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guerre civile - Page 12

  • Vers une crise de régime ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de l'économitse hétérodoxe Jacques Sapir, cueilli sur son blog RussEurope et consacré à la crise qui d'économique devient politique...

     

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    Vers une crise de régime

    Les sondages indiquent un effondrement de la popularité du Président, mais aussi du Premier Ministre et des ministres du gouvernement. Moins d’un an après l’élection présidentielle, et les élections législatives, c’est un phénomène très rare de désaffection massive1, qui conduit certains commentateurs à parler d’« enfer ». François Hollande se retrouve avec seulement 33% de réponses lui accordant leur confiance pour résoudre les problèmes du pays. Il est au plus bas d’un Président dans l’année suivant l’élection2. Jean-Marc Ayrault, avec pour sa part 30% d’opinions favorables, enregistre un record absolu. De manière significative, la chute des opinions favorables est la plus forte chez les ouvriers et les employés ainsi que chez les jeunes (avec 30%), et la plus faible chez les cadres. Notons enfin le faible nombre de réponses « ne se prononce pas » avec 5% de l’échantillon. Les résultats du sondage sont donc représentatifs de l’opinion des Français. Des résultats à peu près similaires avaient été obtenus dans un sondage IFOP-Paris Match réalisés quelques jours auparavant3. On dira que ce gouvernement et ce Président l’ont bien cherché. Rarement a-t-on vu en aussi peu de temps autant de promesses se transformer en leurs contraires. Rarement aussi aura-t-on vu s’établir, dans le cadre d’une supposée alternance politique, une telle continuité avec la politique du précédent gouvernement, politique qui avait été rejetée tant aux élections présidentielle que législatives du printemps dernier. Ceci explique sans doute la chute de François Hollande dans les sondages, chute à la hauteur des espérances qui s’étaient portées sur sa personne. À cela ajoutons un style de gouvernement quelque peu déroutant. Et l’on sait bien que « le style c’est l’homme » (ou la femme).

    L’effondrement de la popularité du pouvoir et ses conséquences

    Le problème posé par cet effondrement de la cote de popularité tant du Président que du gouvernement est qu’a priori ceci ne devrait pas avoir de conséquences. Les prochaines échéances électorales sont en 2014. Et c’est l’un des raisons pour lesquelles le pouvoir fait actuellement le dos rond, espérant qu’une amélioration de la situation économique se produira entre la fin de cette année et le début de l’année prochaine. On a déjà, et à plusieurs reprises, expliqué pourquoi une telle hypothèse avait très peu de chance de se réaliser. La France s’enfoncera progressivement dans la récession, à moins qu’un effondrement de la consommation des ménages ne provoque un basculement de la récession vers la dépression, et une accélération brutale de la progression du chômage (Chômage, la marée noire qui nous menace). Les implications politiques de la trajectoire économique doivent donc être étudiées avec attention.

    Au mieux, les élections prévues en 2014 se transformeront en un vote sanction qui sera d’autant plus massif que les enjeux électoraux sont limités. Car en matière d’élections, nous serons servis pour 2014. Tout d’abord nous aurons en mars 2014 des élections municipales, les élections cantonales et régionales devant être repoussées à 2015. Dans des élections municipales, le facteur « local » a traditionnellement une grande importance. C’est ce qui explique qu’à l’heure actuelle on ne prévoit pas de grands déplacements de voix4. Mais, ceci pourrait changer d’ici aux élections. Dans le contexte probable qui dominera en France, il n’est pas impossible qu’elles puissent prendre l’allure d’un test national. Puis, en juin 2014, se tiendront les élections européennes. Ces élections prendront, elles, naturellement la dimension d’un test national. Mais elles auront aussi des enjeux limités, compte tenu des faibles pouvoirs du Parlement européen. Il est donc probable que le message envoyé par les électeurs soit très clair, mais qu’il soit ignoré par le pouvoir et les états-majors politiques. On voit très bien qu’il n’est pas impossible que le Front National, ou l’un de ses avatars, se hisse à plus de 30% des suffrages dans une élection marquée par ailleurs par une faible participation. Ce serait un coup de tonnerre dans la vie politique française, mais un coup de tonnerre que les médias n’auraient de cesse de transformer en coup de cymbales. Tout sera mis en œuvre pour que les leçons d’un tel scrutin ne soient pas entendues, et nous continuerons, en brinquebalant, à aller jusqu’à l’élection présidentielle de 2017. Tel est, fondamentalement, le scénario dans lequel François Hollande met ses espérances, comptant bien être réélu, en dépit de tout ce qu’il a fait et n’a pas fait, s’il devait affronter au deuxième tour Marine Le Pen. Ce pari est risqué ; bien des choses peuvent changer d’ici 2017. Cependant, convenons qu’il est tentable. Il est en tout cas dans la logique « mitterrandienne » qui inspire aujourd’hui François Hollande.

