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  • Sortir de l'Euro ?...

     Vous pouvez découvrir ci_dessous un point de vue de l'économiste hétérodoxe Jacques Sapir, cueilli sur son site RussEurope et consacré à la question d'une sortie de l'Euro. Un débat essentiel à la veille des élections européennes...

     

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    Sortir de l'Euro

    Les élections européennes vont être l’occasion de faire le point sur le sentiment des peuples face à la construction de l’Union Européenne. On sait que cette opinion s’est fortement dégradée depuis 2009, ce que montrent nombre de sondages. Le problème est particulièrement aiguë en France où, pour la première fois, le nombre d’opinions défavorables à l’Union Européenne est majoritaire.

    Il convient tout d’abord de rappeler que l’Union Européenne n’est pas l’Europe, quoi qu’elle puisse le prétendre. L’Europe est une réalité géographique, une réalité politique – même et y compris dans ses conflits – et, bien entendu, elle est une réalité culturelle. Cette réalité a existé bien avant que ne naissent les premiers projets d’union ou de fédération.

    L’Union européenne n’est pas l’Europe…

    L’Europe a existé, culturellement et d’une certaine manière politiquement, bien avant la Communauté Économique Européenne (ce que l’on appelait le « Marché Commun » et qui est l’ancêtre de l’UE) et bien entendu avant l’UE. L’UE a institutionnalisé des mécanismes de coopération, mais elle a aussi figé les relations entre les pays Européens qui en faisaient par et a déstabilisé largement ceux qui étaient à sa périphérie. L’UE, et la CEE avant elle, n’ont pas été des « forces de paix » à l’échelle du continent européen. Le prétendre, c’et oublier le rôle fondamental de la dissuasion nucléaire, assurée par des Etats (le couple URSS-Etats-Unis puis la Grande-Bretagne et la France). La dissuasion nucléaire, en rendant impossible une guerre majeure en Europe, et ceci en particulier dès que la dissuasion française est devenue effective (milieu des années 1960) a joué un rôle bien plus décisif que la CEE et l’UE dans le maintien de la paix. C’est à ce moment là que la réflexion militaire en Union soviétique commence à argumenter que toute guerre majeure débouchera sur une guerre nucléaire et  que l’on ne peut pas gagner une guerre nucléaire[1]. De ce point de vue, la contribution de la CEE et de l’UE au maintien de la paix en Europe est plus que discutable. L’UE a été une cause de conflit, en précipitant hier la désintégration de l’ex-Yougoslavie et la guerre civile qui en a résulté. Il faut se souvenir que la cause essentielle de cette désintégration fut l’attraction de l’UE sur la Slovénie et la Croatie. La mise ne place d’un plan de stabilisation, dont les effets étaient perçus de manière inégale entre les Républiques de la Yougoslavie, a attisé l’opposition entre la Croatie et la Serbie. Mais, c’est bien la perspective d’une adhésion rapide à l’UE qui a convaincu les dirigeants slovènes et croates de faire sécession. Le même phénomène est aujourd’hui à l’œuvre en Ukraine.

    Enfin, la politique économique menée par l’UE depuis 2009 (et même depuis en réalité 2000 dans la zone Euro) est la cause de la faible croissance européenne et de la montée astronomique du chômage en Grèce (plus de 28%) en Espagne, au Portugal, mais aussi en Italie et en France. Loin de protéger les populations, l’UE s’est trop ouverte et elle a favorisé la contagion de la crise financière de 2007-2008[2]. On peut comprendre, dans ces conditions, le ressentiment que de nombreux électeurs éprouvent, qu’il s’agisse de l’UE ou plus précisément de la zone Euro qui est elle directement en cause dans la stagnation économique et la crise que connaissent certains pays. C’est l’une des raisons du mécontentement anti-européen qui monte aujourd’hui dans divers pays. C’est pourquoi, les élections européennes de mai 2014 porteront entre autres sur la question de l’Euro. Cette question est en réalité posée depuis le début des années 2000[3], mais il est vrai qu’elle n’a pris la dimension d’un problème central que depuis la crise de la Grèce fin 2009[4].

    Les avantages d’une dissolution de l’Euro

    Une sortie de l’Euro, qu’elle résulte d’une dissolution coordonnée de la zone Euro ou d’une sortie « sèche », aurait de nombreux avantages pour les pays de l’Europe du Sud et en particulier pour la France. On a tenté d’en mesurer les effets dans un ouvrage publié en septembre 2013[5].

    Tout d’abord, à travers une dépréciation du Franc retrouvé qui pourrait être de 20% à 30% (et tout concourt à penser qu’en réalité on sera autour de 20%) cela reconstituerait immédiatement la compétitivité des entreprises françaises, tant à l’export que sur le marché intérieur français. C’est le « choc de compétitivité » dont l’économie française et l’industrie en particulier ont besoin. Par rapport à cela le fameux « pacte de responsabilité » du gouvernement ne représente qu’une pichenette. Notons ici qu’une dévaluation de l’Euro, telle qu’elle est défendue par le Ministre de l’Économie M. Arnault Montebourg, n’aurait que des effets bien plus réduit. Elle ne jouerait que par rapport aux pays de la zone Dollar. C’est certes important, et le Ministère des Finances a calculé qu’une dépréciation de 10% entraînerait un gain de 1,2% à 1,8% de croissance du PIB. Ceci valide d’ailleurs les hypothèses de calcul qui ont été utilisées dans l’ouvrage paru en septembre[6]. Notons aussi que ces calculs donnent tort à tous ceux, et ils sont nombreux, qui prétendent que aujourd’hui la compétitivité n’est plus mesurée par le coût du produit.

