Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

libéralisme - Page 19

  • Jean-Claude Michéa : « Pourquoi j'ai rompu avec la gauche»...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Jean-Claude Michéa, cueilli sur le site de l'hebdomadaire Marianne et consacré à son dernier livre Les mystères de la gauche, publié aux éditions Climats. 

     

    Michéa 2.jpg

    Jean-Claude Michéa : « Pourquoi j'ai rompu avec la gauche»

    Marianne : Vous estimez urgent d'abandonner le nom de «gauche», de changer de signifiant pour désigner les forces politiques qui prendraient à nouveau en compte les intérêts de la classe ouvrière... Un nom ne peut-il pourtant ressusciter par-delà ses blessures historiques, ses échecs, ses encombrements passés ? Le problème est d'ailleurs exactement le même pour le mot «socialisme», qui après avoir qualifié l'entraide ouvrière chez un Pierre Leroux s'est mis, tout à fait a contrario, à désigner dans les années 80 les turlupinades d'un Jack Lang. Ne pourrait-on voir dans ce désir d'abolir un nom de l'histoire comme un écho déplaisant de cet esprit de la table rase que vous dénoncez sans relâche par ailleurs ? 

    Jean-Claude Michéa : Si j'en suis venu - à la suite, entre autres, de Cornelius Castoriadis et de Christopher Lasch - à remettre en question le fonctionnement, devenu aujourd'hui mystificateur, du vieux clivage gauche-droite, c'est simplement dans la mesure où le compromis historique forgé, au lendemain de l'affaire Dreyfus, entre le mouvement ouvrier socialiste et la gauche libérale et républicaine (ce «parti du mouvement» dont le parti radical et la franc-maçonnerie voltairienne constituaient, à l'époque, l'aile marchante) me semble désormais avoir épuisé toutes ses vertus positives. A l'origine, en effet, il s'agissait seulement de nouer une alliance défensive contre cet ennemi commun qu'incarnait alors la toute-puissante «réaction». Autrement dit, un ensemble hétéroclite de forces essentiellement précapitalistes qui espéraient encore pouvoir restaurer tout ou partie de l'Ancien Régime et, notamment, la domination sans partage de l'Eglise catholique sur les institutions et les âmes. Or cette droite réactionnaire, cléricale et monarchiste a été définitivement balayée en 1945 et ses derniers vestiges en Mai 68 (ce qu'on appelle de nos jours la «droite» ne désigne généralement plus, en effet, que les partisans du libéralisme économique de Friedrich Hayek et de Milton Friedman). Privé de son ennemi constitutif et des cibles précises qu'il incarnait (comme, la famille patriarcale ou l'«alliance du trône et de l'autel») le «parti du mouvement» se trouvait dès lors condamné, s'il voulait conserver son identité initiale, à prolonger indéfiniment son travail de «modernisation» intégrale du monde d'avant (ce qui explique que, de nos jours, «être de gauche» ne signifie plus que la seule aptitude à devancer fièrement tous les mouvements qui travaillent la société capitaliste moderne, qu'ils soient ou non conformes à l'intérêt du peuple, ou même au simple bon sens). Or, si les premiers socialistes partageaient bien avec cette gauche libérale et républicaine le refus de toutes les institutions oppressives et inégalitaires de l'Ancien Régime, ils n'entendaient nullement abolir l'ensemble des solidarités populaires traditionnelles ni donc s'attaquer aux fondements mêmes du «lien social» (car c'est bien ce qui doit inéluctablement arriver lorsqu'on prétend fonder une «société» moderne - dans l'ignorance de toutes les données de l'anthropologie et de la psychologie - sur la seule base de l'accord privé entre des individus supposés «indépendants par nature»). La critique socialiste des effets atomisants et humainement destructeurs de la croyance libérale selon laquelle le marché et le droit ab-strait pourraient constituer, selon les mots de Jean-Baptiste Say, un «ciment social» suffisant (Engels écrivait, dès 1843, que la conséquence ultime de cette logique serait, un jour, de «dissoudre la famille») devenait dès lors clairement incompatible avec ce culte du «mouvement» comme fin en soi, dont Eduard Bernstein avait formulé le principe dès la fin du XIXe siècle en proclamant que «le but final n'est rien» et que «le mouvement est tout». Pour liquider cette alliance désormais privée d'objet avec les partisans du socialisme et récupérer ainsi son indépendance originelle, il ne manquait donc plus à la «nouvelle» gauche que d'imposer médiatiquement l'idée que toute critique de l'économie de marché ou de l'idéologie des droits de l'homme (ce «pompeux catalogue des droits de l'homme» que Marx opposait, dans le Capital, à l'idée d'une modeste «Magna Carta» susceptible de protéger réellement les seules libertés individuelles et collectives fondamentales) devait nécessairement conduire au «goulag» et au «totalitarisme». Mission accomplie dès la fin des années 70 par cette «nouvelle philosophie» devenue, à présent, la théologie officielle de la société du spectacle. Dans ces conditions, je persiste à penser qu'il est devenu aujourd'hui politiquement inefficace, voire dangereux, de continuer à placer un programme de sortie progressive du capitalisme sous le signe exclusif d'un mouvement idéologique dont la mission émancipatrice a pris fin, pour l'essentiel, le jour où la droite réactionnaire, monarchiste et cléricale a définitivement disparu du paysage politique. Le socialisme est, par définition, incompatible avec l'exploitation capitaliste. La gauche, hélas, non. Et si tant de travailleurs - indépendants ou salariés - votent désormais à droite, ou surtout ne votent plus, c'est bien souvent parce qu'ils ont perçu intuitivement cette triste vérité. 

