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autorité - Page 3

  • Les vraies raisons de la peur...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue publié par Hervé Juvin sur son blog, Regards sur le renversement du monde. Un appel à la souveraineté, à la lucidité et à l'autorité pour faire face à la tempête !...

     

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    Les vraies raisons de la peur

    Faut-il avoir peur des émeutes londoniennes ? Du terrorisme islamique ? De la montée des salaires en Chine, 25 % en zone côtière au cours des six derniers mois, aux effets multipliés par la hausse du renminbi ? De l’explosion des marchés financiers ?

    Adeptes sans le dire des idées de Carl Schmitt, les gouvernements et les media se sont lancés à la poursuite de nos ennemis. Et la fabrication de l’ennemi est une industrie qui tourne à plein régime. Dans les mots, mais pas seulement ; après Oussama Ben Laden, le colonel Khadafi était un ennemi présentable, il y en a, il y en aura d’autres. Ils ne sont pas loin. Une formidable bataille se joue en coulisse pour savoir si, oui ou non, une partie des activités bancaires et financières est désignée comme telle. Le débat oppose, aux Etats-Unis, d’un coté les tenants d’un règlement global du problème des « foreclosures », ces expulsions de débiteurs insolvables de leur logement financé à crédit, expulsions effectuées, sur la base de documents falsifiés ou d’engagements abusifs, par les banques créancières, et de l’autre, ceux qui souhaitent que les responsabilités soient établies et des dommages et intérêts payés aux millions de familles illégalement expulsées. Les banques souhaitent, contre une indemnité forfaitaire, se mettre à l’abri de toute poursuite. Les familles illégalement spoliées réclament justice. Ce débat mérite intérêt ; s’y opposent rien moins que deux systèmes de vérité, celui qui veut que la justice dise le bien et le mal, et celui qui dit que la justice doit s’exercer dans l’intérêt bien compris du plus grand nombre ; entendez ; que les banques continuent à faire leur travail et évitent la faillite. A ceux qui auraient oublié que les lois de l’économie peuvent faire l’impunité du criminel, le rappel peut servir.

    Les banques, les agences de rating, les fonds d’investissement, les systèmes de trading automatiques, tour à tour, suscitent la peur et sont accusées de porter la responsabilité d’une crise qui entre, vraiment, dans sa dimension politique Ce serait si facile ! La question est pourtant simple ; qu’est-ce qui donne tant d’importance à la dégradation de la note « triple A » de la dette américaine ? Qu’est-ce qui fait trembler la France à l’idée d’une dégradation de sa propre note ? Qu’est-ce qui donne tant d’importance à la finance de marché, aux taux d’intérêt, aux mouvements devenus erratiques du CAC 40 ? Rien d’autre que la facilité de la vie à crédit, un étrange aveuglement au recours aux investisseurs étrangers, une exigence déraisonnable de rendement du capital investi. Inutile de développer le fait ; le crédit condamne l’avenir à travailler pour le présent, et la politique de la France, si elle ne se fait pas à la Corbeille, sera durement et longtemps dominée par la question de la dette publique. Il est plus intéressant de souligner le ralliement borné des hauts fonctionnaires chargés de placer les titres de la dette publique à l’idéologie mondialiste et libre-échangiste ; avec le lancement des OAT, la création de l’Agence France-Trésor, ils ont pu sacrifier aux délices des road shows mondiaux, et ils ont réussi, puisque près de 70 % de la dette publique française est détenue par des investisseurs hors frontières. Mais qui a jamais cru qu’il serait aussi facile de spolier ces investisseurs, qui n’ont aucune raison de faire des cadeaux à la France, que les anciens porteurs nationaux de bons du Trésor, régulièrement volés par la décote ? La dette publique détenue par les nationaux s’apparente à l’impôt ; la question de la dette publique japonaise, détenue à plus de 90 % par les Japonais, ne se pose pas, du moins pas en terme de dépendance, alors qu’elle se pose et se posera à la France, qui s’est placée elle-même en situation de dépendre pour ses choix fiscaux, sociaux, et politiques, des détenteurs de sa dette, et de ceux qui la jouent. Il est tout aussi intéressant de constater la capitulation de tant d’entreprises, opérant dans secteurs matures où la croissance est de quelques pour cent par an, devant des exigences de rendement du capital de plus de 15 % annuels ! Ce qui, dans la durée, et dans un monde fini, signifie une alternative simple ; adopter un comportement de prédateur, ou truquer les comptes – certains s’étant fait fort de pratiquer les deux !