    Mais la France ne fait qu’environ 50% de son commerce international avec la zone Dollar. Le reste se fait avec la zone Euro, et concerne pour l’essentiel nos échanges avec l’Allemagne, mais aussi avec l’Italie et l’Espagne. C’est bien pourquoi une sortie de l’Euro serait bien plus avantageuse qu’une simple dépréciation de l’Euro. Les calculs qui ont été réalisés avec P. Murer et C. Durand montrent que dans une telle hypothèse, et en admettant que la dépréciation de la monnaie italienne et de la monnaie espagnole soit plus importante que celle du Franc, autrement dit en adoptant une hypothèse de dévaluations compétitives des divers autres pays de l’Europe du Sud, cela donnerait un coup de fouet impressionnant à l’économie française, entraînant une croissance – toute chose étant égale par ailleurs – de 15% à 22% sur une durée de 4 ans. Il faut ici signaler que non seulement l’industrie serait la grande bénéficiaire de cette dépréciation, mais que son effet bénéfique se ferait aussi sentir dans les services, soit dans les services associés à l’industrie soit dans des branches qui sont très sensibles à des mouvements de taux de change, comme le tourisme, l’hôtellerie et la restauration.

    Un deuxième avantage induit serait une forte réduction du poids de la dette, sous l’effet des recettes fiscales engendrées par cette croissance. Il deviendrait possible d’alléger le fardeau de la fiscalité pesant sur les ménages et sur les entreprises. Dans les quatre années suivant la décision de sortir de l’Euro, nous verrions le poids de la dette publique passer de 93% du PIB à 80%-66% suivant les hypothèses. C’est bien plus que ce que l’on pourra jamais réaliser en restant dans l’Euro.

    Un troisième avantage, et de mon point de vue c’est le plus important, serait de faire reculer massivement le chômage, et de créer en grande quantités des emplois dans l’industrie. Ici encore, nous avons estimé – sur la base des demandeurs d’emploi de catégorie A – que l’on aurait une création nette d’emploi de 1,5 à 2,2 millions en trois ans. Rapporté aux autres catégories utilisées par la DARES, le gain devrait être encore plus important car la croissance permettrait de pérenniser nombre d’emplois précaires. Si l’on considère le total des catégories A, B et D, le gain pourrait se monter de 2,5 millions à 3 millions d’emplois. Notons qu’un tel retour massif à une situation de plein emploi améliorerait immédiatement le financement des caisses d’assurance-chômage, mais aussi celles de l’assurance-vieillesse.

    Les inconvénients potentiels d’une sortie de l’Euro

    Une sortie de l’Euro et une forte dépréciation de la monnaie (le Franc) auraient aussi des inconvénients, qu’il ne faut cependant pas s’exagérer.

    Tout d’abord, il y aurait une hausse des produits importés quand ils proviennent de pays par rapport auxquels le Franc se serait déprécié (Allemagne, pays de la zone Dollar). C’est d’ailleurs le but de toute dépréciation de la monnaie. Mais, cet inconvénient est fortement surestimé par des politiciens sans scrupules qui ne cherchent qu’à affoler la population pour défendre l’Euro. Ainsi, dans le cas des carburants, compte tenu du poids immense des taxes, une dépréciation de 20% du taux de change du Franc par rapport au taux actuel de l’Euro face au Dollar, ne provoquerait qu’une hausse de 6% du prix à la pompe. On voit que ceci est très raisonnable.

    Il y a ensuite la dimension financière des conséquences d’une telle dépréciation. Regardons tout d’abord ce qu’il en est en ce qui concerne la dette publique. On sait que les Obligations émises par le Trésor public, quand elles sont émises depuis le territoire français, doivent être remboursées dans la monnaie ayant cours légal en France. C’est la seule obligation légale les concernant. Si cette monnaie n’est plus l’Euro mais le Franc, elles seront remboursées en Franc. Et, si le Franc s’est déprécié vis à vis de l’Euro les détenteurs étrangers d’obligations françaises prendront leurs pertes, tout comme un détenteur français de bonds du Trésor américain prend ses pertes quand le Dollar se déprécie fortement face à l’Euro. Cependant, il est clair que cela provoquera par la suite une hausse des taux d’intérêts (ce que l’on appelle dans le jargon financier une « prime de risque ») pour toute nouvelle émission. Mais, on peut parfaitement contourner ce problème. Il faudra réintroduire le mécanisme qui existait jusqu’au début des années 1980, et qui obligeait les banques françaises (ou toute banque souhaitant travailler en France) à avoir dans leur bilan un certain montant d’obligations du Trésor (mécanisme du plancher obligatoire des effets publics).

    Pour les dettes mais aussi l’épargne des particuliers et des entreprises, comme cette épargne et ces dettes sont essentiellement détenues dans des banques françaises, il n’y aurait pas de changement. Il est ainsi criminel, comme le font certains politiciens tant de l’UMP que du PS, d’aller affirmer – en cherchant à affoler une nouvelle fois la population – qu’une dépréciation de 20% du Franc se traduirait par une perte de 20% de l’épargne. En réalité, et tous les économistes le savent, il n’y a de perte de valeur que dans la mesure où l’on achète, avec son épargne, des biens provenant de pays par rapport à la monnaie desquels le Franc s’est déprécié. Pour les achats réalisés en France, ou de produits (et de services) français, ce qui représente plus de 60% des transactions en volume, il n’y aurait aucun changement. De plus, certains pays ayant une monnaie se dépréciant plus que le Franc (l’Italie, l’Espagne, le Portugal et la Grèce), l’épargne française verrait son pouvoir d’achat se réévaluer pour des opérations dans ces pays.

    Le seul véritable inconvénient est une poussée d’inflation qui se fera sentir dans les 24 mois succédant à cette sortie de l’Euro et cette dépréciation du Franc. L’inflation induite par la dépréciation du France devrait être de 5% la première année et de 3% la seconde. Il faudra, pour y faire face, rétablir très probablement des mécanismes d’indexation des salaires et des pensions. Néanmoins, toute hausse de l’inflation, aura aussi pour effet de faire baisser mécaniquement les taux d’intérêts réels (par la différence entre le taux nominal et le taux d’inflation). Ceci pourrait avoir un effet très positif sur l’investissement des ménages et des entreprises. De plus, l’inflation efface mécaniquement une partie de la dette accumulée. Aussi, même la perspective de connaître à nouveau une période de relative inflation ne doit pas être vue comme uniquement un inconvénient, mais bien comme quelque chose qui pourrait être utile pour l’économie.

