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françois hollande - Page 11

  • La régulation bancaire au pistolet à bouchon...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Frédéric Lordon, cueilli sur son blog La pompe à phynance et consacré à la pseudo-réforme bancaire (mais véritable écran de fumée) mise au point par le gouvernement socialiste...

     

     

     

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    La régulation bancaire au pistolet à bouchon

    Ce sera sans doute la perle de la crise. Karine Berger, députée socialiste, rapporteure du projet de loi dit de « séparation » et de « régulation » des activités bancaires, reprenant la parole en commission des finances après les exposés de MM. Chifflet, Oudéa et Bonnafé, respectivement président de la Fédération bancaire française, président de la Société Générale et directeur-général de BNP-Paribas : « Vos trois exposés laissent paraître que vous n’êtes pas réellement gênés par ce projet de loi ; j’en suis à la fois étonnée et ravie » [1]…

     

    Qu’elle en fût uniquement étonnée n’aurait trahi qu’une charmante simplicité d’esprit. Qu’elle en soit au surplus ravie ne laisse plus le moindre doute quant au côté où elle se tient. Pour notre part, plus rien ne nous étonne dans les rapports du socialisme de gouvernement et de la finance — quant au ravissement, évidemment… « I am not dangerous », s’était empressé de préciser François Hollande à l’adresse de la City qu’il était venu rassurer après l’avoir nommée « l’ennemi sans visage », sans doute dans un moment d’égarement, caractéristique du contact avec la foule des meetings. Heureusement vite rattrapé. La députée Berger et le ministre de l’économie et des finances Moscovici, eux aussi, poursuivent le minotaure au pistolet à bouchon — inutile de rentrer les enfants, on ne prévoit pas de bain de sang.

     

    Ce sera donc du gâteau pour les historiens d’ici quelques décennies de se livrer à l’analyse comparée des réactions respectives à la crise financière des années trente et à celle de 2007, et l’on saura à quoi s’en tenir quant à la tenue des élites des deux époques, leur degré de compromission avec les forces de la finance et de servilité vis-à-vis des puissances d’argent. « La solution du rapport Liikanen est certes trop radicale… », déclare sur le ton de l’évidence Karine Berger, à propos d’une de ses dispositions (relative au traitement des opérations dites de « tenue de marché »). « Certes ». Fouetter les banquiers avec le plumeau du rapport de la Commission européenne, c’est en effet d’une insoutenable violence. Ne connaissant pas à Karine Berger de lien financier crasseux avec les institutions bancaires — à la manière de certains économistes en Cercle — nous savons donc maintenant qu’on peut être vendu(e) à la finance sans en toucher le moindre sou [2] ! Ce qui est peut-être pire encore… Un article de Benjamin Masse-Stamberger sur l’art et la manière du lobbying bancaire de vider un projet de régulation de toute substance [3], nous apprend (entre autres) que la vice-présidente (socialiste) de la commission des finances, Valérie Rabault, est l’ancienne responsable Risk Strategy des activités dérivés-actions de BNP-Paribas. « Loi de régulation bancaire », « commission des finances », « vice-présidente socialiste », « BNP-Paribas dérivés-actions » : inutile de jouer à « cherchez l’intrus » dans cette liste, dans le monde où nous sommes, il n’y en a plus. Bien sûr, dans un geste altier et pour ne pas donner prise à l’accusation de « conflit d’intérêt », Valérie Rabault, vice-présidente (socialiste) de la commission dérivés-actions de l’Assemblée nationale, a décliné d’être rapporteure du texte de loi. Il faut bien admettre que le cran juste au-dessus aurait consisté à faire rédiger le texte directement par Michel Pébereau, et ça aurait fini par se voir.

     

    Mais au fond de quoi s’agit-il ? Trois fois rien : la race des seigneurs de la finance globalisée a perdu aux alentours de 2 000 milliards de dollars dans l’une des crises les plus retentissantes de l’histoire du capitalisme ; les banques françaises, pas feignantes, ont tenu à figurer dignement et à prendre toute leur part du bouillon. Car, pour toutes ses fanfaronnades, le système bancaire français aurait purement et simplement disparu sans les concours massifs de la Banque centrale européenne (BCE) et les aides d’Etat apportées par véhicules ad hoc interposés [4]. Sans doute les montants mobilisés en France sont-ils moindres qu’aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni — il a fallu tout de même que ces véhicules lèvent 97 milliards d’euros [5] pour nos chères banques. Les banquiers se croient dégagés de tout arriéré au motif qu’ils ont remboursé les aides d’Etat. On leur rappellera donc d’abord que les contribuables français et belges plongent — pour l’heure — de 12 milliards pour le compte de Dexia. On leur rappellera surtout que le remboursement en question ne les exonère de rien du tout, et notamment pas de l’effondrement de croissance qu’ils ont laissé derrière eux, où nous sommes encore pour un moment, avec les dizaines de milliers de chômeurs supplémentaires qui vont avec.

     

    Il était question d’historiens à l’instant, gageons qu’un de leurs motifs d’ébahissement tiendra à l’extravagante indulgence dont le groupe social de la finance aura pu jouir relativement à l’ampleur de son pouvoir de destruction avéré. Car cinq ans après le désastre : rien ! — et la « loi de séparation et de régulation bancaire » est à peine mieux que rien. L’idée de départ était pourtant simple : les marchés sont intrinsèquement instables, les activités de marché sont donc intrinsèquement déstabilisantes. Pas seulement pour elles-mêmes mais pour l’économie tout entière quand l’accident franchit des seuils critiques. Par conséquent, de deux choses l’une : ou bien l’on en prend son parti et l’on s’habitue par avance à devoir régulièrement repasser par des épisodes semblables, avec récession et mobilisation du corps social tout entier pour sauver la finance ; ou bien on choisit d’y mettre un terme, c’est-à-dire de cantonner la nuisance au cordon sanitaire. Dans un mélange de candeur et de parfaite sûreté de soi, Frédéric Oudéa, le patron de la Société générale, en effet « pas gêné » (au sens de Karine Berger), a cependant fini par lâcher le morceau en avouant que la loi de « séparation » n’allait le séparer que de 1,5 % du total de ses activités…

     

    Pour avoir, donc, quelque chose qui ne soit pas rien, il aurait fallu au texte de loi, en dépit de toutes ses dénégations, ne pas se laisser complètement intoxiquer par les jérémiades de l’industrie financière qui jure que chacune de ses opérations, même des plus scabreuses, est une « contribution au financement de l’économie ». Mais les esprits socialistes ont été dévastés par l’idée que le financement par le marché est d’une incontestable modernité — « et donc » toutes les activités connexes qui vont avec : couverture, fourniture de liquidité, financement du shadow banking system etc. Reste 1,5 %.

    Tout au marché

    « Quand certaines entreprises comme Vinci, ont besoin, pour financer des projets à dix ou quinze ans, de plusieurs centaines de millions d’euros, elles se tournent non pas vers des banques commerciales mais vers des banques d’affaire, qui pratiquent là des activités de marché non pas spéculatives mais utiles à l’économie concrète », proteste Karine Berger pour rejeter un amendement qui demandait plus que la simple filialisation des activités de marché. Mais rien n’établit que le coût total du financement obligataire soit beaucoup plus compétitif que celui d’un crédit bancaire classique. En revanche, on sait avec quelle brutalité une entreprise en difficulté peut se voir refuser tout accès aux marchés — ironie du sort, elle n’a plus alors qu’à trouver une banque secourable qui acceptera de lui sauver la mise avec du bon vieux crédit à la papa. Les banquiers français glapissent que, empêchés de conduire ces opérations de marché, ils perdraient clients, chiffre d’affaire et profit. S’agissant de leur chiffre d’affaire, de leur place dans la hiérarchie mondiale des plus grandes banques, et de leur profit, la collectivité doit d’emblée affirmer clairement qu’elle s’en fout ! Le corps social n’a aucun intérêt à jouer au jeu infantile de la plus grosse qui passionne les capitalistes (plus encore les financiers), il aurait même l’intérêt exactement contraire. Il s’en aperçoit désagréablement au moment de ramasser les morceaux en prenant conscience qu’un secteur bancaire qui pèse (en actif total) jusqu’à quatre fois le produit intérieur brut (PIB), comme c’est le cas en France, lui laisse entrevoir l’ampleur possible de la facture — et que la « grosse » lui laisse le fondement un peu douloureux.

