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  • Brexit : un coup de poignard dans le dos des Etats-Unis

    Nous reproduisons ci-dessous une note d'Hajnalka Vincze, cueillie sur le site de l'Institut de Veille et d'Etude des Relations Internationales (IVRIS) et consacré à la perception très négative que les Etats-Unis ont du Brexit... Analyste indépendante en politique de défense et de sécurité, Hajnalka Vincze a travaillé pour le ministère hongrois de la défense et a fondé l'IVRIS, un réseau d'experts européens dans les questions de défense et de géostratégie.

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    Brexit : un coup de poignard dans le dos des Etats-Unis

    Au lendemain du référendum britannique, le vice-président américain, Joe Biden s’est exprimé en disant : « Nous aurions préféré un résultat différent ».[1] Quelques jours après, le Secrétaire d’Etat Kerry estime qu’il n’est toujours pas impossible de revenir en arrière.[2] En effet, au cours des six dernières décennies, l’Amérique avait fait des pieds et des mains pour obtenir, puis perpétuer la présence de son allié préféré au sein de la construction européenne. La raison en est simple. Comme l’explique l’ambassade US à Londres, « l’Union européenne est l’organisation la plus importante du monde dans laquelle l’Amérique n’a pas de place à la table ». Pour y faire entendre sa voix, il a donc besoin d’un cheval de Troie ou, en termes diplomatiques, « l’expression dans l’UE de l’approche commune américano-britannique grâce au statut de membre du Royaume-Uni ».[3] Sauf que les électeurs britanniques viennent d’opter pour la sortie…

    Pressions américaines

    Dès le départ, les Etats-Unis avaient œuvré sans relâche pour que Londres se joigne à l’Europe alors en pleine formation. Lorsque les Britanniques ont refusé de participer aux négociations sur la CECA (Communauté européennes du charbon et de l’acier) des voix se sont même élevées au Congrès pour les menacer d’exclusion des aides du plan Marshall. Mais ce n’est que dix ans plus tard que le gouvernement britannique a fini par se résigner à ce que le Premier ministre Harold Macmillan appelait alors « le sinistre choix ».

    Lorsqu’il pose la candidature de son pays pour se joindre à ce qui était devenu entre-temps le CEE (Communauté économique européenne, ou Marché commun), sa décision n’est pas sans rapport avec les injonctions venues de l’autre côté de l’Atlantique et relayées de façon insistante par le diplomate US George Ball, co-auteur du plan Schuman, et futur Secrétaire d’Etat adjoint. « Les Etats-Unis sont fortement investis dans le succès des négociations », répète, à longueur de télégrammes, l’ambassadeur britannique à Washington.

    Pour David Ormsby-Gore, il n’y a pas de doute : « si nous décidions de rester en dehors du Marché commun, la réaction à laquelle nous devrions nous attendre aux Etats-Unis serait, au minimum, la perplexité et une neutralité peu serviable vis-à-vis des conséquences de notre décision. » Et il y ajoute cette phrase qui n’est pas sans lien avec la situation post-référendum : Washington « n’accepterait sans doute pas un échec comme définitif et leurs ingénieurs de sauvetage seraient vite sur le site de l’épave ».[4]

    C’est d’ailleurs exactement ce qui s’est passé après le premier veto opposé par le général de Gaulle à l’entrée de la Grande-Bretagne, un veto destiné à empêcher que la CEE ne se transforme en « une communauté atlantique colossale, sous dépendance et direction américaines, et qui aurait tôt fait d'absorber la Communauté européenne »[5]. Trois ans plus tard, le président Johnson revient à la charge. Il explique au nouveau Premier ministre Harold Wilson, d’abord anti-intégrationniste, que « Votre entrée aidera certainement à renforcer l’Occident » et que les Etats-Unis « feront tout pour faciliter votre adhésion ».[6]

    Cinquante ans après, l’administration US est tout aussi mobilisée, cette fois-ci pour éviter la sortie des Britanniques de l’Union européenne. Après avoir estimé, dès 2015, que la présence du Royaume-Uni dans l’UE « nous donne beaucoup plus de confiance dans l’Union transatlantique »,[7] le président Obama s’est invité dans la dernière ligne droite de la campagne du référendum sur le Brexit. En visite à Londres, il a mis en garde les partisans de la sortie qu’avec un départ de l’UE, le UK se retrouverait tout au bout de la file d’attente pour la négociation des traités de libre-échange.[8] 

    Dans une tribune dans The Telegraph, le président américain a expliqué que « les Etats-Unis portent un profond intérêt au résultat de la décision » des Britanniques. Il a évoqué les liens étroits qui unissent les deux pays et dont témoignent, a-t-il tenu à préciser, « les dizaines de milliers d’Américains qui reposent dans les cimetières en Europe ». En s’adressant aux électeurs britanniques, le président américain a souligné que « votre voix puissante en Europe garantit que l’UE reste ouverte et étroitement liée aux alliés de l’autre côté de l’Atlantique ». L’Amérique souhaite donc « que votre influence continue au sein de l’UE ».[9] Car votre influence c’est, au final, la nôtre, aurait-il pu ajouter.