    Il faut enfin ajouter que, bien entendu, des réformes sont nécessaires en France. Mais, tous les pays qui ont fait des réformes de profondeur l’ont fait APRÈS une forte dépréciation de la monnaie. Sortir de l’Euro, laisser le Franc se déprécier, cela peut être un premier pas décisif sur la voie des réformes.

    Le risque politique d’une sortie de l’Euro

    Le risque politique n’est pas à négliger, mais il convient de dire que le risque d’une séparation est d’autant plus facile à envisager qu’il est anticipé. C’est le paradoxe central d’une dissolution de la zone Euro. Personne ne veut, au niveau des gouvernements, l’envisager ouvertement. Pourtant, cette attitude est profondément autodestructrice. En effet, si cette dissolution pouvait se faire de manière coordonnée, le choc serait minime. Mais, le refus actuel des gouvernements à envisager cette solution ne laisse plus comme solution qu’une sortie de l’Euro par un ou deux pays (l’Italie et la France) entraînant à sa suite une désintégration générale de l’Euro qui pourrait prendre entre 6 mois et un an. Dans ces conditions, il est clair que les pays qui souffriront le plus seront ceux qui sortiront de l’Euro les derniers. Dans une telle situation, il y a en effet une prime au « premier sorti », qui bénéficie à plein de l’effet de dépréciation de sa monnaie. C’est d’ailleurs pour cette raison que dès qu’un pays important aura quitté l’Euro le mouvement de sortie deviendra rapidement irréversible. S’il s’agit de la France, l’Italie se verra obligé de nous imiter en quelques semaines. La sortie de la 2ème et de la 3ème économie de la zone Euro entraînera celle de l’Espagne (4èmeéconomie), et en chapelet le Portugal, la Grèce, mais aussi la Belgique et les Pays-bas. Si l’Italie sort la première, la pression sur l’économie française deviendra telle que nous devrons nous aussi sortir dans les trois mois qui suivent. Quelle que soit l’origine, la chaîne des sorties successives sera activée et deviendra une réalité en moins de douze mois.

    La dissolution de la Zone Euro, ou des sorties de certains pays, ont bien été étudiées dans de nombreux pays : Allemagne, France, Italie, Espagne et Pays-Bas. Dans les études officielles, que ce soit celles qui ont été réalisées par les Banques Centrales, ou par les Ministères des Finances, et dont j’ai pu avoir connaissance, le bilan d’une telle sortie est globalement positif. Il est même très positif pour la France et l’Italie, et c’est ce qui inquiète les partisans d’une défense absolue de l’Euro. Toutes ces études mettent en avant le caractère positif d’une dépréciation du taux de change. L’obstacle se situe donc au niveau politique. Des études « privées » ont aussi été réalisées, et mon centre de recherches y a contribué[7]. Certaines de ces études ont été faites dans le but de discréditer une sortie de l’euro, et elles font état de résultats aberrants. Ainsi, l’Institut Montaigne envisage une chute importante du PIB sans donner d’indication sur le pourquoi ni le comment du calcul. Cela jette un grand doute sur certaines de ces études. On peut penser que les chercheurs supposent un effondrement du commerce à l’intérieur de la zone Euro. Mais, le retour aux monnaies nationales – qui est d’ailleurs largement anticipé dans nombre de banques et d’entreprises – ne compromettra nullement ce commerce, tout comme le passage à la monnaie unique n’a pas produit le surcroît de commerce et de croissance que certains prédisaient.

    En ce qui concerne la fraction de la dette publique détenue par des « non-résidents », toutes les personnes interrogées, qu’elles appartiennent à des administrations ou à des banques privées, reconnaissent que le principe de la « Lex Monetae », soit le fait que la dette d’un pays, si elle émise dans ce pays doit être remboursée dans la monnaie du pays, que cette monnaie s’appelle l’Euro ou un autre nom (Franc, Lire Italienne, Pesetas espagnole…) s’appliquera. Il n’y aura pas d’espace pour des procès en droit international.

    Reste alors un argument souvent évoqué : quel serait le poids d’un pays comme la France dans la « mondialisation » si nous sortions de l’Euro. Mais, cette mondialisation n’empêche pas la Corée du Sud (44 millions d’habitants) ou même Taiwan, de bien fonctionner. En Europe, la Suède et la Grande-Bretagne ne se portent pas plus mal de n’être pas dans la zone Euro. En fait, ceux qui tiennent ce discours sont les héritiers indirects du régime de Vichy, en ceci qu’ils ne font pas confiance en notre pays, en ses valeurs et en ses capacités. Il faut avoir confiance dans les points forts de la France, qui sont nombreux. Il est de plus important de préserver notre modèle social, qui fait désormais partie de notre culture politique ce que reconnaît le préambule de notre Constitution ce que l’on a trop tendance à oublier. De ce point de vue, la pratique du Conseil Constitutionnel a été honteuse dans l’accommodation à des règles étrangères.

    Dire cela ce n’est nullement refuser de coopérer avec les autres pays d’Europe. Dire cela ce n’est nullement refuser de coopérer avec des pays européens qui ne font pas partie de l’UE comme la Russie qui est à la fois en Europe et en Asie. Dire cela, ce n’est nullement refuser de coopérer avec les pays d’Afrique. Aujourd’hui, l’Union Européenne fait obstacle à une vision plus large de nos coopérations. Où est l’UE quand la France s’engage au Mali ? Par contre, la Russie est à nos côtés, et ce sont des avions russes qui assurent une bonne part de la logistique de nos opérations extérieures. Il faut en tirer les leçons, aussi déplaisantes qu’elles puissent être pour certains.