    Que les banques ne soient pas trop grandes, mais ternes et sans attrait, qu’elles fassent des profits modestes qui ne leur donnent pas le délire des grandeurs et n’engraissent pas les actionnaires (ou les traders), c’est exactement l’objectif à poursuivre. Quant à leurs grands clients, ces derniers comprendront assez vite que, supposé un coût supérieur du crédit bancaire (par rapport au financement de marché), celui-ci paiera bien la continuité d’une relation partenariale qui ne les abandonnera pas au premier tournant — là où les marchés les éjecteraient à la moindre difficulté sérieuse. Il y a donc peu de chance pour que Vinci ne confie plus ses destinées qu’à Goldman Sachs.

    Mais la manie des marchés qui habite les socialistes français va maintenant jusqu’à souhaiter d’y plonger les petites et moyennes entreprises (PME). On sait assez que les relations de ces dernières avec les banques ne sont pas une allée semée de pétales de rose… Mais l’idée de les rendre modernes en les envoyant se faire voir au marché est une trouvaille où l’ineptie le dispute à l’entêtement idéologique. Car de deux choses l’une : ou bien seule la crème des PME y aura accès et alors, par construction, la chose demeurera marginale ; ou bien l’on y envoie gaiement le gros de la troupe, soit des milliers d’entreprises, et l’on se demande bien comment les analystes financiers ou les agences de notation pourront avoir quelque suivi sérieux d’un nombre aussi élevé de débiteurs, là où les réseaux d’agences bancaires, au contraire, ont une connaissance locale et fine de leurs clients — attendons-nous donc aux ratings à la louche façon subprime.

    « Les activités de marché comme le cochon (tout est bon) »

    Bien sûr l’élite bancaire ne se reconnaît pas entièrement dans la métaphore charcutière, mais c’est quand même un peu l’idée. Ou plutôt le sophisme : si la forme supérieure du financement de l’économie est à trouver dans le marché, alors tout ce qui contribue à la belle activité du marché est peu ou prou désirable. Sous une forme un peu plus sophistiquée, l’argument se décline le plus souvent sous la thèse increvable de la liquidité : pour que des agents de l’économie réelle émettent avec succès des titres sur les marchés, il faut qu’ils trouvent preneurs, et pour que les preneurs acceptent de souscrire, il faut qu’ils soient certains de ne pas rester « collés » et de pouvoir sortir à tout instant du marché. Il importe alors que le segment de marché considéré connaisse une activité permanente suffisante pour que chaque vendeur soit assuré de trouver acheteur (et réciproquement). La liquidité, voilà donc la justification ultime de la spéculation qui en finirait presque par se présenter comme un service public : foin des appâts du profit — du tout, du tout — les spéculateurs, certes en première instance, étrangers à l’économie réelle, n’en sont pas moins ses fidèles desservants puisqu’ils s’offrent à être contreparties pour tous les autres agents qui ont besoin d’entrer ou sortir du marché, assurant finalement qu’il tourne bien rond, donc permettant qu’il finance efficacement… les agents de l’économie réelle, quod est demonstrandum.

    Dire « spéculateur » est par conséquent inutilement blessant : préférer « teneur de marché ». Certes la « tenue de marché » révèle de fortes accointances avec la recette du pâté d’alouette car — étonnamment — on observe en général dix fois plus d’opérations spéculatives que d’opérations à finalité « réelle » — pour sûr le marché est bien tenu… La plus charitable des interprétations conclurait que le « service public de la liquidité » est fâcheusement entropique — et en fait, pur prétexte à la pollution spéculative. La liquidité serait aussi bien assurée avec… neuf fois moins d’opérations de « teneur de marché », et encore par beau temps seulement. Car, en cas de coup de tabac, les « teneurs », pas fous, font comme tout le monde : ils fuient le marché à tire-d’aile, laissant la liquidité s’effondrer, au moment où on en aurait le plus besoin.

    Ce sont pourtant ces opérations de teneur de marché que la loi de « séparation » tient beaucoup à ne pas séparer — à l’inverse de la Commission européenne (rapport Liikanen), qui cède visiblement à tous les vents mauvais du populisme. Evidemment n’importe quelle opération spéculative pour compte propre peut, sur simple demande, être requalifiée de « tenue de marché » — c’est bien pratique. En résumé, tout et n’importe quoi sur les marchés est tenue de marché : toute offre puisqu’elle permet à un acheteur d’acheter, et toute demande puisqu’elle permet à un vendeur de vendre… Il suffisait d’y penser ! Puisque n’importe quoi contribue à tenir le marché et que le marché est ce-qu’il-nous-faut-pour-financer-l’économie, il faudrait être idiot, inconscient ou de mauvaise foi pour séparer quoi que ce soit — puisque tout sert. La commission des finances française s’est rendue sans hésitation à cet argument de simple bon sens — moyennant quoi, en effet, 1,5 % et Oudéa pas gêné.

    Ne pas rompre avec nos amis les « hedge funds »

    C’est une direction tout à fait semblable, et en fait identiquement argumentée, que prend le texte de loi en matière de relation des banques avec les hedge funds. Fléaux avérés, les hedge funds, dont c’est constitutivement le principe que de prendre des positions risquées et très leviérisées, devraient être isolés dans l’équivalent financier de léproseries, et en tous cas interdits de toute relation avec le système bancaire — après tout, que les héros du marché se débrouillent pour trouver leur financement sur les marchés. Mais, se dit le ministre Moscovici, les hedge funds sont des éléments de ce shadow banking system, dont nous savons qu’il détient maintenant quelque 20 % du total des actifs financiers — interprétés, toujours par le même contresens, comme « 20 % des contributions au financement de l’économie » —, c’est donc très important — parce que très utile à l’économie. La conclusion s’ensuit comme déroulé de papier à musique : il ne faut surtout pas empêcher les banques de financer les hedge funds qui financent l’économie. Bravo ministre ! Une objection élémentaire lui signalerait pourtant que les banques pourraient financer directement l’économie au lieu de passer par la case hedge funds… qui en fait Dieu sait quoi. L’objection pourrait d’ailleurs être généralisée à tout le shadow banking system, ce trou noir agglomérant les entités financières les plus obscures et les moins régulées, et qui a pris cette importance uniquement parce que le crédit bancaire s’est laissé évincer au nom de la modernité. Que les banques universelles cessent de financer par crédit ce système de l’ombre, et ce serait simultanément le meilleur moyen d’en piloter l’attrition relative, et pour elles-mêmes de se protéger de la vérole que ce système ne cesse de répandre — rappelons que la catastrophe Bear Stearns commence avec la fermeture de ses deux hedges funds les plus « sophistiqués », que BNP-Paribas avait dû fermer inopinément trois des siens à l’été 2007, et que la grosse catastrophe tourne vraiment au vilain avec la fermeture des money market funds à l’automne 2008. Personne ne pourra soutenir qu’un financement sain des entreprises et des ménages ne pourrait être pris en charge par le simple crédit bancaire et ne pourrait être assuré que par ces entités.

    Mais non ! Les banques universelles pourront continuer de prêter aux hedge funds et d’exposer à leur risque les dépôts du public. « Nous avons pris toutes les précautions », se défendent les promoteurs du texte, voyez seulement l’alinéa 10 de l’article premier : les banques ne pourront avoir d’exposition non sécurisée vis-à-vis des fonds à effet de levier. Et puisque ne seront autorisées que les transactions « sécurisées », n’est-ce pas que la sécurité règnera ? Mais en quoi ces sécurisations consistent-elles au juste ? En cette pratique extrêmement commune de la finance spéculative dite de la « collatéralisation » : une entité emprunte auprès d’une autre en déposant en gage un actif d’une valeur équivalente à celle du prêt contracté. Or rien n’est sûr dans cette affaire ! On notera pour commencer que toutes les opérations de prêt à des hedge funds sont déjà collatéralisées (« sécurisées » au sens Moscovici-Berger) — c’est simplement l’actuelle pratique ordinaire en cette matière ! Et l’on comprendra alors que le texte de loi ne produit rigoureusement aucun changement, donc aucune restriction sous ce rapport.

