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bien-pensance - Page 3

  • Dictionnaire de la langue de con...

    Les éditions de l'Archipel viennent de publier un Dictionnaire de la langue de con signé par Gilbert Collard. Un dictionnaire qui vient, certes, après d'autres du même genre mais qui est loin d'être inutile pour autant. A consulter...

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    " Freud disait que, si l’on cède sur les mots, on finit par céder sur les choses. Depuis des années, la société française flotte, sans s’en rendre compte, sur un bassin sémantique qui contraint chacun – ou presque – à porter autour de la taille la même bouée du conformisme langagier.
    Cette paralysie idéologique du langage frappe notre démocratie. Nous sommes dans un univers construit par des mots le plus souvent issus d’un vocabulaire politiquement correct de gauche. Or, imposer ses mots, c’est imposer ses idées ; c’est ainsi qu’un clandestin n’est pas un clandestin mais un « sans-papier ». Ce poids des mots fait plier dans les têtes la vérité et la réalité, lesquelles sont pourtant intangibles : un homme de ménage cesse-t-il d’être un homme de ménage parce qu’on l’appelle « technicien de surface » ? Une cité de banlieue d’être une cité de banlieue parce qu’on l’appelle « quartier » ? Derrière les mots, le vide des mots, forteresse vide.
    Ce dictionnaire s’attache à recenser et décrypter avec humour ces mots dont le véritable objet est d’imposer une bien-pensance qui piège les citoyens et les empêche de penser. Aux mots couchés, ce livre crie : « Debout les mots ! » "

     

     

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  • Le visage d'Eric Zemmour...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Julien Rochedy, cueilli sur son blog et consacré à Eric Zemmour, dont le dernier essai, Le suicide français (Albin Michel, 2014), connait un énorme succès...

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    Le visage d'Eric Zemmour

    Il faut regarder le visage d’Eric Zemmour de ces derniers jours pour comprendre que quelque chose s’est passé. Que quelque chose est passé. Sur lui, et aussi, par lui. Je me rappelle son visage lors de ses premières années en tant que star médiatique : Zemmour parvenait, en toutes circonstances, à conserver son air bon enfant, ses yeux rieurs et complices, y compris avec d’infâmes invités à qui il venait juste d’assener deux ou trois vérités. Zemmour, c’était le gentil mec, le sympathique, le seul qui pouvait faire rimer réactionnaire avec débonnaire, celui qui n’était pas d’accord avec la guimauve de la pensée télévisuelle, mais qui terminait toujours en riant, comme si, au final, tout cela n’était pas si grave. On a beaucoup glosé sur la judéité de Zemmour qui seule, semblait-il, le protégeait dans l’espace médiatique, compte tenu de tout ce qu’il pouvait y dire. On a beaucoup entendu que si Zemmour avait été un catholique blond aux yeux bleus d’un mètre quatre vingt, il eut été catalogué comme "nazi" et aussitôt exclu du PAF. Je crois que l’essentiel n’était pas là ; sa longévité, il la tenait plutôt de son côté accommodant, de son air bienveillant : il la tenait de son visage souriant. N’importe quel personnage issu de son école de pensée (gaullo-bonapartiste, en somme : patriote), en face d’un BHL ou d’un Edwy Plenel, à l’écoute des mensonges des uns ou des naïvetés des autres, eut fini par sévèrement froncer les sourcils, par hausser la ton, par croiser les bras ou au contraire les déplier pour atteindre le nez de ceux d’en face. Pas Zemmour. Depuis 2003 qu’on le voit à la télévision jusqu’à aujourd’hui, jamais il ne fut grave, ou très rarement. On obtient tout avec une arme à la main disait Al Capone ; à la télévision, on obtient tout avec un sourire plaisant. Zemmour s’est battu des années contre la pensée moderne avec la meilleure des armes modernes, une arme féminine qui plus est : la gentillesse. Grâce à elle, il est passé par toutes les mailles du filet, on l’a gardé, on l’a fait intervenir, on ne l’a pas vu venir, et au final, il les a tous battus. La société a changé, la gauche morale s’est écroulée – quelque chose s’est passé – Zemmour a triomphé chez les téléspectateurs. Et c’est alors que quelque chose s’est aussi passé sur le visage d’Eric Zemmour. Je le regarde depuis plus d’une semaine, tandis qu’il écume les plateaux télé pour la promotion de son livre Le suicide Français. Son visage s’est durci subitement, il ne sourit plus, ou moins, et il affronte avec une gravité nouvelle les attaques de tous les prêtres médiatiques qui sentent bien que c’est encore par aménité que Zemmour a parlé de suicide plutôt que de meurtre, sans quoi ils eussent tous été sur le banc des accusés. Le visage d’Eric Zemmour s’est transformé. Il parle désormais sans légèreté de la mort de ce qu’il aime passionnément, la France, son pays, son enfance, et ses rêves de maréchaux napoléoniens éclaboussant de gloire la grande nation. Il sait que tout cela est mort et n’a plus envie de le dire en riant pour faire plaisir aux Ruquier ou aux Domenach. Il parle désormais d’autorité, car il sait que les Français – je veux dire : ceux qu’il reste – sont avec lui et partagent, sinon ses vues, au moins son désarroi. Zemmour n’a plus à jouer désormais, il est devenu grave, plus sombre, plus solennel ; médiatiquement, il n’a plus de visage bon enfant ; c’est un homme maintenant. D’une certaine manière, ce visage est l’heuristique de l’époque dans laquelle nous sommes entrés, car le temps de la dérision est passé, révolu par la réalité dure et violente ; le tragique reprend peu à peu ses droits sur l’Histoire et le temps des hommes revient.

    Zemmour, sans conteste, en est un.  

    Julien Rochedy (Rochedy.fr, 14 octobre 2014)

     

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  • Le Grand Journal ou Goebbels à Beverly Hills...

    Nous reproduisons ci-dessous un article cueilli sur le site de l'Observatoire des journalistes et de l'information médiatique et consacré au décryptage du Grand Journal de Canal Plus, grand-messe de la bien-pensance...

     

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    Le Grand Journal ou Goebbels à Beverly Hills

    Il y a quelques mois, nous évoquions le cas Canal, les difficultés que rencontrait actuellement la chaîne, ses origines et ses évolutions, lesquelles avaient fini par aboutir à un mélange inquiétant de dérision et de fanatisme. Le visionnage attentif de son émission-vitrine en cette rentrée médiatique allait être l’occasion de détailler les procédés très particuliers que celle-ci emploie et qui lui permettent d’assener une espèce de matraquage idéologique indolore et pourtant permanent. Le temps de la propagande « à la papa » telle qu’usitée par Goebbels ou Staline est bien définitivement révolu. Plus de slogans manifestes, plus de foi affirmée avec éclat, plus de mythologie en toc orchestrée de manière pompeuse, plus de dénigrement littéral du déviant. Non, au Grand Journal, on est modernes, on fait dans le bourrage de crâne high-tech, on formate tout en finesse, on agresse à la Sun Tzu (le grand stratège chinois), c’est-à-dire systématiquement par un biais indirect. On est pourtant bel et bien en présence d’une véritable machine de guerre idéologique, très construite, très offensive, bien que peut-être de moins en moins efficace…

    Rappelons que cette émission, qui prit la suite de Nulle part ailleurs, avait d’abord était élaborée afin de répondre au problème que posait la création, par la gauche au pouvoir, d’une chaîne cryptée inaccessible aux pauvres, en proposant au moins quelques programmes en clair. Cette nécessité avait alors été transformée en moyen de racoler des CSP+, cœur de cible de la chaîne, et attirer ainsi de nouveaux abonnés. Qu’en est-il donc du Grand Journal au début de la saison 2014-2015, alors que la chaîne a subi de nombreuses attaques et qu’elle a, l’année dernière, rappelé Antoine de Caunes, figure de l’antique Nulle part ailleurs, pour tenter de renouer avec son souffle originel en le mettant à la tête de son programme phare ?