    Mais une autre hypothèse, tout aussi et même plus probable, est aujourd’hui parfaitement possible. Elle représente le pire, du point de vue du pouvoir actuel, et ne doit pas être écartée à la légère. Si l’économie française connaît une chute brutale d’activité dans le cours de 2013, la perte de crédibilité du gouvernement et du Président se transformera en une perte de légitimité. Cette crise de légitimité pourrait survenir de la conjonction de trois mouvements dont on sent dès aujourd’hui la montée dans la société : une colère politique, une colère sociale, une colère issue d’un sentiment de la perte d’identité. C’est là l’hypothèse la plus sérieuse sur laquelle il convient de réfléchir, car la crise de légitimité implique une crise de régime.

    Les trois colères

    La colère politique est facile à prévoir. Elle s’enracine sur un mécontentement allant s’approfondissant et sur le fait que ce dernier ne peut, en théorie, trouver de solution d’ici 2017. Ce mécontentement est redoublé du fait qu’une partie des électeurs qui font partie du socle traditionnel de la gauche s’estime flouée par la politique actuelle du Président et du gouvernement. Ceci est visible dans les sondages récents où le recul de François Hollande est le plus important dans les catégories qui l’ont le plus soutenu : les ouvriers, les employés, les professions intermédiaires et les jeunes. Une partie des responsables du Parti Socialiste s’en inquiète d’ailleurs. Cette déception pourrait, si elle s’enracinait d’ici les prochains mois, se transformer en un mouvement d’abstention massif lors des élections de mars 2014, modifiant ainsi brutalement les rapports de force. Mais, il convient immédiatement de dire que la droite traditionnelle n’est pas une alternative, et qu’elle est encore très peu audible sur les préoccupations de cet électorat. Voilà qui incite à penser que cette colère politique pourrait s’exprimer hors du cadre électoral, ou s’incarner dans tout mouvement rejetant d’emblée les partis traditionnels.

    La colère sociale est elle aussi facilement prévisible. Elle s’exprime à la fois dans la montée de la violence sur des sites qui sont devenus emblématiques de la crise (PSA-Aulnay, Continental-Amiens) et dans une désespérance très sensible dans des milliers de petits sites où, à une échelle plus réduite, se rejoue le même drame. L’échec relatif de la mobilisation syndicale contre le projet d’accord ANI entre le MEDEF et quelques syndicats minoritaires ne doit pas faire illusion. Il n’y a eu échec que parce que l’on a proposé à des gens en colère et désespérés des formes bien trop traditionnelles d’expression de leur colère et de leur désespérance. Cet échec est avant tout celui des formes classiques de mobilisation syndicale. Notons déjà que la conjonction de la colère politique et de la colère sociale est redoutable. Le potentiel d’une explosion massive ne fait donc que se renforcer, mais cette explosion suivra des voies différentes de celles qui ont été tracées par les syndicats. Seuls ceux qui sauront s’y adapter y survivront. Cette explosion sera, selon toute vraisemblance, violente. Elle confrontera directement les organes du maintien de l’ordre (Police et Gendarmerie) au choc frontal avec cette colère. Comme ces organismes sont eux aussi travaillés, pour des raisons générales mais aussi des raisons particulières, par un fort mécontentement, nul ne peut dire quelle sera l’issue de ce choc. Si le gouvernement met en œuvre une politique directement répressive, il risque d’aggraver dans des proportions considérables la fracture politique qui se dessine. S’il tergiverse, il peut être emporté par une succession de mouvements se renforçant l’un l’autre.