    Vous rappelez très bien dans les Mystères de la gauche les nombreux crimes commis par la gauche libérale contre le peuple, et notamment le fait que les deux répressions ouvrières les plus sanglantes du XIXe siècle sont à mettre à son compte. Mais aujourd'hui, tout de même, depuis que l'inventaire critique de la gauche culturelle mitterrandienne s'est banalisé, ne peut-on admettre que les socialistes ont changé ? Un certain nombre de prises de conscience importantes ont eu lieu. Celle, par exemple, du long abandon de la classe ouvrière est récente, mais elle est réelle. Sur les questions de sécurité également, on ne peut pas davantage dire qu'un Manuel Valls incarne une gauche permissive et angéliste. Or on a parfois l'impression à vous lire que la gauche, par principe, ne pourra jamais se réformer... Est-ce votre sentiment définitif ? 

    J.-C.M. : Ce qui me frappe plutôt, c'est que les choses se passent exactement comme je l'avais prévu. Dès lors, en effet, que la gauche et la droite s'accordent pour considérer l'économie capitaliste comme l'horizon indépassable de notre temps (ce n'est pas un hasard si Christine Lagarde a été nommée à la tête du FMI pour y poursuivre la même politique que DSK), il était inévitable que la gauche - une fois revenue au pouvoir dans le cadre soigneusement verrouillé de l'«alternative unique» - cherche à masquer électoralement cette complicité idéologique sous le rideau fumigène des seules questions «sociétales». De là le désolant spectacle actuel. Alors que le système capitaliste mondial se dirige tranquillement vers l'iceberg, nous assistons à une foire d'empoigne surréaliste entre ceux qui ont pour unique mission de défendre toutes les implications anthropologiques et culturelles de ce système et ceux qui doivent faire semblant de s'y opposer (le postulat philosophique commun à tous ces libéraux étant, bien entendu, le droit absolu pour chacun de faire ce qu'il veut de son corps et de son argent). Mais je n'ai là aucun mérite. C'est Guy Debord qui annonçait, il y a vingt ans déjà, que les développements à venir du capitalisme moderne trouveraient nécessairement leur alibi idéologique majeur dans la lutte contre «le racisme, l'antimodernisme et l'homophobie» (d'où, ajoutait-il, ce «néomoralisme indigné que simulent les actuels moutons de l'intelligentsia»). Quant aux postures martiales d'un Manuel Valls, elles ne constituent qu'un effet de communication. La véritable position de gauche sur ces questions reste bien évidemment celle de cette ancienne groupie de Bernard Tapie et d'Edouard Balladur qu'est Christiane Taubira. 

    Contrairement à d'autres, ce qui vous tient aujourd'hui encore éloigné de la «gauche de la gauche», des altermondialistes et autres mouvements d'indignés, ce n'est pas l'invocation d'un passé totalitaire dont ces lointains petits cousins des communistes seraient encore comptables... C'est au contraire le fond libéral de ces mouvements : l'individu isolé manifestant pour le droit à rester un individu isolé, c'est ainsi que vous les décrivez. N'y a-t-il cependant aucune de ces luttes, aucun de ces mouvements avec lequel vous vous soyez senti en affinité ces dernières années ? 

