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universalisme - Page 2

  • Enracinement et universalisme...

    « Le déracinement intégral (…) constitue bien, pour tout libéral conséquent, l’unique condition préalable de toute société réellement libre et universelle. »

    Vous pouvez lire ci-dessous un extrait d'un entretien avec Jean-Claude Michéa, publié dans le journal espagnol El Confidential, et reproduit sur Ragemag. Auteur de plusieurs essais essentiels, Jean-Claude Michéa a récemment publié Le complexe d'Orphée - La gauche, les gens ordinaires et la religion du progrès (Climats, 2011).

     

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    1/ Pourquoi les élites font-elles l’éloge d’un mode de vie nomade et itinérant ?

    La mobilité perpétuelle du capital et du travail est au cœur même de la logique capitaliste. Elle est le seul moyen – soulignait déjà Adam Smith – de permettre à l’offre et à la demande de s’ajuster de façon optimale. De là, la nécessité libérale d’un monde sans frontières dont l’invitation permanente à la mobilité – géographique ou professionnelle – constitue aujourd’hui la valeur centrale. Dans la mesure où la gauche occidentale contemporaine considère désormais ce cadre du capitalisme mondialisé comme historiquement indépassable – au nom de l’idée, médiatiquement imposée par Bernard-Henri Levy et les « nouveaux philosophes », selon laquelle toute volonté de rompre avec le capitalisme ne pourrait conduire qu’au goulag – il est donc logique que la célébration du caractère émancipateur de la mobilité généralisée soit devenue un rouage essentiel de son nouveau programme. Le problème c’est que ce mode de vie « nomade » (qui est d’abord, on l’oublie trop souvent, celui des élites globales et du monde médiatique) ne saurait être universalisé sans contradiction.

    Contrairement à l’illusion que s’efforcent de répandre les classes dirigeantes, il faut rappeler, en effet, que le fameux « tourisme de masse » ne met en jeu que 4% de la population mondiale et que l’immigration, au sens strict, n’en concerne que 2% (même en comptabilisant les nombreux « expatriés » des pays riches). Si ce nouveau mode de vie sans frontière devait devenir la norme – comme le capitalisme global l’exige à présent – on se heurterait donc rapidement à des problèmes écologiques et énergétiques insurmontables (sans même prendre en considération le fait qu’il rendrait impossible tout investissement affectif durable et tout lien social solide). L’ONU elle-même reconnaissait, dans un rapport récent, que d’ici 2050 il sera absolument indispensable de réduire de façon drastique « les transports automobile et aérien et le commerce international à longue distance ». Avec cet éloge du mode de vie migratoire et de la mobilité généralisée on retrouve donc, sous une autre forme, l’éternel problème que posera toujours le projet libéral d’une croissance infinie dans un monde fini.

     

    2/ Comment articuler enracinement et universalisme ?

    La question de l’enracinement est particulièrement complexe, ne serait-ce que parce qu’elle autorise bien des dérives. Il faut donc d’abord rappeler – conformément aux enseignements de base de l’anthropologie et de la psychanalyse – que l’aptitude à donner, recevoir et rendre (c’est-à-dire l’aptitude à dépasser son idéal de toute-puissance infantile et à s’inscrire sous les chaînes humanisantes de la réciprocité) ne s’acquiert habituellement que dans ces relations en face à face qui définissent la socialité primaire (la famille, le village, le quartier, le lieu de travail etc.). Il est, en effet, extrêmement difficile d’accéder au sens des autres – ou d’intégrer une quelconque « loi symbolique » (Lacan) – quand on n’a jamais connu la moindre relation un peu stable ou, a fortiori, quand son seul partenaire est un écran d’ordinateur. Bien entendu, cela ne signifie pas que les dispositions à la solidarité qui auront pu prendre naissance dans ce cadre local s’appliqueront ensuite automatiquement aux autres groupes humains (nous savons bien, malheureusement, qu’une communauté n’est jamais si unie que lorsqu’elle a su s’inventer des boucs émissaires). Le processus d’universalisation critique qui permettra éventuellement d’élargir à d’autres communautés les relations de confiance et de réciprocité forgées au sein de ces « groupes primaires » (Charles Cooley, 1864-1929) ne saurait être « naturel » (même si on ne doit pas négliger le fait que toutes les sociétés connaissent, par ailleurs, les principes de l’alliance et de l’hospitalité). Il exigera toujours un travail de remise en question éthique et politique, fondé sur la prise de conscience – comme l’écrivait Levi-Strauss – que l’humanité ne s’arrête pas aux frontières de la tribu. Et aucun « sens de l’histoire » ne rend un tel travail « inéluctable » ni même « irréversible »