    La colère issue du sentiment de perte de l’identité est un phénomène encore plus complexe à décrypter. Elle a, bien entendu, une dimension politique, qui s’enracine dans le déni de démocratie auquel on a assisté en 2005 lors du référendum sur le projet de constitution européenne. Les partisans du « non », largement victorieux, ont été dépossédés de leur victoire, une manœuvre à laquelle François Hollande a été connivent. Les Français ont eu, à ce moment, le sentiment d’être dépossédés de la démocratie, de leur démocratie. Les gouvernants et une partie de l’opposition ont cru que ce sentiment serait passager. C’était oublier le lien très profond, enraciné dans l’histoire, qui unit en France le peuple avec le principe de la démocratie (et non nécessairement ses formes). De là date une fracture symbolique5. Cette fracture s’est transformée en une facture qu’il faudra bien solder. Il n’est pas sans une certaine ironie que cette facture retombe sur François Hollande qui, en tant que dirigeant du Parti Socialiste, a beaucoup fait pour l’existence de cette fracture et de cette facture. Cette colère a aussi une dimension sociale, en ceci que le mouvement de désindustrialisation qui s’accélère aujourd’hui nous confronte à l’image d’une France qui n’est plus celle que nous connaissions, ou que nous pensions connaître : un pays fier de ses réalisations industrielles. Une partie importante de la population, qui excède de loin le nombre des simples ouvriers d’industrie, est très profondément attachée à cette image de la France. C’est ce qui explique le succès initial du Ministère du « Redressement productif ». Mais la maîtrise du verbe ne masque qu’un instant les réalités. L’importance de ce sentiment de perte de l’identité, qui peut s’incarner passagèrement dans un rejet de l’« autre », tient en ce que s’articulant avec la colère politique et la colère sociale, il va provoquer provoquer une délégitimation massive du pouvoir.

    Vers la guerre civile ?

    La crise qui s’annonce va faire voler en éclats l’idée d’une « démocratie apaisée ». D’une part, cette expression est une contradiction dans les termes. Les intérêts qui divisent une société ne sont pas de ceux qui peuvent se régler dans le calme feutré des cénacles privés. Leur exposition au grand jour, qui est l’une des conditions nécessaires à l’existence d’une véritable démocratie, implique un degré d’affrontement qui rend illusoire toute idée d’apaisement. D’autre part, quand les conditions d’exercice de la démocratie sont à ce point fautives que des colères convergentes ne trouveront pas de formes institutionnelles d’expression, il est illusoire de chercher à s’abriter derrière l’idée d’une « démocratie apaisée ». Il faut d’ailleurs remarquer que, de ce point de vue, la France n’est nullement une exception. C’est à un phénomène du même ordre que l’on a assisté lors des récentes élections italiennes.

    Dès lors, le pouvoir actuel a devant lui trois options. Il peut rester « droit dans ses bottes », et supporter la totalité du choc de ces trois colères. Il est possible qu’il y survive, mais au prix d’une répression qui le fera changer de nature et se transformer en Tyrannie. Il est aussi possible, et c’est l’hypothèse la plus probable, qu’il soit brisé par cet affrontement, ouvrant alors une période d’incertitudes politiques et institutionnelles comme la France n’en a pas connues depuis 1958. Il peut chercher à dévier la lame de fond qui monte, en organisant des élections anticipées, donnant ainsi une forme d’expression dans le cadre institutionnel actuel à ces trois colères. Mais, le système électoral français est ici mal adapté. Rien ne serait pire que l’élection d’un nouveau Parlement qui ne soit pas à l’unisson des sentiments de la majorité de la population. Il peut, enfin, chercher à anticiper sur ces événements et changer radicalement de politique, apaisant ainsi la colère sociale et la colère identitaire. C’est la voie de la logique et de la raison, chose dit-on la plus mal partagée au monde…