    Facilité, aveuglement, déraison ; ce sont les vraies raisons d’avoir peur. Car il n’est rien, dans la crise actuelle, qui ne soit exagération, montage et manipulation, c’est-à-dire qu’il n’est rien que l’esprit de décision, la lucidité et la souveraineté ne puissent résoudre. Mettre fin à l’assistance inconditionnelle va de pair avec faire payer l’impôt, et notamment celui des grandes entreprises. Recouvrer des marges de manœuvre va de pair avec renationaliser la détention de la dette, et proposer aux Français d’acquérir les titres de dette de la France, comme favoriser la participation des Français au capital des entreprises françaises. Affirmer l’autorité de la France appelle à se mobiliser autour de la notion d’entreprises criminelles, pour qualifier des agissements, des comportements et des systèmes qui doivent être éliminés, et dont la révélation par Wikileaks des menaces de l’ambassadeur américain contre l’opposition française aux OGM, (préconisant des « warlike measures » ! ) donne l’exemple. Et surtout, rompre avec l’abandon mondialiste et l’idéologie du libre-échange, dont chaque jour illustre davantage qu’ils sont la voie de la confusion de l’abandon, et de la soumission, est la condition du projet, de l’ambition, et du commun.

    Hervé Juvin (Regards sur le renversement du monde, 29 août 2011)

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  • Il y a toujours un ennemi !...

    Après une semaine largement consacrée à l'affaire Strauss-Kahn, revenons aux fondamentaux avec ce texte d'Alain de Benoist, consacré à la pensée de Carl Schmitt, paru en 1978 dans le Figaro magazine...

     

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    Il y aura toujours un ennemi

    La pensée de Carl Schmitt

    Peu de juristes et de politologues contemporains ont fait l'objet d'autant de jugements contradictoires que l'Allemand Carl Schmitt, disciple de Hobbes, de Max Weber et de Donoso Cortès, mais aussi grand lecteur de Proudhon et de Bakounine, qui fut en relations avec Jacques Maritain et René Capitant, et dont la Revue européenne des sciences sociales vient de saluer le 90e anniversaire – il est né le 11 juillet 1888 – avec un numéro spécial contenant une remarquable présentation de Julien Freund, professeur à l'Université de Strasbourg, et une érudite documentation rassemblée par le professeur Piet Tommissen, de Bruxelles.

    Tandis qu'en France son œuvre n'est encore guère connue que par des hommes comme Julien Freund (qui lui consacre de longs développements dans L’essence du politique, Sirey, 1965) ou Raymond Aron (qui a publié en 1972, dans la collection qu’il dirige chez Calmann-Lévy, deux de ses œuvres, La notion de politique et Théorie du partisan), Carl Schmitt n'en exerce pas moins aujourd’hui dans le monde entier une grande influence, que les critiques souvent absurdes qui lui ont été adressées n'ont jamais pu sérieusement entamer. (Tout récemment encore, Jean-William Lapierre, dans Vivre sans Etat ?, Seuil, 1977, allait jusqu’à le présenter comme un « ancien ministre de Hitler » !).

    Schmitt est d'abord celui qui a établi, de façon aussi définitive que possible, la réalité de l'autonomie du politique. Dans La notion de politique, texte datant de 1927, il montre que le politique ne saurait s’identifier ou être rabattue sur sur l’économie, l’esthétique ou la morale. L'État lui-même n’est pas synonyme de politique : « Le concept d'État présuppose le concept de politique ». Toute société humaine est en effet nécessairement dotée d'une dimension politique. L'homme est un être qui doit faire des choix collectifs pour trancher entre des aspirations et des projets différents. La politique est inévitable parce qu'il faut faire des choix. Certes, l’Etat représente l'instance du politique la plus courante, mais la substance de ce dernier est ailleurs. Si l'État vient à disparaître ou à démissionner de son rôle politique, la substance du politique devient en quelque sorte « flottante ». Elle est la proie des groupes de pression, tandis que les domaines précédemment réputés « neutres » cessent de l'être. Ces domaines « métapolitiques » (culture, art, religion, éducation, etc.) peuvent alors devenir autant de champs d'action de la politique réelle.