    Le règne des chroniqueurs

    Ce qui frappe d’emblée lorsqu’on observe le montage général, la mise en scène et les gimmicks de l’émission, c’est à quel point les chroniqueurs qui y participent sont ici « starifiés ». Bien sûr, ce phénomène tient à une tendance générale qui s’est développée au cours des vingt dernières années, mais il atteint dans le Grand Journal un degré incomparable. Le générique est toujours précédé d’un sketch mettant en scène certains des chroniqueurs. Avant chacune des parties qui composent le programme, ce n’est pas l’invité ou le thème qui est introduit, mais les visages et les noms de ces héros qui se succèdent dans un montage éloquent et une image idéale. Enfin, régulièrement, ceux-ci sont intégrés comme figures dans les différents sketchs, dans les vidéos parodiques, dans les scènes des Guignols. Ce qui produit deux effets concomitants : premièrement, traités sur le même plan que les politiques, les sportifs ou les artistes célèbres, ils y gagnent un statut symbolique comparable. Deuxièmement, cela participe à fonder un facteur déterminant du discours implicite : l’esprit de connivence. On peut également remarquer que ces « stars » à la place des « stars » semblent toutes – hormis le disgracieux Jean-Michel Aphatie -, issus d’un casting photo drastique. Que l’on préfère passer à l’écran des gens au physique avenant est tout à fait compréhensible, mais encore une fois, par son côté systématique, le Grand Journal atteint sur ce point un niveau objectivement caricatural. Et ce, toujours pour la même raison : faire des chroniqueurs les vraies vedettes, les vecteurs essentiels du désir et de l’identification, à la place des invités. Quant à ces derniers, en raison de la brièveté des séquences, de leur enchaînement tambour battant, de la multiplicité des chroniqueurs qui les entourent et s’en nourrissent comme prétexte à leurs gags, ils en ressortent, à quelques exceptions près, à l’état de simple carburant d’une machine qui ne fabrique que sa propre gloire.

    Une propagande VIPiste

    Si c’est l’équipe du Grand Journal qui est starifiée, c’est donc que c’est à elle et à son « esprit » que le téléspectateur est convié à adhérer, et non directement à des invités qui, en proposant diverses visions du monde, pourraient du moins entretenir un panel d’opinions un rien démocratique. Il ne s’agit pas de s’identifier à un peuple entier mythifié et au dictateur censé l’incarner, mais à une caste, une caste de journalistes branchés et télégéniques, la « hype » friquée et bien-pensante, vis-à-vis de laquelle le CSP+ visé par le programme peut davantage se sentir à portée que le téléspectateur de TF1. Il s’agirait « d’en être ». D’où la culture permanente de cet esprit de connivence qui tranche avec les codes traditionnels de distance objective. D’où la règle de l’implicite qui prévaut toujours en matière idéologique, et non l’exposition claire des partis pris possibles. C’est en effet toujours l’implicite qui caractérise une aristocratie : seuls ceux qui y appartiennent sont initiés à ses rites, on n’expose pas ceux-ci au vulgaire. Paradoxe typique de la gauche mitterrandienne et de sa télé par excellence : on se présente comme de gauche, et même à la gauche de Hollande, mais l’ouvrier de chez Renault peut toujours attendre pour capter les sous-entendus ; le pauvre paysan ne sera représenté que par les séquences de L’Amour est dans le pré rediffusées dans le zapping pour faire s’esclaffer les beaux gosses médiatiques ; la femme de ménage comprend d’instinct qu’elle n’aura jamais la moindre chance d’être intégrée parmi les « élus » casseurs de ringards. Sauf que, comme au Grand Journal, on ne pense pas, mais on déconne dans l’entre soi pailleté, on n’a pas l’occasion de s’arrêter sur ce genre de contradictions.

    Le cas Polony

    Passons à présent à la constitution de cette équipe. Il n’y a pas grand chose à dire sur Antoine de Caunes, animateur assez transparent, si ce n’est qu’il est physiquement très présentable et qu’il apporte la caution des heures de gloire de Nulle part ailleurs, censée donc régénérer un programme à bout de souffle. L’introduction en cette rentrée de Natacha Polony, ancienne chroniqueuse du talk show de Laurent Ruquier, concourt à la même tentative de rénovation du Grand Journal. Il est fort possible que les critiques touchant au ronron autosatisfait de l’émission aient poussé les producteurs à intégrer un zeste de « diversité » et de débat en la personne de Polony. Dans l’émission de Ruquier, On n’est pas couchés, les chroniqueurs bénéficient également d’une place de premier ordre, mais l’effet d’équipe n’y a pas sa place, puisqu’il s’agit d’un tandem et, jusqu’alors, d’un tandem gauche / droite produisant plus de discorde que de connivence. Une discorde qui avait atteint des niveaux assez outrageux entre Natacha Polony et Aymeric Caron. L’avantage était la possibilité d’ouvrir le débat, un débat qui, en règle générale, peut en effet se tenir étant donnée la durée significative accordée aux échanges. Qu’allait donc donner l’introduction de Polony, intellectuelle « de droite » (enfin, de gauche chevènementiste, mais passons…), dans le sérail des bobos triomphants ? Eh bien, au début : rien. Et ensuite : pas grand chose. Au début, rien, l’intello rouquine est digérée par la machine, on la fait, dès le 1er septembre, participer à des sketchs et on lui consacre le même jour une parodie de la bande annonce du film Lucy de Luc Besson. Quoiqu’érudite et sérieuse, elle est une déconneuse branchée et starifiée comme les autres. Surtout, elle est très discrète et peine à trouver ses marques lors des premières émissions. À partir du 4 septembre, notamment face à Eric Ciotti revenant d’Irak, la polémiste commence de s’affirmer enfin. Elle pose de bonnes questions. Reste que le format du débat ouvrant le talk show ne permet ni d’y répondre vraiment, ni de développer une analyse. Ce que Christiane Taubira (le 10 septembre) sait parfaitement, qui botte en touche dès que Polony évoque son traitement de la délinquance, expliquant qu’il faudrait pour cela le cadre d’une autre émission… Les questions de Polony peuvent donc bien fuser, moins conformistes, plus pertinentes ou plus dérangeantes certes que celles des autres, elles resteront lettres mortes et avalées dans le flux d’une émission qui prétend ouvrir des débats sans laisser à personne le temps de s’expliquer.