    Jacques Sapir (RussEurope, 9 mars 2013)

     

    Notes

    1. La cote de Hollande au plus bas, Les échos, 07/03/2013 []
    2. Nicolas Sarkozy était tombé à 38% d’opinions favorables en mars 2008. []
    3. Sondage: François Hollande toujours en baisse, 20 minutes, 05/03/2013 []
    4. Municipales : premier sondage avant le scrutin, Le Figaro, 08/03/2013 []
    5. J. Sapir, La Fin de l’eurolibéralisme, Paris, Le Seuil, 2006. []
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  • Guerres franco-françaises...

    Nous reproduisons ci-dessous un excellent texte d'Alain Kimmel, cueilli sur le site de la revue Le Spectacle du Monde et consacré à la vieille, mais toujours vivace, tradition française de la guerre civile...

     

     

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    Guerres franco-françaises

    En voulant imposer le mariage homosexuel et ses conséquences, François Hollande a créé un nouveau clivage, une nouvelle ligne de fracture entre les Français tels que le pays n’en avait pas connu depuis la querelle de l’école libre, en 1984. Prenant ainsi le risque de raviver la flamme d’une nouvelle « guerre franco-française ». Mais au-delà de l’opposition virulente entre partisans et adversaires du « mariage gay », force est de constater que, depuis quelques années, l’idée de guerre civile refait surface en France.

    En 2006, l’historien Jacques Marseille publiait Du bon usage de la guerre civile en France (Perrin), essai dans lequel il montrait que l’affrontement entre Français est une véritable passion nationale qui « s’opère autant dans le sang, les déchirures que dans les mises en scène de la refondation ». Plus récemment, l’économiste Nicolas Baverez lançait cet avertissement : « Les décennies de déclin tranquille appartiennent au passé. Sa poursuite entraînerait une brutale chute du niveau de vie qui déboucherait inéluctablement sur la violence politique et une guerre civile froide. » (Réveillez-vous ! Fayard, 2012.) Et lors de la dernière campagne présidentielle, Jean-Luc Mélenchon prédisait « un énorme tumulte », appelant de ses voeux une « insurrection citoyenne ».

    Au début du XIXe siècle, le grand théoricien de la guerre Carl von Clausewitz ne parle pas de « guerre civile », mais de « dissensions civiles » ou de « discordes intérieures », ce qui n’entre pas dans le champ de la guerre stricto sensu. Celle-ci désigne, en effet, comme l’a montré Rousseau, les conflits qui opposent un Etat à un autre et dont le moteur est la « volonté de puissance », alors que dans la guerre civile, il s’agit d’antagonismes religieux ou politiques (idéologiques). Ce ne sont pas deux pays qui s’affrontent, mais deux partis ou deux idéologies, partageant « en deux camps les sujets d’un même Etat ; la guerre est intestine, ne concerne que les membres de la cité » (Marie-Danielle Demélas-Bohy, « La notion de guerre civile en question », http : // clio.revues.org).

    En 1871, Karl Marx publie la Guerre civile en France, pamphlet en défense et illustration de la Commune de Paris, qui venait d’être vaincue par les troupes versaillaises. Cet épisode tragique de notre histoire est évoqué dans le livre de Jean-Claude Caron Frères de sang. La guerre civile en France au XIXe siècle (Seyssel, Champ Vallon, 2009), dans lequel l’auteur s’efforce de définir le concept de guerre civile à travers l’histoire, la philosophie et le droit. Selon lui, il faut, notamment sur le plan juridique, la distinguer de la rébellion, de la sédition ou de l’insurrection. On peut parler de guerre civile lorsqu’il y a « intolérance absolue envers un autre construit comme une menace pour l’unité de la Communauté ». Il s’agit donc d’un affrontement violent qui vise à l’« anéantissement » de l’adversaire. Au XIXe siècle, la guerre internationale est encadrée, depuis les traités de Westphalie (1648), par le droit de la guerre, tandis que la guerre civile est une guerre sans droit. Pour nombre de penseurs allemands (Fichte, Hegel, Nietzsche) et français (Maistre, Cousin, Renan), les guerres extérieures sont « bonnes » et les guerres intérieures « mauvaises ». Proudhon exalte « le triomphe de la vertu par la guerre entre les nations », mais estime que la guerre civile, « de citoyen à citoyen », constitue un abandon moral.

