Maître, George W. Bush, a dit pour fustiger notre passivité: «The problem with the French is that they don't have a word for entrepreneur.» Pardon, c'est intraduisible - mais savoureux.

    Si l'on arpente un boulevard parisien, on constate qu'une enseigne sur trois est rédigée en anglais : Al Shoes, Choco Story, Carrefour City; les cafés vous proposent de consommer pour moins cher aux happy hours (le bistrot conquis par l'économie de marché). Les titres de films, de séries télévisées, ne sont plus jamais traduits, mais «Euronews», «Money drop», «Teleshopping», «Anarchy», «WorkinGirls», «Hero Corp» sont des productions françaises...

    Peut-être pourrions-nous (disons la chose en bon français) arrêter de déconner? Cet effondrement est le meilleur moteur de l'asservissement, car il a trouvé le moyen de se faire appeler progrès: une tricherie dans les termes, signature habituelle du totalitarisme en train de s'instituer.

    Jacques Drillon (L'Observateur, 30 novembre 2014)

    De quel amour blessée. Réflexions sur la langue française,
    par Alain Borer, Gallimard, 352 pages, 22,50 euros.

    PS : Que faire ?

    La restauration d'un français sain, fort et moderne, passera par l'école, pour les bases orthographiques et syntaxiques, et par la presse et la publicité, pour la formation continue...

    Le Québec, petite province en état de siège linguistique, a pris des mesures extrêmement efficaces (dans sa Charte, connue sous le nom de loi 101), quoique peu coercitives. Elles sont principalement préventives: par exemple, un magasin doit faire agréer son nom par une commission. «La plupart du temps, en cas de litige, nous discutons. Mais cela peut parfois aller jusqu'au tribunal», rapporte Jean-Pierre Blanc, porte-parole de l'Office québécois de la Langue française.

    En France, nous ne sommes plus en état de siège, puisque le cheval de Troie est entré depuis longtemps dans nos murs, et que nous sommes aux petits soins pour lui. La lutte sera donc sauvage. Bien entendu, le gouvernement et les services publics sont tenus d'être irréprochables, de respecter et de faire respecter les lois existantes. Mais la presse, la publicité et la télévision doivent, d'elles-mêmes, spontanément, leur emboîter le pas. Epaulés ou non par la loi.

    Si le président de France Télévisions ou le directeur d'Europe 1 dit: «A partir de maintenant, nous parlons français, nous ne dirons plus à l'antenne qu'un groupe a publié son disque sur le label Universal, mais chez Universal», le personnel obéira. On a vu à quelle vitesse, en quelques jours, Radio-France est passée d'Etat islamique, qui voudrait se travestir en Etat, à Groupe Etat islamique: la consigne a été comprise.

    De même qu'on éteint la lumière en sortant et qu'on ferme le robinet pendant qu'on se brosse les dents, on peut dire facilement équipe et non plus team, groupe et non plus pool. Nous devrons le faire seuls.

    Nous n'avons guère à attendre de l'Académie française, dont le pouvoir est asymptotique, qui n'est formée ni de linguistes, ni de lexicographes, et ne peut que se lamenter de la fuite du temps, de ce temps où il fallait un décret du roi pour admettre que, oui, le sang circule dans les vaisseaux sanguins. Mais la Délégation générale à la Langue française (Franceterme.culture.fr) propose des équivalents, souvent excellents, à tous les nouveaux mots anglais réputés intraduisibles.

    En attendant, commençons par ne pas traduire en anglais ce qui existe en français.

    J. Dr.

     

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  • Do you speak european ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Lydie Marion, cueilli sur le site de Causeur et consacré à la domination de la langue anglaise dans les institutions européennes.

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    Do you speak european ?

    Dès le XVIIe siècle, l’esprit français règne sur les grandes cours européennes. Le français a vocation à être universel et essaime partout. L’intelligentsia se rallie sous cette bannière, signe de distinction, de savoir-vivre et d’élévation. Avec De L’Allemagne, Madame de Staël décrit en 1810 l’aura d’une France à son apogée européenne et ses échanges outre-Rhin. Elle s’accommode de son exil forcé pour arpenter cette Europe qui la fascine. Germanophile et anglophile, elle pressent dans son ouvrageque le classicisme de la langue française sera bientôt supplanté par l’esthétique romantique du Nord.

    Invariablement, le destin européen semble lié à la domination d’un pays et de sa langue. Malgré l’avènement des idées de Bonaparte, selon lequel les peuples d’Europe doivent s’unir autour des valeurs de la Révolution Française, Madame de Staël reste fidèle à l’aristocratie. Aussi s’érige-t-elle en chantre de l’Ancien Régime abattu qui avait été propice à l’expansion du français dans l’Europe entière. Reconnaissant l’âpreté de la langue allemande, elle rend hommage à la légèreté du français, langue par excellence de la conversation. Légèreté ne signifie pas frivolité mais un sens de la justesse qui naît d’une spontanéité calculée. Jamais l’exigence d’intelligibilité n’a été plus forte que dans la langue française.

    La monarchie avait compris que l’influence d’un pays se mesure à la pratique de sa langue dans les lieux de pouvoir. Pour l’intelligentsia européenne, parler français, c’est exercer l’art supérieur de la conversation et de la sociabilité. Le salon est un lieu d’influence. Cependant, la conquête des élites européennes ne s’est pas opérée par la violence mais par le consentement. C’est la reconnaissance de l’excellence de la civilité à la française. Après la violence de la Révolution de 1789, l’Europe de la pensée, dominée par la France, s’oriente vers l’Angleterre et les Etats qui formeront plus tard l’actuelle Allemagne.