    Les illusions collatérales

    Mais surtout les actifs apportés en collatéral peuvent voir leur valeur s’effondrer, précisément à l’occasion d’une crise — les collatéraux sont supposément des papiers de « très bonne qualité », mais l’épisode de 2007-2008 a suffisamment montré que le réputé triple-A parfois ne valait pas tripette... Le débiteur est alors prié de compenser par de nouveaux apports, mais en une conjoncture de crise où très probablement ses positions sont en train de se détériorer à grande vitesse, et où sa liquidité se trouve mise sous haute tension. En d’autres termes, le fonds débiteur doit se procurer un supplément d’actif collatéralisant, et pour ce faire, d’abord de la liquidité, au moment précis où celle-ci lui manque le plus — parfois au point de voir tous ses accès aux financements de marché brutalement interrompus. Comme on sait, ce sont ces tensions ingérables sur la liquidité qui ont électrocuté tout le système financier par les circuits de la collatéralisation (et des appels de marge) en 2007-2008.

    Du côté des créanciers qui reçoivent ces collatéraux, les choses ne sont pas plus sûres. Compte non tenu des problèmes soulevés à l’instant, les opérations de collatéralisation ne rempliraient vraiment leur office de back-up que si les collatéraux étaient rigoureusement conservés dans des comptes sanctuarisés. Mais qui peut croire qu’une banque pourrait ainsi mettre soigneusement de côté, en s’abstenant d’y toucher, les actifs qu’elle reçoit en collatéralisation de ses crédits ? Lorsque ceux-ci sont de bonne qualité (ou supposés tels), ils constituent une ressource financière qu’aucune banque ne consent à laisser oisive. Aussi la banque va-t-elle se défaire sans tarder du collatéral qui normalement la couvre, soit pour à son tour collatéraliser une de ses propres opérations quand elle se trouve du côté débiteur, soit pour retourner au cash en le vendant dans le marché. Il est désormais toute une partie des marchés monétaires, dite « Repo » (pour Repurchasing), qui procure de la liquidité à court terme contre collatéraux — et où ceux-ci circulent hardiment. Et lorsque vient le coup de grisou, i. e. le défaut d’un débiteur, par exemple d’un hedge fund, où est le collatéral ? Parti depuis belle lurette pour servir à prendre d’autres positions, dont certaines seront très probablement devenues perdantes en temps de crise — évidemment, tout comme la liquidité, la collatéralisation fait partie de ces « sûretés » qui fonctionnent très bien… quand elles n’ont à protéger de rien.

    Comme souvent en matière de finance, le diable est dans les détails, ou plutôt dans d’obscurs recoins techniques, à l’image, par exemple, de la question des exigences de marges dans les transactions sur dérivés — dont on jugera a contrario du caractère stratégique à la manière dont les velléités du Dodd-Frank Act en cette matière ont été soigneusement annihilées par le lobbying bancaire des Etats-Unis. La « gestion des collatéraux » en fait tout autant partie. C’est en effet par ce genre de canaux que se propagent les spasmes de la finance. Au lieu de se gargariser avec l’illusion des « transactions sécurisées », le législateur socialiste s’il avait deux sous de volonté régulatrice, réformerait drastiquement les dispositions relatives au traitement des collatéraux — ou plutôt en instituerait, puisque en ce domaine, les opérateurs financiers font exactement ce qu’ils veulent. On mesurera d’ailleurs l’inanité du socialisme de gouvernement à ce fait qu’il réussit même à être en retard sur l’autorégulation de la finance ! Car les banques elles-mêmes, pour le coup conscientes de ce qui a failli les tuer, commencent à se préoccuper sérieusement de modifier leurs pratiques en matière de collateral management [6] — jusqu’au point d’envisager de réserver les collatéraux pour leur faire jouer pleinement leur rôle de sécurité.

    Malheureusement, l’autorégulation bancaire est affligée d’une lamentable inconstance. Sous le coup d’une peur bleue, les banquiers jurent qu’ils ont retenu la leçon et qu’on ne les y prendra plus… L’expérience montre pourtant que leurs bonnes résolutions s’évanouissent avec le temps qui les éloigne du traumatisme, pour être complètement oubliées quand revient l’euphorie de la bulle d’après. Ce que le législateur socialiste n’a visiblement pas bien compris, c’est la force de la loi, ou du règlement, seuls à même de tenir des autorégulés dont la « constance » est entièrement gouvernée par leurs affects du moment. Parmi toutes les œuvres utiles que ce texte de loi aurait pu accomplir, il y avait donc l’institution d’une stricte obligation de mise sous séquestre des actifs reçus en collatéral — et déjà l’on aurait entendu Frédéric Oudéa commencer à couiner. Proposition tout à fait générale et qui n’excluait en fait nullement d’interdire purement et simplement toute transaction des banques avec les hedge funds et le shadow banking system — après tout, on verra bien comment ces jolis messieurs se débrouillent privés de crédit bancaire.

    Quelle séparation ?

    Non seulement la matière séparée, à force d’exemptions et de validation des pratiques ordinaires, est-elle tendanciellement inexistante (1,5 %), mais la forme même de la séparation a tout du concubinage prolongé. De ce point de vue, la « Volcker Rule », les rapports Vickers et Liikanen, ainsi que le projet Moscovici ont au moins en commun le même entêtement dans le contresens, et la même illusion de la « capitalisation séparée », alias : on range les activités « à problème » dans une filiale soumise à des ratios de capital (Tier-1) « plus exigeants », et nous voila parés contre tout inconvénient.

    C’est n’avoir toujours pas compris que les ratios de solvabilité sont parfaitement secondaires dans ces processus de crise financière qui n’explosent que par le retournement brutal des jugements sur une classe d’actifs et la constriction foudroyante qui s’ensuit de la liquidité du segment de marché correspondant, puis de tous les segments latéraux, atteints de proche en proche par les effets de report de la ruée vers le cash [7]. On rappellera donc pour la énième fois que Bear Stearns et Lehman Brothers se sont effondrés avec des Tier-1 très au-dessus des minima réglementaires les plus exigeants. Après cinq années laissées à la méditation soigneuse des mécanismes et des conséquences de la crise financière, on est un peu consternés que les apprentis régulateurs n’aient toujours pas saisi que les plus belles capitalisations séparées ne protègeront jamais une banque de marché du désastre.

    En réalité, la seule mesure faisant quelque peu sens en cette matière est celle proposée par Goodhart et Persaud de rendre les ratios de solvabilité contracycliques [8] : plutôt que d’être fixées une fois pour toutes, les exigences de fonds propres croîtraient proportionnellement aux prix de marché d’une certaine classe d’actif suspecte d’être en proie à une bulle, et des encours de crédit qui s’y déversent. Encore faut-il ne pas se méprendre sur l’effet véritable de cette mesure, qui a moins, comme on le répète à satiété, pour propriété principale d’épaissir le « coussin de capital permettant d’absorber les pertes », que de resserrer progressivement la capacité des banques à accorder des crédits dans le segment de marché considéré, donc de ralentir le développement de la bulle. En d’autres termes, les ratios de capital contracycliques ne participent pas tant, comme on le croit le plus souvent, d’une politique prudentielle que d’une politique monétaire (mais poursuivie par d’autres moyens), puisqu’il s’agit moins de renforcer la base de capital des banques que de réguler leur offre de crédit.

    Misère de la filialisation

    Les contresens de principe n’excluant pas ceux d’exécution, le recours à la filialisation, par opposition au bank split en bonne et due forme, vient porter la complaisance régulatrice à son comble. Karine Berger s’exclame en commission des finances qu’en cas de pépin, la filialisation laisserait intacte à coup sûr la maison-mère — dépositaire des encaisses monétaires de la clientèle des particuliers. Car le texte de loi stipule que la filiale de marché doit être traitée par sa holding comme une entité extérieure, en conséquence de quoi lui sera appliquée la directive « grands risques » qui interdit à une banque de concentrer plus de 10 % de ses fonds propres dans des engagements risqués sur une seule entité. La banque holding ne pourrait donc se livrer à un éventuel renflouement de sa filiale au-delà de cette limite, en foi de quoi Karine Berger croit pouvoir conclure qu’« à [son] sens c’est la garantie d’une étanchéité absolue en cas de faillite d’une filiale vis-à-vis de la maison-mère » [9]. Il est cependant possible que « son sens » ne soit pas celui auquel il faille se confier aveuglément, et pour de nombreuses raisons.