    Pour sa part, le politologue Julien Freund, dans un article posthume intitulé « Aperçus sociologiques sur le conflit » (Krisis, « La guerre ? » n° 33, avril 2010), distingue deux types de conflit : « le conflit non belliqueux et le conflit belliqueux ». Le premier implique « une intention hostile », mais sans « volonté délibérée au départ d’anéantir physiquement l’autre ». Le second « se caractérise par l’usage de la violence » ; il s’agit alors de la guerre, qu’elle soit « interétatique » (guerre étrangère) ou « intra-étatique » (guerre civile). Le conflit belliqueux est « celui du tiers exclu, car il se réduit à la relation duale de l’ami et de l’ennemi ». Ainsi, « les guerres civiles peuvent commencer avec une pluralité de camps, mais très rapidement elles se développent selon le schéma de la dualité ami/ennemi ». On assiste alors à la montée aux extrêmes et au déchaînement de la violence.

    Ces phénomènes ont été évoqués dès 1615 par le poète italien Giambattista Marino, protégé de Louis XIII, connu en France sous le nom de Cavalier Marin, qui écrit : « La France est toute pleine de contradictions et de disproportions, lesquelles cependant forment une discorde concordante, qui la perpétue. Des coutumes bizarres, des fureurs terribles, des mutations continuelles, des extrêmes sans demi-mesures, des tumultes, des querelles, des désaccords et des confusions : tout cela, en somme, devrait la détruire et, par miracle, la tient debout. » Par-delà le constat final plutôt optimiste, on constate l’emploi d’une série de mots (discordefureurstumultesquerelles…) qui caractérisent des situations de « guerre franco-française ».

    La formule apparaît pour la première fois, en 1950, sous la plume de Louis-Dominique Girard, ancien chef de cabinet du maréchal Pétain et auteur d’un livre au titre éponyme, la Guerre franco-française. Si l’expression est nouvelle, ce qu’elle recouvre ne l’est pas. Dans l’introduction à l’ouvrage collectif les Guerres franco-françaises(Vingtième Siècle, revue d’histoire, n° 5, janvier-mars 1985), on lit que « la plupart des crises profondes qui ont divisé les Français peuvent être assimilées à des failles géologiques ».

    Les failles répertoriées ici sont les guerres de Religion, la Révolution française, l’affaire Dreyfus, les affrontements des années 1930, Vichy, la guerre d’Algérie et la guerre scolaire de 1984. Un des auteurs de ce recueil, Michel Winock, a publié ultérieurement la Fièvre hexagonale : les grandes crises politiques de 1871 à 1968 (Points histoire, 2009), ouvrage dans lequel il décrit les convulsions et les spasmes du siècle qui va de la fin de la Commune aux événements de Mai-68. Ces crises, ces poussées de fièvre ponctuent non seulement ce siècle, mais jalonnent la longue marche de notre histoire nationale. « De leurs ancêtres les Gaulois, dont César, déjà, avait noté la propension aux luttes intestines, les Français ont hérité le goût de la guerre civile. Il n’est pas de siècle, dans leur longue histoire, qui n’ait eu la sienne. » (André Fontaine, le Monde, 9 novembre 1981.)

