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jean-claude michéa - Page 8

  • « Le libéralisme économique et le libéralisme "sociétal" procèdent tous deux d’une même matrice idéologique »...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré aux liens qui unissent libéralisme et idéologie du progrès...

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    « Il faut être d’une naïveté confondante pour tenir le système capitaliste pour conservateur ! »

    On se souvient de la déclaration de François Hollande quand il était en campagne électorale : « Mon ennemi, c’est la finance ! » Aujourd’hui, elle est apparemment devenue son amie, comme en témoigne l’arrivée aux manettes du banquier Emmanuel Macron. Quant à la loi portant le nom de ce dernier, le MEDEF devait en rêver, le PS l’a faite. Cela vous surprend ?

    Pas du tout. Depuis qu’il s’est officiellement rallié, sinon à la société de marché, du moins au principe du marché, en 1983, le PS n’a fait que dériver toujours plus loin vers un libéralisme social… de moins en moins social. Cela confirme et illustre le propos de Jean-Claude Michéa, selon qui le libéralisme économique et le libéralisme « sociétal » ou culturel sont voués à se rejoindre, puisqu’ils procèdent tous deux d’une même matrice idéologique, à commencer par une conception de la société perçue comme une simple addition d’individus qui ne seraient liés entre eux que par le contrat juridique ou l’échange marchand, c’est-à-dire le seul jeu de leurs désirs et de leurs intérêts.

    « Le libéralisme économique intégral (officiellement défendu par la droite) porte en lui la révolution permanente des mœurs (officiellement défendue par la gauche), tout comme cette dernière exige, à son tour, la libération totale du marché », écrit encore Michéa. Inversement, la transgression systématique de toutes les normes sociales, morales ou culturelles devient synonyme d’« émancipation ». Des slogans de Mai 68 comme « Jouir sans entraves » ou « Il est interdit d’interdire » étaient des slogans typiquement libéraux, interdisant de penser la vie humaine selon son bien ou selon sa fin. La gauche, aujourd’hui, donne d’autant mieux dans le libéralisme sociétal qu’elle s’est entièrement convertie au libéralisme économique mondialisé.

    Le néo-capitalisme financiarisé et mondialisé, que certains s’entêtent à considérer comme « patriarcal et conservateur », ne serait-il pas finalement plus révolutionnaire que notre « socialisme » français, manifestement à bout de souffle ?

    Il faut être d’une naïveté confondante pour voir dans le système capitaliste un système « patriarcal » ou « conservateur ». Le capitalisme libéral repose sur un modèle anthropologique, qui est celui de l’Homo œconomicus, un être producteur et consommateur, égoïste et calculateur, censé toujours chercher à maximiser rationnellement son utilité, c’est-à-dire son meilleur intérêt matériel et son profit privé, et sur un principe ontologique qui est celui de l’illimitation, c’est-à-dire du « toujours plus » (toujours plus d’échanges, toujours plus de marché, de profits, etc.). Cette propension intrinsèque à la démesure le conduit à considérer tout ce qui peut entraver l’extension indéfinie du marché, la libre circulation des hommes ou la marchandisation des biens comme autant d’obstacles à supprimer, qu’il s’agisse de la décision politique, de la frontière territoriale, du jugement moral incitant à la mesure ou de la tradition qui rend sceptique vis-à-vis de la nouveauté.

    N’est-ce pas en cela que le système capitaliste rejoint l’idéologie du progrès ?

    Marx avait déjà constaté que l’avènement du capitalisme avait mis un terme à la société féodale traditionnelle, dont il avait noyé toutes les valeurs de solidarité communautaire « dans les eaux glacées du calcul égoïste ». Observant que la montée des valeurs bourgeoises s’était opérée au détriment des valeurs populaires comme des valeurs aristocratiques (« tout ce qui avait solidité et permanence s’en va en fumée, tout ce qui était sacré est profané »), il écrivait que « la bourgeoisie ne peut exister sans révolutionner en permanence les instruments de production, donc les conditions de production, donc l’ensemble des rapports sociaux ». C’est à ce titre qu’il parlait du « rôle éminemment révolutionnaire »» joué au cours de l’Histoire par le capitalisme, à commencer par l’expulsion des paysans des sociétés rurales par un processus de dépossession de masse qui a vu la destruction du lien immédiat entre le travail et la propriété, afin de créer un vaste marché où, transformés en salariés, ils achèteraient désormais les produits de leur propre travail.

    Plus proche de nous, Pier Paolo Pasolini disait que, du point de vue anthropologique, « la révolution capitaliste exige des hommes dépourvus de liens avec le passé […] Elle exige que ces hommes vivent, du point de vue de la qualité de la vie, du comportement et des valeurs, dans un état, pour ainsi dire, d’impondérabilité – ce qui leur permet d’élire comme le seul acte existentiel possible la consommation et la satisfaction de ses exigences hédonistes. » Le capitalisme libéral exige en effet des hommes hors-sol, des hommes interchangeables, flexibles et mobilisables à l’infini, dont la liberté (à commencer par la liberté d’acquérir, d’échanger et de consommer) exige qu’ils soient déliés de leurs héritages, de leurs appartenances et de tout ce qui pourrait, en amont d’eux-mêmes, les empêcher d’exercer leur « libre choix ». Dans cette perspective, rompre avec les traditions héritées du passé, rompre avec l’humanité antérieure équivaut nécessairement à un bien. D’où l’inconséquence tragique de ces conservateurs ou « nationaux-libéraux » qui veulent à la fois défendre le système du marché et des « valeurs traditionnelles » que ce système ne cesse de laminer.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 25 mars 2015)

     

     

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  • Résister à la destruction libérale du monde...