    En premier lieu, l’« étanchéité absolue » est tout de même autorisée à laisser passer 10 % des fonds propres… En second lieu, le règlement n°93-05 de la Banque de France, relatif au contrôle des « grands risques » [10], indique que le volume de risques sur une seule entité s’entend comme « risques nets pondérés », ce qui signifie que le volume brut de crédit de secours apporté par la holding à la filiale pourrait aller bien au-delà du seuil des 10 % de fonds propres. C’est bien ce volume brut qui importe en situation de crise, où comptent avant tout les ressources mobilisables pour faire face à une crise majeure de liquidité. On peut donc gager que la holding fournirait tout ce qu’elle peut à sa filiale pour la sauver, jusqu’au point où ses engagements bruts sur cette dernière excèderaient significativement 10 % de ses fonds propres — 10 % tout ronds, pour BNP-Paribas, ça fait tout de même déjà 7,5 milliards d’euros, une paille si la filiale venait en bout de course à faire défaut pour de bon. Mais comme toujours dans cette affaire, le danger n’est pas tant de manger les fonds propres que de se trouver face à des besoins urgents de liquidité impossibles à satisfaire. Or, précisément, en situation de crise, la liquidité est LE problème, et pour tout le monde. Qui peut imaginer que le spectacle d’une holding contrainte d’apporter dans la précipitation des concours à sa filiale, donc qui exprimerait des besoins de liquidité massifs, laisserait les opérateurs de marché indifférents, et qu’en serait-il alors de la possibilité effective pour cette holding de les financer ?

    C’est en général à ce moment que la question de la solvabilité, objectivement secondaire, n’en fait pas moins retour, mais sous la forme vicieuse d’un accélérateur de panique. Car, pour tous leurs défauts de pertinence, les ratios de solvabilité n’en sont pas moins scrutés par les opérateurs des marchés de gros du crédit [11], où ils sont interprétés comme un signal sur la qualité des débiteurs… même pour la fourniture de liquidités de court terme [12]. C’est tout le charme de la finance de marchés que la croyance y fait loi : il suffit donc que le jugement des opérateurs se cristallise sur un indicateur quelconque pour que celui-ci acquière une importance, et un pouvoir d’entraîner des effets, qu’il ne possède nullement par lui-même. Si les opérateurs se mettent — et c’est le cas en situation de crise ! — à considérer que les débiteurs doivent être jugés d’après leurs ratios Tier-1 et que seuls les meilleurs auront accès à la liquidité, malheur à celui qui vacillera en cette matière : ses sources de financement se fermeront les unes après les autres, jusqu’à l’apoplexie finale… semblant donner raison à la « théorie » qui se sera en effet révélée « vraie »… mais pas du tout pour les raisons qu’elle croit. En tout cas voilà aussi ce qui pendra au nez de la holding encombrée d’une filiale de marché en train de prendre l’eau : car la holding devra consolider les pertes de cette dernière… et voir ses propres ratios de solvabilité prendre sérieusement de la gîte. Avec menace subséquente sur sa propre capacité à maintenir la continuité de ses financements… au moment où ils devraient être le mieux garantis pour venir au secours de la filiale en perdition.

    Pour une loi d'apartheid bancaire

    A part ça, Karine Berger voit dans la (fausse) séparation par filialisation « une garantie d’étanchéité avec la maison-mère ». « A [son] sens ». Mais tout est faux, « au sens » de n’importe quel autre regard tant soit peu décidé à tirer les conséquences de ce qui s’est passé, dans les invraisemblables préventions dont ce texte de loi fait preuve à l’égard de ce qu’on présenterait sans exagération comme le plus grand pouvoir de destruction sociale — mais celui-ci est en costume trois pièces, en vertu de quoi il passe rigoureusement inaperçu… en tous cas aux yeux de ses semblables. Pour qui pourtant veut bien se donner la peine de simplement s’y pencher, l’histoire économique, et sur tous les continents ou presque, regorge d’épisodes attestant la nocivité des marchés de capitaux libéralisés. La moindre des réponses à la crise présente, sans doute l’une des plus graves de toute l’histoire du capitalisme, ne pourrait viser en dessous de la ségrégation complète des activités de marché, dont il faut redire, et là encore attestation historique en main, qu’elles ne rendent aucun service important, ou presque, que le simple crédit bancaire ne saurait rendre («  et la Bourse des actions ! », s’écrient alors éperdus les amis de la finance de marché, même sous le fordisme il y en avait une — c’est qu’il n’était pas allé assez loin et ne s’était pas aperçu qu’on peut carrément s’en passer [13]).

    Par une indulgence en fait coupable, on pourrait tolérer qu’il demeure des activités de marché. Mais sous l’interdiction formelle faite aux banques de dépôt d’avoir le moindre contact avec ceux qui s’y livrent. Comme on pouvait s’y attendre, la première protestation apeurée (bien à tort) des banquiers français est allée au rappel de ce que le modèle de banque n’était pour rien dans cette affaire, qu’on avait vu de pures banques de marché, comme Bear et Lehman, aller au tapis, et que les banques universelles « à la française » s’était très honorablement comportées. Sauf vaine discussion sur les points d’honneur de la profession bancaire, et le « comportement » réel des banques françaises à l’épreuve de la crise, on appréciera davantage le culot de ces messieurs. Qui sont touchants de candeur de nous enseigner que, oui, être assis sur le tas des dépôts aide bien à amortir les gamelles ! On en est donc arrivé au point où il faut leur rappeler que l’argent du public n’a pas exactement pour vocation de les aider à tenir plus confortablement le choc de leurs pertes spéculatives — on mesurera d’ailleurs l’arrogance innocente de la finance qui, pour se défendre, ne voit même plus le mal à consentir l’aveu qu’elle compte exposer les dépôts aux risques de ses turpitudes spéculatives, et qu’elle est même bien contente de les avoir sous la main !

    Même le banking split complet [14], en lieu et place de la filialisation et des conceptions passablement Titanic que Karine Berger se fait de « l’étanchéité », ne suffirait pas à apporter une réponse satisfaisante. Il faut couper absolument toute connexion entre les institutions de dépôts et les banques de marché, non seulement, évidemment, tout lien capitalistique du type holding-filiale, mais tout lien de crédit ou de contrepartie avec n’importe quel acteur spéculatif, puisque c’est aussi par ce genre de canaux que les dépôts finissent par se trouver exposés. Ceci signifie qu’une banque commerciale ne pourra en aucun cas être impliquée dans une relation de crédit avec une banque de marché — en tous cas du côté créancier. Laquelle clause suppose alors d’instituer deux marchés interbancaires séparés. Voilà ce qui suit de prendre au sérieux l’idée de séparation bancaire : séparation dans tous les domaines ! Séparation des institutions bancaires elles-mêmes ; séparation de leurs conditions réglementaires (ratios de capital, leviérisation, etc.) ; séparation des marchés interbancaires ; et comme on l’avait proposé il y a quelque temps déjà [15], séparation des taux d’intérêts de la banque centrale pour les refinancements respectifs des banques commerciales et des banques de marché [16].

    Si le socialisme de gouvernement n’était pas complètement colonisé de l’intérieur par la finance, s’il lui restait quelques audaces et s’il avait pris un tant soit peu la mesure des désastres que la finance de marché a infligés au corps social, ça n’est pas cette indigente loi de « séparation » qu’il lui imposerait. Mais une loi d’apartheid.

    Frédéric Lordon (La pompe à phynance, 18 février 2013)

     

    Notes :

    [1] Compte-rendu n°60, commission des finances, séance du mercredi 30 janvier 2013, p. 7.

    [2] Un internaute, Veig, fait remarquer à raison que si Karine Berger ne touche plus, elle a touché, et même considérablement puisqu’elle était économiste chez Euler-Hermès, société d’assurance-crédit

    [3] Benjamin Masse-Stamberger, « Réforme bancaire : des lobbys très investis », L’Expansion, 5 décembre 2012.

    [4] La SFEF (Société de financement de l’économie française) pour les crédits de secours et la SPPE (Société de prise de participation de l’Etat) pour les apports en (quasi) fonds propres.

    [5] Dont 77 milliards au titre des prêts de la SFEF et 20 milliards au titre des prises de participation de la SPPE.