    L’entrisme anglo-saxon

    Avant même son lancement, la construction européenne suscitait, à Washington, une approche fort ambivalente. Un rapport du Département d’Etat, daté de 1943, l'a clairement dit : « Pour nos intérêts économiques à long terme, une union européenne pourra être soit une très très bonne chose soit horrible ».[10] A mesure que la puissance économique de l’Europe s’accroît et que de timides velléités politiques apparaissent, cette ambivalence initiale se transforme en une méfiance grandissante vis-à-vis du projet. Le « grand sage » de la diplomatie US, Zbigniew Brezinski, en a conclu au début des années 2000 : « Une Europe politiquement forte, capable de rivaliser en matière économique, et qui ne serait plus militairement dépendante des Etats-Unis, remettrait inévitablement en cause la suprématie américaine et confinerait la sphère de la prédominance des USA grosso modo à la région du Pacifique. »[11]

    Pour contrer une telle évolution, Washington avaient tôt identifié deux fronts. Sur le plan économique, l’Europe devait rester grand ouverte et sans même la trace d’un quelconque protectionnisme, a fortiori dans les secteurs stratégiques et/ou d’un intérêt particulier pour l’Amérique. Dans le domaine militaire, l’Alliance atlantique devait, elle, perpétuer la dépendance des Européens par rapport aux Etats-Unis. Les deux aspects sont d’ailleurs intimement liés. Comme le président Nixon l’a très clairement expliqué : « Les Européens ne peuvent pas d’un côté bénéficier de la participation et de la coopération des Etats-Unis sur le front sécuritaire et, de l’autre, développer une attitude de confrontation, voire d’hostilité sur les fronts économiques et politiques ».[12]

    Le rôle dévolu aux Britanniques a toujours été d’assurer que, sur ces deux fronts, la CEE, puis l’Union européenne, se développe dans un sens conforme à la vision et aux intérêts de l’Amérique. D’où leurs efforts infatigables, et largement réussis, pour rendre l’Europe à la fois économiquement ultralibérale et dépourvue de dimension militaire proprement dite. Qu’ils le fassent par conviction ou en raison de leur dépendance excessive (laquelle les conduit à intérioriser les priorités US)[13], le résultat est le même : l’activisme du Royaume-Uni en Europe sert d’abord et avant tout les intérêts américains (et bien souvent contre les intérêts britanniques eux-mêmes)[14].

    L’exemple de l’élargissement de l’UE illustre à merveille cette approche suicidaire. Après la fin de la guerre froide, de réelles avancées stratégiques étaient enfin devenues une vraie option pour l’Europe. Sur les deux fronts, militaire et économique, la perspective d’importants changements se profilait à l’horizon. Pour éviter un tel mouvement vers l’approfondissement de l’Union, le Royaume-Uni a tout fait pour diluer celle-ci par le biais du « grand élargissement » (aux pays de l’Europe de l’Est, atlantistes et libéraux), dont il s’est fait le champion. On vient d’en constater le résultat, à l’issue du référendum…[15]

    Quant aux deux aspects fondamentaux du point de vue de l'Amérique, Londres a tout fait pour entraîner l'ensemble de l'UE dans la direction prescrite. Sur le plan économique, il a toujours affiché sa préférence pour une Europe-supermarché, dépourvue de véritables politiques, et ses initiatives visaient prioritairement à mettre en place un grand marché commun transatlantique. Il s'y emploie avec tant de zèle que même l’ancien chef d’orchestre des tentatives précédentes, l’ex-Commissaire européen Sir Leon Brittan, s’est exprimé avec un brin d’ironie quand il parlait du Royaume-Uni comme étant « le cheerleader le plus enthousiaste » du TTIP, l’actuel projet de traité de libre-échange.[16]

    D’après le Service de recherches du Congrès des Etats-Unis, « les responsables américains craignent qu’un Brexit ne conduise en Europe à une influence américaine réduite et à une UE moins libre-échangiste ». Ils y ajoutent à chaque fois la peur de la voir devenir, en matière de sécurité et de défense, un partenaire « moins fiable ».[17] A leurs yeux, un partenaire fiable, c’est une UE qui respecte la primauté de l’Alliance atlantique et qui se cantonne soit à de sympathiques missions civiles, soit à des opérations de petite envergure, pré-approuvées par l’OTAN/l’Amérique. Jusqu’ici, le Royaume-Uni a toujours été là pour faire en sorte que, à chaque nouvelle initiative européenne, cela soit effectivement le cas.[18]

    Impact du Brexit

    En 1964, l’ambassadeur britannique auprès des Communautés avait estimé que « si l’unité européenne se poursuit sur la base des seuls Six », la CEE et les Etats-Unis « pourraient se diriger vers la rupture ». L’ancienne secrétaire d’Etat du président Bush, Mme Condoleezza Rice s’est récemment exprimée à une conférence de Chatham House, en disant que « C’est une Europe très différente si c’est une Europe continentale ».[19] Comme on vient de le voir, les craintes US portent, à l’époque comme aujourd’hui, sur les conséquences à attendre dans les domaines militaire et économique. 

