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  • « Et nous serons Européens » : Une évidence si simple, une réalisation si complexe...

    Nous reproduisons ci-dessous l'intervention de Benedikt Kaiser au colloque de l'Institut Iliade, qui s'est tenu samedi 7 avril 2024 à Paris sur le thème de l'avenir de notre Europe. Politologue et essayiste allemand, Benedikt Kaiser est un des animateurs de la maison d'édition Jungeuropa.

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    « Et nous serons Européens » : Une évidence si simple, une réalisation si complexe

     

    « Nous étions des Germains, nous sommes des Allemands et nous serons des Européens. »

    Voici ce que disait, il y a un siècle environ, Arthur Moeller van den Bruck, et qui illustre précisément ce devenir que nous envisageons. Pourtant, de nombreux Européens d’aujourd’hui rechignent à s’identifier comme tels, notamment à cause de la facile confusion entre l’Europe et l’UE. Il est alors de notre devoir de construire, à travers une coopération pleinement européenne, une vision du monde solidaire, patriotique et européenne.

    Lorsque Arthur Moeller van den Bruck a réfléchi à l’avenir de l’Allemagne et de l’Europe dans les années qui ont suivi la Première Guerre mondiale, il a trouvé cette formule marquante.

    Un siècle plus tard, nous constatons qu’il s’agit d’une évidence, mais que sa réalisation reste plus que jamais complexe.

    Pour beaucoup de nos compagnons de route, s’affirmer en tant qu’« Européen » est bien souvent l’objet d’importantes réticences. Cela s’explique par le fait que l’actuelle Union européenne (UE) forme un projet qui semble justement vouloir nous faire perdre notre européanité.

    « Notre Europe n’est pas leur UE ! » – c’est facile à dire.

    Mais nous devons aussi transmettre une européanité positive. Au sens d’Ernst Bloch, avec de la chaleur – des sentiments –, et de la froideur – des arguments.

    Ces deux éléments – le rationnel tout comme l’irrationnel – doivent aller de concert si nous voulons donner aux générations futures une image de l’Europe à laquelle elles puissent s’identifier.

    Telle est, précisément, notre mission. La mission de l’Institut Iliade en France. La mission du Jungeuropa Verlag, notre maison d’édition, en Allemagne. La mission de tous ceux qui revendiquent leur triple appartenance : une région, une nation, et, nécessairement, l’Europe !

    Pour y parvenir, nous avons besoin de rencontres européennes, d’échanges internationaux, d’un travail de traduction et d’un tissage de réseaux.

    Mais nous avons également besoin d’éléments de réflexion autour desquels les meilleurs esprits de notre camp non conformiste se retrouvent, par-delà les frontières.

    Nous, l’équipe de Jungeuropa, avons le souhait de participer à cette définition d’une ligne générale commune.

    Nous proposons que cette vision du monde propre au xxie siècle soit solidaire, patriotique et européenne.

    La pensée et l’action solidaires, la solidarité pratique et concrète, sont authentiquement « de droite ». Il s’agit d’un devoir vis-à-vis du grand ensemble.

    S’y ajoute le patriotisme en tant qu’approche de la politique qui passe par le peuple, en tant qu’affirmation d’un soi identitaire que l’on souhaite défendre.

    En étant solidaire et patriotique, la vision du monde à venir constitue un appel aux forces de tous bords, pour peu qu’elles soient raisonnables et soucieuses de l’intérêt général.

    En tant que démarche « de droite », elle intègre inévitablement des éléments « de gauche » – supposés et réels – là où cela s’avère utile.

    Car seule « une pensée qui affirme la synthèse entre les deux tendances et qui l’a réalisée en elle est en mesure d’accéder aux problèmes que l’avenir nous posera et face auxquels le présent se désespère », comme l’a montré le penseur conservateur révolutionnaire Hans Zehrer dans un de ses essais.

    Comme l’article de Zehrer « La confusion des concepts » a plus de 90 ans et que la situation de l’Allemagne, de la France et de l’Europe a fortement évolué, la vision du monde que nous défendons est non seulement solidaire et patriotique, mais aussi européenne.

    À cet égard, il convient d’inclure autant la sphère politique réelle que la sphère métapolitique dans notre argumentation.

    Car l’UE a un impact réel sur tous les domaines de notre vie : environ soixante-dix pour cent de toutes les lois adoptées dans les États membres sont lancées au niveau de l’UE.

    Au plus tard avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne en 2009, le processus législatif s’est « européanisé » et le citoyen de Paris doit désormais s’y soumettre au même titre que celui de Berlin.

    Si une force politique s’obstine à n’attaquer qu’au niveau national sans trouver des partenaires européens qui partagent sa vision du monde, elle est condamnée à l’impuissance en matière de politique réelle.

    Mais il ne faut pas moins tenir compte du monde métapolitique. Les évolutions et les changements culturels ne s’arrêtent pas aux frontières nationales – les évolutions intellectuelles à l’œuvre dans la politique non plus.

    Celui qui accorde de la valeur à sa région, à son peuple et à sa nation et qui souhaite préserver leurs particularités ne peut y parvenir que s’il est capable de conclure des alliances solides avec des acteurs qui travaillent à des objectifs similaires dans leurs pays.

    À cette dimension de raison politique s’ajoute la composante sentimentale d’une européanité positive. Pour ce dernier, l’Europe n’est pas déterminée à partir des frontières de l’UE.

    L’européanité positive a pleinement conscience que le cœur de l’Europe bat aussi bien à Belgrade, Oslo et Berne que dans les capitales des États membres de l’UE.