    La posture de l’État-Nation est, par ailleurs, et il faut le rappeler sans cesse et sans faiblir, la seule à garantir la démocratie, car il ne saurait y avoir de démocratie sans souveraineté ni légitimité. Ici encore, qu’il s’agisse de raisons conjoncturelles, et ce sont des raisons importantes, ou de raisons de principe, il est clair que la France doit s’attacher à retrouver sa souveraineté.

    De la solidarité entre les pays européens

    C’est un véritable problème, mais il est très mal posé. Tout d’abord reconnaissons qu’avec une budget de l’UE égal à 1,26% du PIB, et dont une large partie est dévorée par la bureaucratie bruxelloise, cette solidarité ne peut être financière. On l’a vu avec le cas de la Grèce et de l’Espagne. L’aide n’a pas été fournie aux populations, mais aux créditeurs des banques et de l’État, soit avant tout aux banques françaises et allemandes. Il faut dire et redire ici que l’on a fait payer aux populations de ces deux pays le soutien à nos banques. Ni plus ni moins.

    De plus, sans doute exige-t-on trop de la solidarité de peuples qui ne se connaissent que peu et mal. La solution du fédéralisme intégral doit être rejetée en raison de la charge financière qu’un tel fédéralisme ferait porter sur certains pays, comme l’Allemagne en particulier. Il n’est pas réaliste de penser que les Allemands pourraient contribuer à hauteur de 8% à 12% de leur PIB pendant plusieurs années aux budgets des pays du Sud de l’Europe. Cette solidarité doit donc être déplacée sur le terrain du politique et doit pouvoir s’incarner dans des projets, tant industriels que scientifiques, menés dans des cadres bi ou multilatéraux. Tel fut, il faut s’en souvenir, l’origine d’Airbus et d’Ariane.

    L’Euro est condamné

    Aujourd’hui, nous avons la possibilité de dire que la monnaie unique est condamnée, tant pour des raisons conjoncturelles (le poids de l’austérité qu’elle impose aux peuples du Sud de l’Europe) que pour des raisons principielles. Ce fut folie que de faire la monnaie unique sans réaliser au préalable l’Europe sociale et fiscale. Ce fut folie en effet que de faire une monnaie unique entre des pays dont les structures, tant économiques que sociales et démographiques étaient aussi différentes et divergentes. Ce fut folie que de faire une monnaie unique entre des pays qui, en conséquence, avaient des taux de gains de productivité très différents et des inflations structurelles (ainsi qu’un rapport entre l’inflation et la croissance) aussi différent. L’Euro a été réalisé pour des raisons politiques. On a cru qu’en imposant un premier élément d’Europe fédérale, alors que les populations en refusaient le principe, on arriverait, par petits  bouts, à construire subrepticement cette Europe fédérale. On a vu le désastre auquel cette politique du fédéralisme furtif a conduit. Les dirigeants, et M. Jacques Delors en premier, ont cru que l’économie se plierait à la politique. Mais, les faits sont tétus. Quand on les méprise, ils se vengent. La divergence macroéconomique entre les pays de la zone Euro était évidente dès 2006. J’avais tiré la sonnette d’alarme à cette époque[8]. Elle est devenue insupportable avec la crise financière et ses conséquences. Avant que la crise de l’Euro n’emporte tout, il serait plus sage de dissoudre l’Euro et de commencer à voir entre quels pays il serait possible d’organiser une convergence tant sociale que fiscale, qui pourrait permettre de reconstruire, dans un délai qui reste à préciser, un instrument monétaire commun.

    On nos dira alors qu’il faut « changer l’Europe ». Vieille antienne devenue une véritable scie. Mais, c’est un discours que l’on tient depuis plus de vingt ans et qui n’a aucun effet, pour des raisons qui sont d’ailleurs simples à expliquer. Pour changer l’Union Européenne, il faudrait que les 27 autres pays se convertissent à nos valeurs, et à notre situation. Tache impossible et même tache malsaine, car la différence peut être source d’enrichissement. Mais alors, il faut trouver des solutions permettant à ces différences de s’exprimer sans que nous ayons à en payer les frais. Cela impose des changements institutionnels substantiels. Ce n’est pas « changer l’Europe » qu’il faut, mais bien « Changer d’Europe », et pour cela ne pas hésiter à détruire ce qui est un obstacle, comme l’Euro. Tel est le point capital qui doit guider notre vote lors de ces élections européennes.

    Jacques Sapir (RussEurope, 14 avril 2014)

     
    [1] Les Voroshilov Lectures le confirment, à partir de 1971-72.
    [2] Sapir J., « From Financial Crisis to Turning Point. How the US ‘Subprime Crisis’ turned into a worldwide One and Will Change the World Economy » in Internationale Politik und Gesellschaft, n°1/2009, pp. 27-44.
    [3] Sapir J., « La Crise de l’Euro : erreurs et impasses de l’Européisme » in Perspectives Républicaines, n°2, Juin 2006, pp. 69-84.
    [4] Sapir J., « Is the Eurozone doomed to fail », pp. 23-27, in Making Sense of Europe’s Turmoil, CSE, Bruxelles, 2012.
    [5] Sapir J., Les scénarii de dissolution de l’Euro, (avec P. Murer et C. Durand) Fondation ResPublica, Paris, septembre 2013.
    [6] Sapir J., Les scénarii de dissolution de l’Euro, (avec P. Murer et C. Durand), op.cit..
    [7] Voir Sapir J., Les scénarii de dissolution de l’Euro, (avec P. Murer et C. Durand), op.cit..
    [8] Voir mon article « La Crise de l’Euro : erreurs et impasses de l’Européisme » in Perspectives Républicaines, n°2, Juin 2006, pp. 69-84.
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  • Re(ma)niements...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un point de vue de Jacques Sapir, cueilli sur son site RussEurope et consacré aux objectifs visés par François Hollande à l'occasion de la constitution du nouveau gouvernement...