    Sur le plan commercial, avec le Brexit, le TTIP (le traité transatlantique de libre-échange en négociation en ce moment) perdra son plus fervent partisan. Plus généralement, en l’absence du Royaume-Uni, les Allemands pourraient être « contraints à travailler plus étroitement avec les Français » et « devenir moins libre-échangistes » eux aussi, comme cela a été souligné, il y a 4 ans déjà, lors d’une audition du Parlement britannique.[20] De là, il n’y aurait qu’un pas vers la mise en place d’une sorte de préférence européenne.[21] Or les Etats-Unis, tout en pratiquant une politique protectionniste pour leurs propres produits, se sont toujours catégoriquement opposés à ce que l’Europe fasse de même.[22]

    L’autre série de craintes anglo-américaines concernent l’évolution, post-Brexit, de la défense européenne. Comme l’a indiqué un rapport récent du Parlement britannique « La Grande-Bretagne, si elle reste dans l’UE et qu’elle continue sa politique actuelle, empêche la création d’une identité de défense forte de l’UE, en s’opposant par exemple à la mise en place d’un quartier général militaire opérationnel. Il est donc possible que le Brexit et l’absence du veto britannique débloque l’UE pour qu’elle poursuive une politique de défense commune plus unie et plus efficace. » Or une telle évolution pourrait conduire à un découplage UE-OTAN et à une Europe qui adopte, sur le dossier russe par exemple, une position indépendante…[23]

    Hélas, on n’en est pas encore là. Au cours des dernières décennies, et en particulier après le grand élargissement, l’UE dans son ensemble a été largement façonnée à l’image de la Grande-Bretagne : servilement pro-Américaine et farouchement ultralibérale. La nouvelle donne va obliger les pays fondateurs d’annoncer la couleur. Avec Londres écarté du jeu, ce sera l’occasion pour voir si c’est vraiment le seul Royaume-Uni qui fut à l’origine des multiples dérives et des blocages. Ou si les autres ont simplement profité de sa présence et de son activisme pour dissimuler leurs propres choix.

    Quoi qu’il en soit, une chose est certaine : les « ingénieurs de sauvetage » américains vont activer tous leurs relais et leviers britanniques et européens pour que, au final, le Brexit ne se réalise pas. Peu importe qu’il s’agisse d’une ingérence flagrante dans les affaires intérieures de l’UE et de la Grande-Bretagne. En dépit de la voix des urnes et de la fermeté des premières réactions européennes, les Etats-Unis ne sont pas près d’accepter cette débâcle… et ils le font savoir. Interrogé sur la possibilité de revenir sur le vote, John Kerry s’est exprimé en ces termes : « il y a un certain nombre de moyens. Je ne veux pas, en tant que secrétaire d’Etat, les exposer aujourd’hui. Je pense que ce serait une erreur. Mais il y a des moyens ». [24] Vu l’enjeu, il semble plus que probable que l’Amérique compte bien les mettre tous en œuvre.

    Hajnalka Vincze (Iveris, 2 juillet 2016)

     

    Notes

    [1] “U.S. would have preferred a different Brexit outcome – Biden”, Reuters, 24 juin 2016.
    [2] “John Kerry: Brexit could be 'walked back'”, The Guardian, 29 juin 2016.
    [3] Government foreign policy towards the United States, Eighth Report of Session 2013–14, 25 mars 2014.
    [4] John Dulbrell, A Special Relationship, Anglo-American Relations in the Cold War and After, Palgrave Macmillan, 2001, pp 178-179.
    [5] Conférence de presse du 14 janvier 1963. 
    [6] Le Général y a opposé un deuxième veto en novembre 1967, il aura fallu attendre son départ du pouvoir pour que le Royaume-Uni puisse entrer dans la CEE en 1973.
    [7] “Britain needs to stay in EU to support transatlantic ties”, Obama says, Reuters, 24 juillet 2015.
    [8] “Barack Obama says Brexit would leave UK at the 'back of the queue' on trade”, BBC News, 22 avril 2016.
    [9] Barack Obama: As your friend, let me say that the EU makes Britain even greater, The Telegraph, 23 avril 2016.
    [10] Cité dans Pascaline Winand, Eisenhower, Kennedy and the United States of Europe, 1993, p1.
    [11] Zbigniew Brzezinski, The Choice: Global Domination or Global Leadership, 2004.
    [12] Richard Nixon, 15 mars 1974. In Public Papers of the Presidents of the United States: Richard M. Nixon, 1974, p276.
    [13] Voir Petites perles de la relation (très) spéciale UK-USA, par Hajnalka Vincze, Theatrum Belli, 4 octobre 2014.
    [14] Un épisode édifiant est celui d’un contrat saoudien de 6 milliards de dollars passé au rival américain Boeing suite à des informations fournies aux USA par Londres, alors même que le gouvernement britannique était actionnaire d’Airbus à l’époque. Rapport du Parlement européen sur l'existence d'un système d'interception mondial des communications privées et économiques (système d'interception ECHELON), 11 juillet 2001 (A5-0264/2001).
    [15] Fidèle à son rôle de champion de l’élargissement, le Royaume-Uni fut l’un des seuls pays à ne pas imposer de mesures transitoires pour les travailleurs des 8 nouveaux Etats membres de 2004, qui y sont donc allés en masse (plus de 30 fois les estimations initiales, jusqu’à 600 000 en seulement deux ans et demi). Vu l’importance qu’a prise la question des immigrés européens dans la campagne du référendum, il ne fait guère de doute que le vote pour le Brexit est, en partie, la conséquence de cette politique.
    [16] Audition de Lord Brittan à la Commission des affaires européennes du Parlement britannique, 10 octobre 2013.
    [17] Derek E. Mix, The United Kingdom: Background and Relations with the United States, CRS report, 29 avril 2015; The United Kingdom and the European Union: Stay or Go?, CRS Insight, 20 juin 2016; United Kingdom Votes to Leave the European Union, CRS Insight, 24 juin 2016.
    [18] Voir, à ce sujet, L’Europe de la défense, éternelle pomme de la discorde entre la France et le Royaume-Uni, par Hajnalka Vincze, 31 janvier 2014.
    [19] Condoleezza Rice, Renewing the Transatlantic Alliance, Chatham House, 29 octobre 2015.
    [20] Audition de Charles Grant, directeur du Centre for European Reform, à la Commission des affaires étrangères du Parlement britannique, 10 juillet 2012.
    [21] Hajnalka Vincze, Europe européenne ou Europe atlantique : une question de «préférence»…, La Lettre Sentinel n°47, octobre 2007.
    [22] Nicole Bricq : « Les États-Unis sont très protectionnistes », entretien d’Anne Cheyvialle avec la ministre du commerce extérieur, Le Figaro, 5 octobre 2013
    [23] House of Commons Foreign Affairs Committee, Implications of the referendum on EU membership for the UK’s role in the world, Fifth Report of Session 2015–16, 26 avril 2016, p28.
    [24] John Kerry estime que le Brexit pourrait ne jamais se réaliser, AFP, 29 juin 2016.