    « La clé d’une reconstruction véritable et fondamentale de nos sociétés », comme le décrit l’historien David Engels dans Que faire ?, « ne se trouve pas au niveau national, mais au niveau européen. »

    C’est vrai, si l’on considère la situation dans son ensemble.

    Mais l’Europe actuelle sous la forme de l’UE ne nous y aide pas.

    L’Europe de l’UE est un marché commun avec des centaines de millions d’acteurs – mais elle n’est pas un bouclier pour les peuples, elle est incapable d’agir et de maîtriser le désordre. Outre les conflits ethno-culturels inévitables, ce désordre s’annonce avant tout être de nature sociale.

    Dans la mesure où c’est un auteur allemand qui parle des questions sociales à l’époque de l’européanisation basée sur l’UE, il convient de rappeler que les acquis de l’État social des 150 dernières années restent aujourd’hui pertinents pour la majorité de la population. Ils confèrent à la RFA une réputation mondiale de principe d’assistance et de solidarité fondées sur la responsabilité de l’État. Et ce en dépit de toutes les critiques sur les graves dysfonctionnements actuels.

    Le constater ne signifie pas qu’il faille se fermer à l’idée que le XXIe siècle apporte des exigences sensiblement différentes de celles des deux siècles passés.

    Si l’Europe était une île, on pourrait partir du principe que la division en États-nations classiques perdurerait telle quelle.

    Mais l’Europe n’est pas une île, elle occupe une place centrale dans des constellations mondiales qui agissent sur les pays européens.

    Une Europe morcelée et davantage divisée n’est pas viable sur le plan économique, technologique et social. Du moins pas en tant que bloc de puissances souveraines et autonomes dans leurs décisions. Les peuples européens se trouvent ainsi confrontés à des conflits d’intérêts renforcés de l’extérieur.

    De telles contradictions extérieures doivent être tenues à l’écart du continent dans l’intérêt même de son autosuffisance. L’Europe est déjà riche en contradictions internes, il s’agit donc de les surmonter.

    Le « front intérieur » se complique toutefois lorsque les slogans classiques : « L’Allemagne d’abord ! » ou « La France d’abord ! », ne sont pas seulement utilisés comme mobilisation électorale populiste. Lorsqu’ils constituent l’unique programme. On se contente trop souvent du « d’abord ! » à la droite du centre, sans réfléchir à la nécessité d’un « après ».

    À cela s’ajoute le fait que la persistance des ressentiments favorise le retour des chauvinismes, car les arguments néo-libéraux sont combinés avec les passions patriotiques, qui peuvent toujours être mobilisées en bien ou en mal.

    Ces jalousies réciproques devraient s’effacer au profit d’une idée solidaire étendue à toute l’Europe, qui ne peut toutefois se développer « organiquement » que si des objectifs et des projets communs sont élaborés, dont tous les peuples européens peuvent profiter – pas seulement les classes dirigeantes, pas seulement les secteurs de l’économie orientés vers l’exportation, pas seulement l’appareil bureaucratique.

    Dans les conditions actuelles de l’UE, cela ne sera pas réalisable, ne serait-ce que parce que les couches sociales supérieures des différents pays profitent des disparités actuelles en leur sein.

    La solidarité patriotique à l’échelle européenne à laquelle il faut aspirer – la dimension sociale de l’européanité positive – exige donc de reconnaître que la fracture principale n’est pas celle qui existe entre les peuples européens. Mais celle qui sépare les besoins sociaux et identitaires des peuples, d’une part, et les besoins du capital, souvent transnational, et de ses mandataires politiques, d’autre part.

    Ces fractions du capital et leurs collaborateurs ont pour objectif idéologique de créer un « One World », et pour objectif économique la maximisation de leurs profits.

    Pour une politique patriotique et solidaire sur une base européenne, il s’agit au contraire de préserver les peuples autochtones. Pour ces derniers, il s’agit de trouver une forme d’unité dans la diversité proprement européenne, dans laquelle les différentes forces sociales et économiques de chaque région et de chaque nation sont rassemblées, et les faiblesses ainsi atténuées.

    La vision du monde à venir se réclame donc de l’Europe, tout en critiquant les prémisses de l’Union européenne :

    • car notre Europe est plus qu’un simple ensemble de traités, plus que des frontières ouvertes, des marchés ouverts, des sociétés ouvertes;
    • une Europe qui n’oppose pas les régions, les nations et les peuples les uns aux autres, mais qui fait appel à une conscience commune ;
    • c’est une Europe qui protège ses cultures et ses peuples divers, qui ne les dissout pas ; une Europe qui n’a donc pas besoin de la prétendue diversité imposée en son sein par l’UE, là où elle recèle une véritable diversité ; une Europe qui offre à ses citoyens la plus grande sécurité intérieure et sociale possible.
    • c’est une Europe qui parle d’une seule voix à l’extérieur, car cela exige autant de raison que d’émotion ;
    • une Europe solidaire, sûre d’elle-même et souveraine.

    Cette Europe serait différente de l’Europe telle que la conçoit aujourd’hui l’Union européenne.

    Qu’il s’agisse des migrations internes à l’Europe ou de la perte de la jeunesse diplômée des plus petits pays au profit des « nations industrielles » plus puissantes, ceux qui veulent stopper de telles évolutions pour le bien de tous, mais qui tiennent à une voie commune parce que faire cavalier seul est devenu anachronique…, ceux qui savent en outre que l’affirmation de soi des petites nations d’Europe centrale et orientale comme la Hongrie continue à être difficile, car les puissances financières de l’Occident peuvent les soumettre à un chantage économique et politique…, ceux qui reconnaissent cela ne peuvent pas passer à côté d’une approche paneuropéenne.