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    Re(ma)niements

    Le « nouveau » gouvernement, issu du remaniement ministériel annoncé ce mercredi 2 avril, pose un problème du rapport de la forme et du fond. Que ce problème soit à ce point évident que nombre de commentateurs l’évoquent est un symptôme de la crise de démocratie que nous connaissons aujourd’hui.

     

    Ce gouvernement a une apparence…

     

    Dans la forme, ce gouvernement pourrait laisser espérer un changement de politique. Certes, il y a une (grosse) dimension de jeu des chaises musicales, avec seulement deux entrants. Certes, il y a eu beaucoup de dosage et un gros souci de préserver les équilibres internes au Parti Socialiste et l’on comprend que, derrière les coups de menton et les déclarations tonitruantes, le gouvernement de Manuel Valls est en réalité plus proche de la IVème République que de la Vème. Il n’en reste pas moins que, sur le papier, ce gouvernement est intéressant. Après tout, la dimension de volontarisme politique et économique est bien mise en évidence par la présence non seulement d’Arnaud Montebourg à un porte-feuille renforcé, la promotion de Benoît Hamon, mais aussi la présence de Mme Ségolène Royal. On peut aussi remarquer que le Premier ministre avait en son temps longuement hésité à approuver le projet de Traité Constitutionnel, et n’avait voté « oui » au référendum de 2005 que par « discipline de Parti ». Son ministre des Affaires Étrangères, M. Laurent Fabius avait quant à lui voté « Non », ainsi qu’Arnaud Montebourg et Benoît Hamon. Il est donc vrai que, sur le papier, on peut considérer que ce gouvernement est bien préparé à la négociation.

     

    C’est même pourquoi il a donc été constitué. On va donc (et l’on a commencé dès mercredi 2 avril) à nous « vendre » ce gouvernement comme un gouvernement de combat par rapport à Bruxelles qui, soit dit en passant avec le départ de Pierre Moscovici, devient de plus en plus un dépotoir pour Ministres remerciés… Il faudrait donc inventer un néologisme, ne plus dire « limoger» [1] mais « bruxelliser ». C’est l’un des paradoxes actuels de la politique française qui veut que plus on est soumis aux différentes décisions de l’Union Européenne plus ces institutions ne servent qu’à recaser les bras cassés. Chacun appréciera, à sa façon, ces pratiques.

     

    D’ailleurs, le Ministre des Finances, dont le portefeuille est désormais séparé de celui de l’Économie, M. Michel Sapin, a tout de suite affirmé qu’il irait « négocier » le rythme de retour aux grands équilibres avec la Commission. Mais, en réalité, on voit bien qu’après quelques joutes verbales relevant plus de la posture que du fond, après l’obtention de quelques miettes tout au plus, le gouvernement s’inclinera. D’ailleurs, Bruxelles peut agiter d’autres dossiers, et ne manquera pas de la faire : qu’il s’agisse du statut de la RATP et de la SNCF ou de ce que l’on prétend être des « subventions indues » de la Poste… S’il était question de réellement négocier avec Bruxelles, ce gouvernement, et le Président, commencerait par construire un rapport de force, par exemple en indiquant ce qui se passerait si la France n’obtenait pas satisfaction.

     

    Mais il a une réalité…

     

    En fait, derrière les mots il y a une réalité : ce gouvernement n’est là que pour la mise en scène, le spectacle. Il va s’agiter (faisons confiance pour cela à Manuel Valls) tandis que va se mettre en place un « pacte de responsabilité » qui se traduira par un démantèlement un peu plus poussé de la sécurité sociale pour des avantages tout à fait marginaux pour les entreprises. On parlera beaucoup du nouveau « pacte de solidarité » évoqué par le Président de la République dans son allocution du lundi 31 mars. Mais, compte tenu de l’ampleur des économies que l’on se propose de faire, pas moins de 50 milliards d’euros, on peut franchement douter qu’il soit autre chose qu’un leurre. Et, dans la réalité, c’est bien de cela qu’il s’agit. Il faut leurrer les Français, pour les élections européennes et même après, leur faire prendre les vessies de la politique austéritaire pour les lanternes d’une politique de lutte contre le chômage qu’ils ont pourtant appelé de leurs vœux en votant, et même en ne votant pas, aux élections municipales.

     

    Ce gouvernement va donc chercher à nous faire croire qu’il est critique par rapport à l’Europe, voire qu’il serait peut-être même eurosceptique. Balivernes ! La vérité est que le Président est incapable de penser en termes d’un rapport de force. Nous le savons depuis l’élection de 2012. S’il avait voulu, comme il le prétendait à l’époque « renégocier » ce qui devint le TSCG, ce que l’on appelle le Pacte Budgétaire Européen ou le Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance, il aurait procédé à un référendum et se serait appuyé sur son résultat pour négocier. Mais, c’était prendre le risque d’une rupture européenne, ce dont il ne voulait, et ne veut encore, à aucun prix. Il a donc su se présenter à Bruxelles en position de faiblesse, la tête sur le billot, et n’a obtenu qu’un ridicule codicille dont nous pouvons mesurer depuis 18 mois toute l’inanité. Bien entendu, il arrive que la France obtienne sur des points mineurs quelques satisfactions. Mais, elles sont rapidement vidées de leur sens par des mesures européennes ultérieures.

     

    L’enjeu démocratique.