    De fait, Armagnacs et Bourguignons, catholiques et protestants, jésuites et jansénistes, frondeurs et monarchistes, Montagnards et Girondins, Bleus et Blancs, communards et Versaillais, dreyfusards et antidreyfusards, cléricaux et laïcs, gaullistes et pétainistes, résistants et collaborateurs, partisans de l’Algérie française et soutiens du FLN, soixante-huitards et antisoixante-huitards, mitterrandistes et adversaires des «socialo-communistes », défenseurs de l’école privée et partisans de l’école publique ont laissé dans la mémoire nationale la trace de leurs « épidémies psychiques » et de leurs « convulsions historiques » (Sigmund Freud).

    Dans son maître ouvrage le Mal français (Plon, 1976), Alain Peyrefitte note que « l’histoire de France est celle d’une longue guerre civile, pleine d’assassinats, de charges de police et de déraison ». Ces conflits, dit-il, « naissent, vivent et meurent avec une brutalité d’orage ». Souvent cruelles et sanglantes, les guerres franco-françaises furent toujours des guerres de religion ou des guerres idéologiques. De son côté, Pierre Chaunu, dans son magistral essai la France (Robert Laffont, 1982), met l’accent sur cette exception française qu’est l’« aptitude à la déchirure et à la déchirure idéologique ». Il en explique les raisons par le fait que « la France est une terre de fractures » qui sont « purement affectives, cérébrales, parfois spirituelles ». Ces fractures sont d’autant plus graves qu’elles sont «inexpiables, [qu’] elles vivent profondément dans la mémoire, [qu’] elles se régénèrent inlassablement ».

    Avec l’avènement de la Ve République, dont la Constitution cristallise la bipolarisation du pays, l’antagonisme des deux France demeure vivace et marqué par des périodes de forte tension. Celles des dernières années de l’Algérie française, avec le putsch des généraux et les combats de l’OAS, ou celle de Mai-68, avec les barricades du Quartier latin, la grève générale et la grande manifestation sur les Champs-Elysées de ceux qui refusent la « chienlit ».

    Treize ans plus tard, le 10 mai 1981, François Mitterrand, au soir de son élection, distingue « une France sociologique » et « une France politique », tandis que son Premier ministre, Pierre Mauroy, oppose « le peuple de gauche » à « ceux du château » et affirme qu’« il y a deux lectures de l’Histoire, de l’avenir, de la politique ». Cette double lecture apparaît notamment dans le discours d’investiture de François Mitterrand, le 21 mai, lorsqu’il fait commencer l’histoire de France en 1792, évoque ensuite ses « grandes dates » (1830, 1848 et 1870) et glorifie « le peuple » qui l’a « façonnée ». Lecture de gauche à laquelle répond la lecture de droite du maire de Paris, Jacques Chirac, qui, accueillant le nouveau Président à l’Hôtel de ville, invoque des personnages historiques comme sainte Geneviève, Jeanne d’Arc et Henri IV. Pour l’histoire contemporaine, là où Chirac cite l’Appel du 18 juin 1940, Mitterrand se réfère à la libération de Paris, le 25 août 1944.

    Pour Alain Peyrefitte, les Français semblent condamnés à se débattre « dans le cauchemar de querelles sans fin », une partie d’entre eux étant toujours tentés « d’imposer à une autre sa volonté, et même sa vérité. Mais comme l’adversaire n’est jamais anéanti, une solution de cet ordre porte en germe de nouvelles luttes. Car elle ravive la mentalité dogmatique qui ne supporte pas la contradiction. Elle transforme les désaccords qui auraient pu nourrir un dialogue en conflit. Elle ronge jusqu’au sentiment de l’identité nationale, faute duquel une société malade ne saurait retrouver la voie d’un consensus ».

    Si les conflits qui ont opposé les Français ont souvent été, au fil de leur histoire, des guerres « chaudes », ils ont souvent pris naissance, au XXe siècle, sur ce que Jean-Marie Domenach (Regarder la France, Perrin, 1997) appelle « le terrain du symbolique et de l’imaginaire ». Désormais, note-t-il, « on a affaire à des revendications quasi ontologiques mêlées à la défense d’intérêts catégoriels » : pour ou contre le Pacs, pour ou contre le « mariage homosexuel », d’un côté ; pour ou contre la retraite à soixante ans, pour ou contre la taxation à 75 % des plus hauts revenus, de l’autre. C’est peut-être cette évolution qui a incité Pierre Chaunu à conclure sa réflexion sur la France en se demandant si les discordes qui déchirent les Français « les séparent moins qu’elles ne les unissent dans ces tensions complémentaires qui sont, tout ensemble, notre difficulté d’être et notre richesse ».