    Cette dernière pourrait développer une stratégie plus efficace en matière de migration, qui doit s’orienter vers l’intérêt de l’autosuffisance des peuples et prendre en compte le fait que – malgré toute l’hétérogénéité du continent – une certaine harmonisation socio-économique des conditions de vie devrait aussi progressivement s’affirmer comme le cœur de la question sociale.

    Il y a exactement trois décennies, le penseur conservateur Rolf Peter Sieferle osait prédire dans son livre Epochenwechsel (1994) que « l’État social n’aurait d’avenir que dans une Europe unie et une Europe unie que dans un État social » :

    « Un futur État social européen pourrait s’imposer comme une vision forte, dans laquelle la tradition continentale de la “primauté du politique” s’allierait aux intérêts élémentaires de la majorité de la population. […] Un État social européen offrirait certainement des perspectives plus favorables que ne le peuvent les vieux États-nations. »

    Un penseur des grandes époques historiques tel que Sieferle conçoit cette idée d’une Europe solidaire et patriotique sur le temps long. Elle devrait servir de feuille de route pour les futures discussions sur l’Europe.

    Elle est le premier pas sur la voie de la renaissance continentale qui, pour s’épanouir durablement, « a besoin d’une idée européenne très différente de celle qui anime aujourd’hui les institutions européennes ».

    David Engels, déjà cité, a ainsi esquissé l’une des tâches urgentes de la vision du monde à élaborer. Celle-ci sera solidaire, patriotique et européenne ! Ou bien l’annihilation face au rouleau compresseur du mondialisme sera inévitable, tôt – comme en Europe occidentale – ou tard – comme en Europe centrale et orientale.

    Mais alors, la formule de Moeller van den Bruck : « … et nous serons Européens », sera également défaite. Nous serions ainsi condamnés au rôle de citoyens du monde dépourvus d’identité. Et c’est précisément ce que nous ne voulons pas. Nous nous y opposons – vous vous y opposez. Nous ferons face ensemble.

    Salutations cordiales à Paris !

    Benedikt Kaiser (Institut Iliade, 6 avril 2024)

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  • De l'Illiade à Marioupol : l'Europe, champ de bataille...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous l'émission Passé présent de TV Libertés, diffusée le 13 février 2023 dans laquelle Guillaume Fiquet reçoit Laurent Schang pour évoquer la place de la bataille, des batailles dans l’histoire de l'Europe et répondre aux questions : Qu’appelle-t-on une bataille ? Pourquoi l’histoire la retient-elle ? Vaut-elle par son nombre de morts, son importance historique ou par ses traces dans la mémoire collective ?

    Écrivain, chroniqueur et éditeur militaire, Laurent Schang a à son actif plusieurs récits et recueils de nouvelles, comme Le constat d'Occident (Alexipharmaque, 2007), Kriegspiel 2014 (Le Mort-qui-Trompe, 2009) ou Le bras droit du monde libre (Alexipharmaque, 2019), et des biographies, telles Maître Morihei Ueshiba (Pygmalion, 2004) ou Von Rundstedt - Le maréchal oublié (Perrin, 2020).

     

                                           

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  • Défendre l'Europe...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de David Engels, cueilli sur le site d'Academia Christiana et consacré à un plaidoyer en faveur de l'unification européenne, troisième voie entre le progressisme eurofédéraliste et le souverainisme régressif.

     

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    Défendre l'Europe

    L'Europe est depuis longtemps divisée entre une gauche eurofédéraliste et une droite souverainiste qui prennent en tenaille les dernières chances de survie de notre civilisation : la première parce qu'elle veut remplacer l'identité culturelle traditionnelle de l'Europe par un mondialisme désincarné, matérialiste et hédoniste ; la seconde parce que le retour à une trentaine d'États-nations risque de transformer le continent en échiquier des intérêts impériaux des autres grandes puissances du nouveau monde multipolaire. Il est grand temps pour les défenseurs de la véritable tradition européenne d'emprunter résolument la troisième voie de l'engagement patriotique pour une unification européenne qui ne repose pas sur la lutte contre les identités et les traditions, mais plutôt sur leur défense et leur prolongement : l'hespérialisme.

    Les élections européennes de 2024 pourraient être un moment décisif à cet égard : d'une part, une victoire des eurofédéralistes pourrait abolir les vetos nationaux et porter un coup décisif à la subsidiarité ; d'autre part, la droite sceptique de l'UE semble plus que jamais divisée sur ses choix idéologiques : christianisme ou sécularisme, européisme ou souverainisme, solidarité ou libertarisme.

    Réorientation politique générale

    Je propose donc pour ma part une réorientation politique générale, dans une perspective non pas nationale, mais résolument civilisationnelle. Car bien avant d'être divisée en Etats, l'Europe était déjà une unité politique, culturelle et surtout spirituelle, et les nations n'ont fait qu'exprimer (et parfois exacerber) des facettes choisies de cette unité. Cette unité culturelle sous-jacente est aujourd'hui plus que jamais menacée, tant de l'intérieur que de l'extérieur, et si nous voulons sauver ses composantes nationales, nous devons commencer par sauver l'ensemble du cadre de référence qui la définit et la garantit. Il est donc grand temps pour les défenseurs de notre identité et de nos traditions d'élargir leur horizon politique de la lutte pour l'autonomie de l'État-nation à la lutte pour la survie de notre civilisation tout entière.