    Le cas Aphatie

    Dans cette première partie du programme où se tiennent en général deux discussions avec un invité puis des journalistes ou témoins sur un thème politique ou sociologique, Jean-Michel Aphatie est le pendant de Polony. Le vieux journaliste basque est une caricature outrancière de la suffisance, telle qu’acquise à tremper depuis des décennies dans la vase de la Pensée Unique qui a inondé tous les grands médias. Le 2 septembre, face à Nicolas Dupont-Aignan venu témoigner du mouvement de grève des maires refusant la réforme des rythmes scolaires, Aphatie, après lui avoir reproché de chercher le spectaculaire pour se faire de la promotion, lui affirme tout bonnement : « C’est pour votre bien que je dis ça. Ça peut vous servir. » Le 12 septembre, face à Axel Kahn qui revient d’explorer la « France périphérique », alors que l’invité expose comment le développement de ces territoires oubliés n’implique pas forcément une augmentation des dépenses publiques, Aphatie rétorque, catégorique : « Bah… Sans dépenses publiques, c’est impossible. » On ne saura pas pourquoi. Mais visiblement, Aphatie maîtrise mieux tous les sujets possibles que ses invités auxquels il ne laisse de toute manière que très peu de temps pour répondre. Figure de vieux sage recadrant tout le monde au milieu de la déconnade et assenant sans la moindre gêne ses vérités toutes faites, Aphatie ne rechigne pas pour autant à l’autocélébration et à la clownerie qui sont la marque de la maison. Ainsi, le 8 septembre, l’émission s’ouvrira sur une scène particulièrement grotesque : le chroniqueur, affublé d’un chapeau pointu et devant une bougie, chante : « Joyeux anniversaire à moi… » À un tel stade d’autosatisfaction, il faut croire que l’idée qu’on puisse se rendre ridicule n’a simplement plus la possibilité de jamais surgir.

    La tyrannie du montage

    Entre les quelques questions de Polony auxquelles on n’a pas le temps de répondre et les assertions péremptoires d’Aphatie, l’invité est également systématiquement coupé par des extraits vidéos, des tableaux de statistiques, voire par un sketch. Le portrait à l’écran de l’invité est en outre titré d’un adjectif censé résumer d’emblée ce qu’on est censé penser de sa personne. Le tout sur une durée de moins d’une dizaine de minutes entièrement maîtrisée par les organisateurs du plateau. Dans un tel contexte, il est évident que l’invité a peu de chance d’incarner autre chose que la marionnette qu’on a décidé qu’il incarnerait avant que ne s’animent les vraies marionnettes des Guignols de l’info… Le procédé est totalement déloyal et contraire à la constitution du moindre débat. D’abord, diffuser des extraits vidéo, sélectionnés, coupés, montés hors de leur contexte et les assener à un invité sommé de se justifier (encore une fois, sans disposer du temps pour cela) et pris totalement au dépourvu représente une méthode pour le moins malhonnête. Ensuite, les sketchs de Sébastien Thoen répondent également à un procédé pour le moins pervers. Celui-ci va interroger des gens dans la rue soit sur le mode de la blague soit sur celui du témoignage brut. Il place donc le sujet du débat sous le signe de la dérision, ou colporte des réactions censées avoir le poids du réel. Sauf qu’on peut évidemment monter les extraits qu’on a sélectionnés et ceux-ci n’ont bien entendu aucune valeur objective. Mais présentés de cette manière, ils se trouvent lestés d’un effet de réel totalement factice et comminatoire. Idem en ce qui concerne les chiffres que Jean-Michel Aphatie fait brutalement surgir sur un écran au cours de la discussion, qu’il s’agisse de sondages ou de statistiques. Ceux-ci produisent immédiatement un effet de vérité objective et indiscutable, alors qu’on sait bien que les chiffres doivent au contraire être manipulés avec beaucoup de précautions et mis en perspective, sans quoi on peut bien leur faire dire à peu près tout et n’importe quoi. Mais prenons un exemple particulièrement éloquent, lors du passage de Nicolas Dupont-Aignan sur le plateau du Grand Journal, le 2 septembre.

    Dupont-Aignant : lynchage orchestré

    Parce qu’il est représentant d’une droite gaulliste classique, Dupont-Aignan est d’emblée considéré comme un ennemi politique par les déconneurs de l’émission qui demeurent très sérieux en matière de rectitude idéologique. Le 2 septembre, il est invité au sujet de la polémique autour de la réforme des rythmes scolaires, suite au cadenassage des écoles par des maires refusant d’appliquer cette réforme. Il est probable que l’essentiel des téléspectateurs dans ces échanges confus, rapides, lapidaires qui acculent totalement un Dupont-Aignan débordé, ne retiendra que l’adjectif qui souligne son portrait en lettres capitales dès le début du « débat » : « LE PROVOCATEUR ». On aurait pu écrire : « le rebelle », « l’insoumis », « le frondeur », mais toutes ces épithètes ont, à gauche, une résonance positive. On choisit donc de l’étiqueter simple « provocateur », exposant d’ailleurs dans un premier temps comment cette provocation est une provocation contre la République. « Le principe républicain, c’est d’appliquer la loi », déclare Aphatie, plus méprisant que jamais. Donc d’expulser Léonarda ? a-t-on envie de lui répliquer. Même Natacha Polony y va de son soupçon d’anti-républicanisme. Dupont-Aignan tente de revendiquer le simple droit de grève. La rhétorique est archi-classique. À gauche, quand on désobéit : on résiste au fascisme. À droite quand on désobéit : on assassine la République, et donc on concourt au fascisme. À gauche, quand on obéit, c’est parce qu’on est attaché à la République. À droite, quand on obéit c’est par esprit de collaboration. Il n’y a rien d’autre à comprendre. S’ajoute à cette première pseudo-démonstration, un sketch de Sébastien Thoen qui donne la parole à des enfants, lesquels ne comprennent pas pourquoi ils ne peuvent pas aller à l’école. Le procédé est totalement grotesque. Pourquoi ne pas convier des élèves de CM2 à s’exprimer sur le plateau dans ce cas ? Enfin, dernière partie de la démonstration, Aphatie fait défiler plusieurs extraits qui tendraient à prouver que Dupont-Aignan a toujours fait dans la provocation et dans le spectaculaire au cours de sa carrière politique. Sauf que collecter des extraits vidéo sur une longue carrière politique, puis les rassembler permet évidemment d’illustrer n’importe quoi. On aurait tout aussi bien pu démontrer que l’homme avait toujours été dépressif ou optimiste, grincheux ou lyrique, amateur de thé ou de café. Surtout, dans une démocratie médiatique comme la nôtre, quel homme politique ne verse pas dans le spectaculaire ? Mélenchon, invité le 11 septembre, ne sera jamais accusé d’un tel vice, alors qu’il s’y vautre en permanence (il allait quelques jours plus tard s’afficher avec Jérôme Kerviel à la fête de l’Humanité). En tout cas, la démonstration est achevée : Dupont-Aignan n’est qu’un vulgaire provocateur, sa provocation a des relents plus ou moins fascistes, et ne sert en définitive que son carriérisme politique. Hormis ce lynchage parfaitement orchestré, on ne retiendra aucun échange véritable sur la question de fond : celle de la réforme des rythmes scolaires…