    J.-C.M. : Si l'on admet que le capitalisme est devenu un fait social total - inséparable, à ce titre, d'une culture et d'un mode de vie spécifiques -, il est clair que les critiques les plus lucides et les plus radicales de cette nouvelle civilisation sont à chercher du côté des partisans de la «décroissance». En entendant par là, naturellement, non pas une «croissance négative» ou une austérité généralisée (comme voudraient le faire croire, par exemple, Laurence Parisot ou Najat Vallaud-Belkacem), mais la nécessaire remise en question d'un mode de vie quotidien aliénant, fondé - disait Marx - sur l'unique nécessité de «produire pour produire et d'accumuler pour accumuler». Mode de vie forcément privé de tout sens humain réel, inégalitaire (puisque la logique de l'accumulation du capital conduit inévitablement à concentrer la richesse à un pôle de la société mondiale et l'austérité, voire la misère, à l'autre pôle) et, de toute façon, impossible à universaliser sans contradiction dans un monde dont les ressources naturelles sont, par définition, limitées (on sait, en effet, qu'il faudrait déjà plusieurs planètes pour étendre à l'humanité tout entière le niveau de vie actuel de l'Américain moyen). J'observe avec intérêt que ces idées de bon sens - bien que toujours présentées de façon mensongère et caricaturale par la propagande médiatique et ses économistes à gages - commencent à être comprises par un public toujours plus large. Souhaitons seulement qu'il ne soit pas déjà trop tard. Rien ne garantit, en effet, que l'effondrement, à terme inéluctable, du nouvel Empire romain mondialisé donnera naissance à une société décente plutôt qu'à un monde barbare, policier et mafieux. 

    Vous réaffirmez dans ce livre votre foi en l'idée que le peuple serait dépositaire d'une common decency [«décence ordinaire», l'expression est de George Orwell] avec lesquelles les «élites» libérales auraient toujours davantage rompu. Mais croyez-vous sincèrement que ce soit aujourd'hui l'attachement aux valeurs morales qui définisse «le petit peuple de droite», ainsi que vous l'écrivez ici ? Le désossage des structures sociales traditionnelles, ajouté à la déchristianisation et à l'impact des flux médiatiques dont vous décrivez ici les effets culturellement catastrophiques, a également touché de plein fouet ces classes-là. N'y a-t-il donc pas là quelque illusion - tout à fait noble, mais bel et bien inopérante - à les envisager ainsi comme le seul vivier possible d'un réarmement moral et politique ? 

    J.-C.M. : S'il n'y avait pas, parmi les classes populaires qui votent pour les partis de droite, un attachement encore massif à l'idée orwellienne qu'il y a «des choses qui ne se font pas», on ne comprendrait pas pourquoi les dirigeants de ces partis sont en permanence contraints de simuler, voire de surjouer de façon grotesque, leur propre adhésion sans faille aux valeurs de la décence ordinaire. Alors même qu'ils sont intimement convaincus, pour reprendre les propos récents de l'idéologue libéral Philippe Manière, que seul l'«appât du gain» peut soutenir «moralement» la dynamique du capital (sous ce rapport, il est certainement plus dur d'être un politicien de droite qu'un politicien de gauche). C'est d'ailleurs ce qui explique que le petit peuple de droite soit structurellement condamné au désespoir politique (d'où son penchant logique, à partir d'un certain seuil de désillusion, pour le vote d'«extrême droite»). Comme l'écrivait le critique radical américain Thomas Franck, ce petit peuple vote pour le candidat de droite en croyant que lui seul pourra remettre un peu d'ordre et de décence dans cette société sans âme et, au final, il se retrouve toujours avec la seule privatisation de l'électricité ! Cela dit, vous avez raison. La logique de l'individualisme libéral, en sapant continuellement toutes les formes de solidarité populaire encore existantes, détruit forcément du même coup l'ensemble des conditions morales qui rendent possible la révolte anticapitaliste. C'est ce qui explique que le temps joue de plus en plus, à présent, contre la liberté et le bonheur réels des individus et des peuples. Le contraire exact, en somme, de la thèse défendue par les fanatiques de la religion du progrès. 

    Jean-Claude Michéa, propos recueillis par Aude Ancelin (Marianne, 12 mars 2013)

    Lien permanent Catégories : Entretiens 0 commentaire Pin it!
  • Le vice obscur de l'Occident...

    Les éditions Le retour aux Sources, viennent de publier en un volume Le vice obscur de l'Occident et La démocratie et ses sujets, deux essais de Massimo Fini. Journaliste, écrivain et penseur non-conformiste, Massimo Fini est le créateur en Italie du Mouvement Zéro.

     

    Le_vice_obscur.jpg

     

    " L’Occident n’est plus en mesure de concevoir l’altérité, et donc ne peut la tolérer. Qui est différent, sera rendu semblable, et bientôt lancé, lui aussi, à la poursuite de la croissance infinie du marché, horizon prétendument indépassable.