    Bien sûr, il s'agit dans une certaine mesure d'une "idée régulatrice" qu'il faut sans cesse adapter aux conditions réelles, qu'elles soient culturelles, politiques, économiques ou nationales. Néanmoins, je suis fermement convaincu que nous avons besoin de l'étoile directrice du patriotisme européen pour guider les différents choix à venir. Ce patriotisme comporte bien sûr une composante spirituelle, comme nous le verrons, car si la séparation de l'Église et de l'État a toujours fait partie intégrante de notre culture européenne, elle n'implique en aucun cas une séparation de la foi et de la politique, bien au contraire : le véritable hespérialisme ne consiste pas à glorifier sans distinction tout et n'importe quoi, pourvu que cela soit recouvert d'une rouille historique suffisante, mais plutôt à examiner soigneusement les différentes strates de notre identité, en ne considérant comme réellement admirables et dignes d'être imitées que celles qui ont été placées sous l'étoile directrice d'une aspiration sincère à rattacher l'existence terrestre à la transcendance.

    Mais avant d'approfondir ce sujet, revenons sur cette "grande confusion" systématique de l'identité européenne qui, sous couvert de "déconstruction critique", a fomenté une terrible calamité qui, même dans le meilleur des cas, continuera de peser sur notre civilisation pendant de nombreuses décennies. La pensée critique n'est pas en soi une nouveauté dans l'histoire occidentale ; déjà au Moyen-Âge, prétendument "obscur", la "disputatio" comptait parmi les principales techniques d'acquisition du savoir de l'"universitas" et n'était pas non plus, et surtout pas, empêchée par l'Église, mais plutôt encouragée. Toutefois, ce processus de pensée se déroulait sous le postulat fondamental de l'existence de l'Un, du Vrai, du Bien et du Beau, tel qu'il nous a été révélé en Europe par le christianisme ; la déchristianisation des "Lumières", dont les racines remontent certes loin dans le passé, est en revanche marquée par une déconstruction progressive de ce postulat fondamental, d'abord vidé de son contenu dogmatique, puis également de son contenu ontologique, de sorte que l'examen critique et constructif n'est plus que relativisme et finalement nihilisme.

    Bien sûr, pendant un certain temps, l'accumulation purement empirique de connaissances scientifiques descriptives sur les faits et les techniques d'application a progressé, mais là aussi, ces dernières années, nous avons vu de manière significative non seulement une stagnation progressive, mais aussi les multiples effets du nihilisme philosophique.

    Au cours du dernier demi-millénaire, nous avons assisté à la destruction totale du sens de la transcendance, à la déconstruction du christianisme de l'extérieur comme de l'intérieur, à l'introduction massive d'une religion étrangère en Europe, à l’expension inquiétante de diverses formes d'ésotérisme et à la promotion de l'athéisme, du matérialisme et de l'hédonisme comme formes normales de l'existence humaine.  Dans le cadre de cette autodestruction idéologique, l'homme a également perdu sa dignité : d'abord mis à la place de Dieu en tant que prétendue "mesure de toute chose", l'envolée de l'auto-élevation a rapidement été suivie d'une chute brutale dans les formes les plus diverses de collectivisme et de déshumanisation, qui connaissent actuellement une triste apogée dans les théories trans- et posthumanistes les plus diverses. Il en a été de même pour la famille, la nation, l'idée de démocratie participative, la tradition, la beauté, l'économie et même la nature : partout, les communautés solidaires qui s'étaient développées au cours de l'histoire, ancrées dans le droit naturel et intimement liées aux enseignements de la Révélation, ont été volontairement détruites et remplacées d'abord par des ersatz rationalistes, puis par le seul nihilisme pur et simple, jusqu'à ce qu'il ne reste presque plus rien de ce qui avait défini l'Europe pendant des siècles.

    Notre identité européenne

    Afin d'asseoir le contre-projet d'une vaste reconstruction culturelle sur des bases historiques solides, nous devons tenter de démêler les différentes strates chronologiques de notre identité européenne, afin d'apprendre à séparer l'important de l'insignifiant, la racine du tronc, l'action de la réaction. Ainsi, nous devons tout d'abord constater que le Proche-Orient ancien, y compris la sphère de l'Ancien Testament, la Grèce antique, le monde méditerranéen romain, les traditions des Celtes, des Germains et des Slaves et, bien sûr, le christianisme primitif, encore entièrement marqué par l'hellénisme levantin, ne doivent être considérés que comme des précurseurs et non comme le noyau du cycle culturel occidental : ce n'est que par leur fusion au cours de ce que l'on appelle les "siècles obscurs" que s'est formée cette nouvelle culture qui débute spirituellement avec le concile d'Aix-la-Chapelle, politiquement avec la "Renovatio" de l'idée d'empire par Charlemagne et culturellement avec la Renaissance carolingienne, et qui se caractérise psychologiquement avant tout par cette fameuse pulsion "faustienne", qui nous distingue si fondamentalement du sentiment apollinien de l'homme antique, du patriarcalisme fataliste de la culture orientale, de la doctrine de la renaissance des Indiens ou de la piété xiaoïste des anciens Chinois.