    Taubira, Mélenchon : ceux qui triomphent

    A contrario, quelques invités politiques, exclusivement de gauche, ressortent triomphaux de l’expérience. Ce furent Taubira et Mélenchon lors de ces deux premières semaines. Cela tient autant du fait qu’ils bénéficient d’un traitement de faveur que de leur propre talent en de semblables circonstances. Traitement de faveur : Taubira est annoncée par cette phrase de de Caunes : « Rare en télévision, ce soir, elle a accepté l’invitation du Grand Journal. » Pour une fois, c’est donc l’invitée qui est mise à l’honneur et accueillie avec gratitude. Ensuite, Taubira, comme Mélenchon, bénéficieront d’un temps d’antenne supérieur aux autres invités politiques, comme si on ne se décidait pas à les quitter et que l’on désirait leur avis sur tout, Taubira parvenant même à se faire réinviter en direct pour une autre émission. Mais l’autre point important, c’est également que ces deux invités sont de véritables bêtes médiatiques et qu’ils désamorcent tous les pièges que nous avons décrits plus haut afin de conserver la maîtrise de l’entretien ; et ils les désamorcent sans doute pour les avoir étudiés en amont. Ainsi, après un extrait de Martine Aubry suite auquel on demande à Christiane Taubira de réagir, celle-ci réplique : « Je suis étonnée de la transition… » mettant en relief la perversité du procédé du montage sauvage d’extraits en cours de débat. Comme Aphatie coupe la ministre, celle-ci rétorque, offensive : « Je peux finir une phrase ? » et force les chroniqueurs à lui laisser le loisir de s’expliquer. Mélenchon, lui, observant son portrait qui le montre grimaçant avec le titre : « ANTISYSTÈME », fait remarquer : « Elle n’est vraiment pas belle, la photo ! », révélant encore la déloyauté de ces raccourcis caricaturaux. À son sujet, d’ailleurs, le sketch réalisé par Sébastien Thoen sera pour une fois parfaitement complaisant. En effet, le comique demande des signatures de soutien au président du Front de Gauche dans le quartier huppé du XVIe arrondissement. C’est la bourgeoisie du XVIe qui est la vraie cible du sketch, que l’on tente de ridiculiser et non l’invité lui-même. Cette bourgeoisie représente une autre cible rituelle de Canal++ (avec le peuple ringard de province), non tant par esprit anti-bourgeois puisqu’en vérité, si la nouvelle bourgeoisie branchée et médiatique de gauche ne perd jamais une occasion de tacler la vieille bourgeoisie de droite, c’est simplement en raison d’une rivalité obsessionnelle.

    La bouillie commune

    En dehors de ces cas extrêmes, on pourra remarquer la prestation tout à fait correcte d’Eric Ciotti le 4 septembre, évoquant la situation en Irak et parvenant à formuler un propos sans être en permanence interrompu. Sur le même sujet -l’intervention contre l’État Islamique-, le 12 septembre, les invités parviennent également à développer à peu près leurs aperçus. Quand le thème est difficile et que l’invité en a une connaissance particulière que ne peuvent partager les chroniqueurs, le brouillage manipulatoire du discours est moins effectif et, faute de débat, on peut au moins entendre une analyse rapidement ébauchée. Sinon, la grande majorité des invités appartient à l’aile gauche du parlement : Stéphane Le Foll, Bernard Poignant, Julien Dray, Jean-Marie Le Guen, et bien sûr Mélenchon et Taubira. La plupart du temps, seule une bouillie confuse surnage de ces échanges truffés des lieux communs du politiquement correct. De toute manière, l’important ici, ce ne sont pas les idées, c’est le sketch. Lorsque les sujets sont délicats, ils sont en général éludés d’un slogan convenu. Le cas Mehdi Nemmouche, par exemple, qui soulève tout de même beaucoup d’inquiétudes sur l’intégration et la radicalisation de l’Islam en Europe, est résolu par le terme : « PSYCHOPATHE », accolé à son portrait. Ainsi peut-on bien s’enfoncer dans le crâne qu’un cas clinique marginal n’est le symptôme de rien en ce qui concerne la situation de l’Islam en France. Néanmoins, le mauvais accueil de la société française vis-à-vis de ces populations immigrées sera tout de même pointé du doigt. En somme, ce ne sont pas les dérives de l’Islam fanatique qui sont criminelles, mais les Français de souche qui, par leur méchanceté, les rendent inéluctables.

    Rissouli et la chasse aux fachos

    Parmi les (trop) nombreuses rubriques qui émaillent cette première partie, on trouve celle de Karim Rissouli, tellement anecdotique qu’on se demande bien ce qu’elle est censée nous apprendre. Une suite de flash info sans la moindre cohérence constitue en général son intervention. Cependant, le 9 septembre, le chroniqueur donne dans le scoop inédit. On nous montre des images d’une réunion sur le parvis de la mairie de Calais, où une foule est échauffée par un ex militant du FN, Yvan Benedetti. La population de Calais, exaspérée par le nouveau camp de réfugiés installé chez elle, est encouragée par Benedetti à s’organiser et, Rissouli force un peu le propos, à former des milices. Le chroniqueur, en bon adjuvant de la police de la pensée, en appelle à une condamnation judiciaire des déclarations du tribun. Le tatouage d’une croix gammée dans le cou d’un des hommes assistant au discours est zoomée pour faire s’effarer le téléspectateur. Encore une fois, on manipule sans vergogne. Qu’il y ait un skinhead à Calais et que celui-ci ait eu envie de se rendre à ce genre de réunion n’est symptomatique de pas grand chose, et sûrement pas de ce que laisse entendre le chroniqueur : que l’assemblée serait un regroupement de nostalgiques du IIIème Reich… Tenant son « affaire », Rissouli revient le lendemain avec des images des migrants, montrant la misère qui est la leur et comment les associations qui s’en occupent sont totalement débordées. Que ceux-ci soient également des délinquants qui enfreignent la loi française et qu’ils se livrent à de nombreuses déprédations dans la ville de passage qu’est pour eux Calais n’est bien sûr jamais mentionné. La population calaisienne elle-même n’est jamais interrogée ou prise en compte. Non, vu des studios parisiens et de la hype de Canal+, le problème est d’une simplicité déroutante : les méchants fachos d’un côté et les gentils migrants de l’autre. Et la seule question à se poser revient à se demander pourquoi l’État n’enferme pas les premiers et ne nourrit pas les seconds.

    L’esthétique du zapping

    Dans cette première partie, Augustin Trapenard assure la caution culturelle « dure ». Le 11 septembre, de Caunes l’introduit en prétendant que se vulgarise à Paris l’expression « se faire trapenardiser », pour poursuivre l’autocélébration permanente que l’émission se rend à elle-même. Bien, mais pour ce qui est de haute culture, Trapenard ne relaiera durant ces semaines de rentrée littéraire que les romans qui font le « buzz », lesquels sont rarement promis à une quelconque postérité. Le 2 septembre, le « critique littéraire » nous append que Frédéric Beigbeder bousculerait les codes du roman… On peut certes apprécier les productions du plus mondain des romanciers français, mais affirmer, après Joyce, Proust ou Céline, que Beigbeder bousculerait les codes du roman relève tout de même de la bêtise la plus manifeste. Enfin, cette première partie du Grand Journal s’achève dans le « Zapping », métaphore de tout ce qui précède. Le rythme est trop rapide pour le moindre début de réflexion, mais cette vitesse générale est un moyen de propagande subliminale. Au lieu de marteler sans cesse le même slogan, on fait tout défiler dans une confusion et un relativisme délirants, en orchestrant néanmoins les choses de manière à ce que ne surnage au delà de l’agression du flux, qu’une vision extraordinairement simpliste et autoritaire des choses. Dans le zapping, trois types d’extraits dominent la sélection. 1) Des extraits de documentaires sérieux qui, en quelques secondes, ne nous apprennent rien, mais instillent l’idée que les monteurs auraient une véritable conscience politique. 2) Des extraits d’émissions de téléréalité ou de jeux télévisés pour ménagères, laissant entendre que chez Canal+, on n’est pas des ploucs et qu’on peut donc se gausser librement de ces derniers. 3) Des extraits du Grand Journal de la veille, induisant le fait que l’émission est donc la référence ultime dans le domaine médiatique. En outre, la même technique de montage sélectif permet d’inclure des témoignages unilatéraux qui, sur chaque sujet, offrent systématiquement le même filtre idéologique limité. Par exemple, le 1er septembre, on diffusera les images d’un peuple ukrainien révulsé par Poutine. En aucun cas les arguments des partisans, pourtant nombreux, du président russe. Lequel sera juste après présenté dans Les Guignols sous les espèces d’un conquérant impavide. Voilà comment fonctionne le bourrage de crâne du Grand Journal : sans avoir l’air d’y toucher et sans se donner les moyens d’aucun débat véritable et constructif, on divulgue en permanence, sur le ton de la déconnade, une idéologie ultraformatée qui passe comme un code implicite d’appartenance à une élite VIP autocélébrée tout en faisant fantasmer au spectateur le bonheur de s’y identifier.