    De ce point de vue, la critique des limites d’une vie purement locale – de son étroitesse culturelle et des risques de « repli identitaire » qu’elle inclut par définition – est forcément au cœur de toute démarche universaliste qui – à l’image de celle qui sous-tend le projet socialiste – entend bien élargir à des groupes humains toujours plus vastes, voire à l’humanité toute entière, le bénéfice de ces habitudes premières de loyauté, de générosité et de reconnaissance. Toute la question est alors de déterminer quelle conception des rapports dialectiques entre l’universel et le particulier est la plus à même de favoriser l’avènement d’une société véritablement « ouverte » et qui ne renoncerait pas pour autant à encourager cet esprit du don et ces pratiques de solidarité qui ne peuvent surgir qu’à partir d’un enracinement culturel particulier. Or pour les libéraux (et particulièrement pour les libéraux de gauche) la réponse ne saurait faire aucun doute. Leur philosophie utilitariste les amène toujours, en effet, à saisir les impératifs traditionnels du don et de la réciprocité sous leur seul aspect « étouffant » et « culpabilisant» (un psychanalyste verrait sans doute dans cette forme d’affectivité un effet classique des ravages exercés dans l’enfance par une mère possessive et castratrice ou par un père absent).

    D’un point de vue libéral, l’idée même de dette symbolique – ce que nous devons, par exemple, à nos parents, nos voisins ou nos amis – ne peut être comprise que dans sa dimension contraignante (il suffit de relire Adolphe de Benjamin Constant) et jamais dans ce qu’elle peut aussi avoir d’humainement enrichissant et donc d’émancipateur. C’est pourquoi, aux yeux des libéraux, l’individu ne saurait connaître de liberté effective que s’il parvient à s’arracher définitivement au monde étouffant des appartenances premières (on songe à tous ces films hollywoodiens qui diabolisent les modes de vie de l’« Amérique profonde ») et à placer sa nouvelle existence – celle du self made man qui ne doit plus rien à personne – sous la seule protection tutélaire des mécanismes impersonnels du marché autorégulé et du droit procédural. Deux institutions censées être « axiologiquement neutres » et qui ne font appel, par définition, qu’à l’« égoïsme rationnel » du sujet (Ayn Rand), sans jamais exiger de lui la moindre implication psychologique ou morale. En ce sens, le déracinement intégral (dont la figure platonicienne de l’ « intellectuel sans attache » de Karl Mannheim représente une forme extrême) constitue bien, pour tout libéral conséquent, l’unique condition préalable de toute société réellement libre et universelle (et c’est ce qui explique, au passage, que le mépris de la vie paysanne ait toujours formé le noyau dur de l’imaginaire capitaliste).

    Tout le problème est ainsi de déterminer dans quelle mesure un monde sans frontière, qui se serait émancipé de toutes les contraintes traditionnelles du don et de l’échange symbolique, pourrait encore être dit véritablement humain. S’il est clair, en effet, que l’expérience locale ne peut jamais constituer que le point de départ de l’aventure humaine, il est non moins clair que c’est le développement dialectique des acquis moraux et culturels liés à cette expérience première – et non leur négation abstraite – qui seul pourra conduire à un monde effectivement commun, autrement dit à un monde dont les valeurs universelles ne seront jamais séparables du cheminement concret qui aura permis à chaque peuple – à partir de ses traditions culturelles particulières – de se reconnaître en elles et de se les approprier (rien n’est donc plus absurde, de ce point de vue, que l’idée qu’on pourrait exporter les « droits de l’homme » par la seule force des baïonnettes). C’est ce que Miguel Torga avait su formuler de façon admirable lorsqu’il écrivait, en 1954, que « l’universel, c’est le local moins les murs » (le penseur occitan Felix Castan évoquant, quant à lui, l’idéal d’un monde situé « à mi-chemin du tout abstrait et du tout enraciné »). C’est pourquoi le célèbre avertissement que Rousseau avait placé au début de l’Emile s’applique plus que jamais au monde uniformisé du marché-roi et du droit abstrait. « Défiez vous – écrivait-il – de ces cosmopolites qui vont chercher au loin dans leurs livres les devoirs qu’ils dédaignent de remplir autour d’eux. Tel philosophe aime les Tartares pour être dispensé d’aimer ses voisins ». C’était assurément une critique lucide et prophétique de ces nouvelles élites globales (et de tous ceux qui en ont intériorisé l’imaginaire touristique) qui entendent désormais décider du destin de tous les peuples de la terre en fonction de leur seul intérêt égoïste. Il est à craindre, en effet, qu’un « citoyen sans frontière » ne puisse jamais devenir un véritable citoyen du monde.