    Nous reproduisons ci-dessous le texte d'un entretien donné par Charles Robin au site d'informations Novopress. Jeune philosophe, influencé par Jean-Claude Michéa, Charles Robin  a déjà publié plusieurs essais comme Le libéralisme comme volonté et représentation (The Book, 2013) et La Gauche du Capital (Krisis, 2014). Il est également un contributeur régulier des revues Rébellion, Éléments et Perspectives libres.

     

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    Entretien avec Charles Robin, auteur de La gauche du capital (Krisis, 2015)

    Vous accomplissez un travail fondamental de retour aux sources philosophiques du libéralisme, pourquoi ? En quoi la critique économique du libéralisme est-elle insuffisante voire inopérante ?

    En bon disciple de Hegel, je suis absolument convaincu des vertus philosophiques de ce qu’on appelle la « phénoménologie », terme qui désigne – pour le dire vite – la recherche d’une logique sous-jacente aux phénomènes à l’œuvre (qu’ils soient d’ordres économique, politique, mais aussi culturel, moral ou anthropologique). Produire la phénoménologie du libéralisme, c’est donc tenter de remonter de ses effets quotidiens les plus manifestes (la précarité économique grandissante, la détérioration du lien social, Nabilla, etc.) à ses origines historiques et intellectuelles primordiales, pour espérer pouvoir en extraire – suivant la formule consacrée – la quintessence philosophique. Or, sur ce point, l’étude des auteurs libéraux classiques fournit à l’analyse de solides points d’appui. Ainsi, il est intéressant de noter que, dès le XVIIIème siècle, on trouve déjà formulées – notamment à travers la figure d’un Voltaire – les principales implications politiques et culturelles du projet libéral. Notamment (pour ne prendre que cet exemple) l’idée selon laquelle la libre poursuite par les individus de leurs intérêts et de leurs désirs (fondement pseudo-anthropologique de notre actuelle idéologie « libertaire ») constituerait le gage le plus puissant de la prospérité économique des nations capitalistes. L’exemple le plus emblématique (et aussi le plus caricatural !) étant probablement la fameuse Fables des abeilles (1714) de Bernard Mandeville, censée démontrer, sous une forme allégorique, que « les défauts des hommes, dans l’humanité dépravée, peuvent être utilisés à l’avantage de la société civile, et qu’on peut leur faire tenir la place des vertus morales ». Il s’agit donc, à travers cette image, de promouvoir la libre expression des égoïsmes comme source et condition de la croissance économique. Une allégorie écrite il y a trois siècles, et qui anticipait, de façon quasi prophétique, sur les métamorphoses contemporaines de nos sociétés. Soit – pour le dire d’une manière à la fois pédagogique et synthétique – la complémentarité et l’unité fondamentales du libéralisme économique et du libéralisme culturel, qui trouve son incarnation ultime dans l’actuelle fusion idéologique de la Gauche « internationaliste » et de la Droite « mondialiste ».

    Le refus de toute verticalité est pour vous caractéristique de l’idéologie libérale, qui privilégie l’individu à la communauté, la logique de l’intérêt au sens du sacrifice. Pouvez-vous illustrer cette opposition entre transcendance et immanence ?

    L’hypersensibilité hallucinante de la classe politique sur la question de la laïcité (loi de séparation de l’Église et de l’État adoptée en 1905) suffit à vérifier – de l’opportunisme politique d’une Marine Le Pen à la transe mystique d’un Vincent Peillon, pour lequel (rappelons-le tout de même) : « La laïcité [...], c’est une religion de la liberté, c’est une religion des droits de l’Homme » – l’allergie philosophique des libéraux à toute authentique notion de « transcendance », c’est-à-dire qui ne soit pas celle du fétichisme de la marchandise. Il faut en effet comprendre que, selon l’anthropologie libérale, l’Homme se définit d’abord comme un être sensible, c’est-à-dire capable d’éprouver du plaisir et de la douleur. Dans cette conception (fondement de l’empirisme de Locke, puis de l’utilitarisme de Bentham), c’est donc dans sa dimension corporelle et immanente que se situerait l’essence de l’être humain, quand les traditions philosophiques antérieures voyaient davantage dans sa dimension spirituelle et transcendante la qualité spécifique et le lieu d’accomplissement ultime de l’Homme. Par ce renversement dans la hiérarchisation classique des attributs humains (Corps/Esprit), c’est la vision de l’Homme elle-même qui allait se trouver transformée. En refusant d’accorder le moindre crédit philosophique à la notion de « sacré » (hormis à l’occasion de quelques processions sacrificielles telle que la dernière Charlie’s Pride nous en fournit le modèle), la doctrine libérale entérine ainsi, de fait, la réduction de l’être humain à un simple « carrefour de sensations », soumis aux seules lois gravitationnelles de l’intérêt et du désir. Un individu libéral atomisé, amputé de sa partie symbolique (celle qui produit du sens, c’est-à-dire à la fois une signification et une direction) au profit de l’Ego matérialiste triomphant. La transcendance n’est rien d’autre, sous cet angle de vue, que le surpassement effectif (c’est-à-dire réellement incarné) de la cellule de notre ego, condition constitutive de toute émancipation individuelle et collective. C’est la raison pour laquelle je pense qu’aucun socialisme authentique ne peut se concevoir sans cette assise symbolique primordiale, à défaut de laquelle rien ne viendrait justifier (conformément au mot d’ordre du NPA, auquel je souscris pleinement) que « nos vies valent plus que leurs profits ».

    Dès lors, que vaut une société alternative qui ne serait pas portée par des hommes verticaux, c’est-à-dire structurés par une spiritualité forte ? Pour notre vieille Europe, le retour à ses racines ancestrales (un paganisme fécondé par le christianisme) n’est-il pas une condition nécessaire ?