    Batterie de sketch

    La suite de l’émission, au centre de laquelle s’insinuent Les Guignols de l’info, marionnettes mythiques qui en sont comme la perle au milieu de l’huître, ne déroule presque plus qu’une interminable succession de sketchs brefs, de gags mitraillés jusqu’à épuisement par une armée d’adulescents. Rire et chansons version bobo n’offre plus que mille variations sur le même ton. Les Guignols consacrent l’essentiel de leur énergie dans le Hollande bashing. Cet acharnement pourrait paraître étrange de la part d’une émission si marquée à gauche, pourtant la gauche dont on se réclame ici est une espèce d’utopie immaculée, un trailer pour le meilleur des mondes qui n’a d’autre fonction que d’être exhibé sur l’écran de son portable dernier cri. L’engagement politique se résume dans le fait de porter un tee-shirt Che Guevara en se rendant à sa soirée privée. Quant à l’analyse générale du monde telle que divulguée par les Guignols, elle est d’une simplicité redoutable. En Amérique : des dictateurs sanguinaires. En Russie : des dictateurs sanguinaires. Au Moyen-Orient : des dictateurs sanguinaires. En France : un incapable, Hollande, qui laisse Valls faire le travail, mais Valls, c’est déjà Sarkozy, Sarkozy, c’est plus ou moins Marine Le Pen, Marine, elle n’est jamais présentée sans son père, Jean-Marie, qui lui est toujours Hitler… En somme, le monde est peuplé d’ignobles fascistes. Heureusement, des studios de Canal++, on résiste avec humour et on empoche les bénéfices financiers, moraux et narcissiques qui en résultent.

    Éternelle adulescence

    C’est donc une vision du monde d’ados niaisement idéalistes, binaires, irresponsables, ignorants et narcissiques, mais forts en vannes et munis d’un compte en banque d’adultes parvenus qui imprègne tout le programme. Apogée soixantuitarde. Dans la seconde partie, dominent la sous-culture américaine, le sport, et les performances des jeunes stars du Net recrutées par Canal. On se demande à ce moment-là si l’émission ne s’adresse pas en fait exclusivement à un public à peine pubère. La fameuse « miss météo » du Grand Journal, cette année la jolie Raphaëlle Dupire, ne passera pas le 8 septembre, ne se sentant pas à la « hauteur » de sa mission. Elle sera donc relayée ensuite par Alison et Poulpe. Cette séquence est également symptomatique. Sous prétexte de mépriser la météo, info beauf par excellence, et au lieu de se contenter de ne pas la présenter, l’émission propose de la tourner en dérision à travers le sketch d’un jeune mannequin qui incarne peu ou prou une bimbo de l’époque de Stéphane Collaro avec moins de poitrine et davantage d’esprit. Hormis la séquence du Gorafi, le vendredi, les comiques du Web repérés par l’équipe du Grand Journal ne donnent pas grand chose dans un tel contexte et développent le même humour ultra stéréotypé qui se limite à une succession mécanique de vannes d’une phrase. On a beau changer les têtes, Alison, Poulpe, Jérôme Niels, la très médiocre Nora Hamzaoui, il semble que se poursuive sans interruption la même et unique litanie qui finit par assommer d’ennui le téléspectateur ayant passé la vingtaine.

    Kultur Kampf

    Hormis ce robinet à vannes, donc, la « culture », c’est soit la rubrique « pop culture » de Mathilde Serrell qui égraine des nouvelles dans la même superficialité alerte qui fonde le rythme de l’émission, soit des invités qui peuvent certes être Ora-ïto et Daniel Buren (9 septembre), pour faire dans l’épate-bobo, Houellebecq avec Délépine et Kervern, qui s’en sortent en effet plutôt bien, à l’instar de Benoît Poelvoorde. Mais plus généralement, on tombe sur Luc Besson pour le navet blockbuster Lucy, Cameron Diaz pour le navet blockbuster Sextape, Charlotte le Bon et Helen Mirren pour le navet bien-pensant Les Recettes du bonheur… En soi, pourquoi pas ? Simplement, si on prétend mépriser le plouc à longueur de temps, encore faudrait-il avoir les moyens culturels de se le permettre. On aura également le nageur Florent Manaudou et les stars de la rentrée littéraire Frédéric Beigbeder et Emmanuel Carrère. Mais surtout, le 10 septembre, un grand moment de communion autour de Djamel Debbouze et de Mélissa Theuriau, incarnant à eux deux le summum artistique, humain et moral tel que peut le rêver la clique du Grand Journal. Il est comique, elle est journaliste de gauche ; elle est belle, il est d’origine maghrébine ; ils sont un couple mixte et un couple qui travaille ensemble et, en l’occurrence, elle vient de réaliser un documentaire pour Canal+ à la gloire de l’improvisation théâtrale (et donc de Djamel Debbouze dont ce fut la voie d’avènement). Béatitude et extase. Personne, à ce moment-là, ne se permettrait la moindre dérision. On baigne dans le sacré. Mais également dans l’idéologie. Car derrière le film, le couple cherche à imposer l’improvisation théâtrale aux programmes scolaires… Laquelle possède en effet mille vertus. Mais pose également mille problèmes qu’il eût été opportun de soulever. Plutôt que la langue de Racine, l’inhibition de l’étude et l’intégration de l’héritage, on valorise ainsi le « viens comme tu es », « parle comme tu peux », et « dispense-toi des modèles ». Étant donnée la dégradation actuelle de la transmission, on peut penser qu’il serait bon d’actionner d’autres leviers que celui-ci pour relever le niveau général. On peut aussi penser que Djamel Debbouze ne représente pas forcément non plus le modèle absolu à donner en exemple aux jeunes Français comme s’il s’agissait d’une version XXIème siècle de l’ « Honnête homme » pascalien du XVIIème.

    Goebbels à Beverly Hills

    Si dans les régimes totalitaires classiques, la propagande adoptait la forme d’un certain lyrisme paternaliste à l’attention d’un peuple massifié et infantilisé, la propagande divulguée en permanence par le Grand Journal adopte celle de la déconne adulescente à l’attention d’une masse atomisée à laquelle on propose le fantasme de rejoindre un carré VIP. Quant à ce carré VIP, cette élite autocélébrée et décérébrée, elle ressemble moins à une aristocratie qu’à une bande de lycéens « populaires » dans une série américaine. Lorsque cette élite du fond du bus se penche du côté droit, elle voit des fachos ; du côté gauche, elle voit des ringards. Elle méprise autant le petit peuple des loosers que les bandes rivales en classe à Louis le Grand. Sa vacuité pailletée n’a d’égale que sa morgue. Et elle sévit du lundi au vendredi dès 19h10. En clair, sur Canal+.