    L’occidental donneur de leçons serait-il donc ce qu’il affecte de dénoncer ? Le fondamentaliste, l’intégriste, le totalitaire, et si c’était lui ? L’Occident se donne comme le monde de la liberté individuelle, mais en réalité, il n’est qu’un système d’oligarchies parmi d’autres. Et pas nécessairement le moins dur avec ses dissidents.

    La Démocratie, au sens que l’Occident donne à ce mot, n’a que deux siècles d’existence. Elle se croit éternelle, et  toise l’Histoire universelle du haut de ces deux petits siècles de domination précaire. Mais comme toutes les institutions humaines, elle ne saurait perdurer au-delà des conditions objectives qui l’ont rendue possible. Alors, tôt ou tard…

    Elle finira dans les poubelles de l’Histoire, avec le monde qu’elle a créé."

    Lien permanent Catégories : Livres 0 commentaire Pin it!
  • Où est la vraie gauche aujourd'hui ?...

    Vous pouvez écouter ci-dessous l'émission Service public du 7 mars 2013, diffusée sur France Inter et animée par Guillaume Erner, qui recevait le philosophe Jean-Claude Michéa, à l'occasion de la publication de son dernier essai, Les mystères de la gauche (Climats, 2013).

    On écoutera avec intérêt la réaction de l'intéressé à l'interview d'un militant du Front National, ancien électeur communiste...

     

    michea-1.jpg

    " Vous vous demandez peut-être ce qu'est la gauche, et bien cela fait des décennies que le philosophe Jean-Claude Michéa s'attache à la définir. Cet intellectuel rare dans les médias, a développé une pensée susceptible d'expliquer la crise du politique que nous traversons."

    Lien permanent Catégories : Entretiens, Multimédia 0 commentaire Pin it!
  • Démontage d'une mythologie politique contemporaine...

    Nous vous signalons la parution récente, aux éditions TheBook, d'un essai de Charles Robin, intitulé Le libéralisme comme volonté et représentation - Démontage d'une mythologie politique contemporaine. Nous publions ci-dessous la présentation qu'en a fait David L'Epée dans la revue Eléments (n°146, 2012).

     

    Libéralisme comme volonté et représenation.jpg

     

    " S’il est vrai que la valeur des idées se reconnaît à l’engouement qu’elles suscitent chez les plus jeunes, tout laisse à croire que les thèses de Michéa ont de l’avenir. Non content d’être souvent lu ces dernières années par la jeune génération, il a trouvé en la personne de Charles Robin, doctorant de 26 ans à Montpellier, un successeur enthousiaste. Si l’élève est encore loin d’avoir dépassé le maître, il synthétise et développe de manière tout à fait convaincante les analyses de ce qu’on pourrait maintenant appeler le “courant Michéa” sur la généalogie du libéralisme, ses implications contemporaines et les relations étroites qui unissent son versant philosophico-politique et son versant économique. Robin consacre la première partie de son livre à un retour sur les textes des principaux penseurs libéraux, insistant sur le principe du libéralisme comme « programme philosophique global » sous-tendu par un pessimisme anthropologique affirmé, puis poursuit en seconde partie sur une appréhension de l’extrême gauche contemporaine (principalement le trotskisme à la française) comme expression des thèses libérales appliquées au plan sociétal.

    Se plongeant avec courage dans les textes d’Olivier Besancenot et dans les divers manifestes du NPA prêchant constamment pour une extension illimitée des droits individuels, l’auteur démontre brillamment qu’ « un militant d’extrême gauche est d’abord une personne capable d’expliquer, le plus sérieusement du monde, que le fait de reconnaître son “attachement” à d’autres êtres humains (ses amis, son conjoint, ses enfants) constitue la démonstration la plus éclatante de l’oppression spécifique que présente toute modalité du “lien” ». On savourera entre autres citations d’anthologie l’article d’un journal du NPA que Robin a débusqué et qui traite la question des sextoys envisagés comme instruments d’émancipation… Cette évolution de l’extrême gauche est due en grande partie à une sorte de paresse intellectuelle qui la pousse à entretenir certaines indifférenciations sémantiques, entre libéralisme et conservatisme par exemple, et à apporter « une caution “libertaire” (ou “citoyenne”) au démantèlement capitaliste de toutes les entraves territoriales et civilisationnelles à l’expansion du principe marchand ». S’inspirant de Latouche, l’auteur clôt son propos en appelant à la décolonisation de notre imaginaire, qui ne sera vraiment libre qu’une fois débarrassé des représentations libérales qu’on y a fait entrer."