    Cela pose évidemment le problème de l'« essence » du politique. Pour Carl Schmitt, le critère d'identification de toute dynamique proprement politique n'est autre que l'aptitude à distinguer l'ami de l'ennemi (Freund-Feind Theorie). Cette distinction caractérise spécifiquement l'ordre politique, de même que la distinction entre le bien et le mal caractérise l'ordre de la moralité; celle entre le beau et le laid, l'ordre esthétique, etc. Le critère politique par excellence, c'est la possibilité pour une opposition quelconque d'évoluer vers un conflit susceptible de « monter aux extrêmes ». Est politique l'action qui implique, même indirectement, une telle distinction : « Dire d'une chose qu'elle est politique, c'est dire qu'elle est polémique » (Julien Freund). Corrélativement, toute politique implique l'exercice d'une puissance. Agir politiquement, c'est exercer l’autorité nécessaire aux conditions de formation de la puissance. La politique n'est pas un rapport d'intelligence, c'est un rapport de forces.

    Dès lors, l'acte politique fondamental devient la désignation de l'ennemi. Un État qui, par « pensée de ruse » ou par simple naïveté, croit pouvoir ignorer ses ennemis, a toutes chances de succomber à l'action organisée de ceux qui, eux, n'ignorent pas qu'il est le leur. Un tel État, qui se refuse à manifester de la puissance pour devenir, par exemple, un simple lieu de concertation ou une instance d'arbitrage à l'image d'un tribunal civil, cesse d'être politique. Et du même coup, la politique passe ailleurs. « En politique, écrit encore Julien Freund, on ne saurait échapper à la décision, sous peine de tomber dans l'irrésolution du libéralisme classique qui refuse tout choix ».

    De là, une théorie nouvelle de la souveraineté. « Est souverain, écrit Carl Schmitt, celui qui décide sur le cas d’exception (ou en cas de situation exceptionnelle) – c'est-à-dire celui qui, lorsqu’éclate une situation de crise rendant obsolètes les règles antérieures, peut effectivement instaurer ou rétablir l'ordre et la sécurité. Ce « souverain » n'est pas nécessairement l'État.

    Carl Schmitt a toujours combattu les théories juridiques normativistes, qui tendent à universaliser ou absolutiser certaines règles formelles. Sa position tend plutôt vers le décisionnisme d'un Hobbes : Auctoritas, non veritas, facit legem (« l'autorité, non la vérité, fait la loi »). Mais il tempère cette position en développant aussi une théorie de l'ordre concret, dont l'idée principale est que l'ordre ne se définit pas par une norme ou une somme de règles, mais que la règle n'est qu'un des moyens de maintenir un ordre historique global dans lequel la pensée juridique peut se développer pleinement. C'est seulement en effet par rapport à cet « ordre concret » global que les normes ont un sens et que l'on peut distinguer entre ce qui est juste et ce qui est arbitraire.

    Critiquant sur le fond tout totalitarisme, Carl Schmitt souligne que la loi ne s'identifie pas à la force. Il y a une autonomie du droit par rapport à la puissance, tout comme il y a une autonomie du politique par rapport au droit. Le droit appartient à la sphère des normes, la force à celle de la volonté. L'État garantit le droit, mais il ne le fonde pas. Ce qui permet de répondre à la question : quand peut-on dire d'une décision de justice qu'elle est juste ? Carl Schmitt récuse l'interprétation légaliste du positivisme juridique, selon laquelle une sentence juste est simplement une sentence conforme à la loi (auquel cas la légitimité se confondrait avec la légalité). Il recherche un critère interne à la pratique juridique : « Seule est juste la décision qui est explicable par la pratique juridique en tant qu'elle est une activité autonome ».