    [6] Voir Anuj Gangahar, « Default protection : collateral management grows in strength », Financial Times, 19 septembre 2011.

    [7] Voir « L’effarante passivité de la “re-régulation financière” », in Les Economistes Atterrés, Changer d’économie, Les Liens qui Libèrent, 2012.

    [8] Charles Goodhart, Avinash Persaud, « How to avoid the next crash », Financial Times, 30 janvier 2008.

    [9] Compte-rendu n°63, commission des Finances, séance du mercredi 30 janvier 2013, p. 10.

    [10] Périodiquement sujet à révision, la dernière datant du 23 novembre 2011.

    [11] Pour éviter toute confusion, il est utile de préciser que, en dépit de leur appellation, les « marchés de gros du crédit » ne produisent pas stricto sensu du crédit, opération de création monétaire dont seules les institutions bancaires sont capables, mais offrent des financements obligataires.

    [12] Tandis que la solvabilité est typiquement un indicateur de robustesse financière de long terme.

    [13] Pour une exposition détaillée de cette proposition, voir « Et si on fermait la Bourse », Le Monde Diplomatique, février 2010.

    [14] C’est-à-dire l’extraction de toutes les activités de marché, placées dans une nouvelle entité n’ayant aucun lien capitalistique avec la banque d’où elles ont été sorties.

    [15] « Quatre principes et neuf propositions pour en finir avec les crises financières », 23 avril 2008.

    [16] L’idée étant de pouvoir tuer une bulle au début de sa formation en portant les refinancements des banques de marché à des taux d’intérêt meurtriers sans nuire par ailleurs au prix du crédit à l’économie réelle.

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  • Merci pour les banquiers !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Luc Gréau, cueilli sur le site du Manifeste pour un débat sur le libre échange et consacré à la pseudo-loi du gouvernement socialiste sur la régulation des activités bancaires. « Mon adversaire, c'est le monde de la finance» disait François Hollande dans une envolée lyrique au cours de la campagne présidentielle... Pour l'instant, l'adversaire n'a pas trop de souci à se faire !....

     

     

    Banksters.jpg

    Merci pour les banquiers !

    La  loi française sur la séparation des activités bancaires et le projet d’union bancaire européenne  ne réduiront pas la spéculation aveugle et le pouvoir exorbitant de la finance. 

    L’AN de grâce 2013 devait être celui de la réforme des banques. Grâce à la loi bancaire française, d’une part, à l’Union bancaire européenne, d’autre part, on allait mettre au pas ceux qui nous avaient plongés dans la mouise. Seulement, la loi française ayant reçu le nihil obstatdes banques françaises et le projet européen étant désormais soutenu sans réserve par l’ensemble des banques de la zone euro, il faut croire qu’ils ne sont guère contraignants et que les pécheurs ont obtenu la rémission de leurs fautes au confessionnal. En clair, les affaires vont continuer. As usual. 

    La loi française vise à séparer le risque représenté par le prêteur, endossé par la banque commerciale classique, et celui créé par le trader, assumé par les salles de marchés qui font aujourd’hui partie des activités des mêmes grandes banques. À l’origine, le projet européen poursuivait le même objectif ; mais il tend, de surcroît, à mutualiser le système bancaire de la zone euro et à le soumettre à une supervision de la Banque centrale de Francfort[1]. Il s’agit, d’une part, d’empêcher que les risques nés de la spéculation sur les marchés financiers contaminent l’ensemble du système et, d’autre part, de renforcer la confiance dans les institutions financières en les soumettant à la surveillance du gendarme de Francfort. 

    Ces louables ambitions pourraient laisser croire que la sagesse est enfin de retour dans la nef des fous. En réalité, ce ne sont que des faux-semblants. La loi française ne changera rien à la politique qui a permis aux banques de spéculer, pour leur propre compte, sur les monnaies, les matières premières, les actions, les titres d’emprunt et sur les produits financiers qui en sont dérivés. Et l’Union bancaire, si elle voit le jour, conduira à assurer les banques contre la faillite par une garantie explicite des contribuables, invraisemblable fuite en avant quand on sait que les États sont exsangues et leurs contribuables doublement asphyxiés par les charges et par la récession. 

    Nicolas Sarkozy, François Hollande, même combat : dénonciation des « activités spéculatives », pour l’un, de la « finance sans visage » pour l’autre. Le discours du Bourget, en 2012, faisait donc écho à celui de Toulon jeté en pâture, en 2008, à une opinion médusée par le séisme financier. L’enjeu, dans les deux cas, était de savoir si, oui ou non, on allait laisser les banques continuer à se livrer à des opérations de « trading pour compte propre » (plus risquées et souvent plus rémunératrices que les opérations d’achats et de ventes de titres ou devises effectuées pour leurs clients). Nicolas Sarkozy a oublié qu’il l’avait posée, François Hollande fait mine d’y répondre par la présente loi bancaire. Mais pour que cela soit efficace, il faudrait soit que les banques commerciales cessent toute activité de trading pour compte propre, soit qu’elles les externalisent dans des sociétés avec lesquelles elles n’auraient ni lien capitalistique, ni relation de crédit – en bon français, il faudrait qu’elles vendent cette partie de leurs activités[2].

    En réalité, il n’y a pas de demi-mesure possible. Ou bien on maintient le mélange des genres actuel, ou on instaure une séparation étanche. 

    François Hollande et Pierre Moscovici ont opté pour une pseudo-réforme qui s’apparente plutôt à un maquillage juridique du statu quo qui prévalait jusqu’ici. Aux termes de la loi, les banques devront concentrer leurs activités de trading les plus risquées dans des entités autonomes, mais qui seront leurs filiales à 100%, ce qui signifie que le trading pour compte propre demeure dans le périmètre de la banque. Le seul changement formel, c’est que les pertes éventuelles affecteront les comptes de filiales ; mais si ces pertes atteignent un montant substantiel, la maison-mère est nécessairement engagée. 

    À l’évidence, le Président n’a pas eu le cran de s’engager dans un conflit frontal avec les banquiers français. En clair, Pierre Moscovici protège les banques aussi bien que l’a fait Christine Lagarde.

    On ne saurait cependant se contenter de ce constat banal à pleurer. Pourquoi les banques refusent-elles de se replier sur leurs activités traditionnelles ? Est-ce par orgueil, pour protéger l’image de « maîtres du monde » que leur conféraient les traders cocaïnés et les salles de marchés bourdonnantes popularisés par les médias à partir des années 1980 ? À vrai dire, ces apprentis-alchimistes n’ont plus vraiment bonne presse. C’est donc plus trivialement une question de gros sous. Le trading pour compte propre a fini par représenter une part substantielle – le tiers, la moitié, voire plus – des profits déclarés et versés aux actionnaires. 

    L’affaire de la loi bancaire s’achevant en « pipi de chat », restait à savoir si le chantage des banquiers allait aussi venir à bout du projet d’Union bancaire européenne, en préparation à Bruxelles sous l’autorité de notre compatriote Michel Barnier. Sur la base d’un rapport établi en 2012 par Erki Liikanen, président de la Banque de Finlande, le principe d’une séparation entre spéculation et crédit semblait acquis. Or, le 29 janvier, Bruxelles capitule en rase campagne[3]. Les banques concernées ont menacé, en cas d’adoption du texte, de fermer les robinets du crédit à la production et à la consommation. Et la récession européenne a encore affaibli les autorités publiques face à leurs maîtres banquiers. Une nouvelle contraction du crédit mettrait fin aux derniers espoirs de reprise économique. 

    Pour que la surveillance de Francfort, deuxième volet du projet d’union bancaire,  ait une chance d’être efficace, il faut commencer par comprendre comment les autorités européennes « compétentes » se sont laissées déborder par les événements entre 2007 et 2009. Tout d’abord, les conditions d’emprunt favorables proposées aux différents emprunteurs de la zone laissaient préjuger, à tort, de leur prospérité future et de leur solvabilité. Ensuite, dans plusieurs pays, l’essor économique permis par l’emballement du crédit a donné une certaine crédibilité à ces anticipations optimistes, avant le retour à la dure réalité. Enfin, on dirait que Bruxelles et Francfort sont dirigées par des borgnes dont l’œil valide ne regarde que les dettes publiques, comme si l’équilibre budgétaire était le seul critère de la solidité d’une économie, la question des dettes privées ayant été soigneusement éludée. 