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  • Feu sur la désinformation... (97)

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un nouveau numéro de l'émission I-Média sur TV libertés, consacrée au décryptage des médias et dirigée par Jean-Yves Le Gallou, président de la fondation Polémia, avec le concours d'Hervé.

    Au sommaire :

    • 1 : « Diversité » maître mot de la rentrée de France Tv

      Conférence de rentrée de France Télévision Delphine Ernotte, Catherine Got, Michel Field exposent les nouvelles lignes du groupe de télévision public français. Diversité, divertissement, publicité, voici les maitres mots de France tv. Décryptage dans I-Média.

    • 2 : Le zapping d’I-Média.

    • 3 : Brexit la guerre des élites contre les peuples

      Brexit encore Brexit toujours. C’est le Trafalgar de la démocratie : les élites doivent se soulever contre les masses ignorantes et teigneuses, il faut arrêter de dire que le peuple a toujours raison. Décryptage et ré-information dans I-Média.

    • 4 : Tweets d’I-Média.
    • 5 : France inter manque son hommage à Elie Wiesel

      Mort d’Elie Wiesel, hommage généralisé sur les radios et dans les journaux. Claude Lanzmann commet l’irréparable avec un « dérapage médiatique » sur France inter. I-média décrypte.

     

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  • Nous entrons dans l’ère des sécessions...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré au succès du Brexit...

    Directeur de la revue Krisis , dont le dernier numéro est consacré à la question de la modernité, et éditorialiste de la revue Éléments,  Alain de Benoist a récemment publié Survivre à la pensée unique (Krisis, 2015), un recueil de ses entretiens avec Nicolas Gauthier.

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    Brexit : vers un effet domino en Europe ?

    Le Brexit a retenti comme un coup de tonnerre, qui semble avoir surpris jusqu’à ses partisans. Comment en est-on arrivé là ? Et quel est le sens profond de cet événement ?

    Les Anglais se sont tirés les premiers : c’est en effet un événement historique. Mais d’abord une remarque : ils n’auraient, pour commencer, jamais dû y entrer. Comme le général de Gaulle l’avait bien compris en son temps, l’Angleterre s’est toujours sentie plus proche des États-Unis (le « grand large ») que de l’Europe, où elle n’a cessé de jouer le rôle d’un cheval de Troie atlantiste et dont elle n’a jamais pleinement accepté les règles. En ce sens, le divorce met fin à un mariage qui n’avait jamais été vraiment consommé.

    Les principales motivations de ce vote sont, comme on l’a déjà beaucoup dit, la question de l’immigration et surtout un sentiment d’abandon social, politique et culturel qui alimente un formidable ressentiment envers la classe politique traditionnelle et les élites mondialisées. Le vote britannique n’a, d’ailleurs, pas opposé les conservateurs et les travaillistes, mais des partisans et des adversaires du Brexit des deux camps, ce qui signifie qu’il a transcendé le clivage droite-gauche.

    Notons, enfin, que les milieux libéraux étaient eux-mêmes partagés. S’ils étaient en majorité favorables au maintien de la Grande-Bretagne dans l’Union européenne, certains d’entre eux militaient quand même pour le Brexit au seul motif que l’Union européenne n’est pas encore assez acquise à l’idéal d’une dérégulation généralisée (Nigel Farage, ne l’oublions pas, est un ultra-libéral en économie). C’est là une grande différence entre la France et l’Angleterre. Si, chez nous, la majorité des libéraux reste convaincue que le but essentiel des traités européens est d’imposer les principes libéraux, à commencer par la libre circulation des biens et des services, des personnes et des capitaux, beaucoup pensent en Angleterre que le marché ne nécessite ni institutions ni traités. D’où un souverainisme dont le moteur n’est pas tant le souci d’identité nationale, l’insécurité culturelle ou la souveraineté populaire que l’insularité, liée à l’idée que les valeurs commerciales de la mer doivent primer sur les valeurs politiques, telluriques et continentales de la terre – les mêmes rêvant d’une alliance fructueuse avec le Commonwealth et les États-Unis.