     

    C’est là que gît le problème politique. Non pas tant dans le sens donné à la politique du pays, même si cette politique est suicidaire, même si la seule solution – et chaque jour des voix nouvelles le reconnaissent et la réclament [2] – serait une sortie de l’Euro. Ce point a déjà été largement développé sur ce carnet, et dans un livre datant de 2012 [3]. Le point est essentiel, et une sortie de l’Euro est la condition nécessaire tant pour une relance immédiate de l’économie française que pour un changement d’orientation bien plus général, mais ce n’est pas ici celui qui nous occupe. Le problème politique vient de ce qu’un Président choisisse consciemment d’avancer masqué sur un point absolument essentiel de la politique du pays, et qu’il se soit trouvé 8 femmes et 8 hommes, dans ce gouvernement, pour être connivents de cette pratique. Que François Hollande soit intimement persuadé que les mérites supposés et potentiels de l’Euro l’emportent sur ses inconvénients bien réels est son droit. Qu’il pense que pour sauver l’Euro il faut infliger à la France, et aux pays de l’Europe du Sud une dramatique austérité qui brise leur économie et qui condamne des millions de personnes au chômage et à la misère est son droit. Qu’il pense qu’une structure technocratique, la Commission européenne, est plus à même de décider des orientations économiques que le Parlement français est son droit. Mais, son honneur d’homme politique voudrait qu’il défende ses orientations en pleine lumière. Au-delà de la question d’honneur personnel, il y a un principe intangible de la démocratie. Celle-ci suppose que, de manière récurrente, il soit procédé à des vérifications par l’intermédiaire d’un vote. Ce vote ne porte pas sur des personnes, mais sur des politiques, même si ces dernières s’incarnent, bien entendu, dans des femmes et des hommes, à la condition qu’ils prennent et assument leurs responsabilités. Or, rien de tout cela n’est mis en place. Avec un gouvernement-leurre, on cherche sciemment à tromper les Français, et ce faisant on brise le cadre même de la démocratie.

     

    Tel est le reproche que l’on doit faire au Président de la République, et à son Premier Ministre. Qu’ils ne soient, ni l’un ni l’autre des hommes de gauche n’est pas en question. Ils ont tout à fait le droit d’avoir leur conviction et leurs opinions ; ils ont même en réalité le devoir de les défendre si l’on pense que la démocratie est, justement, une bataille de convictions. Mais, ce dont ils n’ont pas le droit, c’est de tromper le peuple souverain, c’est de se réfugier dans ces formules profondément anti-démocratiques de « pédagogie » et de « déficit d’explication » pour outrepasser leurs échecs électoraux. Ils auront beau se lamenter sur l’abstention et la crise de la démocratie, ils en sont à la source, ils en sont l’origine même. C’est par leur pratique haïssable de la politique qu’ils détruisent pierre à pierre l’édifice qui s’est construit depuis 1789 et qui fut, de multiples fois, refondé, la dernière étant par la Résistance et lors de la libération du territoire en 1944, il y aura cette année soixante-dix ans.

     

    Ils attirent sur leur tête, et sur les nôtres par voie de conséquence, la foudre du désordre civil et de l’insurrection. Qu’ils cessent de s’étonner du climat de guerre civile froide qui règne aujourd’hui en France : ils en sont la cause. L’alliance d’une crise de légitimité et de pratiques manipulatrices à grande échelle, combinées à des injustices sociales criantes, est le chemin le plus court et le plus sur vers des révoltes de grande ampleur, et à terme vers une révolution. Il nous reste peu de temps pour tenter d’éviter les désordres qui immanquablement accompagneront une telle issue. Il faudra pour cela sanctionner à nouveau, et avec toute la force et la détermination possible, ce gouvernement lors des élections européennes du 25 mai prochain.

    Jacques Sapir (RussEurope, 3 avril 2014)

     

    Notes :

    [1] Expression qui date du premier conflit mondial où, en 1914, le maréchal Joffre assigna à résidence des généraux et des officiers d’état-major qu’il avait relevés de leur commandement et dont l’incompétence était trop criante…

    [2] Comme par exemple quatre journalistes économiques, Franck Dedieu, Benjamin Masse-Stamberger, Béatrice Mathieu et Laura Raim. Casser l’euro pour sauver l’Europe, Les liens qui libèrent, Paris, 232p.

    [3] Sapir J., Faut-il sortir de l’Euro ?, Le Seuil, Paris, 2012.

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  • Valls à contretemps...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jacques Sapir cueilli sur son blog RussEurope et consacré à la nomination d'Emmanuel Valls au poste de Premier ministre...

     

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    Valls à contretemps

    Au lendemain de ce qu'il faut bien appeler l'une des pires défaites subies par la «gauche de gouvernement» dans des élections locales, une défaite qui vit des villes gouvernées par les socialistes pendant plus de 100 ans passer à droite (comme Limoges), le Président s'est décidé à remercier le Premier Ministre, Jean-Marc Ayrault et à nommer à sa place Manuel Valls. Le discours dans lequel cette décision importante fut annoncée fut pénible à entendre et encore plus à regarder. Un homme fatigué, au visage inexpressif, récitait ces banalités que savent trouver les politiques en ces moments-là, tel un oncle de province venu à un enterrement d'un vague cousin et qui récite sans trop y croire des condoléances. On a eu droit à «gouvernement de combat», et «équipe resserrée», des mots qui n'ont strictement aucun sens et qui sont usés d'avoir trop servi. La voix était mal posée et le Président buta à deux reprises sur les mots, comme si la décision lui coûtait. Et il est vrai que pour un homme d'habitudes, dont il est dit qu'il n'aime pas trancher, c'était tailler dans le vif que d'annoncer une telle nomination. Pourtant, cette décision pourrait s'avérer une redoutable erreur, et l'obliger à faire sous peu des choix qui seront autrement plus dramatiques.