    Dans une perspective politique, la notion de « retour en arrière » n’a, à mes yeux, pas le moindre sens – du seul fait que le temps est un phénomène à sens unique ! En revanche, cela ne signifie pas qu’il faille vouloir refonder en faisant – comme le préconise le chant de l’Internationale – « table rase du passé ». À la suite des Humanistes, je suis profondément convaincu que la sagesse se trouve généralement plus près des enseignements des Anciens que de ceux des Modernes (lesquels n’ont d’ailleurs fait, le plus souvent, que les actualiser en les trafiquant).

    De ce point de vue, il est indiscutable que l’élimination forcenée de toute trace de spiritualité antérieure au « post-modernisme » (dernière secte en date du libéralisme) représente une condition indispensable à la poursuite du projet du capitalisme planétaire.

    Cela étant, je ne limite pas au seul christianisme – ni, d’ailleurs, à aucune autre religion référencée – le cadre d’expression de ce que j’englobe sous l’idée de transcendance. Pour le dire autrement, il n’est aucunement nécessaire de se définir comme « chrétien » pour faire partie de ceux qui, par leur comportement quotidien et leurs actes concrets (à quelque niveau que cela soit), contribuent à améliorer réellement l’état des choses. S’il y a un grand mérite aux travaux des anthropologues structuralistes, c’est d’avoir apporté la confirmation empirique que sous des modalités plurielles et spécifiques selon les cultures se manifestaient, la plupart du temps, des modes de représentation du monde similaires ou analogues. L’observation me semble, dans une large mesure, valable concernant l’identité ethnique ou confessionnelle. À savoir qu’il me paraît peu fondé (si ce n’est par l’inquiétude légitime – et savamment entretenue – de ceux qui voient progressivement leur cadre de vie se transformer sous leurs yeux) d’exclure du « camp des opprimés » des populations – croyantes ou athées, européennes ou extra-européennes – qui, si elles n’emploieront pas forcément le même « langage », pourront cependant signifier une vision du monde commune. C’est là un point crucial à retenir, pour qui s’interrogerait sur la signification de l’actuelle marche forcée vers la guerre civile idéologique inter-communautaire, à laquelle la classe dirigeante nous prépare.

    Vous amenez le libéralisme sur un terrain qui lui est presque étranger, celui de la morale. Il est peut-être temps de revenir ici sur la notion orwellienne de « décence commune »…

    On a souvent reproché à Michéa son usage de la notion de common decency empruntée à Orwell. Le fait est que cette idée d’une décence commune – c’est-à-dire d’une morale ordinaire et intuitive partagée par la plupart des gens, sans référence particulière à une idéologie du Bien ou de la Vertu – offre assez peu de prises à l’analyse conceptuelle (dont les universitaires sont d’autant plus friands qu’elle permet de légitimer leur anaptitude au réel). Pour ma part, je vois dans cette plasticité et ce caractère apparemment « vague » de la notion de common decency la traduction philosophique la plus juste de cette disposition morale des gens ordinaires, dont on ne connaît pas tant la nature et l’origine exactes que les effets quotidiens à travers lesquels elle se manifeste. En d’autres termes, quiconque chercherait à comprendre cette notion de common decency sans en éprouver directement les implications humaines profondes me semble condamné à errer éternellement dans les tunnels sombres du « positivisme », pour lequel seules importent les lois neutres et impersonnelles de la « rationalité ». Pour corriger votre question, je dirais donc que la question de la morale n’est, en réalité, pas étrangère au libéralisme, dans la stricte mesure où, précisément, le libéralisme ne peut espérer prospérer que sur les ruines d’une telle disposition à la common decency. Une morale ordinaire qui transcende, là encore, les appartenances confessionnelles et communautaires, et nous place face à notre propre responsabilité : celle qui consiste à entamer la lutte contre le libéralisme sur le terrain de notre propre conduite. Soit notre capacité à incarner, dans notre existence quotidienne et dans notre rapport à soi et aux autres, ces valeurs d’entraide, de bienveillance et de respect réciproque qu’une telle common decency préconise.

    Mai 1968 a été un formidable point de convergence de l’extrême gauche libertaire et du capitalisme américanisé. Au-delà des slogans et de l’imagerie d’Epinal, quelle est l’importance réelle de ces « événements » ?

    Dans son livre Néo-fascisme et idéologie du désir (1973), le philosophe Michel Clouscard décrivait les événements de Mai 68 comme une « contre-révolution ». Il voulait dire par là que ces événements avaient fourni au libéralisme l’occasion de sa mutation en une forme nouvelle, celle qu’il désigne sous le précieux concept de « libéralisme libertaire ».

    Ainsi, à l’esprit du capitalisme autoritaire et traditionaliste hérité du fordisme et du taylorisme (marqué par la parcellisation des tâches et la mécanisation de l’industrie) allait désormais succéder un nouvel esprit du capitalisme, orienté non plus sur la répression du désir et l’interdit (incarné par le producteur), mais sur sa libération et la permissivité (incarné par le consommateur). En confondant ainsi tragiquement lutte anticapitaliste et lutte anti-autoritariste, les acteurs de Mai 68 allaient ainsi apporter une caution « libertaire » (donc « moderne ») à l’exploitation capitaliste de la liberté et du désir individuels. L’hypersexualisation de nos sociétés contemporaines (pour ce qui concerne, du moins, la présentation médiatique des choses) est évidemment symptomatique de cette opportunité du « lâcher-prise » pulsionnel pour la domination marchande. En sollicitant en permanence la participation à la machine capitaliste de notre bas-ventre, on s’assurait ainsi – si j’ose dire – de maintenir le centre gravitationnel de notre manière d’être et de notre rapport au monde en-dessous de la ceinture. Une forme paradoxale de la domination, puisqu’elle tend à convertir tous nos désirs individuels en ressource énergétique au service de l’industrie de la consommation.

    Vous parlez d’économie libidinale pour caractériser l’étape d’extension du marché que nous connaissons actuellement. Que recouvre ce terme ?