    OJIM (Observatoire des journalistes et de l'information médiatique, 23 septembre 2014)

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  • En finir avec le débat d'idées...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un point de vue de Laurent Cantamessi, cueilli sur Causeur et consacré à deux chiots de garde, nouveaux venus dans le chenil, qui veulent se faire remarquer et montrer qu'ils sont de bons petits roquets pour mériter eux aussi une jolie niche et une belle laisse...

    Laurent Cantamessi anime par ailleurs le site Idiocratie.

     

     

    edouard louis marcel gauchet

     

    En finir avec le débat d'idées

    Comment faire quand on est un jeune auteur à la mode qui surfe sur les thèmes en vogue et que l’on veut acquérir un peu plus de consistance, afin de s’assurer une date de péremption un peu plus tardive que le dernier vainqueur de The Voice ou n’importe quel autre produit médiatique ?

    Les choix sont multiples. Vous pouvez écrire un deuxième roman qui démontrera par sa qualité, sa maîtrise stylistique et la profondeur du propos que la littérature peut compter sur vous, voire vous introduire tout de suite au panthéon des Grands. Le problème est que votre talent risque dans bien des cas de n’être reconnu qu’après votre mort. Du coup, pour les parties fines avec des dizaines de top models dans des lofts extravagants et les flots de cocaïne sur la Riviera, faudra  repasser. Il faut bien reconnaître qu’à ce compte-là les rock stars, les vedettes de cinéma et les hommes politiques sont bien mieux lotis. Mais pas question de tenter The Voice si vous chantez comme une porte de Simca 1000 ou d’aller faire le tour des maisons de retraite de la Sarthe pour vous faire élire député-maire, il vous faut des résultats rapides.

    Dans ce cas, il est aussi possible de devenir sataniste et et de commettre un massacre de masse comme Charles Manson. Sur le plan médiatique, c’est un contrat gagnant-gagnant mais cela implique de passer le reste de ses jours en prison. Et, là encore pour les orgies dans les garçonnières high tech des métropoles mondialisées et les teufs de malade sur le yacht de Bolloré, faudra repasser. Il ne faut cependant pas désespérer, car ce serait faire trop peu de cas des plans de carrière fantastiques offerts aux jeunes créatifs dotés de deux doigt de jugeote. C’est ce que démontrent avec brio Edouard Louis et Geoffroy de Lagasnerie.

    Edouard Louis est ce « jeune écrivain de 21 ans » qui a bouleversé la dernière rentrée littéraire avec son roman En finir avec Eddy Bellegueule dans lequel il raconte son enfance et son adolescence martyre, la découverte de son homosexualité dans un milieu ouvrier étroit d’esprit, moche et méchant. Eddy Bellegueule a souffert, il a connu les moqueries, les brimades, dans sa famille ou au collège. Du coup, il s’est découvert non seulement homosexuel mais bourdieusien : les pauvres, c’est programmé pour enfanter des cons d’ouvriers et des imbéciles de caissières et quand on n’est pas un imbécile et qu’on veut voir autre chose dans sa vie qu’un tapis de supermarché ou de chaîne de montage, il vaut mieux fuir et écrire un livre talentueux qui assassine les parents indignes et les villageois infâmes auprès desquels on a grandi, ce qui ravira les éditeurs parisiens. Salauds de pauvres. Si les intéressés ont l’audace de se manifester pour protester et faire valoir que le trait a été un peu forcé, on se défend en disant qu’il s’agit de la liberté du romancier et que toutes les critiques adressées à ce coming out poético-bourdivin sont réactionnaires. Autofiction, ton univers impitoyable.

    Geoffroy de Lagasnerie a un patronyme qui sonne comme une ascension balzacienne. Il voit chez  Foucault un penseur des aspects émancipateurs du néo-libéralisme. Il est philosophe et journaliste, il n’a pas de fiche Wikipédia comme Edouard Louis, mais il aimerait bien être aussi connu quand Edouard Louis souhaiterait le rester. L’association de ces deux-là est une affaire qui roule, et la raison sociale de l’entreprise était toute trouvée : la rebellitude est un produit toujours vendeur. Ne restait à trouver que l’occasion de se lancer sur le marché néanmoins un peu surencombré de l’impertinence et de la révolte labellisées.

    Le 29 juillet, Edouard Louis et Geoffroy de Lagasnerie ont donc publié sur internet un appel à boycotter les « Rendez-vous de l’histoire » qui auront lieu entre le 9 et le 12 octobre et proposeront comme thème d’étude : « Les Rebelles ». Dans un texte vibrant, publié sous le titre « Célébrer les rebelles ou promouvoir la réaction ? », l’écrivain en vogue et le philosophe en devenir s’insurgent : « C’est donc avec stupéfaction et même un certain dégoût que nous avons appris que Marcel Gauchet avait été invité à en prononcer la conférence inaugurale. Comment accepter que Marcel Gauchet inaugure un événement sur la rébellion ? Contre quoi Gauchet s’est-il rebellé dans sa vie si ce n’est contre les grèves de 1995, contre les mouvements sociaux, contre le PaCS, contre le mariage pour tous, contre l’homoparenté, contre les mouvements féministes, contre Bourdieu,  Foucault et la « pensée 68 », contre les revendications démocratiques ? »

    Peut-être Edouard Louis et Geoffroy de Lagasnerie ont-ils trouvé que Blois est un peu sinistre en octobre. Ils ont plus sûrement flairé la bonne combine. Cela fait en effet un moment que Marcel Gauchet est identifié par l’intelligentsia comme un ennemi du progrès. En 2002, il était déjà fiché par Daniel Lindenberg comme « nouveau réactionnaire ». En 2008, il apparaît encore comme l’une des principales cibles de La pensée anti-68 de Serge Audier, qui est une sorte de réédition du bouquin de Lindenberg avec un nouveau titre. Et puis bien sûr, Gauchet est coupable du crime de lèse-majesté suprême, se permettant de critiquer l’héritage de Foucault et de Bourdieu, les deux divinités post-universitaires de l’ère post-moderne. Avec lui c’est le coup gagnant assuré et bien d’autres l’ont réalisé avant Edouard Louis ou Geoffroy de Lagasnerie. Vous choisissez une personnalité un peu sulfureuse (ou seulement un peu soupçonnable d’anti-progressisme, pas besoin de se casser la tête) dans le paysage intellectuel, vous lui opposez la pureté, la fougue et la spontanéité rafraîchissante de jeunes représentants de la nouvelle génération de défenseurs de l’humanisme, de la tolérance, de la générosité (etc, etc, etc.) et vous lancez la polémique sur n’importe quel sujet anodin en rappelant éventuellement le passé trouble de la personnalité incriminée (dans le cas de Marcel Gauchet, les grèves de 1995, vous pouvez ajouter au hasard le Pacs, l’homoparentalité, tout ce que vous voulez, de toute façon personne n’ira vérifier). Avec de la chance, Libération (ou le Monde, c’est selon) s’empare de la polémique pour lancer définitivement le feuilleton de l’été. François Bégaudeau avait fait de même avec Finkielkraut, ça avait marché du feu de Dieu. Il n’y a donc pas de raison que ça ne fonctionne pas ce coup-là avec Gauchet.