    Le projet d’Union bancaire aurait dû, au minimum, être assorti d’une analyse de l’échec du dispositif antérieur. Mais l’Europe a ceci de commun avec l’ancienne Union soviétique que l’heure du bilan n’y sonne jamais, sauf pour dire qu’il est globalement positif. On va donc s’efforcer d’inventer un nouveau dispositif incarnant le « plus d’Europe » ou le « mieux d’Europe » qui figurent dans le bréviaire des zélotes, au mépris de la pureté de la langue.

    À vrai dire, nous ignorons quelles modalités permettront au banquier de Francfort de superviser quelque 6 000 banques en Europe. Mais nous savons l’essentiel, qui empêche de prendre au sérieux un tel projet. En Occident, les banques centrales, qu’elles soient à Washington, à Londres, à Francfort, sont au service des banques. La crise de 2008, venue d’Amérique, et celle de 2010, apparue à la périphérie de la zone euro, ont montré deux choses. Premièrement, les banques sont contraintes de dissimuler leurs difficultés pour ne pas faire fuir leurs déposants et leurs prêteurs habituels : ce que l’économiste Gaël Giraud appelle un« mensonge structurel »[4]. Deuxièmement, les banques centrales ne peuvent pas ne pas tenter de prolonger l’existence des banques en difficulté et en faillite, avec le concours éventuel des États.

    Et c’est pourquoi, au-delà de cette supervision proclamée depuis les « hauteurs béantes de l’Europe »[5], l’Union bancaire tente de mettre en place un dispositif de garantie générale des dépôts bancaires par les contribuables européens, qui reviendrait à instaurer la garantie des faillis par ceux qui sont parvenus à conserver leur solvabilité. L’Union bancaire réaliserait ainsi, à l’échelon des banques, ce que le Mécanisme européen de stabilité organise au profit des États. En d’autres termes, l’Union bancaire poursuivrait la fuite en avant commencée avec les plans de sauvetage des États 

    Dans ces conditions, on peut toujours dénoncer les graves défaillances de la régulation publique dès que les intérêts du monde bancaire sont en jeu. Encore faut-il ouvrir enfin les  dossiers noirs de la réforme bancaire, apparus à la faveur de la crise. J’en recenserai trois.

    Le « double loop ». La formule, désormais courante dans les médias économiques anglais et américains, désigne la double dépendance qui lie des États européens en faillite ou exposés à la faillite à des banques que la BCE a sauvées de la cessation de paiement[6]. C’est l’un des traits qui distinguent la situation en Europe de celle qui a cours en Amérique. En effet, les banques européennes étant très fortement engagées sur les dettes publiques de la zone, un défaut de paiement partiel des États leur serait fatal. À cela s’ajoute le fait que les emprunts nouveaux émis par les États sont désormais souscrits principalement par les banques du pays concerné : les portugaises pour les emprunts de Lisbonne, les espagnoles pour ceux de Madrid, les italiennes pour ceux de Rome.

    L’économiste Gaël Giraud décrit la situation en résultant : « Un double élastique relie désormais le nageur (l’État ou la banque, selon le cas) et son sauveteur (idem) : si le premier coule, le second sera entraîné avec lui. Si le second coule, le premier sera lui aussi entraîné par le fond »[7]. Au passage, il souligne que cette situation n’est pas sans lien avec la question du trading pour compte propre. Non seulement les États dépendent de la bonne volonté des banques qui souscrivent leurs nouveaux emprunts, mais ils sont soumis à leur pouvoir de détruire les finances publiques en jouant sur les CDS − credit default swaps : la salle de marché de la BNP peut décider en quelques jours de l’insolvabilité du Trésor français en faisant monter le prix des CDS qui assurent notre dette publique.

    On le voit, le rapport de force est plus que défavorable à la puissance publique, empêchée d’exercer son pouvoir normatif par sa dépendance vis-à-vis des banques. C’est d’autant plus consternant que les banques continuent de souscrire les dettes publiques non pas avec de l’épargne constituée mais avec de l’argent créé à leur bénéfice au guichet de la Banque centrale. Le vaudeville européen se joue à trois : États, banques, Banque centrale. L’argent emprunté à 0,75% au guichet de Francfort est replacé ensuite à 2,4% ou 5% dans les nouveaux emprunts des États. La complicité de la Banque centrale permet donc aux banques de se constituer une rente qui les enrichira – à condition bien sûr que les États échappent à la faillite. 

    La vérité des comptes bancaires. Depuis la fin 2008, les banques ont obtenu le privilège d’échapper aux règles comptables élaborées par l’organisme londonien, l’IASB. De sorte que personne, en dehors de quelques initiés, ne peut fournir un diagnostic plausible sur la santé financière des organismes concernés.

    Plus grave encore que l’obscurité qui entoure les comptes bancaires, il y a leur falsification avérée. Comment se fait-il, en effet, que les banques espagnoles, affectées d’un taux de défaut et de retards de paiement de plus de 11%, puissent encore afficher des comptes en équilibre ? La chose est d’une simplicité confondante. Quand elles font procéder à la saisie des logements des ménages insolvables, elles comptabilisent à leur actif la valeur, plus ou moins réaliste, des biens saisis. Mais elles conservent aussi le montant de la créance qui n’est pas réglée, comme si le débiteur allait finalement s’acquitter de sa dette. Et ni la Banque d’Espagne, ni les autorités européennes n’ont agi pour faire cesser ce scandale. 

    L’avenir du collatéral. La grande aventure du crédit en Occident, depuis trente ans, est fondée sur le recours massif aux garanties collatérales, telles que les hypothèques, et la faculté donnée aux prêteurs de revendre les prêts assortis de ces garanties. La crise était l’occasion de se demander s’il fallait maintenir un régime qui facilite l’accumulation des dettes et la montée des risques de faillite. Le débat n’a pas été ouvert et l’on peut douter qu’il le soit à moins d’une récidive du séisme de 2008.

    Conclusion : soyons de droite, soyons de gauche, mais ne soyons pas niais. Les banques vont rester maîtresses du jeu. Notre sort, déjà bien compromis par la récession qui s’étend en Europe, est de surcroît entre les mains de banquiers désinvoltes, imprudents et parfois sans scrupules. Fortiter, disaient les latins. Armons-nous de courage pour affronter les turbulences nouvelles qui s’esquissent à l’horizon.

    Jean-Luc Gréau (Manifeste pour un débat sur le libre échange, 16 février 2013)

     

    Notes : 

    1. Bruxelles et Francfort voudraient étendre la supervision à l’ensemble des banques de l’Union, ce qui ne manque pas d’irriter la Pologne, la Suède ou le Royaume-Uni qui ne sont pas membres de la zone euro et n’ont donc aucune influence sur la politique de la BCE.

    2. Opération de vente qui s’appelle « spin off » dans le jargon économique et financier.

    3.  « Bruxelles retreat on key bank reform » Financial Times, 30 janvier 2013.

    4.  Illusion financière, Gaël Giraud, chapitre 6 « Le dilemme des banques centrales », Éditions de l’Atelier, 2012.

    5. Les Hauteurs béantes de l’Europe, Roland Hureaux, Bartillat, 1999.

    6 . Par deux opérations massives de refinancement de 1000 milliard d’euros fin décembre 2011 et fin février 2012, pour des échéances allant exceptionnellement jusqu’à trois ans.

    7. Illusion financière, op.cit. page 40.

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  • Les snipers de la semaine... (56)

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    Au sommaire cette semaine :

    - sur Boulevard Voltaire, Nicolas Gauthier lâche quelques belles rafales sur les médias et le gouvernement pour leur comportement à l'occasion du dénouement de l'affaire Florence Cassez...

    Florence Cassez :  ce n'est pas Jeanne d'Arc non plus !

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    - sur Causeur, Jean-Paul Brighelli exécute allègrement Django unchained, le dernier film de Tarantino, actuellement sur les écrans...

    Blockbuster et autres facéties cinématographiques

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  • Communication de guerre sur le Mali...

    Nous reproduisons ci-dessous une excellente analyse de François-Bernard Huyghe, cueilli sur son site Huyghe.fr et consacré à la communication du chef de l'état et du gouvernement français à propos de la guerre au Mali...