    Une erreur de casting

    C'est une erreur d'abord car Manuel Valls ne répond pas à l'attente des Français, que ce soit sur le chômage ou le pouvoir d'achat. Non que l'homme soit sans qualités. Simplement, ces dernières ne sont pas la réponse à la question posée par le corps électoral, qu'il se soit manifesté ou qu'il se soit maintenu. Il n'est tout simplement pas en adéquation avec la situation du pays. Même dans la demande de «sécurité», qui est réelle, on mélange la sécurité des biens et des personnes, la sécurité sociale et surtout la sécurité de l'emploi. Or, Manuel Valls n'a pas de réponses aux questions posées. Et ce n'est pas la feuille de route laborieusement balbutiée par le Président qui peut lui en fournir. Il n'est pas possible de conserver le cap défini depuis maintenant plusieurs mois et de lutter contre le chômage. Les chiffres de ces 22 derniers mois le montrent de manière incontestable. Or, aujourd'hui, le chômage est bien la première des préoccupations des Français. La Président n'a pas évoqué sa malencontreuse promesse d'inversion de la courbe, et pour cause. Cette dernière ne cesse de monter. Mais, en plus, cette politique ne réussit même pas à réduire les déficits. Les chiffres publiés par l'INSEE en font foi. En dépit des hausses d'impôts, le déficit pour 2013 atteint 4,3%. Car, à chaque nouvelle ponction fiscale le PIB se réduit, ce qui réduit à son tour et mécaniquement les recettes fiscales. Notons que sans ce déficit, pourtant important, l'économie française serait plongée dans une profonde récession. Mais, c'est bien cher payer la résilience de la croissance, qui aura été de 0,3% en 2013. Si la France avait effectivement réduit son déficit à 3,7%, comme annoncé à Bruxelles en début d'année 2013, il y a gros à parier que nous serions en dessous de 0%. Le pacte de solidarité qui a été annoncé comme un «équivalent» au pacte de responsabilité mal ficelé, bricolé et rejeté par les partenaires sociaux, risque fort de donner lieu à son tour à un nouveau bricolage.

    Une erreur de politique

    Mais il y a erreur derrière l'erreur. En fait, François Hollande cherche à jeter du lest (un peu…) mais il reste persuadé que sa politique est la bonne. Ce en quoi il se trompe lourdement. La France souffre d'une problème de compétitivité, non seulement à l'export, mais aussi sur son marché intérieur. Le «pacte de responsabilité» ne va jouer qu'à la marge. Non seulement l'écart de compétitivité accumulé depuis 2000 du fait de la différence d'inflation structurelle avec l'Allemagne est trop grand, mais la hausse constante de l'Euro (justement dénoncée par Arnault Montebourg) creuse cet écart dans notre commerce avec les pays «hors-zone Euro».

    Les experts du Ministère des finances ont calculé qu'une dépréciation de 10% par rapport au Dollar aurait un effet sur la croissance globale de 1,5%. Si l'on extrapole avec une dépréciation tant avec les pays «hors-zone» qu'avec les pays de la zone Euro, on aboutit à un potentiel de 5% de croissance avec une dépréciation de -20%. Mais, pour cela il faudrait quitter le zone Euro. Cela, notre Président s'y refuse, tout en sachant pertinemment que c'est la solution à la fois la plus simple et la plus efficace pour que l'industrie française retrouve sa compétitivité. Il ne peut concevoir que la monnaie unique soit un échec quand tout son intellect ne cesse de le répéter. Il y a quelque chose de tragique dans l'obstination d'une volonté contre l'intelligence. Et cette tension aussi était perceptible dans la courte allocution télévisée du Président. Il a même évoqué la possibilité d'une «renégociation» avec l'Europe des conditions économiques faites à la France. Mais ici, on n'est plus dans le domaine de l'erreur mais dans celui du mensonge. Car, ces conditions que François Hollande prétend «renégocier», il les a fait voter par le Parlement. On ne voit pas, dans ces conditions, ce que nos partenaires pourraient bien accepter de «renégocier». La vérité, et l'on peut penser que François Hollande en est désormais conscient, c'est que l'Euro est un piège qui condamne la croissance et nous contraint à une austérité suicidaire. Mais, cette conscience est étouffée immédiatement par l'illusion que l'Euro est politiquement indispensable à l'Union européenne, alors même qu'il la détruit de manière implacable.

    Dès lors, se refusant à prendre le choix logique d'une sortie de l'Euro, il ne reste plus à François Hollande qu'une politique faite d'expédients. Le dernier est la nomination de Manuel Valls à Matignon. Les effets positifs ne se feront sentir que quelques semaines, et le Président se retrouvera, après les élections européennes, dans une situation encore pire que celle qu'il affronte maintenant. Peut-être est-il dans son caractère de ne pouvoir se décider à prendre la mesure qui s'impose. Mais alors, il ne fallait pas briguer la fonction qu'il occupe. Présider, sous la Vème République, c'est gouverner. Et gouverner, c'est choisir.

    Jacques Sapir (RussEurope, 31 mars 2014)

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  • Sortir de l'euro ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien donné par Jacques Sapir le 10 décembre 2013 au site Contre la Cour, et consacré à la sortie de l'euro et à ses conséquences...

     

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  • Tour d'horizon... (55)

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    Au sommaire cette semaine :

    - sur Causeur, Pierre Jacquez évoque le marché de la "gestation pour autrui", ou GPA, en Inde...

    L'être humain, un marché porteur

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    - sur L'Espoir, Antoine Lamnège revient sur le Traité de Maastricht et ses conséquences fatales...

    Maastricht : Putain 20 ans !

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  • Unir la gauche et la droite anti-Euro ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Jacques Sapir au site italien L'Antidiplomatico et disponible en traduction sur son site RussEurope.

     

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    Unir la gauche et la droite anti-Euro

    1. Monsieur le Professeur, vous avez été parmi les premiers économistes européens à mettre en évidence les dommages produits par l’euro et à en demander sa fin. Dans une de vos dernières analyses vous avez écrit que c’est désormais une fin inévitable. Selon vous, combien de temps passera-t-il encore avant que cela n’arrive et de quel pays partira l’initiative ?