    Il faut souligner que la distinction entre « ami » (public) et « ennemi » (public), distinction dynamique s'il en est, et donc liée aux circonstances, n'implique aucune détestation particulière. L'« ennemi » n'est pas nécessairement mauvais dans l'ordre de la moralité, nuisible ou concurrent sur le plan économique, ou spécialement laid du point de vue esthétique. Il suffit, pour définir sa nature, qu'il soit autre de façon telle qu'un conflit avec lui puisse devenir possible. Mais en même temps, dans ses travaux sur le droit international, Schmitt dénonce avec force le fait qu'aujourd'hui, les guerres idéologiques ayant pris le relais des guerres de religions, la « moralisation » de la guerre aboutit en réalité à des cruautés jamais vues : dans une perspective « morale », pour combattre un adversaire, il faut que celui-ci devienne l'incarnation même du Mal ; en ce cas, tous les moyens sont bons pour le détruire. D’où son refus de criminaliser l’ennemi, qui, chez lui, n’est jamais une figure du Mal, mais bien plutôt un adversaire qui peut un jour se transformer en allié.

    L'État est aujourd'hui contesté parce que déclaré « envahissant ». Une lecture attentive de Carl Schmitt permet de comprendre qu'il n'est envahissant que dans la mesure où, s'occupant de tout, il abandonne sa spécificité propre, qui est l'action strictement politique. Et que la meilleure façon de le remettre à sa place n'est pas de le détruire, mais de recréer les conditions dans lesquelles il pourra se réapproprier pleinement la substance du politique.

     Alain de Benoist (Le Figaro magazine, 29-30 juillet 1978

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  • Fessée et contrôle totalitaire...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Claude Bourrinet, publié sur Voxnr, consacré à la campagne télévisée de la Fondation pour l'enfance qui milite en faveur de l'interdiction de l'utilisation des claques et des fessées dans l'éducation des enfants.

    Pendant des semaines, l'"empire du Bien" va marteler son message : "La violence engendre la violence". Comme le souligne Natacha Polony, dans un excellent article publié sur son blog, Eloge de la transmission :

    "Le plus grave réside évidemment dans la manipulation intellectuelle dont relève ce message. Grave, parce qu’il s’agit de focaliser l’attention sur des gestes, gifles et fessées, qui sont courants, pour faire croire que les parents qui en usent sont des monstres, au même titre que ceux qui attachent leur enfant à un radiateur ou lui assènent des coups de ceinture. Le meilleur moyen, bien sûr, de laisser ceux-là agir en toute impunité.[...] Les milliers d’enfants qui verront ce petit film (car le premier renoncement au bon sens se manifeste face à cette télévision qu’on laisse allumée devant eux) comprendront parfaitement le message : sanction et brutalité aveugle sont de même nature, et le parent qui voudrait leur imposer quoi que ce soit, éventuellement par la force, est un bourreau. Détruire ainsi l’image d’un parent aux yeux de son enfant est une grave responsabilité. Car on ne sait jamais quels modèles de substitutions celui-ci se choisira."

     

     

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    Fessée et contrôle totalitaire

    Une campagne télévisuelle destinée à dénoncer les réprimandes corporelles perpétrées par les parents contre leur progéniture va sévir à une heure de grande écoute publicitaire. On voit à l’occasion une charmante maman péter les plombs et gifler sa mignonne fillette braillant comme un porcelet qu’on égorge, sous l’œil chagriné et désapprobateur de la grand-mère, qui va finalement compatir à la détresse de l’exécutrice des basses œuvres. Parce que pour l’idéologie dominante, héritière d’un Socrate parfois mal inspiré, il n’existe pas de véritable méchanceté, il n’y a que des personnes qui se trompent. Le mélodrame est tout trouvé : la victime n’est pas tant l’être qui éprouve la violence que celui qui l’engendre, car l’erreur rend malheureux, et, dans notre société où les excès sont traduits en termes cliniques, tout égarement est signe de maladie. Le scénario est donc conçu pour ne diaboliser personne, la scélératesse relevant d’un imaginaire quasi fantasmatique, presque hors du monde, innommable, livrée au monde légendaire des Hitler et des Staline, lesquels règnent en enfer aux côtés de Belzébuth. Mais nous sommes, en ce glorieux 21e siècle, qui voit le triomphe du dernier homme, entre gens biens, normalement voués à prendre leur pied dans les parcs d’attraction, à communier dans les supermarchés, et à n’imaginer de fessée qu’entre adultes consentants.