    Pour bien comprendre cette idée, il est absolument nécessaire de rompre avec cette opinion courante qui voudrait que toute domination politique emprunte obligatoirement les voies de l’autoritarisme et de la « soustraction de jouissance ».

    En réalité, le libéralisme aura accompli cet exploit, inédit au regard de l’Histoire, d’avoir su articuler et tenir ensemble la plus complète des dominations avec la plus absolue – mais aussi la plus abstraite – des libertés pour les individus. Il aura suffi, pour ce faire, d’introduire méthodiquement dans nos esprits l’idée (héritée de la philosophie empiriste) que c’est dans la satisfaction de nos désirs pulsionnels que se manifeste le signe ultime de la liberté humaine.

    Une réduction de la liberté à la pulsion, quand les Anciens voyaient justement dans la « retenue » à l’égard de ses passions et de ses affects la forme accomplie de la liberté et de la sagesse. Camus disait : « Un homme, ça s’empêche ». Autrement dit, un être humain se définit d’abord par sa capacité à dire « non », à refuser, à résister. N’est-il pas significatif, à cet égard, que le verbe « succomber » désigne à la fois le fait de céder à la « tentation » et de « rendre l’âme » ? L’économie libidinale du capitalisme – c’est-à-dire la stimulation et l’exploitation de notre libido au profit des intérêts du Marché – débordant évidemment le seul cadre de l’industrie du sexe, puisqu’il conditionne désormais l’ensemble de notre rapport à la marchandise : une marchandise déifiée, sacralisée et fétichisée, par laquelle se manifeste le règne de l’Avoir et du Signe, qui s’édifie sur les décombres de l’Être et du Sens.

    Quelle dette a l’idéologie du marché envers les libertaires Bourdieu et Foucault ?

    Le dénominateur commun des travaux de Bourdieu et de Foucault réside dans leur prétention commune à mettre au jour les mécanismes de la domination, tout en participant, dans les faits, à leur assomption et à leur légitimation. Ainsi, Foucault – qui ne dissimulait pas sa fascination pour la « fièvre généreuse du délinquant » – contribua-t-il, par ses travaux, à entretenir la conception d’un système capitaliste répressif et prohibitif, dont la prison, l’école et l’hôpital représenteraient les structures d’exercice privilégiées. Un capitalisme répressif et anti-hédoniste qui appellerait comme réponse philosophique la promotion d’un individualisme permissif et jouisseur comme horizon pratique de toute émancipation. De même, en faisant de l’École le lieu d’exercice d’une « violence symbolique » à l’égard de l’élève, Bourdieu allait apporter une caution « philosophique » et « libertaire » à la destruction de l’enseignement du savoir critique comme arme effective d’émancipation et de libération à l’égard de l’ordre « bourgeois ». D’où le développement, ces dernières années, des méthodes d’apprentissage basées sur le principe de la « pédagogie différenciée », à partir duquel les élèves sont désormais invités à « construire » leur propre savoir, à l’encontre d’un enseignement traditionnel fondé sur l’instruction et la transmission, vues comme intrinsèquement oppressives et contraires à l’individualité créatrice de l’enfant. Ce qui se vérifie dans ce constat simple que jamais les connaissances élémentaires n’ont été si peu maîtrisées par les jeunes générations, alors même que le savoir n’a jamais été aussi disponible et accessible par tous, le développement récent des technologies de l’information et de la communication – au premier rang desquelles Internet – permettant de vérifier qu’il n’est nul besoin de restreindre l’accès au savoir pour obtenir que la population s’en détourne.

    Vous insistez sur le fait que la faillite de notre système éducatif ne doit rien au hasard. L’économie libidinale a-t-elle donc besoin de n’avoir face à elle que des individus déracinés et décérébrés, anomiques ?

    L’intérêt principal de ce que Michéa nomme, dans l’un de ses livres, l’ « enseignement de l’ignorance », est qu’il tend à produire des individus déliés et amputés d’une part considérable de leur être, à savoir l’intelligence critique.

    Qu’on le veuille ou non, l’enseignement « traditionnel » avait au moins cette supériorité sur l’enseignement « différencié » qu’il rendait possible l’accès de tous à une culture commune, à partir de laquelle seulement peut s’édifier un monde commun.

    La séparation des individus de cette sphère immatérielle et transcendante par excellence que représente le savoir (au motif, par exemple, que la connaissance du théorème de Pythagore ou des règles de la conjugaison du subjonctif n’aurait, de nos jours, pas la moindre « utilité ») est parfaitement emblématique, de ce point de vue, de l’entreprise d’élimination systématique de tout savoir qui ne déboucherait pas directement sur un « profit » objectivement mesurable. Ce faisant, on fabrique à la chaîne des individus auxquels on aura préalablement inculqué le mépris de la culture, favorisant ainsi leur réduction à l’état d’« atomes » sensibles, coupés de leur passé et de leurs origines, réceptacles passifs et intégralement disponibles aux sollicitations de la marchandise.

    Nous assistons à une accélération de l’extension du libéralisme : destruction de la famille traditionnelle, idéologie du genre, suppression de larges pans de l’enseignement de l’histoire, extension de la novlangue et de l’arsenal répressif contre ceux qui « pensent encore le réel ». Comment envisagez-vous les années à venir ?

    Une autre vertu de la dialectique hégélienne est qu’elle permet d’envisager tout processus historique d’aliénation et de dépossession de soi à grande échelle comme engendrant de lui-même sa propre réfutation. Pour le dire simplement, je pense que l’accélération actuelle des mesures de libéralisation entraînera d’elle-même l’amplification des réactions à son encontre. C’est ce qu’on commence à voir un peu partout, avec l’émergence et la constitution de groupes de réflexion et d’action pour lesquels il apparaît désormais évident que la destruction libérale du monde doit appeler des modalités de résistance organisées et structurées, c’est-à-dire plaçant au cœur de leur engagement la notion de « lien ». Bien qu’un tel chantier puisse être vu comme « utopique » au regard de l’extraordinaire avancement du projet libéral d’atomisation, je suis personnellement convaincu qu’une telle entreprise de réunification porte les germes de notre salut collectif. À condition que nous soyons capables de sortir de cette tyrannie de l’Ego, qui constitue, à n’en pas douter, l’arme d’oppression la plus redoutable – car la plus invisible – du Système.