    Dans une première phase, cette nouvelle culture était encore entièrement sous l'influence de l'idée d'unité métaphysique marquée par le christianisme occidental, qui a ensuite été remplacée dialectiquement par le déplacement de l'accent sur la multiplicité à partir du 16ème siècle : Dieu a été remplacé par l'homme, la foi par le doute, la contemplation par l'expansion, la théologie par la technologie, la morale par le machiavélisme, le "Sacrum Imperium" par les premiers États-nations, la culture par la civilisation, etc. Il ne fait aucun doute qu'en ce début de XXIe siècle, nous sommes arrivés au sommet - ou devrais-je plutôt dire au creux - de cette évolution, et la morphologie culturelle comparée suggère que l'achèvement de la déconstruction ne correspond pas (encore) à la fin de notre civilisation, mais qu'il faut s'attendre à une dernière et brève synthèse, que l'on ne peut pas appeler autrement qu'un retour conscient à la tradition, comme nous l'avons vu dans l'Antiquité sous le premier Empire romain, en Chine sous la dynastie Han, en Iran sous le règne de Chosroes I. ou en Inde sous les Gupta.

    Retour conscient à la tradition

    Mais que faut-il entendre par un tel "retour conscient à la tradition", qui, comme toutes les synthèses, semble d'abord être une sorte de contradiction interne en soi, puisqu'une tradition, si on la renouvelle consciemment et rationnellement après une rupture, n'est plus vraiment une tradition, même si un deuxième regard révèle qu'il ne s'agit pas en fait d'un retour naïf, mais d'une transcendance consciente de la situation de départ ? Il est évident qu'une telle synthèse doit partir du constat que l'hubris de la phrase "homo mensura", à laquelle toute civilisation est encore vouée, ne peut conduire qu'à l'éclatement de l'autodestruction, d'où découle logiquement le besoin spirituel d'une redécouverte de la transcendance, qui cette fois-ci n'est pas seulement ressentie instinctivement, mais également recherchée rationnellement. A cette fin, la société entière doit être placée à nouveau sous la primauté de l'unité et de l'au-delà, et ce sous la seule forme qui nous soit familière, possible et reconnue en tant qu'Européens, à savoir la tradition chrétienne.

    Il n'est pas du ressort d'un gouvernement de pousser les gens à la foi à l'aide de textes de loi, mais bien de laisser ses propres convictions intellectuelles et spirituelles s'intégrer dans les actions de l'État, dans le cadre des prescriptions formelles. Si l'on considère par exemple l'omniprésence actuelle de la diffamation non seulement de la foi chrétienne, mais aussi de toute forme de croyance en la transcendance par les médias, les établissements d'enseignement et les institutions politiques, il est clair que notre élite actuelle, avec sa prétendue "laïcité", a plutôt pour objectif clair d'empêcher autant que possible les gens d'accéder à Dieu sous le couvert du sécularisme. Il s'ensuit que l'objectif d'une nouvelle élite hespérialiste est plutôt d'ouvrir à nouveau largement cette voie, dont la fréquentation ne peut bien sûr être qu'individuelle, et de la rappeler à la conscience publique comme une possibilité et non comme une contrainte. Mais toutes les autres conséquences en découlent également : la restauration de la dignité humaine de la conception à la mort ; la sanctification de la famille naturelle, le rétablissement de la subsidiarité dans le cadre d'un nouvel ordre spatial européen, la restitution de la fierté de notre histoire, l'engagement explicite en faveur du vrai, du bien et du beau, la lutte pour une vie économique à proportions humaines et le respect de la magnificence de la création, et ce non pas dans le sens d'un panthéisme écolo-gauchiste, mais d’un théâtre où se joue la lutte de l'homme et de la société pour leur âme.

    Or, malheureusement, tous les idéaux doivent être réalisés dans un monde dont les nombreuses contraintes les obligent à des compromis et des ajustements qui sont loin d'être optimaux, car ils doivent s'adapter aux réalités politiques, économiques, spirituelles et culturelles concrètes qui constituent le contexte global de nos efforts. En effet, même avec la meilleure volonté du monde et dans des conditions politiques favorables, il ne suffira pas de modifier tel ou tel texte de loi à Bruxelles ou à Paris : c'est toute une civilisation en voie de désintégration volontaire qui doit être protégée de ses tendances à la dissolution et ramenée à la raison - et à la transcendance.

    Parmi les contraintes extérieures, on peut citer : les dangers de la multipolarité pour une Europe en déclin ; les défis de la migration de masse ; le risque d'un Etat de surveillance avec un système de crédit social et une urgence pandémique ; la dépossession des politiques nationales par les institutions internationales et le réseau mondialiste ; la destruction des classes moyennes par le socialisme des milliardaires ; la crise de la foi et des églises ; et enfin, et ce n'est pas le moins important, l'épuisement naturel de notre civilisation vieillissante.

    Aux XVIIIe et XIXe siècles, l'homme européen a pu se reposer sur sa supériorité technologique par rapport au reste du monde ; au XXe siècle, les hégémonies de la guerre froide ont pris le relais pour s'occuper de lui. L'effondrement de l'hégémonie américaine renvoie l'Européen à l'histoire, même si c'est à un moment où il semble le moins apte à en relever les défis, de sorte que la seule question qui se pose aujourd’hui est de savoir s'il veut continuer à subir sans broncher les mesures palliatives actuelles afin de supporter le moins douloureusement possible la descente aux enfers, ou s'il veut au contraire oser prononcer à nouveau un "oui" courageux à l’adresse de Dieu, de l'histoire et de notre responsabilité – et entreprendre les nombreuses réformes douloureuses et urgemment nécessaires à la survie de notre société.

    Quelles sont donc les conséquences pour l'avenir proche ?

    Il n'est pas question dans ces brèves réflexions de donner une analyse détaillée des prochaines élections européennes et autres, ni de tenter de prévoir les événements du futur immédiat, ni même de résumer les projets alternatifs que j'ai présentés en détail ailleurs. Il semble toutefois évident que nous allons tous devoir mener une lutte acharnée en Europe, car il est clair que les libéraux de gauche iront jusqu'au bout pour conserver leur pouvoir et leur influence sur la société - si ce n'est par la persuasion, du moins par l'intimidation.