    On se permettra d’ailleurs de réactualiser un peu la critique adressée par Gauchet, et d’autres avec lui ou après lui, à l’adresse de Bourdieu et de ses disciples. De la même façon que l’on parlait après Marx des « petits-marxistes » qui ont ossifié et érigé en dogme rigide l’analyse du maître, Bourdieu a eu ses disciples fanatiques qui ont imposé aux milieux intellectuels la pensée bourdivine à l’égal des nouveaux Dix Commandements. Si l’on considère que la pensée de Bourdieu est déjà en elle-même figée dans une certaine conception mécaniste de la société que ses innombrables disciples accentuent jusqu’au fanatisme, on comprend mieux pourquoi Gauchet a pu parler de « désastre intellectuel » en qualifiant un héritage qui est devenu une véritable doxa officielle. Depuis la mort du Maître, ses successeurs cultivent avec jalousie le pré-carré mais une nouvelle génération semble sur le point d’émerger, prête non pas seulement à utiliser Saint Bourdieu comme un marchepied institutionnel mais désormais comme un véritable label commercial pour lancer une carrière médiatique. En ce sens, il est très amusant de voir Edouard Louis et Geoffroy de Lagasnerie reprocher à Gauchet de n’avoir pas été un « rebelle ». On se demande bien en effet contre quoi ces deux représentants très lisses d’une pensée très autorisée ont bien pu se rebeller eux-mêmes…On ne déniera pas à ces deux talentueux entrepreneurs de la provocation ciblée un certain talent commercial mais de là à se faire décerner comme ils l’entendent la médaille du mérite de la rébellion, il ne faut pas exagérer.

    Et puis d’un point de vue purement commercial, l’entreprise pourrait n’être pas si bonne que cela. Lancer un anathème un 29 juillet, entre les va-et-vient des juilletistes et des aoûtiens et, pire encore, au milieu du fracas des armes au Proche-Orient ou à l’est de l’Europe, cela relèverait presque de l’amateurisme. On souhaite toute la réussite possible aux deux ambitieux dans leur entreprise de dénonciation mais; tout de même, il faut penser à ce genre de choses. Le timing, c’est important et, à trop vouloir se précipiter, Edouard Louis et Geoffroy de Lagasnerie risquent de rester plantés entre deux pâtés de sable et trois coquillages, leur appel n’allant pas plus haut qu’un cerf-volant sur une plage de la Côte d’Opale. Ils pourront toujours dire que c’est la faute aux champs sociaux et à Marcel Gauchet.

    Laurent Cantamessi (Causeur, 4 août 2014)

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  • Pourquoi le peuple fait secession ?...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien avec le sociologue Michel Maffesoli, cueilli sur le site du Figaro et consacré aux résultats des élections européennes...

    Michel Maffesoli vient de publier, avec Hélène Strohl, un essai intitulé Les nouveaux bien-pensants (Editions du Moment, 2014).

    Le Monde 27 mai 2014.png

     

    Abstention, vote FN : pourquoi le peuple fait sécession

    Vous parlez dans votre livre Les nouveaux bien-pensants de «la secessio plebis, cette séparation politique d'un peuple ne se reconnaissant plus dans l'erratique discours d'une élite on ne peut plus déphasée.». A-t-on assisté dimanche 25 mai à l'éclatante manifestation de cette secessio plebis, tant par le score du Fn que par celui de l'abstention? Est-ce inquiétant?

    Le résultat des élections de dimanche dernier traduit, d'une manière paroxystique, le décalage grandissant existant entre les élites et le peuple que celles-ci sont censées représenter. Élites? Intelligentsia? tous ceux qui ont le pouvoir de dire et celui de faire: politiques, journalistes, divers experts et autres hauts fonctionnaires.

     

     

    Ce n'est pas la première fois, pour reprendre une expression classique de la pensée politique qu'une telle secessio plebis se manifeste.

    C'est à partir d' une telle mise en perspective que l'on peut comprendre, à la fois, le vote du Front national, mais plus encore celui de l'abstention. (26,8 millions d'abstentions, 4,7 millions de votes FN). On a pu, à cet égard, remarquer que celle-ci était particulièrement forte chez les jeunes générations (73% d'abstentions pour les 18-35 ans). Tout cela, bien entendu ne manque pas d'être inquiétant. En tout cas nous force à penser, en profondeur, la nouvelle époque qui s'amorce. Puis-je, à cet égard, rappeler que ce mot tout à fait anodin: «époque», signifie en grec parenthèse . Et n'oublions pas qu'une parenthèse s'ouvre et une parenthèse se ferme. La parenthèse moderne est en train de se fermer et l'incapacité des élites à voir celle qui s'ouvre conduit aux conséquences que l'on vient d'énoncer. D'où la méfiance qu'elle suscitent, en particulier chez les jeunes générations qui, blogs, forums de discussion et autres sites communautaires aidant, ne s'en laissent plus conter!

    Quels sont les ressorts profonds de cette rupture entre les élites et le peuple que vous décrivez? Est-ce un phénomène typiquement français?

    Les racines d'une telle rupture, dans le sens fort du terme d'un tel désaccord, se trouvent, certainement, dans le fait que cette intelligentsia reste figée sur les certitudes théoriques qui lui paraissent comme autant d'assurances, mais qui en fait l'empêchent, tout simplement, d'accompagner les mutations dont il est vain de nier l'importance. On peut pourtant, quand on regarde sur la longue durée les histoires humaines, observer que le déclin d'un vivre-ensemble s'accompagne toujours de l'émergence d'une autre forme de socialité. Ce processus, je l'appelle saturation .C'est-à-dire qu'une nouvelle construction va s'élaborer à partir des éléments tombés en décadence.

    Par exemple, à l'individualisme qui avait prévalu, succède un idéal communautaire qu'il est abusif et surtout dangereux de nommer communautarisme. En effet, dans tous les domaines, le «Nous» prévaut sur le «Je». C'est en comprenant un tel glissement que l'on peut saisir les nouvelles formes de solidarité, de générosité qui sont en train de s'élaborer sous nos yeux. De même, le rationalisme (c'est-à-dire une systématisation de la raison dans la vie sociale) est en train de laisser la place à une conception plus ouverte de la rationalité: pour user d'un oxymore, je dirais que ce qui est en jeu est le désir d'une raison sensible où l'imaginaire occupe une place de choix. Cela s'observe dans l'émergence des passions, des émotions collectives. C'est ainsi que les affects ne sont plus cantonnés derrière le mur de la vie privée, mais tendent à se capillariser dans l'ensemble du corps social. Et il est très réducteur de réduire, comme le font la plupart des politiques, les valeurs populaires au pouvoir d'achat et à la recherche de la sécurité économique. Enfin, le simple progressisme, la recherche de la société parfaite dans le futur, la tension vers les «lendemains qui chantent», tout cela est en train de laisser la place à une accentuation sur le présent, un vivre ici et maintenant et ce à partir des racines, à partir des traditions. Tout cela peut se résumer au travers du terme de progressivité qui insiste sur ce qu'on peut appeler l'enracinement dynamique. Le lieu fait lien!

    La dilution des valeurs qui firent la modernité (individualisme, rationalisme, progressisme) serait la cause du rejet de l'Europe de Bruxelles?

    Oui, l'accentuation d'une Europe purement institutionnelle au détriment d'un sentiment européen et d'une expression de la culture et de la tradition européennes vivantes ont certainement détourné nombre d'électeurs du vote.