    Mais on ne peut comprendre le sens de ce vote qu’en le replaçant dans une perspective plus large, à savoir la révolte mondiale contre les élites autoproclamées, dont la montée des populismes ne constitue que la traduction politique la plus visible et dont le « non » au référendum de 2005 sur le projet de Constitution européenne représente le point de départ symbolique. Le Brexit est indissociable de la montée du Front national comme de celle du FPÖ en Autriche, de SYRIZA en Grèce ou Podemos en Espagne, de l’élection d’une représentante du Mouvement cinq étoiles à la mairie de Rome, des phénomènes Trump et Sanders aux États-Unis, etc. Partout, les peuples se révoltent contre une oligarchie transnationale qu’ils ne supportent plus. C’est en cela que le Brexit est essentiel : il confirme un mouvement de fond. Après des décennies d’« élargissement », nous entrons dans l’ère des sécessions.

    Que va-t-il se passer maintenant ?

    Contrairement à ce que l’on dit, les principales conséquences ne seront pas économiques ou financières, mais politiques. En Grande-Bretagne, où le vote a déjà ouvert une crise politique, le Brexit va provoquer une relance de l’indépendantisme écossais et ranimer le débat sur le statut de l’Ulster, voire sur celui de Gibraltar. La City de Londres va plus que jamais se recentrer sur son rôle de paradis fiscal. En Europe, où l’Union européenne reposait sur l’équilibre des trois Grands (France, Allemagne, Royaume-Uni), l’Allemagne devient la seule grande puissance dominante – elle pèse désormais presque un tiers du PIB et 40 % de l’industrie du nouvel ensemble –, mais elle perd les bénéfices qu’elle tirait de son alliance de fait avec l’Angleterre, souvent au détriment des intérêts français.

    Mais c’est surtout l’effet domino, c’est-à-dire de contagion, qui va se faire sentir. Le choix des Anglais montre qu’il peut y avoir une vie après l’Union européenne – et qu’on peut concevoir l’Europe autrement. Les Slovaques, qui vont prendre ces jours-ci la présidence de l’Union européenne, sont eux-mêmes des eurosceptiques. Les opinions défavorables à l’Union européenne l’emportent déjà sur les opinions favorables en France, en Espagne et en Grèce. Dans d’autres pays, comme les Pays-Bas, le Danemark, la Finlande, le Portugal, la Hongrie, voire la Pologne, d’autres référendums ne sont pas à exclure.

    Est-ce le début de la déconstruction européenne ou l’amorce d’un nouveau départ ?

    En théorie, le départ des Anglais pourrait permettre de relancer la construction européenne sur de meilleures bases. Mais en pratique, cela ne se produira pas. Pour « refonder l’Europe », comme certains n’hésitent pas à le dire, il faudrait déjà prendre la pleine mesure de ce qui s’est passé, c’est-à-dire comprendre ce que les citoyens ne veulent plus. Mais c’est l’inverse qui se passe, puisqu’on s’entête jour après jour à expliquer que ceux qui renâclent sont des ignorants, des ringards, des xénophobes, des vieux, etc., et que pour leur faire accepter la potion il va suffire de doubler la ration. Sidérés comme des lapins pris dans la lumière des phares, les dirigeants de l’Union européenne lèchent leurs plaies mais refusent de se remettre en question : la seule leçon qu’ils tireront de ce scrutin est qu’il faut décidément tout faire pour empêcher les peuples de s’exprimer. Qui disait que la folie consiste à refaire toujours la même chose en espérant à chaque fois obtenir des résultats différents ? Les mêmes causes provoquant les mêmes effets, on va continuer à jeter de l’essence sur un feu qui finira par tout embraser.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 29 juin 2016)

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  • Le peuple contre les « despotes éclairés »...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Mathieu Bock-Côté, cueilli sur le Figaro Vox et consacré au mépris dont font preuve les "élites" progressistes à l'égard du peuple. Docteur en sociologie et chroniqueur au Journal de Montréal et à Radio-Canada, Mathieu Bock-Côté vient de publier Le multiculturalisme comme religion politique (Cerf, 2016).

     

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    Brexit : le peuple contre les « despotes éclairés »

    Quelques jours avant le référendum sur le Brexit, alors que les partisans du Leave et du Remain s'opposaient vigoureusement en Grande-Bretagne, Jacques Attali confessait sur son blogue de L'Express le fond de sa pensée. Je la résume d'une formule: ce qui l'indignait dans ce référendum, c'était fondamentalement qu'on le tienne. On peut reprendre ses mots: «un tel réferendum implique qu'un peuple peut remettre en cause toute évolution considérée jusque-là comme irréversible, telle qu'une réforme institutionnelle, une conquête sociale, une réforme des mœurs». On devine aujourd'hui sa colère: un peuple à son avis insuffisamment éclairé se serait permis d'entraver la marche de l'histoire, qui passerait par le démantèlement progressif de l'État-nation. La construction européenne irait tellement de soi qu'il ne devrait pas vraiment être possible de ne pas l'endosser. Une fois la vision de Jacques Attali inscrite dans les institutions et le droit, il ne devrait plus être permis de revenir en arrière. Notre roi-philosophe improvisé, manifestement, croit savoir le sens du progrès et ne tolère pas qu'on le discute. À la rigueur, il veut bien tolérer que nous ne progressions pas à son rythme: les lumières sont inégalement distribuées en ce monde. Mais on ne saurait toutefois prendre une autre direction que la sienne. Ça, c'est interdit.