    Charles Robin, propos recueillis par Pierre Saint-Servan (Novopress, 6 et 7 mars 2015)

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  • Révolution conservatrice d'hier et d'aujourd'hui...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par Alain de Benoist à Pierre Saint-Servant pour Novopress et consacré à la Révolution conservatrice.Essayiste et philosophe, Alain de Benoist vient de publier récemment Quatre figures de la Révolution conservatrice (Amis d'Alain de Benoist, 2014) et Le Traité transatlantique et autres menaces (Pierre-Guillaume de Roux, 2015).

     

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    Révolution conservatrice d'hier et d'aujourd'hui

    La Révolution Conservatrice retient depuis plusieurs décennies votre attention. Dans votre dernier ouvrage, vous avez choisi de l’aborder par l’intermédiaire de quatre personnalités, symbole probable de la grande diversité de ce mouvement. Comment définiriez-vous cette Konservative Revolution ?

    Les représentants de la Révolution Conservatrice allemande n’ont que rarement utilisé ce terme pour se désigner eux-mêmes. L’expression ne s’est imposée qu’à partir des années 1950, à l’initiative de l’essayiste Armin Mohler, qui a consacré à cette mouvance un énorme « manuel » (La Révolution Conservatrice en Allemagne, 1918-1932) traduit en France en 1993. Elle désigne couramment ceux des adversaires de la République de Weimar, hostiles au traité de Versailles, qui se réclamaient d’une idéologie « nationaliste » distincte de celle du national-socialisme. Mohler les regroupe en trois familles principales : les jeunes-conservateurs (Moeller van den Bruck, Othmar Spann, Oswald Spengler, Carl Schmitt, Wilhelm Stapel, etc.), les nationaux-révolutionnaires (Ernst Jünger, Franz Schauwecker, Ernst Niekisch, etc.) et les Völkische, qui sont des populistes à tendance souvent biologisante ou mystique. La Révolution Conservatrice n’est donc pas du tout un mouvement unitaire, même s’il existe entre ses représentants certains points communs. C’est plus exactement une mouvance, qui ne comprend pas moins de trois ou quatre cents auteurs, dont seule une minorité ont été traduits en français. Cette mouvance n’a pas à proprement parler d’équivalent dans les autres pays européens, mais pour ce qui concerne la France, on pourrait à bien des égards la rapprocher de ceux que l’on a appelés les « non-conformiste des années trente ».

    Sous le IIIe Reich, peu de révolutionnaires conservateurs se sont ralliés au régime. Quand ils l’ont fait (comme Carl Schmitt), cela a généralement été pour peu de temps. Certains se sont exilés, quelques uns ont été assassinés (Edgar J. Jung), d’autres sont entrés dans la Résistance, ce qui leur a valu d’être emprisonnés (Ernst Niekisch) ou exécutés (Harro Schulze-Boysen). La plupart ont vécu dans une sorte d’exil intérieur (Jünger) rarement dépourvu d’ambiguïté.

    Si la Révolution Conservatrice reste méconnue en France, n’est-ce pas en partie à cause de la contradiction des termes qu’elle semble contenir ? Les définitions françaises et allemandes des termes « conservateur » et « révolutionnaire » seraient-elles à ce point différentes ?

    En France, le mot « conservatisme » est assez péjoratif. On le tient volontiers pour synonyme de « réactionnaire ». Il en va très différemment en Allemagne, où le mot « droite » est en revanche peu employé. L’association, à première vue surprenante, des mots « conservateur » et « révolutionnaire » témoigne d’abord, d’un point de vue théorique, d’une volonté de conciliation des contraires (c’est au fond l’idée hégélienne d’Aufhebung, de dépassement d’une contradiction). Mais elle répond aussi à l’idée que, dans le monde tel qu’il est devenu, seul un bouleversement général, c’est-à-dire une révolution, permettra de conserver ce qui vaut la peine d’être conservé : non pas le passé, mais ce qui ne passe pas. Arthur Moeller van den Bruck écrit ainsi : « Le réactionnaire se représente le monde tel qu’il a toujours été. Le conservateur le voit comme il sera toujours ». Il ajoute que, par opposition aux réactionnaires, qui ne comprennent rien à la politique, « la politique conservatrice est la grande politique. La politique ne devient grande que lorsqu’elle crée de l’histoire ».

    La confusion sémantique ne s’arrête pas là. Le terme « socialiste » est aujourd’hui utilisé (tant par ceux qui s’en réclament que par ceux qui s’y attaquent) à tort et à travers. Voir l’équipe Hollande-Valls-Macron se réclamer du socialisme est aussi ridicule qu’entendre certains invoquer une « dictature socialiste » pour nommer le désordre libéral-libertaire actuel. Que recouvre le socialisme dont se réclament à la fois Arthur Moeller, Werner Sombart ou encore Ernst Niekisch, au-delà de leurs nuances respectives ?