    Constat optimiste auquel d’aucuns opposeront les craintes exprimées par d’actuels acteurs et observateurs de la société française, qui laissent à penser que le spectre de la guerre civile ne cesse de hanter notre pays, « ce vieux pays […] accablé d’Histoire, meurtri de guerres et de révolutions » (Charles de Gaulle).

    Alain Kimmel ( Le Spectacle du Monde, février 2013)

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  • L'Europe barbare...

    Les éditions Perrin publient cette semaine L'Europe barbare - 1945-1950, une étude de l'historien britannique Keith Lowe. L'auteur a déjà publié un ouvrage intitulé Inferno (Scribner, 2007), pas encore traduit en français, consacré au bombardement de Hamburg en 1943, qui avait provoqué la mort de 40 000 habitants...

     

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    " La Deuxième Guerre mondiale s'est officiellement achevée en mai 1945, mais son déchaînement de violence perdura des années. Après plus de 35 millions de morts et nombre de villes rasées, les institutions que nous considérons aujourd'hui comme acquises, police, médias, transports, gouvernements nationaux et pouvoirs locaux, étaient à reconstruire. Le taux de criminalité montait en flèche, les économies s'effondraient et la population européenne survivait au bord de la famine.
    Dans ce livre au souffle épique, Keith Lowe décrit un continent secoué par la violence, où de vastes segments de la population répugnent encore à accepter que la guerre soit finie. Il met l'accent sur la morale pervertie et le désir insatiable de vengeance qui furent l'héritage de ce conflit. Il dresse, enfin, le tableau du nettoyage ethnique et des guerres civiles qui déchirèrent l'existence des gens ordinaires, de la mer Baltique à la mer Méditerranée, avant l'instauration chaotique d'un nouvel ordre mondial qui finit par apporter la stabilité à une génération brisée."

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  • Guerres franco-françaises...

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    Le numéro de février 2013 de la revue Le spectacle du monde est en kiosque. 

    Le dossier est consacré aux guerres franco-françaises. On pourra y lire, notamment, des articles d'Alain Kimmel ("L'éternelle guerre franco-française" ), de Christian Brosio ("La spirale infernales des guerres de Religion", "Le sang de la Commune", "L'amnistie nécessaire"), de Claude Jacquemart ("Vendée, de la guerre au populicide", "L'OAS, le sursaut du désespoir"), de Philippe Maxence ("La guerre de la laïcité"), ou de François Bousquet ("La Fronde, entre guerre et anarchie") ainsi qu'un entretien avec Eric Werner ("Les dirigeants gèrent l'avant-guerre civile").

    Hors dossier, on pourra aussi lire des articles de Bruno Lesvez ("Mali. Géopolitique d'une intervention"), de François-Laurent Balssa ("Molière ou l'hygiène du rire"), de François Bousquet ("Marcel Mauss. Du don au contre-don"), de Michel Thibault ("Marseille. Quand Massalia célébrait Athéna") ou d'Olivier Maulin ("Jean-Pierre Martinet. Le grand défilé des affreux"). Et on retrouvera aussi  les chroniques de Patrice de Plunkett et d'Eric Zemmour.

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  • Vers la guerre civile ?...

    Tous les observateurs sérieux le sentent : la colère monte dans notre pays. Nous reproduisons ci-dessous un éditorial de Robert Ménard pour Boulevard Voltaire qui traduit bien le climat actuel...

     

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    Vers la guerre civile ?

    Deux récents « faits divers » pourraient bien, a posteriori, apparaître comme les prémices d’une guerre civile. Rappelez-vous, il y a quelques semaines, à Marseille, des heurts opposaient des Maghrébins de la cité des Créneaux, dans les quartiers Nord de la cité phocéenne, à des Roms venus installer leur campement près de chez eux. Les premiers avaient pris le dessus.