    Aujourd’hui, si géographiquement les lieux de pouvoir européens se trouvent dans des espaces francophones, on n’y parle plus français. Subrepticement, en tant que langue officielle de l’Union Européenne, le français s’efface alors qu’il rivalisait autrefois avec l’anglais. Pourtant, sous l’impulsion de la France, la construction européenne avec les premiers états membres, majoritairement francophones, visaient à instaurer une paix durable entre les nations du continent. C’était la perspective de transformer cet espace économique en espace politique sous influence française.

    Dans cette optique, le général de Gaulle craignait à juste titre l’arrivée de la Grande-Bretagne dans l’Union Européenne pour défendre une stratégie nationale dont il fallait préserver l’Europe continentale. Naguère, les « père fondateurs » défendaient une vision française de l’Europe qui reposait sur une perception collective et enthousiasmante de cet édifice qui devait prendre une envergure politique. En définitive, l’Europe s’est muée en une vaste zone de libre-échange, creuse, sans assise politique sérieuse et sans ancrage dans la population. Le triomphe de l’anglais dans les institutions est le signe de cette hégémonie qui ne cherche même plus à se dissimuler.

    Depuis 2004, date de l’adhésion des anciens pays du bloc soviétique au sein de l’UE, la déroute du français n’a fait que s’accentuer. Pourtant, l’arrivée de pays de l’Est avait été présentée comme une chance pour la France d’étendre son cercle d’influence ainsi que de promouvoir sa langue. Las, le principal acteur de la fondation européenne est marginalisé au sein même des institutions. Les chiffres officiels sont sans appel. En 1997, l’anglais et le français faisaient jeu égal. Au Conseil de l’Union Européenne, 41%  des textes étaient rédigés en anglais, contre 42% en français et 5% en allemand. Les proportions sont similaires dans la Commission Européenne.

    Celle-ci  révèle dans un rapport de 2011 que seuls 6% des documents sont en français. Ce n’est plus une dilution, c’est une débâcle. Jugé plus pratique, l’anglais s’impose dans les réunions et dans les rédactions de rapports. Dès lors, la France en est réduite à invoquer la résolution de 2004 sur la diversité linguistique dans l’Union Européenne. La langue française qui se voulait jadis la plus intelligible devient inintelligible dans les instances où la politique intérieure de la France se décide de plus en plus. Même si les fonctionnaires de l’Union Européenne doivent maîtriser au moins trois langues des pays membres, le français devient subalterne.

    Ainsi, plusieurs travaux importants de la Commission Européenne n’ont été rendu publics qu’en anglais, ne suscitant qu’une réaction molle des autorités françaises. En outre, la nomination de Catherine Ashton, représentante britannique de la diplomatie européenne, symbolise également une forme d’éviction. Au-delà des nominations aux postes stratégiques, c’est la conception même d’une Europe à la française qui s’éteint avec l’avènement d’un fonctionnement à l’anglo-saxonne des institutions européennes. La contribution de la France, notamment grâce à sa langue, pour  marquer de son empreinte la construction européenne est pourtant essentielle. En effet, l’identité des pays de la zone Euro ne doit pas se réduire à un ersatz anglo-saxon. Pourtant, la construction européenne se poursuit sans les peuples, dans l’entre-soi des élites anglicisées qui considèrent la culture et la langue française comme des reliques de musée.

    Plus largement, la francophonie recule sur le vieux continent de manière inquiétante. Alors que l’Union Européenne se targue de préserver le multilinguisme dans ses lieux de décision, l’hégémonie de l’anglais, présenté comme un espéranto par défaut, remet en cause cette diversité. Si la France existe de moins en moins sur le plan économique, elle ne peut se permettre de disparaître des institutions. Son influence dépend de la vivacité et de la pérennité du français dans les instances européennes et internationales. L’Assemblée nationale et le Sénat multiplient les rapports alarmistes, en pure perte. Pour l’instant, aucune mesure concrète n’a été prise pour inverser la tendance. Cette reconquête linguistique est pourtant impérative. Une nouvelle Défense et Illustration de la langue française ne serait pas de trop pour ressaisir un esprit français qui se voulait être le souffle du continent européen.

    Lydie Marion (Causeur, 20 janvier 2014)

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  • Pour en finir avec la langue de Shakespeare !...

    Les éditions Atlande, viennent de publier Pour en finir avec la langue de Shakespeare, un pamphlet de Jean-Luc Jeener. Directeur du Théâtre du Nord-Ouest à Paris, dramaturge et essayiste, Jean-Luc Jeener est également critique de théâtre au Figaro. Il a publié de nombreuses pièces ainsi que, chez le même éditeur, en 2012, Pour en finir avec les intermittents du spectacle...

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    " L'anglais envahit tout. Ce n'est pas seulement une langue mais ce qu'elle véhicule comme références, système de valeurs et vision du monde qui entre en contradiction avec la construction très particulière qu'a été la France. Un texte brûlant et subtil, pertinent et impertinent, qui interroge le changement de modèle de société et de mode de pensée que nous sommes en train de vivre."
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