    Une idée propre à de nombreux révolutionnaires conservateurs est que « chaque peuple a son propre socialisme » (Moeller van den Bruck). Sous Weimar, la notion de « socialisme allemand » est d’usage courant aussi bien à droite qu’à gauche, y compris au sein des organisations nationalistes. Werner Sombart, grand spécialiste de l’histoire du mouvement social et du capitalisme, est d’ailleurs l’auteur d’un livre portant ce titre (Le socialisme allemand, traduction française en 1938). Oswald Spengler parle de « socialisme prussien », c’est-à-dire d’un socialisme porté par l’éthique et le style prussiens, qui rejette d’un même mouvement les valeurs bourgeoises et la « prolétarisation ». Expliquant que Marx a dévoyé le socialisme en l’entraînant en Angleterre, patrie du libéralisme, il affirme qu’il faut maintenant le « rapatrier » dans le pays où « chaque Allemand véritable est un travailleur ». Ces références montrent que pour la Révolution Conservatrice l’ennemi principal est très clairement le libéralisme.

    L’un des riches débats qui animèrent les rangs de la Révolution Conservatrice opposa les tenants d’un « ruralisme », admirateurs de la paysannerie et contempteurs du mode de vie urbain aux partisans d’une prise en main de la technique et de la figure mythique du Travailleur (que contribuèrent à forger tant Jünger que Niekisch). Que peut-on en retenir ?

    C’est en effet l’un des traits qui distinguent les jeunes-conservateurs des nationaux-révolutionnaires. Les premiers, très influencés par l’idée du Reich médiéval, en tiennent souvent pour une société des « états » (Stände) où la paysannerie, lieu par excellence des solidarités organiques et des traditions populaires, joue un rôle essentiel, tandis que les seconds se veulent à la fois plus radicaux et plus « modernistes ». Cela dit, un auteur comme Oswald Spengler n’hésite pas à donner une interprétation « faustienne » de la technique. Le cas d’Ernst Jünger est plus complexe. Son livre sur Le Travailleur (1932), qui oppose à la Figure du Bourgeois une sorte de métaphysique du Travail, est une apologie « titanesque » de la Technique en tant que facteur de « mobilisation totale », mais l’auteur des Orages d’acier reviendra par la suite sur cette façon de voir, notamment sous l’influence de son frère, Friedrich Georg Jünger, auteur dans l’immédiat après-guerre d’un livre très hostile à la technique (Die Perfektion der Technik) que l’on peut considérer comme un ouvrage fondateur de l’écologisme actuel.

    Ce qui frappe dans les portraits que vous dressez, c’est la difficile incarnation politique des idéaux portés par la Révolution Conservatrice. L’extraordinaire fécondité intellectuelle de ce mouvement donne d’autant plus le vertige que ses réalisations politiques paraissent faibles. Qu’en est-il ?

    Il est exact que la Révolution Conservatrice n’a pas réussi à s’imposer politiquement, ce qui est fort dommage, car elle aurait évidemment constitué une alternative positive à l’hitlérisme. Sur le plan politique, elle s’est plutôt manifestée par des activités « ligueuses », des clubs de réflexion, des associations multiples et variées, ce qui n’empêche pas qu’on repère sans peine son influence à l’intérieur du Mouvement de jeunesse (Jugendbewegung) issu de l’ancien Wandervogel, ou à la faveur d’événements ponctuels, comme la révolte paysanne dans le Schleswig Holstein. Mais cela n’a pas suffi à en faire une dynamique de premier plan. Cela s’explique notamment par le fait qu’à quelques exceptions près, les représentants de la Révolution Conservatrice n’étaient pas des politiciens, mais des écrivains et des théoriciens. D’un autre côté, c’est aussi ce qui nous permet de les lire encore aujourd’hui avec profit.

    La Révolution Conservatrice semble trouver des échos inattendus dans la nouvelle critique anti-libérale qui émerge actuellement avec des auteurs tels que Jean-Claude Michéa, Dany Robert-Dufour mais aussi Hervé Juvin, ou encore le jeune Charles Robin que vous avez édité récemment. Que manque-t-il à ce renouveau pour qu’il puisse « faire école » ?

    Disons que certaines thématiques propres à la Révolution Conservatrice resurgissent incontestablement aujourd’hui. Mais on pourrait en dire autant des idées des « non-conformistes des années trente », qu’il s’agisse de Thierry Maulnier, Bertrand de Jouvenel, Alexandre Marc, Robert Aron, Bernard Charbonneau et tant d’autres. Ce qu’il faut, c’est que cette tendance s’amplifie. Au-delà des évolutions individuelles, de plus en plus nombreuses, ce qui me paraît le plus de nature à y contribuer, c’est le fait que l’on voit aujourd’hui s’imposer de nouveaux clivages qui rendent chaque jour plus obsolète le vieux clivage droite-gauche. Le clivage essentiel est désormais celui qui oppose partisans et adversaires de la mondialisation, ou encore le peuple et la classe dominante. La critique du libéralisme peut dans cette optique jouer un rôle fédérateur

    « Droite libérale et gauche sociétale semblent communier dans un même aveuglement », résume Christopher Gérard pour évoquer le récent ouvrage de Paul-François Paoli, Malaise de l’Occident. Vers une révolution conservatrice ? C’est la collusion de ces deux camps que vous démontrez implacablement depuis des décennies. Avez-vous le sentiment que cette compréhension avance ?

    J’ai en effet ce sentiment. Jean-Claude Michéa a joué à cet égard un rôle très important, en montrant (ou en rappelant) l’identité de nature existant entre le libéralisme économique, surtout défendu par la droite, et le libéralisme culturel ou sociétal, surtout défendu par la gauche. La révolution permanente des mœurs ne peut qu’aller de pair avec la libération totale du marché, l’une et l’autre relevant d’une même conception anthropologique, fondée sur l’axiomatique de l’intérêt et sur ce que Heidegger appelle la « métaphysique de la subjectivité ». Un gouvernement associant à la fois Emmanuel Macron et Najat Vallaud-Belkacem en est une illustration frappante. Le fait nouveau est la réapparition « à droite » d’une critique radicale du capitalisme libéral, que je crois aujourd’hui plus nécessaire que jamais. Elle a l’avantage de faire apparaître l’inconséquence tragique de ces « nationaux-libéraux » qui veulent à la fois défendre le système du marché et des « valeurs traditionnelles » que ce système ne cesse d’éliminer.