    Les élites ne comprennent pas un tel glissement. Elles méconnaissent l'importance de la communauté (le «Temps des tribus» est bien arrivé!), de l'émotionnel, d'un présent partagé . Elles sont, ainsi, éloignées de la vie de tous les jours, ce qui ne manque pas d'entraîner la rupture avec les conséquences que l'on voit. C'est en se contentant de répéter, mécaniquement, des mots incantatoires que, d'une manière inexorable, l'on se coupe de ce que Auguste Comte nommait le «pays réel». Quand ceux qui sont censés le faire ne savent plus dire ce qu'est la conscience collective il n'est plus étonnant que celle-ci n'ait plus confiance!

    Vous avez dénoncé dans votre livre «les nouveaux bien-pensants», un entre-soi politico-médiatique en rupture totale avec la réalité. Qu'est-ce que cette bien-pensance que vous dénoncez? N'est-ce pas un mot galvaudé?

    Certes la «Bienpensance» est un mot qui, utilisé sans distinction, peut devenir une formule vide de sens. Pour ma part, c'est en me souvenant des vigoureuses analyses de Georges Bernanos qui, dans ses écrits de combat, s'élevait contre les facilités de pensée et les divers conformismes du moment, que je reprends, à mon tour, ce terme. Et ce en rappelant que le conformisme logique, les «éléments de langage» et autre «langue de bois» favorisent un «entre-soi» . Une véritable endogamie engendrant une rupture totale entre le peuple et ceux qui sont censés le représenter.

    Vilfredo Pareto, avec justesse et acuité, soulignait d'ailleurs que quand une époque s'achève, on voit s'amorcer une «circulation des élites». C'est quelque chose de cet ordre qu'il faut avoir à l'esprit, alors que les générations vieillissantes, et surtout figées sur leurs certitudes, s'accrochent à leur pouvoir, politique, économique, intellectuel, social. La pensée «établie» fonctionne à partir d'une conception moraliste du monde, c'est-à-dire, pour reprendre une expression de Max Weber, envisageant le monde comme «il devrait être» et non pas «comme il est». Ce faisant, ce dernier reprenait l'ironique remarque de Nietzsche parlant de la «moraline» suintant d'un corps moribond . C'est cette sécrétion nauséabonde qui fait fuir ceux qui ont envie de respirer un air pur. Peut-être est-ce en ayant cela à l'esprit que l'on peut comprendre le dégoût qui se manifeste vis-à-vis des diverses élites contemporaines.

    Une conception morale de la politique qui propose de «changer l'homme..

    On peut penser que les derniers débats dits sociétaux, c'est-à-dire ceux proposant une dénaturation de la structure anthropologique qu'est l'altérité sexuelle, la manie du niveau dans le rapport entre les sexes, obsession de l'asepsie sociale dans le domaine de santé et de prévention , tout cela tient moins du détournement: ne pas parler du chômage, que de cette volonté paranoïaque de plier la société à un modèle unique, considéré comme le meilleur.

    En ce sens l'Europe, considérée par de nombreux Français comme responsables des multiples règlements régissant notre vie quotidienne, ( règlements souvent impulsés par nos bureaucrates nationaux) a payé ce refus d'une intrusion étatique dans l'intimité.

    La montée du Front National traduit-elle un sentiment d'exaspération, de saturation par rapport à la politique politicienne des partis établis, ou bien une véritable adhésion aux thèses de Marine Le Pen? En d'autres termes: assiste-t-on à une «droitisation de la société» ou à un simple désir de changement?

    Je ne suis pas certain que les exacerbations s'exprimant dans les diverses élections que l'on vient de vivre traduisent une adhésion aux thèses du Front national. Il est également trop facile, et cela s'inscrit bien dans la bienpensance, c'est-à-dire dans la routine philosophique, de croire que l'on assiste en France ou dans d'autres pays européens à «une droitisation de la société». De la même manière il est peut-être trop rapide de voir là un simple désir de changement. En fait, tout simplement, comme la représentation philosophique ( c'est-à-dire les systèmes de pensée hérités du 18ème et du 19ème siècles) ne parait plus pertinente, les peuples n'ont plus envie de se reconnaître dans une représentation politique restant figée sur un mode de pensée quelque peu obsolète. Il est fréquent de dénoncer, ou à tout le moins de moquer le bon sens populaire. Or celui-ci d'une manière plus ou moins souterraine est au cœur même du vivre-ensemble. On retrouve chez des auteurs aussi différents que Descartes ou Joseph de Maistre des analyses insistant sur la nécessité de s'accorder «à la droite raison et au bon sens réunis».

    Pour ma part je considère que c'est cette conjonction qui s'exprime dans les diverses «humeurs» sociales dont on n'a pas fini de mesurer les effets. En bref, on ne supporte plus l'aspect péremptoire, intolérant de ce que Tacite nommait , «tristis arrogantia», l'arrogance triste de ces moralistes ayant, pour tous les problèmes, une réponse universelle . Solution, de surcroît, inefficace! Tout est bon pour leur rappeler leur impuissance.

     

     

    Pour le dire en d'autres termes, la verticalité du pouvoir (politique, médiatique, universitaire, administratif) ne fait plus recette et il va falloir s'ajuster à une horizontalité de plus en plus importante dans nos sociétés. C'est cela la mutation de fond, et la rabattre sur une soit-disant adhésion aux thèses de Marine Le Pen est une pensée à courte vue. Élargissons le débat, sachons ,véritablement, penser de ce qui est en jeu . En son temps, Jean Baudrillard avait attiré l'attention sur le «ventre mou du social» ou sur les «majorités silencieuses». Voilà que ce silence devient assourdissant! Le lepénisme n'est qu'un pré-texte parmi d'autres ; il faut savoir repérer et lire le vrai «texte».

    N'y a-t-il pas un danger à dire que le peuple a toujours raison, parce qu'il est peuple? Quand le FN se réclame systématiquement du «peuple», ne risque-t-il pas de basculer dans la démagogie pure?

    Le FN sait être sensible au fait que c'est le peuple et ses valeurs qui sont au fondement même de tout vivre ensemble.

    Les classiques de la pensée politique rappellent qu'il n'existe de Nation qu'à partir d'une «affectio societatis». Ce désir d'être et de vivre ensemble. C'est cela le peuple. Il est frappant d'observer que ces mots, en soi si riche de peuple ou de populaire, sont, la plupart du temps, interprétés par les élites en termes de populisme . Avec , bien sûr, la connotation péjorative que ne manque pas d'avoir un tel mot . C'est quand justement, l'élite ne sait plus dire ce qui est vécu que l'on peut voir le succès des diverses formes de démagogie. Je ne sais pas si le Front national dit que le peuple a toujours raison, mais ce qui est certain, c'est qu'il ne sert à rien de le diaboliser lorsque il rappelle que l'on ne peut penser et agir qu'en référence aux racines populaires.

    Pour ma part, je considère que c'est si , et uniquement si, on sait s'accorder à de telles assises, que l'on pourra penser, avec justesse, le nouveau vivre-ensemble postmoderne en gestation. En rappelant que , lorsqu'on observe sur la longue durée les histoires humaines le pouvoir n'est légitime que lorsqu'il reste enraciné dans la puissance populaire . C'est cette constatation de bon sens que l'intelligentsia française tend à oublier ou qu'elle ne sait pas dire . Souvenons, ici, d'Albert Camus: «mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde». Aussi convient-il de trouver les mots pertinents qui, dés lors, deviendront paroles fondatrices.

    Michel Maffesoli (FigaroVox, 30 mai 2014)

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  • Gauchisme culturel et démocratie du chaos...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une conférence de Jean-Pierre Le Goff sur le thème « Gauchisme culturel et démocratie du chaos», prononcée le 29 mars 2014 devant le cercle Politique autrement.

     

     

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