    Si l’on voulait pousser le vice jusqu’au petit bout, il nous faudrait invoquer notre Jean-Jacques Rousseau, qui, crypto-calviniste, comme certains contempteurs de la fessée, n’était pas avare de contradictions, notamment entre une conception irénique, idéaliste, béatifiante, de l’homme, vu comme un bon sauvage égaré dans la civilisation mauvaise et corruptrice, et les faits, rien que les faits. Par exemple, que l’homme est naturellement violent, ce qu’aucun psychologue, aucun psychiatre ne niera, et que même cette violence, à condition qu’elle soit canalisée et obéisse à des finalités de sociabilité, peut s’avérer utile. Au fond, on voit des animaux supérieurs utiliser la patte, la griffe ou le croc pour corriger, éduquer les petits, et l’être humain user de ce moyen depuis l’aube des temps, sans qu’on y ait trouvé à redire.

    Au moins, si nos puritains, qui veulent rendre l’homme, ce pécheur involontaire, parfait, propre et reluisant comme un article des droits de l’homme, avaient argué des conséquences perverses d’une correction appliquée au bon endroit. Ne voyons-nous pas notre Rousseau jouir à dix ans des mains sévères de Mademoiselle Lambercier, et avouer qu’il ne peut prendre de plaisir sexuel que de cette façon-là ? On est bien fesse-mathieu ! Voilà pourtant qui pourrait accroître le marché du sexe, lequel se porte bien dans l’univers des tartuffes libidineux qui s’occupent de nos fesses. Ce sont ces gens qui considèrent que la condition de travailleuse sexuelle est légitime, et doit même contribuer aux ressources de la sécurité sociale, tout en s’inquiétant, sur le ton indigné qu’on connaît bien, de l’intégrité de femmes abandonnées au dangereux environnement machiste. Ce sont ces eux aussi qui désirent préserver l’innocence des enfants, si tant est qu’une telle singularité existe, et qui les livrent aux jeux vidéo ultraviolents, à une télévision débilitante, à une accumulation sans bornes d’images pornographiques, invoquant dans la rhétorique jésuitique qui est la leur, la liberté du consommateur, celle du marché, et la réalité de temps permissifs.

    Ce qui ne les empêche pas de s’immiscer de façon intolérable dans l’univers privé de la famille. Déjà, dans certains pays scandinaves, les enfants ont le droit de dénoncer leurs parents et de leur intenter des procès. Par la même occasion, l’Etat obtient le droit de juger de l’éducation que donnent les adultes. D’aucuns, il y a quelques années, auraient même voulu traîner devant les tribunaux ceux dont les enfants auraient proféré des propos jugés racistes. Le délit de mauvaise éducation ne va pas tarder à être instauré. On croyait ces abus propres aux sociétés totalitaires, pourtant si dénoncés dans nos régimes « démocratiques ».

    En fait, si l’on écarte les cas notoires (il n’y a qu’à ouvrir les yeux et les oreilles) des dérangés du bocal, qui semblent prospérer parmi notre élite travaillée par les tensions contradictoires de la répression et de la permission, du contrôle universel et de l’anarchie marchande, et si l’on met aussi de côté les lubies pudibondes, nombreuses chez les scandinaves et les anglo-saxons, les travaillés du droit-à, et les fanatiques d’une société écologiquement purifiée, dont certains, comme on le sait, boivent abondamment de l’alcool fort, sans doute pour se fouetter le sang, ou s’hallucinent avec certaines substances, pour se donner des airs de Big Brother planant, on mettra en parallèle cette entreprise ubuesque avec d’autres qui visent à dénoncer les mâles (souvent de type européens) qui violentent les femmes, les Occidentaux (souvent blancs) qui maltraitent les sans papiers ou les enfants du tiers-monde, ou encore les personnes d’une autre race, les chasseurs, qui massacrent vilainement les animaux et, de toute façon, ont le tort d’être des beaufs, les curés, qui sont tous des pédophiles, les profs, qui se lèvent le matin en tirant au sort les élèves qu’ils tortureront dans la journée, les flics, qui sont d’affreux gestapistes … bref, qui s’en prennent à tout ce qui, de près ou de loin, paraît tenir lieu d’autorité ou de modèle susceptible de lier le présent au passé, et d’asseoir, si tant est que ce soit encore possible, la société européenne sur une base quelque peu solide.