    Paoli évoque « la précarité intellectuelle de nos enfants, des adolescents qui n’ont aucun repère et dont la culture historique est très pauvre. » et poursuit : « Le mode de vie consumériste fondé sur la consommation de masse a appauvri ce pays. Il l’a appauvri culturellement et symboliquement ». Pour conclure, ne peut-on pas envisager que si une révolution conservatrice est en germe, elle s’incarne plus dans des modes de vie dissidents (citadelle ou grain de sable) que dans une énième structure politique ?

    Vous avez sans doute raison. Face à un système de l’argent en passe de se détruire lui-même du fait de ses contradictions internes, l’action politique, si utile qu’elle puisse être, trouve très vite ses limites. Se rebeller contre ce système exige d’adopter des modes de vie ou des styles de vie différents, ce qui implique un patient dessaisissement par rapport à l’idéologie dominante, à commencer par le primat des valeurs marchandes. Serge Latouche parle à ce propos de « décolonisation » de l’imaginaire symbolique, formule qui me paraît bien trouvée. C’est à cette condition que l’on pourra voir réapparaître à l’échelon local des « espaces libérés » où la réanimation du lien social permettra l’émergence d’une nouvelle citoyenneté sur la base de valeurs partagées.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Pierre Saint-Servant (Novopress, 4 et 5 février 2015)

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  • On cause de Muray, de Taubira, de Michéa et de haute couture...

    Le mensuel Causeur vient de sortir en kiosque son numéro de janvier 2015. On y trouve notamment un dossier sur l'écrivain Philippe Muray, à l'occasion de la sortie du premier tome de son journal, et un entretien avec Jean-Claude Michéa.

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    " Philippe Muray revient ! A l’occasion de la publication du premier tome de son Journal (Belles Lettres, 2014), dont nous publions plusieurs extraits, notre regretté mécontemporain a les honneurs de Causeur. Outre une passionnante introduction d’Elisabeth Lévy sur « l’époque et son maître », y figurent un entretien exclusif avec Anne Muray-Sefrioui ainsi que plusieurs hommages au concepteur d’Homo Festivus.

    Mais Causeur donne aussi dans l’investigation, avec des révélations sur l’affaire Anne-Sophie Leclère,  condamnée en première instance à neuf mois de prison ferme pour la publication d’une infâme caricature raciste de Christiane Taubira. Alors que la jurisuprence appelait une riposte proportionnée à acte inacceptable, sous couvert d’antiracisme, le parquet a bafoué les principes élémentaires de la justice et de la démocratie. Double procédure lancée en Guyane et à Paris, jugement ubuesque aux attendus dignes d’un tract : les heures-les-plus-sombres reviendraient-elles dans les prétoires ?

    Dans le champ intellectuel, la chasse aux sorcières bat également son plein, contre les apostats de la gauche que sont Jean-Claude Michéa ou Christophe Guilly. Face à ses détracteurs, Michéa nous livre un entretien sans novlangue.

    Enfin, sous l’autorité de Patrick Mandon, un dossier autour de la haute couture fera défiler les splendeurs et misères d’une industrie devenue otage de la haute finance. On pourra notamment y lire les papiers Viviane Blassel, Janie Samet, Charlotte Liébert-Hellman, Pierre Lamalattie et même le témoignage du grand Hubert de Givenchy.

    Bref, un numéro indémodable ! "

     

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  • Le livre, dernier refuge de l'homme libre ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré à la question de la culture et de la transmission...

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    « Numérique : le livre, dernier refuge de l’homme libre ? »

    Fleur Pellerin, ministre de la Culture, admettait récemment n’avoir pas eu le temps de lire un livre depuis deux ans. Vous, dont la bibliothèque compte près de 200.000 livres, est-ce que cela vous indigne ?

    Je trouve qu’elle est plutôt à plaindre. Fleur Pellerin n’est pas une femme antipathique. Comme beaucoup de jeunes Asiatiques, elle a sûrement travaillé dur pour obtenir ses diplômes. Elle a passé un baccalauréat scientifique, elle est passée par l’ESSEC et par l’ENA, avant de devenir à vingt-six ans magistrate à la Cour des comptes, ce qui n’est pas rien. Elle a ensuite occupé des fonctions gouvernementales en étant successivement chargée de l’Économie numérique, du Commerce extérieur, puis du Tourisme. Le problème est que tout cela n’a rien à voir avec la culture, ce qui est un peu gênant quand on est titulaire d’un poste qui fut, en d’autres temps, occupé par André Malraux.

    Bien entendu, un ministre de la Culture ne doit pas être nécessairement un écrivain. Mais si madame Pellerin n’a rien lu depuis deux ans (saluons au moins sa franchise !), c’est de toute évidence qu’elle n’a pas lu grand-chose avant non plus. J’ai du mal à l’imaginer plongée dans La Recherche, dans Les Cloches de Bâle ou dans Les Possédés, pour ne rien dire des Deux Étendards ou de La Fosse de Babel. Elle dit qu’elle « n’a pas eu le temps », ce qui prête à sourire. Les gens qui n’ont « pas le temps de lire » sont des gens qui n’en éprouvent pas le besoin. Quand on en a le besoin, on trouve toujours le temps. Fleur Pellerin ne dirait pas que depuis deux ans elle n’a pas eu le temps de manger ! Érasme, lui, confiait : « Quand j’ai un peu d’argent, je m’achète des livres et s’il m’en reste, j’achète de la nourriture et des vêtements. » . Je trouve que c’est une bonne façon de procéder.