    David L'Epée (Eléments n°146, janvier-mars 2013)

    Lien permanent Catégories : Livres 2 commentaires Pin it!
  • Un entretien avec Jean-Claude Michéa...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien de Jean Cornil, essayiste belge, avec Jean-Claude Michéa, réalisé par le CLAV de Bruxelles. Philosophe non-conformiste, critique subtil et impitoyable du libéralisme, qu'il soit politique, économique ou culturel, Jean-Claude Michéa a récemment publié en 2011, Le complexe d'Orphée - La gauche, les gens ordinaires et la religion du progrès (Climats, 2011).

     

    Lien permanent Catégories : Entretiens, Multimédia 0 commentaire Pin it!
  • Droit du travail : socialisme ou barbarie ?...

    Nous reproduisons ci-ddessous un point de vue de Claude Bourrinet cueilli sur Voxnr et consacré à la politique libérale, à peine masquée, menée par le gouvernement socialiste...

     

    flexisecurite.jpg

     

    Droit du travail : socialisme ou barbarie

    La pensée unique consiste à rendre naturelle une évidence, au point que, comme Monsieur Jourdain, on fasse de la prose sans le savoir. C’est tout l’art d’une propagande protéiforme, mais univoque : une seule voix se propage (d’où la propagande), comme un bruit de fond, une musique lancinante qui imprègne les cervelles sans qu’on y prenne garde, et d’autant plus persuasive qu’elle s’écoule par mille bouches, celles des responsables politiques, des journalistes, des « experts », du MEDEF, en somme, des autorités. Il n’en faut pas davantage pour qu’une doxa, une opinion d’ensemble s’impose, marginalisant toute contestation authentique, considérée comme farfelue ou dangereuse.

    L’une de ces vérités patentes, outre le métissage de la société, l’abolition des frontières ou l’égalitarisme pour tous, consiste à présenter la loi des marchés et l’adaptation de la société, notamment du code du travail, comme des nécessités contraignantes, dont l’on ne peut s’abstraire. Hors de là, point de salut. C’est en quelque sorte notre destin.

    Le fait vaut le droit. « C’est comme cela » équivaut à une loi. Il est vrai que le libéralisme s’est toujours voulu naturel, la main du marché étant l’analogie d’un mécanisme universel dont la dynamique aboutirait à un équilibre, un peu comme dans une jungle.

    Tout ce qui gêne le mouvement vers le progrès, la liberté de traiter, de produire et de manœuvrer, doit un jour disparaître. La Commission de Bruxelles ne cesse de donner le la de cette symphonie mondialiste, en écho aux organisations qui régissent l’ordre économique international, et surtout en réponse aux marchés financiers dont les oracles sont les agences de notation.

    Il est donc entendu qu’un salarié doit se laisser licencier avec bienveillance, presque avec des remerciements, que la population doit, avec la même gratitude, se voir déposséder de ses droits sociaux, de ses protections, parce que les charges qui en sont la source, les dispositifs législatifs, qui les pérennisent, constituent une gêne pour nos champions de l’industrie, du commerce, et surtout des affaires. Un kit lexical est à la disposition de tous les agents d’endoctrinement, qui usent volontiers, pour enfumer, comme des charlatans de foire, de termes comme « moderniser », « bouger », « archaïsme », « rigidité », « adapter », « flexibilité » etc. Tout responsable qui adopte ce jargon doit être considéré, par les classes populaires, comme leur pire ennemi.

    Comme nous ne sommes plus dans un système politique autoritaire et répressif, toute la maestria de la gauche et de la droite consiste à faire passer la pilule en douceur. L’arnaque, en ce qui concerne les négociations sociales qui se sont achevées le vendredi 11 janvier, a consisté, de la part de certains syndicats, du patronat et du gouvernement, à présenter leur conclusion comme un accord « gagnant-gagnant. En réalité, il s’agit d’une régression sociale, sans doute la pire depuis 1945, car les décisions qui ont été prises démantèlent les principes affirmés par le Conseil National de la Résistance.

    La tromperie vise à faire croire que la « sécurisation » regarde autant les employeurs que les employés. En réalité, ce qui est présenté comme avancée (extension des complémentaires santé, « portabilité » des droits en cas de changement d'entreprise, amélioration de la formation et de l'information des salariés sur la stratégie de l'entreprise, droits des chômeurs renforcés, taxation des emplois précaires …), pour autant qu’il en résulte des changements substantiels dans le sort des salariés ou des chômeurs, ne suffit pas à masquer l’essentiel, à savoir que, désormais, les patrons ont le droit de licencier à volonté. Mieux, ou pire : il n’existera plus de CDI. Le CDD deviendra la norme dans le secteur privé, et dans celui du public soumis aux règles contractuelles. Ce dont rêvait Sarkozy vient de se réaliser sous un gouvernement « socialiste ».