    Le symbole vaut ce qu’il peut. Mais quand les parents ne pourront plus donner de gifle à leurs enfant, le marché aura le loisir absolu de leur foute un bon coup de poing dans la gueule.

    Claude Bourrinet (Voxnr, 28 avril 2011)

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  • Régis Debray : "Il faut toujours une verticalité..."

    Nous reproduisons ci-dessous certains propos de Régis Debray, tenus dans le cadre d'un échange organisé par le quotidien Le Monde, avec Olivier Py et Denis Podalydès, à propos de la représentation et de la figuration du pouvoir aujourd'hui. Le texte de ce débat a été publié dans le numéro daté du 5 mars 2011.

     

     

     

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    Sur Sarkozy et la représentation de la fonction présidentielle :

    "Les mots-clés sont lâchés : vitesse, corps-à-corps, court-circuit. Avec l'enfant de la télé, l'ancien blouson doré de Neuilly, la société du spectacle a cédé la place à la société du contact. Plus de formes ni de protocole. Nous avons un pouvoir qui tutoie, et qu'on tutoie. "Casse-toi, pauvre con !" On est passé de la queue-de-pie au tee-shirt. Il faut que le chef soit tout le monde. Marketing oblige. Il faut qu'il soit en prise directe avec l'émotion du jour. On surfe, on virevolte, on bouge avec tout ce qui bouge. C'est l'Etat-Kodak, clic-clac. Une suite d'instantanés.

    D'où l'inconstance des positions, et l'inconsistance des personnages. Le plan de vol, c'est le bulletin météo. Ça change tous les jours. C'est la fin de ce que l'historien Ernst Kantorowicz appelait "les deux corps du roi". Le corps physique, éphémère. Et ce que ce corps incarne, un principe immuable. En voyant de Gaulle, on voyait la France au travers, en voyant Gambetta, j'imagine qu'on voyait la République. En voyant Sarkozy, on ne voit plus que lui, et c'est le drame. La télévision empêche de voir double, me direz-vous. Soit. Mais la mystique manque. Il y a trop de corps.

    C'est la rançon du direct, du live. Le tout à l'image, c'est le tout à l'ego. Avec la séquence des présidents depuis cinquante ans, vous voyez le lent déclin du symbole et l'avènement de la trace. Prenons 1958, de Gaulle, grand écrivain et mémorialiste ; Pompidou, prof de lettres ; Giscard rêvant à Maupassant ; Mitterrand grand liseur, encre bleue, et belle plume ; Chirac se tourne vers les arts premiers, mais donne encore du maître à l'écrivain ; Sarkozy embrasse Johnny Hallyday."

     

    Sur la désacralisation de la fonction présidentielle :

    "Nos présidents vivent dans une "extimité" permanente : leur intimité ne cesse d'être mise en scène. Le dédoublement entre la personne et la fonction était l'essence même du sacré politique. La personne est plus petite que la fonction, le "moi je" s'efface devant le "il" ou le "nous". Charles disparaît sous de Gaulle. On n'en parle pas.

    Nous n'avons plus une scène de théâtre où l'on joue en différé, mais un studio de télévision où l'on passe en direct. L'Elysée est un plateau de télé-réalité et l'on a vu cette chose extraordinaire dans Paris Match, montrant Nicolas Sarkozy, dans le fauteuil du général de Gaulle, la main sur la cuisse de sa femme assise sur ses genoux. Plus de hiatus entre la chambre à coucher et le bureau présidentiel, entre l'intime et l'officiel. Loft Story ou love Story ?"

     

    " La technologie commande, oui, nous sommes d'accord. Peinture, photographie, cinéma, télévision et Internet changent la focale et le tempo du pouvoir. Mais tout de même, être à la tête d'un pays, maîtriser des situations, c'est savoir se mettre hors-jeu, au-dessus. La maîtrise n'allait jamais sans distance. Sans un certain laconisme, voire une certaine capacité d'absence. Le chef est calme, voire indifférent, comme Mitterrand. Les compagnons de captivité du capitaine de Gaulle disaient qu'ils ne l'avaient jamais vu sous la douche !