    De son côté, Natacha Polony n’en finit plus de rappeler que l’école sert d’abord et avant tout à lire, écrire et compter. Et que l’enseignement numérique n’est finalement que subsidiaire…

    Il est toujours bon de rappeler le b.a-ba, mais l’école, en principe, ne doit pas seulement servir à lire, écrire et compter. L’Éducation nationale est censée éduquer, ce qui n’est pas tout à fait la même chose qu’enseigner. Éduquer, c’est mettre en forme et c’est transmettre. Or, nos enseignants ne savent visiblement plus que transmettre ni comment transmettre. Dans Les Déshérités, François-Xavier Bellamy assure même qu’il leur est « interdit de transmettre ». Entre ceux qui veulent voir leurs enfants acquérir des connaissances « utiles pour avoir un métier », transformant ainsi l’école en antichambre du cabinet d’embauche, ceux qui veulent laisser s’épanouir la « créativité » de ceux qui en sont manifestement les plus dépourvus, et les élèves eux-mêmes qui trouvent que « ça ne sert à rien » d’apprendre quelque chose, puisque « maintenant on trouve tout sur Wikipédia », la ligne de crête n’est pas facile à suivre. D’ailleurs, question lancinante : qui éduquera les éducateurs ?

    Dans L’Enseignement de l’ignorance, Jean-Claude Michéa affirme que l’oubli de l’histoire et des lettres classiques n’est nullement un « dysfonctionnement » de l’école, mais le but même qui lui est désormais assigné. Pour créer l’Homo œconomicus que le monde actuel place au centre de sa conception du monde, il faut que le futur consommateur soit rendu parfaitement malléable, et donc « libéré » de tout repère « archaïque ». L’oubli du passé répond aux exigences conjointes de la gauche libérale, de l’industrie des loisirs et du patronat. C’est pourquoi l’école actuelle fabrique des crétins à la chaîne, c’est-à-dire des incultes portés par la seule immédiateté de leurs désirs marchands. Or, la culture n’est pas un bagage qui permet de faire bonne figure à « Questions pour un champion », ni un élément décoratif conçu de façon bourgeoise comme la potiche qu’on place sur un dessus de cheminée, et moins encore une « industrie » dont l’avenir est dans le numérique, comme le croit Fleur Pellerin. La culture – je dis la culture, pas les « produits culturels » – est ce qui permet à l’homme d’acquérir une forme intérieure. Bernanos disait qu’« on ne comprend rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure ». C’est exactement cela.

    Autrefois, il fut prétendu que la photo allait détrôner la peinture, que le cinéma allait tuer le théâtre, que la télévision allait achever le septième art, et que les vidéo-clubs ne feraient qu’une bouchée des salles de cinéma. À l’heure d’Internet et de la VOD, qui va tuer qui ?

    Les nouveaux procédés techniques ne font pas forcément disparaître les précédents, mais ils les transforment. Lorsqu’il a perdu le monopole de l’image qui bouge au profit de la télévision, le cinéma a considérablement changé. Revoyez Ginger et Fred de Fellini ! De même, l’œil de l’Homo numericus qui balaie l’écran d’une tablette n’est pas l’œil qui découvre peu à peu une page imprimée. André Suarès écrivait en 1928 : « Il est possible que le livre soit le dernier refuge de l’homme libre. Si l’homme tourne décidément à l’automate, s’il lui arrive de ne plus penser que selon les images toutes faites d’un écran, ce termite finira par ne plus lire. Toutes sortes de machines y suppléeront : il se laissera manier l’esprit par un système de visions parlantes […] Tout y sera, moins l’esprit. Cette loi est celle du troupeau. »  Le plus grand risque pour l’homme d’aujourd’hui est d’adopter un comportement technomorphe qui étouffe peu à peu ce qu’il y a en lui de proprement humain. Là, ce n’est plus Ginger et Fred qu’il faut évoquer, mais Fahrenheit 451.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 12 décembre 2014)

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  • La gauche du capital...

    Les éditions Krisis viennent de publier La gauche du capital - Libéralisme culturel et idéologie du marché, un essai de Charles Robin, préfacé par David L'Epée. Jeune philosophe, élève de Jean-Claude Michéa, Charles Robin a déjà publié Le libéralisme comme volonté et représentation (TheBook, 2013) et écrit régulièrement dans les revues Rébellion et Éléments...

     

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    " L’effacement du clivage droite-gauche, chaque jour plus accentué en cette période de crise, fait apparaître la grande complémentarité du libéralisme économique, resté longtemps l’apanage de la droite, et du « libéralisme libertaire » (expression créée dès 1972 par le sociologue Michel Clouscard) constamment promu par la gauche. Dans ce livre, Charles Robin s’emploie à montrer que cette complémentarité s’explique par une commune inspiration doctrinale remontant à la philosophie des Lumières. Loin d’être l’effet d’une « trahison » envers ses principes fondateurs, le retournement libéral de la gauche et sa soumission spectaculaire aux exigences du Capital résultent au contraire d’une profonde logique inscrite dans son histoire.

    A la suite de Jean-Claude Michéa, l'auteur, qui a milité dans le passé au Nouveau parti anticapitaliste (NPA), invite à remonter aux sources du projet libéral afin d'en saisir la genèse intellectuelle. Il montre en quoi l'individualisme économique qui définit le modèle anthropologique de la droite rejoint une conception de l'individu dont le cadre d'épanouissement serait fourni par la société "plurielle" et "progressiste" tant célébrée par la gauche et l'extrême gauche. Il explique du même coup pourquoi la gauche privilégie désormais le "sociétal" au détriment du social, sans souci des catastrophes engendrées dans les classes populaires par l'application forcenée des principes du Marché. Olivier Besancenot et Laurence Parisot, même combat ! Seule la prise en compte de ces deux "faces" du libéralisme permet de saisir le rôle essentiel du discours culturel de la gauche dans le processus de domination capitaliste marchand. "

     

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