    Nous savons tous que la rhétorique contemporaine relève du théâtre. On fait croire que l’on s’affronte, et l’on se répartit les tâches : une équipe entame le travail, que l’autre, après alternance, achève. Le jeu est de faire croire à l’existence d’une gauche, qui critique l’ « injustice » d’une droite au pouvoir, quitte à appliquer son programme une fois au gouvernail, ce que n’a pas manqué de faire le parti socialiste depuis trente ans, ou, pour la droite, de marquer aux talons une gauche trop « timorée » dans les « réformes indispensables », et que l’on taxe de « socialiste », de « fiscaliste », de façon à se donner des raisons de démolir encore plus le modèle français, considéré comme périmé.

    Cette réforme du code du travail est, en vérité, une hypocrisie de plus, car loin d’ouvrir des perspectives à un patronat soi-disant étouffé, elle ne fait que rendre visible légalement l’état de fait qui meurtrit et déprime la société française : car de nos jours déjà, lorsque l’on n’est pas au chômage, si l’on cherche un travail, on a désormais toutes les chances de n’obtenir qu’un emploi précaire, dont le taux est même supérieur à celui de l’Allemagne. L’intérim a explosé, les CDD de moins d’un mois ont quasiment doublé. Du reste, la Grande Bretagne, en stagnation, comme d’autres pays engagés profondément dans le libéralisme, montrent que la flexibilité n’entraîne pas forcément une amélioration de la situation économique. On risque même d’assister à une surenchère dans le dumping social, chaque pays voulant s’aligner, dans un système ouvert, sur ceux qui proposent les moindres coûts du travail. Ainsi, face à la menace d’une perte d’emploi, que le patronat peut décider sans mesure, le salarié n’a plus guère le choix que d’accepter une baisse de salaire, une mutation, ou un temps partiel.

    Laurence Parisot, présidente du MEDEF, peut prétendre alors que cet accord « marque l'avènement d'une culture du compromis après des décennies d'une philosophie de l'antagonisme social », il s’agit plutôt d’une victoire patronale totale.

    Plus personne n’est surpris par la politique d’une gauche qui ne cache même plus son libéralisme enthousiaste. Les coups de gueule de Mélenchon ou de Pierre Laurent sont des pétards mouillés : tout devrait rentrer dans l’ordre au moment des élections municipales de 2014… Au demeurant, leur seul rôle est de donner l’impression qu’il peut exister encore une vraie gauche, ce dont seuls les journalistes, qui sont payés pour cela, font mine de croire.

    Un satisfecit patronal pour Chérèque, secrétaire de la CFDT, un de ces traîtres de théâtre de boulevard comme on n’en fait plus, est aussi à mettre à l’ordre du jour. Il a d’ailleurs si bien rempli son devoir, depuis tant d’années, qu’il a été récompensé par son ami Hollande, qui l’a nommé à l’Inspection générale des affaires Sociales (8 000 € d’émoluments pour se rouler les pouces). Par la même occasion, il devient le président de la strauss khannienne Terra Nova (comme Nicole Notat avait présidé le très élitiste Dîner du Siècle), qui promeut frénétiquement l’idéologie californienne, combat qu’avait mené jadis Rocard, aux dernières nouvelles filant le grand amour avec Sarkozy.

    Il est vrai qu’il est des marqueurs infaillibles. Il n’est pas anodin de désigner le « coût du travail » comme la source des difficultés économiques, tout en occultant les méfaits des licenciements boursiers, provoqués par les fonds de pension américains, ou les délocalisations, qui ne touchent pas seulement les entreprises employant de la main d’œuvre bon marché, mais aussi des savoir faire, des techniques, des industries de pointe et des secteurs de recherche.

    La « gauche » française (nous mettons maintenant les guillemets qui s’imposent) s’insère sans complexe dans une « troisième voie » européenne, qui n’est en fait qu’une variante du libéralisme le plus cynique. Que ce soit avec Tony Blair, qui a suivi la politique thatchérienne, Schroeder (avec sa réforme du marché du travail dite Harz IV), Zapatero, pour qui abaisser les impôts est de gauche, Papandréou, dont on vient d’apprendre qu’il a reçu ses trente deniers pour avoir trahi son peuple, le social libéralisme, de moins en moins social, est devenu un recours capital pour le capitalisme en crise.