    Le 27 octobre dernier, dans les rues de Hellemmes, en banlieue de Lille, une grosse centaine d’habitants a pris en chasse le maire de la ville, bien décidée à lui dire son fait après l’ouverture d’un village d’insertion pour Roms.L’édile a dû prendre la fuite.

    J’en suis persuadé, ce n’est qu’un début. Ces réflexes d’autodéfense sociale vont se multiplier tant le peuple se sent abandonné par les élus, ignoré par les médias, méprisé par les élites. Et convaincu, dorénavant, qu’il devra assurer lui-même sa tranquillité et son avenir. Pour son bien mais au risque de faire voler en éclats un ordre social qui ressemble de plus en plus, sous les coups de boutoir du laisser-aller prôné par les partis qui se partagent à tour de rôle le pouvoir, à un désordre social dont ce même peuple est le premier à faire les frais.

    D’ici peu, le vote pour le Front national apparaîtra comme une réponse posée, réfléchie et républicaine — n’en déplaise à certains — à l’exaspération, au ras-le-bol du plus grand nombre face à la poursuite d’une immigration dont ils ne veulent plus. Aussi, on est en droit de s’interroger : ne joue-t-on pas avec le feu quand on fait tout pour réduire, marginaliser la représentation du parti de Marine Le Pen dans les différentes assemblées… alors que, selon les enquêtes d’opinion les plus sérieuses, près de 40% des Français se sentent proches du FN ? Il serait même le premier parti en termes d’adhésion à des idées !

    On pourrait bien, d’ici quelques années, regretter d’avoir classé les heurts de Marseille et Hellemmes dans la rubrique des « faits divers »

    Robert Ménard (Boulevard Voltaire, 5 novembre 2012)

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  • Le temps du loup...

    Les éditions Alexipharmaque viennent de publier Le temps du loup, un livre d'entretien avec Jean-Paul Bourre. Ecrivain non-conformiste, journaliste,en particulier à la revue Rock et Folk, Jean-Paul Bourre est notamment l'auteur de Génération Chaos (Belles Lettres, 1998) et de Guerrier du rêve (Belles Lettres, 2003).

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    "Sommes-nous proche de ce que les Eddas scandinaves appelaient «temps du loup», ce moment de totale inversion qui marque la fin d’un cycle, et où toute une civilisation s’effondre, comme ce fut le cas pour la chute de l’Empire romain ? Sébastien d’Altavilla interroge Jean-Paul Bourre sur la mythologie «du loup», celle des peuplades européennes d’avant le christianisme, mais aussi à travers la vision eschatologique de l’Église, et sur leur résonnance dans notre immédiate actualité. Sommes-nous au bord du gouffre ? Existe-t-il encore des stratégies de Reconquête ? Jean-Paul Bourre désigne les diverses menaces et les points de tension, stratégies politiques et invasion extra-européenne non-contrôlée, qui finiront, dit-il, par «détruire définitivement l’identité de ce pays». La vision métapolitique n’est pas absente de ces entretiens, mais il ne s’agit pas toujours de métaphore. On y retrouve l’importance du « recours aux forêts», une référence à Ernst Jünger qui affirme : «le recours aux forêts peut s’opérer à toute heure, en tout lieu et même contre une supériorité numérique écrasante. Dans ce dernier cas, ce sera la seule résistance que l’on puisse concevoir.» On y retrouve aussi l’ombre des cavaliers sudistes de John Mosby, maître dans l’art de la guérilla, l’importance du combat identitaire, les saints et les héros, la nostalgie des clochers de France, sur fond de guerre civile. Jean-Paul Bourre — dont l’émission sur radio Ici et Maintenant vient d’être suspendue par le CSA —  se considère d’abord comme un rebelle — «depuis les années blousons noirs» dit-il — et comme un barde, enraciné, un «porteur de mémoire»."

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