    Les récents événements en Pologne en sont un exemple typique : depuis des années, un pays entier a été mis à mal, tant économiquement que mentalement, par le harcèlement médiatique, les sanctions et la diffamation, tandis qu'en coulisses, un gouvernement multipartite était forgé pour s'emparer du pouvoir au moment critique et, si nécessaire, créer un nouveau statu quo par la force.

    Les élections européennes vont très probablement entraîner un certain renforcement du camp conservateur, non seulement en Pologne mais aussi dans toute l'Europe. Mais elles obligeront les progressistes à renforcer également au niveau de l'UE leur idéologie du "cordon sanitaire", provoquant ainsi une résurgence (in)volontaire de la doctrine des "partis-blocs" telle qu'on la connaissait en RDA : tous les partis qui soutiennent le "système" actuel s'allieraient durablement entre eux sous la direction idéologique de l’écolo-gauchisme comme étant la force la plus progressiste, afin de "sauver" (soi-disant) la démocratie et d'empêcher un nouveau "fascisme". Il est bien sûr tout aussi évident qu'une telle lutte contre un autoritarisme de droite imaginaire par un autoritarisme de gauche bien réel doit tôt ou tard chavirer sous le poids de ses propres contradictions et conduire à la catastrophe, tout comme, théologiquement parlant, une victoire à long terme du "mal", c'est-à-dire de l'hubris du "non serviam" diabolique, est impossible, puisque ce principe ne peut justement que toujours conduire à la dissolution, et doit même y conduire en raison de ses hypothèses ontologiques fondamentales.

    Bien sûr, cela ne peut nous rassurer que très modérément, car même si la victoire ultime du bien dans le monde extérieur est tout aussi prédestinée que le repos en Dieu nous est accessible à tout moment, même à l'intérieur, les deux nécessitent une lutte acharnée, qui doit être menée avec une intensité jusqu'ici insoupçonnée, en particulier dans les années à venir. Comme nous l'avons souvent dit, nous devons nous engager sur plusieurs voies et ne jamais perdre de vue l'objectif final : dans le domaine politique, argumenter avec persévérance et sans compromis sur la base de nos propres convictions et, dans la mesure du possible, agir ; dans le domaine social, construire partout dès aujourd'hui les communautés et les structures exemplaires sans lesquelles toute résistance au mal ne peut que s'effondrer ; et au fond de nous-mêmes, ne jamais perdre de vue que le véritable combat est celui de notre âme et qu'aucun défi politique ne peut nous dispenser de l'obligation d'établir et de maintenir la proximité de Dieu d'abord en nous-mêmes.

    David Engels (Academia Christiana, 19 février 2024)

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  • Relations Europe / Etats-Unis : de l’alignement stratégique au « découplage » économique...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Philippe Duranthon, cueilli sur Geopragma et consacré au jeu de dupes des relations Europe/États-Unis qui allie vassallisation politique et affaiblissement économique. Jean-Philippe Duranthon est haut-fonctionnaire et membre fondateur de Geopragma.

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    Relations Europe / Etats-Unis : de l’alignement stratégique au « découplage » économique

    Sur le dossier ukrainien, l’Union Européenne (UE), après quelques velléités de discours nuancé, a vite endossé les raisonnements et la stratégie des Américains ; au Moyen-Orient, après quelques ratages matamores d’Ursula von der Leyen, l’Europe s’est vite retirée du jeu, laissant les Etats-Unis seuls à essayer de calmer les ardeurs guerrières des uns et des autres ; en Afrique, après le départ des troupes françaises, l’Europe n’a plus guère d’influence et s’en remet aux Etats-Unis pour tenter de réduire les tensions internes et contrecarrer les immixtions russes ou chinoises. L’énumération pourrait continuer, et montre que, sur le plan géopolitique, l’UE, tout en revendiquant haut et fort son « autonomie stratégique », s’est totalement alignée sur les Etats-Unis, leader incontesté du « camp occidental ». Ce n’est bien sûr pas nouveau, voilà longtemps que l’Europe confie sa sécurité à une OTAN contrôlée par les Etats-Unis et accepte que ces derniers, grâce à l’extraterritorialité de leur droit, dressent la liste des pays avec lesquels elle-même a ou n’a pas le droit de commercer.

    Dans le domaine économique le contraste est au contraire flagrant entre des Etats-Unis qui connaissent une belle prospérité et une Europe qui essaie difficilement d’éviter une récession. Alors que le PIB des premiers a cru de 2,5 % en 2023, celui de la zone euro a stagné (1) et l’écart continuera à s’accroître en 2024 puisqu’on prévoit des augmentations de, respectivement, 2,1 % et 0,8 %. Le chômage a été ramené à 3,5 % aux USA mais à 6,5 % dans la zone euro (7,5 % en France). L’inflation, aujourd’hui, à peu près identique dans les deux zones, est montée aux USA à 6 % mais à près de 9 % en Europe. Au total, le PIB aura augmenté, depuis 2013, de 17 % dans la zone euro mais de 54 %, soit plus du triple, aux USA ; en conséquence le PIB des USA, qui excédait alors celui de la zone euro de 32 %, le dépasse aujourd’hui de 74 % : l’écart a plus que doublé (2).