    Le gouvernement Hollande n’a, par exemple, rien fait de mieux que de poursuivre, avec une célérité stupéfiante, et sans état d’âme, la politique entamée par son prédécesseur de « droite ». On n‘a même pas fait semblant d’œuvrer pour les plus pauvres. Le premier janvier, le smic a été augmenté de … 3 centimes de l’heure ! Quant à la mesure « emblématique » de la taxation des hauts revenus à 75%, projet qui a été invalidé par le Conseil constitutionnel, il paraît pour le moins étrange que des énarques, épaulés par une cohorte de spécialistes, ne se soient pas rendu compte du défaut incapacitant de cette loi. Tout laisse à croire que cet « échec » était prémédité, préparé avec la complicité de la droite, et qu’au fond, en cachette, la satisfaction est assurée de voir une mesure, qui aurait risqué de déplaire aux marché, renvoyée aux calendes grecques seule demeure.

    De toute façon, cette réforme n’aurait touché que 3500 contribuables, et n’aurait presque rien rapporté à l’Etat. Le symbole était destiné en revanche à dissimuler une vilénie d’ampleur !

    Dernièrement, le projet de « relance de la « compétitivité », présenté le 6 novembre 2012, s’est vu gratifié de la brillante étude d’un gestionnaire que la droite envie à la gauche, Louis Gallois, lequel considère le CDI comme obsolète. Le résultat fut un cadeau fiscal de 20 Milliards aux grandes entreprises, et une hausse de la TVA de 0,4%. Mais non, ce n’est pas la TVA sociale chère à Sarkozy, si décriée par la « gauche »… quand elle était dans l’opposition , le 30 janvier 2012 : « L’augmentation de la TVA est inopportune, injuste, infondée et improvisée. »

    « Une révolution copernicienne ! » s’écrie le lyrique Moscovici. Et pour cause !

    Sarkozy avait préparé la signature du Pacte de stabilité budgétaire, assorti d’une « règle d’or », qui consistait, à terme, à ne pas dépasser un déficit de 0,5%. Hollande et Moscovici ne firent pas mieux que de s’empresser de le signer, malgré ce qu’avait affirmé Hollande, le 17 mars 2012 : « J’aurai le devoir de renégocier ce traité » européen. » Mesure libérale, s’il en est. Les rentes financières seront consolidées, tandis que, par la force des choses, il faudra trouver des économies un peu partout. C’est la fonction publique qui est visée, les subventions sociales, enfin la vision keynésienne de l’Etat providence.

    Ce même Etat n’est pas en odeur de sainteté. Ayrault fait l’apologie des marchés et du mondialisme, appelant de ses vœux un gouvernement planétaire. Ce ne serait pas lui, affirme-t-il, qui diaboliserait les patrons ! A Pessac, Hollande, répudie l’aide publique aux entreprises et vante les investissements privés

    Il faut rappeler que l’une des stratégies de la « gouvernance » postmoderne est de présenter le socialisme étatique comme l’unique alternative, nécessairement discréditée par l’Histoire, au libéralisme. Ce qui est un mensonge, comme nous le verrons.

    Souvenons-nous aussi : il était question, parmi les promesses du candidat Hollande, de séparer les activités de banque de dépôt et de banque d’investissement. Résultat ? Néant !

    Il faut dire que le beau monde se bouscule autour du président. Tous des libéraux, qu’on a quelque peine à créditer de quelque souvenir socialiste : le sulfureux, douteux J. Cahuzac, accusé par Médiapart d’avoir dissimulé en Suisse, puis dans un paradis fiscal, une somme importante, et qui nie farouchement que la lutte de classe existe, JP Jouyet, D.G de la CDC, H. Lavenir, patron de la CNP, Moscovici,  Villeroy de Gallot, de la BNPP, H. de Castries, d’Axa,  Jean Hervé Lorenzi, de la banque  Rotschild, le déjà nommé Louis Gallois, ex de la SNCF puis d’EADS,  Pascal Lamy, secrétaire de l'OMC (qu’a dit Lamy au président, le 27 décembre 2012, à l’Elysée, pour que Jean-Marc Ayrault publie dans Le Monde du 3 janvier, un article intitulé « Pour un nouveau modèle français » ?),  et last but not least, Emmanuel Macron, un ancien de la banque Rotschild, qui conseille le président sur toutes les questions économiques.

    On est loin du discours du Bourget, du 22 janvier, où Hollande désignait la « finance » comme l’ « adversaire ». Il est vrai que quelques jours après, à Londres, il disait exactement le contraire.

    Combien d’exemples encore pourrions-nous donner, comme le refus de supprimer la défiscalisation des investissements dans les DOM-TOM, malgré les promesses électorales ?.

    La « gauche » actuelle ne fait que poursuivre une stratégie lancée, dès 1985, par des dirigeants comme Delors (dont Pascal Lamy était le bras droit), puis Fabius etc. Les privatisations, qu’accéléra Jospin, allaient s’avérer catastrophiques pour le pays. Les capitaux privés ont été massivement délocalisés, avec des technologies industrielles importantes.