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  • Monsieur Guéant et l'esprit du temps...

    Nous reproduisons ci-dessous l'excellente mise au point de Bernard Lugan, cueillie sur son blog, au sujet des propos tenus par Claude Guéant sur les civilisations supérieures...

     

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    Monsieur Guéant et l'esprit du temps

    Avec ce qu’il faut désormais appeler l’ « affaire Guéant », nous nageons en plein confusionnisme. D’abord parce que Monsieur Guéant a confondu « Civilisation » et régime politique, ce qui, convenons-en, n’est pas tout à fait la même chose…
    Ensuite, parce que la gauche dénonce des propos inscrits dans l’exacte ligne de ceux jadis tenus par Victor Hugo, Jules Ferry, Léon Blum ou encore Albert Bayet[1]. Pour ces derniers, il existait en effet une hiérarchie entre, d’une part les « peuples civilisés », c'est-à-dire ceux qui se rattachaient aux Lumières et à l’ « esprit de 1789 », et d’autre part ceux qui vivaient encore dans les ténèbres de l’obscurantisme. Jules Ferry déclara ainsi devant les députés le 28 juillet 1885 :
    « Il faut dire ouvertement qu’en effet, les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures ; mais parce qu’il y a aussi un devoir. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures ». 
    Quant à Léon Blum, le 9 juillet 1925, toujours devant les députés, il ne craignit pas de prononcer une phrase qui, aujourd’hui, le conduirait immédiatement devant les tribunaux :
    «Nous admettons le droit et même le devoir des races supérieures d'attirer à elles celles qui ne sont pas parvenues au même degré de culture et de les appeler aux progrès réalisés grâce aux efforts de la science et de l'industrie. »
    Reconnaissons que Monsieur Guéant est bien loin d’avoir tenu de tels propos clairement racistes. La gauche ferait donc bien de balayer devant sa porte et si les représentants de la « droite » avaient eu un minimum de culture, ils auraient pu, en utilisant ces citations et bien d’autres encore, renvoyer le député Letchimy au passé de son propre parti.
    Le problème est que Monsieur Guéant est un universaliste pour lequel l’étalon maître de la « Civilisation » est, selon ses propres termes, le respect des « valeurs humanistes qui sont les nôtres ».
    A ce compte là, effectivement le plus qu’un milliard de Chinois, le milliard d’Indiens, les centaines de millions de Japonais, d’Indonésiens etc., soit au total 90% des habitants de la planète, vivent en effet comme des « Barbares » ou des « Sauvages». Barbares et sauvages donc les héritiers de Confucius, des bâtisseurs des palais almohades et de ceux du Grand Moghol puisqu’ils n’ont pas encore adhéré à nos « valeurs humanistes », ces immenses marques du progrès humain qui prônent l’individu contre la communauté afin que soient brisées les solidarités, la prosternation devant le « Veau d’Or » afin d’acheter les âmes, la féminisation des esprits contre la virilité afin de désarmer les peuples, les déviances contre l’ordre naturel afin de leur faire perdre leurs repères.
    Face à cette arrogance et à cet aveuglement qui constituent le socle de la pensée unique partagée par la « droite » et par la gauche, se dresse l’immense ombre du maréchal Lyautey qui, parlant des peuples colonisés, disait : « Ils ne sont pas inférieurs, ils sont autres ». Tout est dans cette notion de différence, dans cet ethno différentialisme qui implique à la fois respect et acceptation de l’évidence.
    Or, c’est cette notion de différence que refusent tous les universalistes. Ceux de « droite », tel Monsieur Guéant, au nom des droits de l’Homme, ceux de gauche au nom du cosmopolitisme et du « village-terre ».
    Bernard Lugan (Blog de Bernard Lugan, 8 février 2012)
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