Présentation du numéro
« L’anomie de nos sociétés est aujourd’hui un fait sinon largement admis du moins globalement constaté avec une sorte de trépignement qui peut inquiéter. Ces germes de pourrissement social attirent à intervalles réguliers tout ce que la France et les sociétés dites avancées possèdent comme faune sociologique, entomologistes sociaux et autres inspecteurs de dépôt de bilan civilisationnel. Il y a quelque chose d’impudique – comme un fantasme de ruine – à contempler la tragédie avec gourmandise en priant de pouvoir abaisser le puce comme dans les arènes romaines devant la grande curée terminale censée emporter notre communion humaine dégradée en vulgaire vivre-ensemble.
C’est de cet homme délié car déraciné et par la même désincarné que nous allons esquisser un portrait ici. Délié face à ses semblables, face à tout destin collectif, il est désorienté dans le temps et de l’espace ; venu de rien, il n’entend aller nulle part. Déraciné car ne pouvant plus avoir de rapport à la terre et aux morts ; inapte à se figurer dans une société qui, comme l’avait souligné Auguste Comte, est faite de « plus de morts que de vivants ». Désincarné car ce qui fait de nous des êtres charnels, c’est ce qui nous distingue de l’autre à l’échelle individuelle, comme notre peau, ou à l’échelle collective, comme les clans, les nations, les frontières. Comment en sommes-nous arrivés là ?
[…]
Contre cette inhumanité qui vient, dominée par les puissances maîtrisant l’immatériel et l’approche réticulaire de la puissance, il faut reprendre la seule querelle qui vaille, « celle de l’homme » comme le disait le général de Gaulle. A cette fin, contre l’autonomie de l’individu auto-centré dans son néant, il faut redécouvrir l’incomplétude de nos sociétés. En effet, comme dans les théorèmes mathématique la solution se trouve peut-être à l’extérieur du problème : comme nos sociétés ne peuvent être leur propre référent, elles ont besoin de quelque chose qui les entoure, les pénètre et les unie, une transcendance civique ou religieuse. Cette transcendance doit être issue de notre histoire, de notre Tradition. Ce qui n’implique nullement une logique de passéisme mais une logique de transmission arrimée sur une nostalgie et sur une véritable conscience du passé. Il ne s’agit pas là des caricatures d’appartenance des idéologues du bien (parti espagnol/impérial, islamistes) mais d’une affirmation de soi tranquille et politique qui doit passer par des étapes de reprise en compte de soi et de mise à distance (la distance du dialogue) des autres. Commencer par se rendre compte que pour qu’il y ait eux et nous, il faut d’abord prendre conscience que la vraie fraternité implique que tous les hommes ne soient pas frères.
Pour ce faire, nous devons reprendre fierté et foi en nous et dans notre lignée. Pour préserver notre humanité, nous devons affirmer notre particularisme en tant que Français et le travailler jusqu’à le ressentir réellement, en nous rappelant que l’éthique est quelque chose de concret : prendre soin des siens d’abord. Politiquement, nous devons refaire communauté et nous battre pour la souveraineté et la gloire pour des objectifs clairement politiques. Comme à chaque fois où la France a failli être détruite, un camp des politiques doit se lever, car en la sauvant, nous sauvrons une part du génie humain, celui de nos ancêtres.
Les temps qui arrivent seront terribles, mais « [p]ourtant, à la fin des fins, la dignité des hommes se révoltera » »
Pierre-Yves ROUGEYRON, directeur de la rédaction.
Sommaire
Pierre-Yves ROUGEYRON : « Fraternité perdue »
Dossier : L’Homme sans liens
Marie-Céline COURILLEAULT : « L’Homme sans liens »
Michael Allen GILLESPIE : « La question de la Modernité et des possibilités de l’essor humain »
Jérémy-Marie PICHON : « L’Homo Canal +. Enquête sur un fascisme accompli : le Cool »
Maria VILLELA-PETIT : « Simone Weil et « L’Enracinement » »
Anthony ELLIOTT : « La Réinvention dans un monde au-delà des liens »
Jean-François GAUTIER : « Avec et sans lien(s) »
Stéphane VINOLO : « Le prisme diffractant du lien social »
Pierre-Antoine CHARDEL : « Une herméneutique sociologique dans la société liquide. Lecture de Zygmunt Bauman »
Libres pensées
Erik S. REINERT : « Le futur de la société d’information en Europe : contributions au débat »
Libres propos
Julien FUNNARO : « 1989 : l’anniversaire oublié »
Charles ROBIN : « « Mon ex est quelqu’un de bien ». Éloge de la décence amoureuse »
Dossier : Jean-François Mattéi
Pierre-Yves ROUGEYRON : « Jean-François Mattéi, le maître et le compagnon »
Marc HERCEG : « Esthétique et métaphysique dans l’œuvre de Jean-François Mattéi »
Jérôme PALAZZOLO : « La famille contemporaine face à la globalisation mondiale : approche systémique et anthropologique »
Marc ALPOZZO : « Entretien avec Jean-François Mattéi »
Pierre LE VIGAN : « Albert Camus, une vision grecque du monde »