    Les finances publiques, exsangues, obligées de s’en remettre au marché financier, véritable usurier, devaient nécessairement entrer en déficit, entraînant chômage et endettement, ruine accrue par une ouverture des frontières déraisonnable, à la mesure d’une idéologie libérale bruxelloise, enivrée par le dogmatisme.

    On doit donc rembourser la dette. La spéculation a le dernier mot. La volonté politique est à son service. Pauvre Jaurès … La nation est devenue l’esclave des agences de notation, de Goldman Sachs, qui impose ses pions, un à un, dans les pays d’Europe.

    Et pourtant, l’Argentine et l’Islande ont réussi ce qui semble impossible, envoyer balader cette dette, reprendre les rênes du pays, et se libérer. Pourquoi pas nous ? N’y a-t-il pas des raisons inavouables ?

    Contrairement à ce que prétend l’infâme Cahuzac, la lutte de classe existe bel et bien. Non pas uniquement parce que les Français l’affirment à 64% (40% le jugeaient ainsi en 1964, et 44% en 1967), mais parce que c’est le capital qui fait la guerre au peuple. Ce dernier n’en a pas toujours bien conscience, même si, pourtant, la trahison des ouvriers de Florange montre pour qui roule le gouvernement.

    Du reste, il ne s’agit pas de critiquer, en soi, un gouvernement qui prend des mesures impopulaires pour redresser le pays.

    Mais le pays ne se redressera pas, car ces mesures obéissent à une logique qui a fait ses preuves, celle du libéralisme mondialiste, tombeau des peuples et de leur prospérité. Les règles déloyales de concurrence, qui mettent face à face des aires de civilisations complètement différentes, et de niveaux de vie inégaux, ne peuvent que nuire aux pays développés, sans garantir un progrès social et politiques chez ceux qui en profitent. En vérité, le libéralisme sème le chaos et la destruction, est facteur de conflits, de guerre, et déracine les traditions, au point que l’absence de repères jette les peuples dans le doute et le trouble, voire le désespoir.

    Comme le rappelle opportunément Jean-Claude Michéa, le choix politique est avant tout une option morale. Ce n’est certes pas un critère que retiennent les thuriféraires du marché et de l’économie, les adulateurs du profit, de la spéculation et de l’argent-roi.

    Et pourtant c’était ainsi que nos ancêtres voyaient la chose politique. Le socialisme n’avait alors rien à voir avec l’Etat ou la politique politicienne, encore moins avec le libéralisme. A l’époque de Pierre Leroux, inventeur du mot « socialisme », en 1832, auteur, en 1848, de la Ploutocratie ou le gouvernement des riches, pamphlétaire dont nous reproduisons la photographie, les souvenirs étaient encore vivaces, dans le peuple, des solidarités paysannes ou artisanales, des fraternités villageoises et des unions corporatives. Contre l’avidité d’une classe bourgeoise vulgaire et rapace, qui dénigrait autant la vieille France ancrée dans les traditions, que le peuple, troupeau digne d’être exploité, on estimait que certains comportements ne devaient pas exister.

    Quoi de commun par exemple entre un ouvrier, un employé actuels, et un bobo enrichi, un parvenu de la politique qui a triché durant toute sa carrière, et a profité de manipulations propagandistes pour se faire un petit nid douillet ? Quoi de commun entre le chômeur ou le travailleur précaire, et le représentant syndical qui profite des dessous de table du patronat et roule dans une grosse voiture avec chauffeur ? Quoi de commun entre le SDF et le propriétaire de « gauche » d’un palais au Maroc ?

    Le libéralisme est un utilitarisme qui place l’humain au service de la chose, de la consommation, de la production. Le progrès qu’il loue est l’accroissement des rentes versées aux actionnaires, l’augmentation du capital financier, seule forme de relation économique en adéquation totale avec l’abstraction universelle, la déterritorialisation, le déracinement, tous si bien incarnés par le nomadisme professionnel présenté sous le terme « flexibilité ». C’est le métier qui est nié, l’attachement à un travail qui humanise et intègre à la communauté, au profit du job, du boulot, de l’ « employabilité » fonctionnelle et condamnant à l’errance perpétuelle. Le système économique et social actuel est l’ennemi direct, mortel, du socialisme authentique, qui valorise la solidarité, la décence des relations, l’honnêteté et la vertu. L’individualisme en est la base, ainsi que l’atomisation forcée des personnes, devenues des individus réduits en esclavage.

    Claude Bourrinet (Voxnr, 12 janvier 2013)

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!