     

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    Communication de guerre sur le Mali

    Dans toute communication de guerre, les constantes tiennent à la nature même d'un conflit où il faut parler de l'ennemi et de la mort.
    De l'ennemi parce que les idées d'État et de souveraineté présupposent la distinction entre l'ennemi contre lequel il faut mobiliser la violence suprême et le rival contre qui on ne recourt pas aux armes ou  le criminel (acteur "privé" soumis à une répression légitime et limitée par la loi interne).
    De la mort, parce que, même si certains ont développé des fantasmes sur des guerres "zéro mort", une guerre qui ne se traduirait pas par des pertes de vies humaines, resterait une manœuvre militaire, une gesticulation ou une menace.

    Il faut donc dire qui l'on affronte, au nom de quoi, quelles sont les pertes et pour quel résultat. Ne serait-ce que pour faire comprendre à sa population les raisons qu'ont ses soldats de tuer ou de mourir en son nom.
    De ce point de vue, la guerre du Mali a encouragé un discours dont les mâles accents font contraste avec la communication antérieure du gouvernement Ayrault (mais beaucoup moins avec les discours tenus par des gouvernements socialistes au moment du conflit du Kosovo ou de l'intervention française en Afghanistan, pour ceux qui ont un peu de mémoire).

    D'abord qui combattons nous ? D'un ministre à l'autre, les "éléments de langage" ont peu varié.
    Pour Jean-Yves Le Drian "Il faut éradiquer le terrorisme où qu'il se trouve" et c'est "contre le terrorisme" que la France est en guerre. Des mauvais esprit ont fait remarquer que cette formule de "guerre au terrorisme" était celle que l'on avait reprochée à G.W. Bush (qui pensait aussi qu'il fallait l'éradiquer partout dans le monde et qu'en le faisant les États-Unis poursuivaient un but universel et non des intérêts particuliers). Depuis, le vocabulaire a un peu évolué. Il n'est plus question que de combattre des "terroristes", des groupes terroristes", des "éléments terroristes" (F. Hollande), des "criminels et terroristes" (L. Fabius). Donc des gens caractérisés par une idéologie et des objectifs politiques et non une méthode de lutte (selon une phrase célèbre : on fait pas plus la guerre au terrorisme qu'on ne la faisait à la BlitzKrieg au début de la seconde guerre mondiale).

    L'emploi du mot "terroristes" a deux avantages :

    - Il désigne des adversaires par la nature odieuse et criminelle de leur activité (ennemis du genre humain), plutôt que par leur stratégie politique (cela souléverait quelques questions délicates comme leurs liens avec des indépendantistes touaregs ou la nature légale et démocratiques des autorités de Bamalo). Qui ne serait d'accord pour combattre des terroristes L'argument qu'il pourraient créer un État terroriste et déstabiliser le monde entier s'ils s'emparaient de tout le pays a été évoqué en des termes rappelant la justification de l'intervention contre l'Afghanistan en octobre 2001. De fait, personne n'a envie de voir des coupeurs de mains s'installer à Bamako, mais à partir du moment où vous descendez conquérir un pays avec des colonnes lourdement armées, où vous entrez dans des villes pour y imposer votre loi et votre autorité, etc, vous vous conduisez comme une rébellion, une armée de guerre civile ou de guérilla, et plus comme des terroristes qui lancent des bombes et es communiqués avant de se cacher.

    - Le mot terroriste évite d'employer "islamiste" et de prêter le flanc à l'accusation d'islamophobie, ou d'amalgame entre l'islam et ceux qui tuent en son nom. Les rares occurrences des expressions "groupes islamistes et criminels" ou "jihadistes" ont fait place dans le discours officiel au mantra : nous repoussons le péril terroriste.

    - Cela va de pair avec la volonté ostensible de rappeler que nous ne sommes pas seuls, que nous sommes tout au plus l'avant-garde ou les plus réactifs d'un mouvement international. On redit que l'on verra de plus en plus intervenir l'armée malienne (que nous ne faisons que seconder), des troupes africaines de la Misma et si possible d'autres nations tout aussi soucieuses que nous de l'application de la résolution de l'Onu. Elles ne vont pas manquer de nous aider, même si elles n'envoient pas forcément de troupes combattantes. Ce discours à la fois modeste et légaliste transparaît dans le moindre communiqué de l'état-major qui ne cesse de reprendre ces éléments (nous agissons en appui, en coopération, dans le cadre..). Surtout, la communication est très largement remontée au ministère et à l'Élysée - l'état-major étant préposé au factuel minimal - et les politiques répètent sans se lasser ces éléments propres à renforcer l'unanimité des partis et à repousser le moindre soupçon de retour à la FranceAfrique honnie. Au risque que cette communication minimale sur les engagements ouvre le champ à d'autres sources d'information et à des légendes comme celle de nos troupes "combattant au corps à corps" les terribles terroristes (pourquoi pas les chargeant à la baïonnette ?).

    Autre élément de la communication officielle : le ton ferme voire martial interdit de faire l'impasse sur les pertes de cette guerre. Des gens vont mourir, on assume. Contrairement à la stratégie de relative discrétion sur nos soldats tombés en Afghanistan, l'enterrement du lieutenant Damien Boiteux, notre premier mort au Mali tombé le 11 janvier, a donné lieu à une importante cérémonie. C'est très heureux pour le proches du lieutenant, qui est effectivement mort pour son pays et mérite énormément de respect, mais c'est aussi un signal politique. Au moment où François Hollande tente de faire passer une image de décision et d'autorité, il n'est plus question que le président normal devenu chef de guerre refuse d'assumer la dimension tragique du rôle. Plus questions d'euphémismes et de délicatesses, plus de mines pincées. Ce changement de tonalité (F. Hollande parlant de "détruire les terroristes" lors de sa visite aux Émirats Unis) appelle des termes que l'on croyait plus réservés à G.W. Bush ou à Poutine qu'à des socialistes. Cet effet de contraste ou de contradiction est un prix modeste à payer si l'affaire ne dure pas trop longtemps et si elle confirme l'idée de cette mue présidentielle. Ce sont deux points que nous pourrons bientôt vérifier.

     En attendant, cette rhétorique martiale contraste avec une certaine modestie dans la façon officielle  de parler des événements de Somalie ou d'Algérie
     Entre une opération militaire qui a échoué et une prise d'otages qui a tout pour inquiéter l'opinion, il y a moins matière pour une mise en majesté du chef de l'État ou pour l'autosatisfaction. L'Etat algérien a choisi la démonstration de force sans phrases, afin de décourager ceux qui auraient le moindre espoir de le faire céder, et sans souci des réactions des capitales étrangères. Du coup Paris, tenu pour quantité négligeable n'ose pas protester aussi fermement que le Japon quelques semaines après le voyage du chef de l'État sur place, sensé avoir réconciliés les eux rivés de la Méditerranée.
    Le discours du chef de guerre est un exercice difficile dont on mesurera le vrai résultat dans quelques semaines.

    François-Bernard Huyghe (Huyghe.fr, 19 janvier 2013)

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  • Tartarin de Brégançon !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue décapant de Michel Geoffroy, cueilli sur Polémia et consacré à l'engagement militaire de la France au Mali décidé par François Hollande...

     

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    Tartarin de Brégançon

    Dans son film satirique Des hommes d’influence, Barry Levinson met en scène un président impopulaire qui lance son pays dans une guerre montée de toutes pièces – qui ressemble fort à celle du Kossovo – pour essayer de regagner les faveurs de l’opinion en vue des prochaines élections. 
    Dans le film, le président est américain. Mais en France la réalité dépasse la fiction cinématographique !

    Francois Hollande est enfin populaire !

    Voilà en effet François Hollande, le plus impopulaire des présidents de la Ve République, saisi à son tour par la fureur guerrière : les opérations au Mali contre les « islamistes » ont opportunément été déclenchées au moment où près de 1 million de personnes descendaient dans la rue contre le mariage des homosexuels. Un pur hasard évidemment.

    Et puis les médias s’empressent de nous dire que depuis cette initiative, François Hollande deviendrait très populaire… à Bamako (par exemple LeMonde.fr du 15 novembre 2013), et qu’il va rebondir bientôt. Il paraît même qu’une majorité de nos concitoyens approuveraient cette intervention militaire. En particulier à Montreuil, où il y a beaucoup de… Maliens.