    Bien sûr les causes de cette divergence, de ce « découplage » (3), sont multiples. Depuis 2002 la productivité par tête a cru de 43 % aux USA mais de seulement 10 % dans la zone euro. Les Américains, attirés par l’innovation et les ruptures technologiques, acceptent de prendre des risques et trouvent aisément les financements pour leurs projets novateurs ; les Européens, au contraire, font preuve d’un conformisme technologique, financier et social peu propice aux initiatives susceptibles de générer des gains de productivité. Rien d’étonnant, par conséquent, à ce que les investissements dans les nouvelles technologies, les dépenses pour la recherche & le développement et le nombre de brevets déposés soient bien supérieurs aux USA qu’en UE, que les magnificient seven (4) américaines n’aient pas d’équivalentes en Europe ou que l’IA générative et le new space aient prospérés plus vite de l’autre côté de l’Atlantique.

    Mais les décisions prises par l’Europe après le déclenchement du conflit en Ukraine expliquent aussi ce « découplage ». En obligeant les entreprises européennes à se retirer de Russie, où elles étaient bien plus nombreuses que les américaines, et en leur interdisant, par des « paquets » successifs de sanctions dont l’efficacité reste à démontrer, de commercer avec ce pays, l’UE leur a imposé des charges considérables dont le financement aurait pu être consacré à des investissements d’avenir et à la transition climatique. Les entreprises européennes ont dû, pour leur approvisionnement en gaz, remplacer la Russie par les Etats-Unis auxquels elles ont multiplié par trois leurs achats, faisant d’eux le premier exportateur mondial de GNL (5) ; elles ont de surcroît dû accepter que ce gaz leur soit vendu à des prix nettement supérieurs à ceux du marché intérieur américain, et de ce fait ont dû affronter la concurrence de leurs homologues en payant leur énergie trois fois plus cher. Compte tenu de l’absurde politique énergétique menée précédemment par l’UE sur la pression de l’Allemagne, reposant sur un mix gaz/ENR (6) excluant le nucléaire, ce bouleversement du mode d’approvisionnement en énergie a contribué fortement à aviver les tensions inflationnistes et dégrader la croissance en Europe. Par ailleurs, les Etats européens ont engagé une politique de réarmement mais la plupart d’entre eux ont préféré acheter du matériel américain plutôt qu’européen (et particulièrement français). Au total, les décisions prises par l’UE et ses membres ont pesé négativement sur les entreprises européennes et positivement sur les entreprises américaines.

    Les différences entre les politiques climatiques menées des deux côtés de l’Atlantique sont également frappantes. Alors que les USA cherchent à favoriser les technologies nouvelles susceptibles de contribuer à terme à la décarbonation de l’économie, l’Europe préfère agir en imposant des interdictions ou contraintes d’usage réduisant le recours aux énergies carbonées. Elle en détermine le calendrier d’application sans se préoccuper de savoir si elle dispose en interne des technologies alternatives, ce qui fait dire à certains (7) que les grands plans européens pourraient s’appeler Buy China Act. Elle pousse le paradoxe jusqu’à présenter son « excellence normative » comme un instrument de soft power. La comparaison entre les grands plans gouvernementaux (IRA (8) et Chips Act (9) aux Etats-Unis, Fit for 55, Green Deal et Net Zero Industry Act (10) en Europe) est éclairante. Les premiers sont décidés rapidement par une administration réactive alors que les seconds ne voient le jour qu’après un délai de prise de conscience, de fastidieuses concertations avec les groupes de pression et la « société civile » et enfin de longues procédures entre les Etats et les instances communautaires du Trilogue. Les dispositifs américains privilégient des aides financières rapides à mobiliser, en particulier les crédits d’impôt, alors que les européens préfèrent l’octroi de subventions qui nécessitent un long processus bureaucratique, l’accord de nombreuses instances puis la mise à disposition de fonds budgétaires dont on connaît la rigidité des procédures. La pression mise en Europe par les pouvoirs publics surprend compte tenu de ce que l’UE n’est à l’origine que de 6,7 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (11) (les USA de 11,2 %) et les diminue d’environ 1,5 % en moyenne par an (les USA de 0,4 %) (12).

    Le « découplage » économique entre les Etats-Unis et l’Europe est donc important. Est-il possible qu’à l’avenir l’écart se stabilise, voire se réduise ? La prospérité des USA recèle une fragilité bien connue : le déficit public. Mais cette fragilité n’est pas propre aux Américains. La planète entière, et particulièrement l’Europe, n’a fait face aux crises économiques récentes qu’en s’endettant massivement, grâce à la politique de quantitative easing menée par les banques centrales, la FED américaine comme la BCE européenne. Surtout, si la dette américaine est plus importante que celle de la zone euro (123 % du PIB contre 90 %) (13), le Trésor américain n’a aucune difficulté à se financer sur les marchés mondiaux parce que le dollar reste la seule monnaie de réserve mondiale ; le mouvement de « dédollarisation » est encore limité et ne profite pas à l’Euro, dont la part dans les réserves des banques centrales varie peu, mais à l’or, dont les banques centrales sont acheteuses nettes depuis 2010.

    Les menaces les plus importantes pèsent autant sur l’Europe que sur les Etats-Unis. Les montagnes de dettes qui conditionnent la prospérité économique de la planète peuvent à tout moment transformer la défaillance d’un acteur économique mineur en crise systémique mondiale. Rien ne garantit qu’on parviendra à maîtriser les conflits en cours, aujourd’hui en Ukraine ou au Moyen Orient, peut-être demain en Asie, susceptibles de s’étendre et de dégénérer, mettant en péril l’économie mondiale. La façon dont les pays gèrent le changement climatique relève davantage de l’affichage à court terme que de la volonté d’affronter réellement les défis à relever.