    Étrange perspective sur le monde. La démocratie, ici, ne se pense plus sous le signe de la délibération mais de la révélation - et il s'agit d'une révélation presque religieuse, qui se présente sous le signe du progrès. Cette révélation, c'est que l'humanité devrait toujours pousser plus loin sa marche vers l'indifférenciation et déconstruire les catégories historiques ou anthropologiques qui résistent à ce mouvement. Les civilisations, les peuples et les religions devraient progressivement s'effacer pour que se dessine une humanité réconciliée par un métissage intensif. Les États seraient des structures politiques périmées: il faudrait les déconstruire aussi pour que prenne place progressivement une forme de gouvernance mondiale, qui s'alimenterait bien évidemment, on s'en doute, des sages conseils de Jacques Attali et des autres consciences exemplaires et lumineuses du genre humain. Une technocratie globalisée, délivrée des frontières trop étroites des vieilles nations et particulièrement, des vieilles nations européennes, pourrait ainsi piloter la marche du monde à l'abri des regrettables passions populaires. Il faudrait pour cela travailler activement à la mondialisation des enjeux politiques.

    On comprend dès lors la sympathie militante de Jacques Attali pour les différents visages de l'idéologie dominante: cosmopolitisme, supranationalisme, multiculturalisme, tout ce qui pousse à la dénationalisation du monde rencontre manifestement son approbation. Tout cela, Jacques Attali le justifie au nom du progrès, qu'il saurait apparemment définir objectivement. On se demandera peut-être comment un homme si intelligent peut construire aussi ouvertement une pensée antidémocratique. Car on connaît la suite du raisonnement: il faudrait «sanctuariser le progrès» et rendre à peu près impossibles à révoquer les grandes avancées sociétales ou identitaires qu'il embrasse. Il nous invite ainsi à faire une liste, assez longue, on s'en doute, des sujets qui devraient être éloignés des sales pattes du peuple. Car tel est l'enjeu: réserver les grandes questions de société à ceux qui sont assez éclairés pour se prononcer à leur sujet et qui communient à la même révélation que lui. Il propose d'ailleurs une mécanique fort complexe pour mettre les grands progrès sociaux à l'abri de la souveraineté populaire, en prétendant d'ailleurs se porter à la défense de l'œuvre des générations passées contre le saccage des vivants: on retrouve là, étrangement, une tournure d'esprit propre à la pensée contre-révolutionnaire, ce qui étonne chez un homme de gauche comme Jacques Attali.

    On me pardonnera de le citer un peu longuement, mais je ne voudrais pas qu'on m'accuse de déformer sa pensée: «En particulier, une génération devrait y réfléchir à deux fois avant de modifier une situation ayant un impact sur les générations suivantes. Il faudrait ensuite modifier la procédure de réforme constitutionnelle, pour s'assurer qu'un vote de circonstances ne puisse avoir des conséquences de long terme non désirées. Toute décision ayant un impact lourd sur le sort des générations suivantes, ne devrait pas pouvoir être prise par une majorité de moins de 60% des votants, réaffirmée à trois reprises à au moins un an d'écart. Certains ne verront dans cette prise de position qu'une tentative désespérée d'une oligarchie dépassée pour maintenir un ordre démodé, en méprisant les désirs des peuples. Il s'agit au contraire de donner aux peuples le temps de réfléchir aux conséquences de ses actes et d'éviter qu'une génération, par caprice, ne détruise ce que les précédentes ont voulu laisser aux suivantes». Le peuple serait-il néanmoins consulté au moment de mettre en place cette mécanique qui le déposséderait de pouvoirs essentiels?

    Cette tentative de neutralisation politique du peuple comme de la nation n'est pas si neuve. Elle témoigne, de manière caricaturale, peut-être, du préjugé antidémocratique d'une frange importante des élites contemporaines, qui n'en finissent plus de disqualifier le peuple moralement, comme s'il n'était plus habilité à se prononcer et à décider dès qu'une question essentielle surgit dans la vie publique. C'est d'ailleurs pour cela qu'on assiste aujourd'hui à une judiciarisation croissante des enjeux politiques et sociétaux: on croit les tribunaux plus adaptés à la délibération dans des sociétés plurielles et complexes comme les nôtres. Ils se déroberaient à la loi du nombre et surtout, dans une société qui se représente à travers la figure de la diversité, ils éviteraient que ne se concrétise la crainte profonde d'une tyrannie de la majorité sur les minorités. Le remplacement de la souveraineté populaire par le gouvernement des juges contribue évidemment à la dégradation gestionnaire de la politique démocratique, puisque les enjeux qui touchent à la définition même de la communauté politique sont chassés du débat public.

    Dans ce grand procès du peuple, on diabolise d'ailleurs le référendum, puisqu'il permettrait au peuple d'investir une question fondamentale de ses passions particulières: il ne se pencherait pas sur la question référendaire comme sur une question d'examen. Il la politiserait, l'inscrirait dans un contexte plus vaste. Apparemment, ce serait impardonnable. Il suffit pourtant de se souvenir du référendum de 2005 sur la constitution européenne pour se souvenir de semblables propos: une fois la victoire du Non reconnue, on reprocha à Jacques Chirac d'avoir consulté le peuple. Plus encore, certains reprochèrent à Chirac d'avoir tenu un référendum national, qui viendrait ainsi reconduire la légitimité de l'espace national comme lieu de la décision démocratique. Le philosophe Jürgen Habermas arrivera plus tard avec sa solution: le seul référendum européen valable serait celui qui convoquerait dans une même consultation l'ensemble du peuple européen, ce qui lui donnerait au même moment l'occasion de se constituer. On devine une objection majeure, que le philosophe ne peut balayer simplement du revers de la main: un peuple n'est pas qu'un artifice juridique et il ne suffit pas de décréter son existence pour le faire advenir dans la réalité de l'histoire. Le peuple n'est pas une construction sociale artificielle: c'est une réalité historique profonde.