    Il y avait chez de Gaulle un art de la dissimulation et de la disparition, et donc de l'apparition au bon moment. Aujourd'hui, le frère a remplacé le père et l'on gouverne par la proximité. Par sauts et gambades. En sautillant, en s'agitant. Résultat : du pouvoir, oui, mais sans autorité. Le dernier seul vrai pouvoir d'un président, où il ne fait pas semblant, est celui de nommer. La Cour est donc fascinée, terrorisée et obséquieuse - la danse devant le buffet a un arbitre suprême, qui peut vous nommer ou non à la tête d'un ministère, d'une entreprise publique, d'une ambassade. L'intimidation est là. Mais elle concerne 2 000 personnes. Les autres, nous tous, on s'en fout et on a bien raison."

     

    " On est passé de l'Etat éducateur à l'Etat séducteur. Aujourd'hui, un homme d'Etat n'est plus celui qui élève, c'est celui qui cajole. Il n'exalte pas, il accompagne. Denis Podalydès évoque bien le rajeunissement du pouvoir ; il y a un côté adolescent chez Sarkozy, sans doute sympathique parce que pulsionnel. C'est l'indice d'un nouveau monde. Inutile de raisonner à partir du Napoléon en César ou du de Gaulle en général. Ils parlaient derrière une table, assis. Sarko est debout derrière un pupitre.

    C'est le modèle Maison blanche. Sarkozy est obsédé par les Etats-Unis. Il veut faire américain, ou moderne, comme il dit. On aura donc à Versailles le discours de l'Union où le président s'adresse au Congrès réuni. C'est encore du vu à la télé. La France colonisée n'arrive plus à produire ses propres normes de représentation, étant entendu que les jeunes leaders socialistes ne sont pas moins aliénés que les autres."

     

    Pouvoir, autorité et verticalité :

    "Le chef révolutionnaire tient son pouvoir des armes. Il a côtoyé la mort. Ce qui l'autorise ensuite, pense-t-il, à la donner. La guerre ne pousse pas à la démocratie. Fidel Castro et le Che, ce sont d'abord des ducs, des condottiere, des conspirateurs en uniforme. Avec eux, on est ramené aux sources archaïques du pouvoir, qui ont leur vérité. Mitterrand aussi a fait l'expérience de la guerre, ce qui l'a changé."

    "Pour qu'une parole soit performative dans le tohu-bohu, elle doit se faire rare, et peser. Le comble de l'autorité, c'est le laconisme. Le Che, puisqu'on en parlait, était remarquablement silencieux. Un distant qui en imposait par sa distance. Il en était conscient et disait qu'il faisait de vice vertu. "Je suis timide et asthmatique. Je n'ai aucun don de communication, aucun don "de gente"", disait-il. De cette faiblesse, il a bien fallu faire une force. Et cette introversion lui donnait un ascendant sur la troupe. C'était assez insolite en contexte latino. Argentin, très européen, le Che gardait une culture littéraire, avec Neruda dans son sac à dos, quand Fidel Castro était l'oralité en geste."

    "Heureusement qu'il y a des invariants, mais aujourd'hui, l'ascendant symbolique s'est évanoui, le respect devient impossible. On ne peut que saluer des performances d'acteur ou de bateleur. On remplace le relief par le réseau et on met tout à plat. Mais il faut toujours une verticalité, sinon l'horizontal se fragmente, s'atomise. Et vous n'avez plus un collectif, une société, une nation, mais un puzzle d'intérêts et de clientèles où chacun est étranger à son voisin. L'écroulement symbolique, c'est le chacun pour soi et personne pour tous. C'est seulement ce qui nous dépasse qui nous rassemble. Là où rien ne dépasse, rien ne rassemble. Et la vraie tragédie, c'est que le pouvoir est devenu une comédie."

    Régis Debray (propos recueillis par Nicolas Truong, Le Monde, 5 mars 2011)

     

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