    Cependant se pose pour les Etats-Unis une question spécifique : leur futur président sera-t-il en mesure de gérer les crises déjà ouvertes et les nouvelles qui surviendront ? Pourra-t-il sauvegarder les conditions de la prospérité économique actuelle des Etats-Unis ? L’on ne peut qu’être inquiets, compte tenu de l’âge et de la personnalité des candidats probables.

    Jean-Philippe Duranthon (Geopragma, 19 février 2024)

     

    Notes :

    1. En rythme annualisé la croissance américaine a été de 3,3 % au dernier trimestre 2023 et la croissance européenne nulle. Le Royaume-Uni est officiellement entré en récession, l’Allemagne ne l’a évitée que de justesse.

    2. Source : FMI reprise dans https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_pays_par_PIB_nominal

    3. Le terme a plusieurs acceptions. On l’utilise ici pour illustrer le fait que les deux membres du « couple » formé par l’Europe et les Etats-Unis ont des évolutions économiques très différentes, voire divergentes.

    4. Appellation ironique, utilisant le titre originel du film Les sept mercenaires pour parler des Alphabet, Amazon, Apple, Meta, Microsoft, Nvidia et Tesla, qui tirent la croissance aux USA.

    5. Gaz naturel liquéfié.

    6. Energies renouvelables.

    7. Christian Saint-Etienne et Philippe Villin : https://www.lefigaro.fr/vox/economie/les-agriculteurs-sont-les-lanceurs-d-alerte-sur-le-declin-auto-impose-de-l-europe-20240204

    8. Inflation Reduction Act. Voir mon billet du 5 février 2023 : https://geopragma.fr/ce-que-lira-nous-dit/

    9. Crédit d’impôt en cas d’implantation aux USA d’usines de semi-conducteurs.

    10. Procédures accélérées pour l’octroi de subventions intéressant les technologies vertes produites en Europe.

    11. La France 0,8 %.

    12. https://www.touteleurope.eu/environnement/union-europeenne-chine-etats-unis-qui-emet-le-plus-de-gaz-a- effet-de-serre/

    13. Mais 112 % pour la France.

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  • Années décisives...

    Les éditions de la Nouvelle Librairie viennent de rééditer un essai d'Oswald Spengler intitulé Années décisives - L'Allemagne et le développement historique du monde, avec une préface d'Alain de Benoist.

    Figure essentielle de la Révolution conservatrice allemande, historien et philosophe, Oswald Spengler est, en particulier, l'auteur du Déclin de l'Occident, fresque historico-philosophique, qui a eu un très fort retentissement en Europe lors de sa publication au début des années 20.

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    " Publié en Allemagne en 1933, traduit en France dès l’année suivante, l’essai d’Oswald Spengler connut un retentissement considérable. Non seulement son auteur y faisait, avec son habituel sens de la synthèse, un vaste panorama des événements qui s’annonçaient dans le monde, mais il exprimait aussi, en termes à peine voilés, son opposition au nazisme naissant.

    Ce texte, rare et épuisé, méritait d’être réédité. Rédigé la veille des tempêtes titanesques qui déferlèrent sur l’Europe, il conserve une singulière actualité, alors que la guerre fait de nouveau rage à nos frontières et que notre civilisation est menacée dans ses fondements. Sans nul doute, ces Années décisives sont aussi les nôtres, tant les parallèles sont troublants. Sur la décadence de l’État, la prédominance des facteurs économiques, la naissance des « nationalismes démocratiques », le déferlement de l’égalitarisme, l’évolution de l’Église, le socialisme « en tant que capitalisme d’en bas », le développement du grand capital financier, la décolonisation et la montée des « peuples de couleur », Oswald Spengler exprime des vues constamment prophétiques. Il faut voir dans les Années décisives un avertissement fondamental. "

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  • Le régiment Azov, un nationalisme en guerre...

    Les éditions du Cerf viennent de publier une étude d'Adrien Nonjon intitulée Le régiment Azov - Un nationalisme ukrainien en guerre.

    Chercheur associé à la George Washington University, enseignant à l'Inalco et à la Sorbonne, Adrien Nonjon est doctorant en histoire au Centre de recherche Europes-Eurasie (CREE) et spécialiste des mouvements, cultures et idéologies d'extrême droite en Europe centrale et orientale.

     

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    " 24 février 2022. Poutine envahit l’Ukraine. Son prétexte ? «Dénazifier» le pays. Et dans la ligne de mire du Kremlin : le régiment Azov et ses racines idéologiques. Contre toutes les propagandes, voici l’indispensable étude critique du bataillon controversé et de son histoire.
    Initialement désignée par la Russie comme une organisation terroriste néo-nazie devant être éradiquée, l’unité est devenue le symbole de la résistance farouche des Ukrainiens en défendant pendant plus de trois mois la ville de Marioupol et son usine Azovstal. En dépit d’une réputation de bravoure sur le champ de bataille, le régiment Azov demeure pourtant une entité complexe. Et la politique n’est pas loin.
    Par-delà les polémiques, Adrien Nonjon explore l’itinéraire du régiment depuis sa fondation au lendemain de la révolution de Maïdan, en 2014, et jusqu’à nos jours. Son implication dans les tranchées du Donbass répond-elle à une logique idéologique ? Au désir partagé de défendre le sol ukrainien ? Et quel sera le rôle d’Azov dans la reconstruction à venir ?
    Adrien Nonjon enquête et fait la lumière sur un dossier sensible au cœur de la guerre qui aura déchiré l’Europe. "

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