    Il faut bien distinguer ici deux problèmes. Le premier est celui de l’analyse de la situation économique que l’Euro a créée et de ses conséquences. Nous voyons depuis maintenant près de 13 ans que l’Euro non seulement n’a pas induit de convergences macroéconomiques mais qu’il a au contraire exacerbé les divergences. Je l’ai dit à plusieurs reprises, et désormais, cette position fait consensus chez les économistes. Nous voyons aussi que l’Euro est un énorme frein à la croissance pour la majorité des pays qui l’ont adopté, sauf, bien entendu, l’Allemagne. Nous voyons enfin que l’Euro aggrave les déficits, tant en interne que les déficits extérieurs, et qu’il conduit à un endettement toujours plus grand des pays qui sont entrés dans Union Économique et Monétaire. Tout ceci est copieusement documenté par de très nombreux auteurs. J’en déduit que l’Euro ne pouvant fonctionner que dans une spirale d’appauvrissement pour de très nombreux pays, il est condamné. Mais, ici, nous avons un deuxième problème, celui des conditions qui mettront fin à l’Euro. Ces conditions peuvent être une crise catastrophique qui prenne naissance sur le marché obligataire. Pour l’instant, de ce point de vue, la situation est stabilisée par la Banque Centrale Européenne. Mais, la crédibilité de cette dernière tient beaucoup à ce qu’elle n’est pas testée. Un jour ou l’autre les marchés vont tester la résolution de la BCE, et ce jour-là M. Mario Draghi va se retrouver fort dépourvu. Ces conditions peuvent aussi provenir des tensions politiques croissantes que l’Euro provoque tant entre les pays membres de l’UEM qu’au sein de ces pays où les forces anti-européennes prennent aujourd’hui de l’ampleur. Elles peuvent à un moment confronter les acteurs politiques avec la nécessité de dissoudre la zone Euro ou de quitter l’Euro.
    J’ai, personnellement, surestimé la rapidité des évolutions financières, sur la base de ce que nous avions connus en 2008-2009. Mais ceci ne change rien à l’analyse de fond.

    2. Sur votre blog, vous avez fait allusion à un retour possible au SME après une éventuelle dissolution de la zone Euro. Quelle est selon vous, la meilleure stratégie pour sortir de l’Euro pour les pays de l’Europe méridionale ?

    Un retour au SME implique que chaque pays retrouve sa monnaie nationale. La question de la stratégie est ici centrale. Les pays d’Europe du Sud ont le choix entre prendre une décision de sortie isolément ou demander la dissolution de la zone Euro. Si certains pays, comme l’Italie, la France et l’Espagne disaient lors d’un conseil ECOFIN qu’ils sont prêts à quitter l’Euro mais qu’il vaut mieux le dissoudre, compte tenu de l’attachement des Allemands pour le Deutsch Mark, la solution de la dissolution serait rapidement acceptée. Elle serait de loin la meilleure car étant prise de manière collective elle apparaîtrait comme une décision « européenne ». La fin de l’UEM n’impliquerait pas la fin de l’Union Européenne ni celle d’une coopération sur les questions monétaires entre les pays concernés. Néanmoins, cette solution est aussi la moins probable à l’heure actuelle. Une sortie isolée d’un pays est aujourd’hui la solution la plus probable. Elle entraînera à terme (6 mois probablement) l’éclatement de la zone Euro. Mais le contexte politique sera bien plus conflictuel.

    3. Quelle est, selon vous, la part de responsabilité des partis socialistes européens dans la crise actuelle et quelles forces politiques considérez-vous capables d’effectuer un changement ?

    La responsabilité des partis socialistes européens est écrasante. Elle est tout d’abord directe : ces partis ont capitulé sans condition devant les exigences de la finance et du capital ; ils ont imposé des politiques austéritaires inouïes à leurs populations et ils portent de ce fait une large responsabilité dans la stagnation économique que nous connaissons. Mais il y a aussi une responsabilité indirecte. En prétendant qu’il n’y a pas d’autres solutions que l’austérité, et proclamant le « dogme » de l’Euro, en agitant des catastrophes hypothétiques en cas d’une « sortie » de l’Euro ces partis socialistes ont construit un discours politique qui bloque la situation et qui fait partie intégrante de la crise. C’est pourquoi il ne pourra y avoir de sortie de crise que par la destruction de ces partis, leur éclatement, et des recompositions politiques importantes. Nous sommes en train d’assister à cela en France et en Grèce.
    Aujourd’hui, il faut unir les forces tant de gauche que de droite qui ont compris le danger que représentait l’Euro, non pas dans un seul parti mais dans une alliance qui sera capable de porter une politique de rupture.

    4. Vous considérez la France comme un pays de l’Europe méridionale ou d’Europe du Nord ? En fonction de sa position, quels sont les risques que votre pays encourra en 2014 ?

    Très clairement, pour moi, la France est un pays d’Europe Méridionale. Elle l’est si l’on regarde les caractéristiques tant structurelles que conjoncturelles de l’économie et qu’on les compare à celles de l’économie italienne par exemple. La France est aussi culturellement bien plus proche de l’Europe méridionale que de l’Europe du Nord. De ce fait, elle est la plus exposée aux conséquences conjuguées des politiques d’austérité menées en Italie et en Espagne. Tant que ces trois pays resteront dans la zone Euro ils sont condamnés à être dans une concurrence féroce les uns contre les autres. Par contre, dès qu’ils auront retrouvé leurs monnaies nationales, ils pourront retrouver des marges de manœuvre importante.

    5. Pour conclure, comment jugez-vous les vicissitudes de la politique italienne depuis novembre 2011 quand Mario Monti a commencé à imposer les mesures d’austérité de L’Europe ?

    La politique de Mario Monti a consisté à chercher à obtenir des résultats à très court terme sans se préoccuper du long terme. Il a bloqué les paiements qui étaient dus par l’État aux entreprises, il a laissé le crédit s’effondrer et l’investissement se contracter, ce qui condamne à moyen terme l’économie italienne. C’est le contraire d’une politique d’ »expert ». La réputation de « spécialiste » qu’il s’est construit est parfaitement usurpée. Il s’est conduit comme l’un de ces politiciens de bas étage dont le nom a disparu dans les poubelles de l’histoire.

    Jacques Sapir (RussEurope, 11 octobre 2013)

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