    C'est une même haine du peuple qui se fait maintenant sentir depuis la victoire du Leave. Sur les médias sociaux, on se déchaine contre le référendum. Helene Bekzemian, journaliste au Monde, a suggéré dans un tweet, à la suite de la victoire du Leave, de retirer le droit de vote aux électeurs trop vieux. Devant le tollé qu'elle a provoqué, elle s'est ensuite trouvée une position de repli: elle faisait de la provocation! C'était une blague! Mais, a-t-elle pris la peine de préciser, on devrait quand même réfléchir au fait que la vieillesse imposait ici ses choix à la jeunesse, alors qu'elle n'aurait pas à vivre dans le monde pour lequel elle venait de voter. Singulière tournure d'esprit: imagine-t-on la réaction si un journaliste marqué à droite avait, sous le couvert de l'humour, proposé de retirer le droit de vote à certaines catégories de la population? On aurait crié à la phobie. Ce commentaire est symptomatique, d'ailleurs, des préjugés idéologiques d'une caste médiatique qui construit le débat public en présentant les contradicteurs de l'idéologie dominante comme des démagogues ou des demeurés, les premiers misant sur les seconds pour acquérir pouvoir et prestige.

    On le sait, quand le peuple ne partage pas les préjugés des élites médiatiques et économiques, on n'hésite pas à l'accuser de populisme: cette catégorie fourre-tout aux définitions si nombreuses qu'elles sont généralement contradictoire permet tout simplement de disqualifier la désobéissance politique du commun des mortels devant ceux qui prétendent le mettre en tutelle. Mais toujours on bute sur un peuple qui s'obstine à ne pas disparaître, qui demeure plus souvent qu'autrement fidèle à sa culture et ses traditions et qui n'apprécie pas trop qu'on le surplombe moralement comme s'il était une bête politique inquiétante à dompter. Dans la démocratie contemporaine, on pratique l'animalisation du peuple, ou pire encore, sa bestialisation. On peut voir les choses autrement: la tenue d'un référendum, parce qu'elle permet un retour au peuple, déprend le débat public des grands paramètres de la respectabilité médiatique et de certaines catégories idéologiques fossilisées, permet au politique de resurgir dans l'histoire et de redéfinir les termes du débat public. Le corset trop étroit de la rectitude politique peut alors éclater: il ne faut pas y voir un déchainement sauvage de passions malsaines mais une redécouverte de la part existentielle du politique.

    Retour à Jacques Attali. Dans le cadre du débat sur le Brexit, il a témoigné d'une forme de fondamentalisme progressiste révélant une triste obsession antinationale et antidémocratique. Il n'y a pas, en démocratie, de doctrine à ce point sacrée qu'elle devrait surplomber toutes les autres et écraser à l'avance ses contradicteurs, en affichant simplement sa splendeur morale. On pourrait retourner l'argument contre Attali: que ferait-il si des traditionalistes aussi convaincus que lui d'avoir une vérité révélée à imposer à la population réclamaient la possibilité de faire l'économie de la démocratie? Que dirait-il si ces traditionalistes voulaient par exemple sanctuariser le mariage, ou la vie, ou l'identité nationale, et voulaient blinder juridiquement et constitutionnellement leurs propres préférences politiques, quitte à transformer Jacques Attali en contradicteur impuissant, dépossédé politiquement? On devine qu'il dénoncerait une inadmissible manœuvre antidémocratique, et il aurait évidemment raison. Il nous permettra de penser la même chose de sa proposition. La démocratie est fondée sur un principe fondamental: celui de la possibilité, pour les hommes, de définir les formes de l'existence collective. Cela présuppose le libre-examen de toutes les croyances et convictions: même celles de Jacques Attali.

    Mathieu Bock-Côté ( Figaro Vox, 27 juin 2016)

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  • Une insurrection des peuples qui menace les élites occidentales !...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une chronique d'Éric Zemmour sur RTL, datée du 28 juin 2016 et consacrée au vote du peuple britannique en faveur du Brexit et aux enseignements qu'il est permis d'en tirer...

     


    Brexit : Le vote anglais suscite de nombreuses... par rtl-fr

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  • Le Brexit ou la grande révolte des classes moyennes...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jean-Michel Quatrepoint, cueilli sur le Figaro Vox et consacré aux leçons qui peuvent être tirées du vote en faveur du Brexit...

    Journaliste, Jean-Michel Quatrepoint a notamment publié Mourir pour le yuan (François Bourin, 2011), Le choc des empires (Gallimard, 2014) ou Alstom, scandale d'Etat (Fayard, 2015).

     

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    Le Brexit ou la grande révolte des classes moyennes

    Ils ont osé! Une fois de plus, les Britanniques nous donnent une leçon de démocratie. Et l'oligarchie montre son vrai visage. Voilà des années que les avertissements se sont multipliés. Aux quatre coins de l'Europe, comme aux Etats-Unis, les peuples sont mécontents de la manière dont ils sont gouvernés. Ils constatent la paupérisation des classes moyennes sous le double impact d'un capitalisme financier devenu fou et d'une révolution numérique sans garde-fous. Oui, les classes moyennes, piliers de nos démocraties occidentales aspirent à plus de sécurité, à plus de régulation. Elles ne se satisfont pas d'un retour aux lois de la jungle.