    Mais de qui se moque-t-on ?

    C’est une intervention ? Non : une gesticulation

    Sur le fond il faut sans aucun doute combattre l’islamisme. Mais encore faudrait-il le combattre aussi à Londres, à Madrid, à Toulouse, à Marseille ou en Seine-St Denis. On ne peut pas dire que les initiatives des socialistes aillent dans ce sens.

    Et puis cette intervention au Mali ne s’attaque pas aux racines de l’islamisme ni à ses soutiens réels au Pakistan ou dans les pétro-monarchies, par exemple, que l’on ne cesse au contraire de courtiser. Sans parler de l’effet des révolutions arabes sur la promotion d’un islam radical. Il faut redouter malheureusement que cette intervention militaire ne soit qu’une tartarinade de peu d’effet durable.

    En outre, les gesticulations militaires françaises au quatre coins du monde masquent le piètre état réel des forces armées françaises et la nullité de la prétendue défense européenne.

    La France fait croire qu’elle joue encore dans la cour des grands, alors qu’elle engage en réalité une très grande part de ses maigres ressources militaires dans des opérations à l’utilité stratégique douteuse, voire, dans le cas du Kossovo, à la nocivité certaine. Nos avions de transport sont à bout de souffle. En Afghanistan, au début, nos militaires achetaient des téléphones portables pour communiquer : plus efficaces que les moyens militaires ! Et les opérations aériennes en Libye ont vite épuisé notre stock de missiles. Sans parler du choc auquel sont confrontés nos matériels et nos soldats, propulsés dans une vraie guerre face à de vrais combattants : dur apprentissage, comme en attestent, hélas, le nombre de nos morts.

    Mais en réalité tout cela importe peu aux politiciens.

    Honni soit qui Mali pense !

    Comme disait Tocqueville dans une formule célèbre, « Les démocraties ne règlent guère les questions du dehors que pour les raisons du dedans. »

    En France les mauvaises nouvelles s’accumulent et l’image du gouvernement et du président socialistes ne cesse de se dégrader. Elle atteint un niveau de défiance inégalé sous la Ve République. Le projet de mariage homosexuel a en outre dressé la France réelle contre l’oligarchie. Et ce n’est pas fini car la crise économique continue et plus rien ne marche vraiment dans notre pays.

    Ces opérations viennent à point nommé pour détourner l’attention sur une réalité française peu brillante et pour faire croire aux Français qu’ils ont encore un chef d’Etat. 
    Comme dans le film de Barry Levinson, nos stratèges en communication ont sans doute pensé qu’en faisant voler une fois encore nos Mirages et nos Rafales, nos gouvernants auraient quelque répit bienvenu. 
    Certains rêvent même d’une union nationale autour de Flanby, devenu dieu de la guerre. Il suffit de voir les premières pages du Monde, de Libération ou du Parisien, ou d’écouter la télévision ces derniers jours, pour comprendre quel jeu cynique certains jouent.

    Mais ils prennent leurs désirs pour des réalités. Le Mali passera comme le reste : mais le chômage, les petits boulots précaires, les impôts, la délinquance, l’immigration, les initiatives « sociétales » farfelues de nos édiles ne passeront pas mieux.

    Le Monde écrit : « L’offensive française sauve un pouvoir en pleine déroute » (leMonde.fr du 15 janvier 2013), mais, hélas, pas au second degré : le journal évoque le Mali, pas le gouvernement français…

    Michel Geoffroy (Polémia, 17 janvier 2013)

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  • Le fatalisme, jusqu'où ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un bon point de vue de Bertrand Renouvin, cueilli sur son blog et consacré à la présidence de François Hollande. Une analyse que le (modeste) sursaut dans l'affaire malienne ne remet pas fondamentalement en cause...

     

     

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    Le fatalisme, jusqu'où ?

    L’optimisme et le pessimisme sont des humeurs individuelles qui ne devraient pas affecter le jugement et la volonté politiques. Variables selon les jours et les saisons, l’état de santé et les heures de sommeil, ces états d’âme sont d’ordinaire dominés chez les politiques – pas seulement chez eux – par l’ambition, les convictions, les projets, en somme par des espérances ou une espérance.

    Répondant à « l’appel, impératif, mais muet, de la France», Charles de Gaulle fit renaître l’espoir de la nation parce que lui-même ne cessa d’espérer dans les moments qui incitaient au pessimisme le plus noir. Cette espérance tenait au caractère de l’homme et à ses certitudes de politique et de stratège, mais plus encore : « Pas un illustre capitaine qui n’eût le goût et le sentiment du patrimoine et de l’esprit humain. Au fond des victoires d’Alexandre, on retrouve toujours Aristote… » écrivait-il dans Le fil de l’épée.

    Tout homme d’Etat, aujourd’hui, devrait se souvenir avec Charles de Gaulle que «la véritable école du commandement est celle de la culture générale » et que le salut public exige la rectitude des convictions. Hélas, c’est le contraire que nous constatons. La culture générale s’est perdue dans les faux-semblants de la communication et il est recommandé, pour réussir, de répudier les idées non conformes.

    François Hollande aurait pu rompre avec le prétendu réalisme des aventuriers politiques. Certains discours, de belle allure, le donnaient à penser. L’espoir était ténu. Il s’est amenuisé lorsqu’Eric Dupin nous expliqua, en juin, que le président de la République n’avait aucune vision de l’avenir et qu’il agirait selon les rapports de force (1). Les observations de notre invité, point hostile à François Hollande qu’il connaît depuis fort longtemps, sont maintenant prolongées dans un article qui précise le portrait (2). A l’inverse de la célèbre formule de Gramsci, François Hollande aurait « l’optimisme de l’intelligence et le pessimisme de la volonté ».

    Cela signifie que nous sommes dirigés selon des humeurs. Eric Dupin décrit un homme d’une « sérénité à toute épreuve » et protégé par son humour, ce qui pourrait être positif. Cependant, « intimement persuadé que tout finira par s’améliorer en un juste retour des choses, il se garde de chercher à forcer le destin. Cet optimiste congénital laisse le volontarisme aux visionnaires naïfs et aux décideurs aventureux ». Pire : il s’est fabriqué une « philosophie benoîtement cyclique » qui procède de sa belle humeur et la conforte. D’où ses déclarations sur la fin de la crise de la zone euro et le retour de la croissance en 2013. D’où un « réalisme » tissé de concessions majeures aux banquiers, aux patrons, à la chancelière allemande - à tous ceux qui montrent ou montreront les dents. « Au final, l’optimisme bonhomme de Hollande fait le lit d’un fatalisme arrangeant » conclut Eric Dupin qui nous permet de comprendre ce qui nous arrive.

    Cela ne nous rendra pas compréhensifs ! Avec François Hollande, nous sommes à l’opposé des chefs d’Etat et de gouvernement qui ont constitué notre pays, des premiers rois de France à Charles de Gaulle. Tous avaient la volonté de ne pas consentir aux rapports de force existants – ce qui leur permettait d’en créer de nouveaux, qui confortaient le projet commun. Tous refusaient les fausses figures de la fatalité. En ce début de siècle nous sommes passés de l’activisme de Nicolas Sarkozy - qui masquait la soumission aux financiers, l’alignement sur l’Allemagne et le retour dans l’OTAN - au fatalisme de François Hollande qui se contente d’entériner les mêmes dépendances. Nous sommes seuls, face à un président et un gouvernement qui ne veulent pas utiliser les pouvoirs considérables qu’ils détiennent selon la Constitution. Si rien ne s’arrange dans la crise de l’ultralibéralisme, nous irons vers une violence que François Hollande prévoit mais que nulle bonne étoile ne peut arrêter… De quels malheurs la France devrait-elle être frappée pour que le président de la République prenne les décisions salutaires ?

    Bertrand Renouvin  (Le blog de Bertrand renouvin, 13 janvier 2013)


    Notes :

    (1) Sa conférence aux « Mercredis de la NAR » a été publiée sous forme d’entretien dans « Royaliste », n° 1018, 17-30 septembre 2012. Cf. Eric Dupin, La victoire empoisonnée, Seuil, 2012.

    (2) Cf. Slate.fr : http://www.slate.fr/story/66543/hollande-optimisme-pessimisme-volontarisme-strategie

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