    C'est cela qu'elles expriment à travers leurs votes. Les «non» à répétition aux referendums, en France, aux Pays-Bas, au Danemark, dont on n'a pas tenu compte. La percée du Front national, du FPO en Autriche, les victoires des jeunes élus du mouvement de Beppe Grillo à Rome et à Turin. Les scores de Bernie Sanders face à une Hillary Clinton, symbole d'une oligarchie liée aux multinationales et à la finance. Le succès de Donald Trump chez les Républicains. Tout est lié. Et il ne sert à rien de pousser des cris d'orfraie contre les populistes, les souverainistes, les démagogues. La seule question qui compte est: pourquoi ont-ils le vente en poupe? Parce que les autres ont failli.

    Ils ont d'abord failli dans leur communication. À force de crier au loup, les électeurs ont dit «Chiche». À force de leur dire «il n'y a pas d'autre alternative», ils disent: «on va bien voir». Nul doute que les innombrables injonctions des organismes internationaux, des banquiers et de Barack Obama pour inviter les Britanniques à bien voter aura eu un effet contraire. Jusqu'à Emmanuel Macron qui s'est cru autorisé de menacer les Britanniques au cas où ils voteraient pour le Brexit. Ils ont failli parce que les peuples sentent bien que le pouvoir a peu a peu échappé aux politiques pour se concentrer dans les mains de multinationales n'ayant aucune légitimité démocratique.

    Et maintenant? Le calme va revenir peu à peu. Les marchés financiers, qui avaient spéculé sur un remain, ont été pris à contrepied. Croyant les bookmakers, ils avaient même racheté leurs positions vendeur. Dans ces marchés devenus de véritables casinos, il est donc logique que les mouvements soient amplifiés. On ne pleurera pas sur ceux qui ont spéculé. Les banques centrales vont faire la seule chose qu'elles savent désormais faire: injecter de la liquidité, rajouter de la dette à la dette pour éviter un embrasement généralisé.

    Les gens raisonnables vont prendre acte de la situation et organiser une sortie par étapes d'une Angleterre qui aura, n'en doutons pas, un statut particulier à l'avenir. Une sorte de membre associé, à l'image de la Suisse. La City va y laisser des plumes, mais ce n'est que justice. Le comble de cette construction européenne et de la création de l'euro ayant été d'en faire la capitale financière de la zone euro. La livre va dévaluer de fait. Ce qui reste de l'industrie britannique regagnera en compétitivité. Y compris vis-à-vis de l'Europe, car on ne voit pas les Européens appliquer des droits de douane exorbitants du jour au lendemain sur les produits britanniques.

    La seule question désormais qui vaille est celle de l'avenir de l'Union européenne. On entend de ci de là, les partisans du fédéralisme réclamer plus d'Europe. Ils se trompent. Le problème n'est pas de faire plus d'Europe, mais mieux d'Europe. L'heure n'est pas à bâtir une Europe fédérale, mais bel et bien de reconstruire une véritable confédération d'États nations. Avec de nouvelles institutions, notamment un Parlement où seraient mêlés députés européens élus et représentants des États. Avec une commission aux pouvoirs réduits au profit du conseil des chefs d'État et des conseils des ministres ad hoc. Reste que la seule question pour une future Europe est celle de ses rapports face à ces grands empires (Chine, Etats-Unis), à la Russie au monde arabo-musulman et à l'Afrique. Si l'on veut que l'Europe existe, qu'elle ait une ambition, elle doit redéfinir ses relations avec les États-Unis et ne plus se contenter d'en être une filiale plus ou moins obéissante. Il n'y aura pas d'Europe si Paris, Berlin et quelques autres capitales, ne comprennent pas que l'indépendance, est consubstantielle à un nouveau projet européen.

    Qui dit indépendance implique d'abord d'avoir une vraie politique de défense et d'y mettre les moyens qu'il faut. Comment peut-on espérer défendre nos intérêts, notamment économiques et culturels, si nous dépendons de Washington pour notre défense? L'Otan a vécu. Et il faut prendre, si jamais Trump est élu, le futur président au mot. Voilà ce qu'il faut mettre dans la balance avec Angela Merkel: elle doit choisir son camp.

    Qui dit indépendance, dit la fin des négociations sur les traités de libre-échange transatlantique. Cette négociation n'a plus de sens. D'abord, parce que les Britanniques ne sauraient y participer. Ensuite parce que la commission est décrédibilisée et qu'elle n'est plus légitime pour mener une négociation secrète et opaque.

    Qui dit indépendance, dit mise en place d'un minimum de règles fiscales et sociales communes, autour d'un petit noyau dur de pays. Plus question que les multinationales anglo-saxonnes et autres imposent leurs règles en matière d'optimisation fiscale ou de captation des données.

    Qui dit indépendance dit refus d'appliquer purement et simplement les normes juridiques anglo-saxonnes et d'accepter, sans aucune contrepartie, l'extraterritorialité du droit américain. Le chantier est immense. Encore faut-il mettre clairement les enjeux sur la table! Et si jamais nos partenaires, notamment nos amis allemands, ne partagent pas cette vision d'une Europe réellement indépendante, mieux vaudra alors pour notre pays, un bon divorce, plutôt qu'un mariage qui part à vau-l'eau.

    Jean-Michel Quatrepoint (Figaro Vox, 24 juin 2016)

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