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alain de benoist - Page 45

  • Démographie : la question des limites...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque les questions de la natalité et de la démographie... Philosophe et essayiste, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et L'écriture runique et les origines de l'écriture (Yoran, 2017).

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    Alain de Benoist : « Contrairement à ce que l’on croit, l’avortement n’est pas la cause essentielle de la baisse de la natalité… »

    En France, le taux de fécondité serait passé sous le seuil des deux enfants, soit celui du renouvellement des générations. Certains s’en alarment, alors que d’autres font de même de la surpopulation mondiale. Ces deux attitudes sont-elles légitimes et, en même temps, ne seraient-elles pas contradictoires ?

    On a enregistré en France 767.000 naissances en 2017, avec un taux de fécondité de 1,88 enfant par femme, ce qui n’a pas empêché la population globale de continuer à croître en raison du solde naturel (l’excédent de naissances par rapport aux décès). Cela dit, les données démographiques ne veulent rien dire en elles-mêmes. Elles n’ont pas le même sens selon qu’on est en situation de sous-population ou de surpopulation. Trois problèmes, en particulier, sont à prendre en compte. Le premier est celui de la pyramide des âges (à volume de population égal, cette pyramide peut être équilibrée ou détériorée). Le second est la composition de la population (l’apport de l’immigration, quelles sont les catégories les plus prolifiques ?). Le troisième est le différentiel de natalité par rapport aux zones voisines, à commencer par le continent africain (6-7 enfants par femme aujourd’hui, plus de 40 % de moins de 16 ans, une population de 1,2 milliard d’habitants appelée à doubler d’ici à 2050).

    Contrairement à ce que l’on s’imagine souvent, la cause essentielle de la baisse de la natalité n’est pas à rechercher dans les avortements, ce qui a maintes fois été démontré (la grande majorité des avortements est compensée par des naissances futures qui ne seraient pas survenues si ces avortements n’avaient pas eu lieu), mais dans des évolutions propres à la société moderne, à commencer par le travail des femmes. L’âge moyen, à la naissance du premier enfant, n’a cessé de reculer ces dernières décennies, car de plus en plus de femmes préfèrent donner la priorité à leur carrière professionnelle. Quand elles envisagent d’avoir un enfant, il est souvent trop tard. S’y ajoutent d’autres facteurs : l’hédonisme (avoir des enfants est perçu comme une diminution de liberté), le mode de vie urbain, peu favorable aux familles nombreuses, etc.

    « Croissez et multipliez » : cette injonction n’est pas que le fait du christianisme, mais concerne aussi les deux autres religions révélées, le judaïsme et l’islam. Mais faire toujours des enfants en plus grand nombre est-il véritablement une valeur en soi ?

    L’Église catholique s’est, en fait, montrée moins conséquente que les deux religions que vous citez (moins conséquente, aussi, que l’Église orthodoxe), puisqu’elle a interdit la procréation à ses élites ecclésiastiques, ce qui a exercé un sévère effet dysgénique sur la société globale. Cependant, le simple désir de quantité ne peut jamais être une « valeur en soi ». « Croissez et multipliez » n’est, à l’origine, qu’un impératif de survie pour tout groupe désireux de se perpétuer. Cet impératif biologique a ensuite reçu un habillage religieux, pour le rendre plus contraignant, à une époque où il s’agissait avant tout de maximiser le nombre des fidèles. Il ne peut pas avoir le même sens dans un monde peuplé de quelques dizaines ou centaines de millions d’habitants (en 1700, on n’en comptait même pas encore un milliard) ou dans un monde qui en compte, aujourd’hui, 7,5 milliards et en comptera probablement 12 milliards à la fin du siècle. Il ne faut pas oublier, non plus, que les familles nombreuses, dans le passé, étaient très souvent décimées par la mortinatalité et la périnatalité : faire beaucoup d’enfants était le seul moyen d’être assuré d’en voir survivre quelques-uns.

    Croire, sous prétexte « d’accueillir la vie », qu’il faut faire toujours plus d’enfants, ou encore qu’on pourrait se livrer à une sorte de concurrence nataliste avec des populations ou des pays à la fécondité plus exubérante, c’est se leurrer d’illusions. Je suis surpris, à cet égard, de voir que, même parmi ceux qui se prononcent pour le maintien des limites et des frontières, et qui déclarent détester la démesure et l’illimitation, la question des limites démographiques ne soit presque jamais posée. On peut, certes, spéculer à l’infini sur les possibilités qu’il y aura de nourrir demain encore plus d’hommes qu’il n’en existe. Mais quelle que soit la réponse donnée, l’évidence est qu’il existe nécessairement une limite. Passé un certain seuil, la croissance démographique aggrave la destruction des écosystèmes et l’appauvrissement des ressources naturelles. Aboutissant à des mégapoles monstrueuses de plus de vingt ou trente millions d’habitants (Tokyo, Mexico, Séoul), elle est, en outre, profondément polémogène et génératrice d’incessants troubles politiques et sociaux. Pas plus qu’une croissance matérielle infinie on ne peut avoir une croissance démographique infinie dans un espace fini.

    Pour Emmanuel Todd, la démographie permet d’expliquer nombre d’événements. À l’en croire, la chute de l’URSS était inscrite dans la baisse de sa natalité, tandis que le chaos des révolutions arabes l’était dans sa hausse, amenant trop de jeunes diplômés sur un marché du travail déjà saturé. Quelle est donc la part du facteur démographique dans les grands bouleversements historiques ?

    Le facteur démographique est un facteur de première importance, ce que l’on peut démontrer par bien d’autres exemples que ceux donnés par Emmanuel Todd. Mais ce facteur n’intervient pas de manière mécanique ou automatique. Il est sensible à la décision politique (la Russie a déjà redressé sa natalité). Et le nombre n’est pas tout : le peuple juif a traversé les millénaires alors qu’il représente à peine 15 millions d’individus dispersés dans le monde, soit, numériquement, guère plus que la population de l’Île-de-France.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 12 février 2018)

     

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  • Les Grands Excentriques...

    Les éditions Dualpha viennent de publier Les Grands Excentriques, un recueil de portraits de Nicolas Gauthier, avec une préface d'Alain de Benoist, consacrés à une brochette de personnages extravagants qui ont défrayé la chronique de ces deux derniers siècles. Journaliste, Nicolas Gauthier est chroniqueur sur Boulevard Voltaire et sociétaire de Bistrot Libertés.

     

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    " Dingos, princes de la ribouldingue, fêlés, zozos, fantaisistes, égocentriques, monomaniaques, capricieux… et tellement drôles, aussi !

    Les grands excentriques apportent une pincée de vie dans un univers qui en manque parfois cruellement. Car, avouons-le, sans leurs excès, le monde serait bien morne. Ce document rend honneur à ces rois de l’extravagance, si toutefois ils en avaient encore besoin. Dix destins de peintres, musiciens, écrivains et acteurs parmi les plus fascinants et les plus étonnants.

    Les portraits de : Francis Blanche, Jean Cocteau, Salvador Dali, Sacha Guitry, Jean-Édern Hallier, Howard Hughes, Liberace, Bela Lugosi, Andy Warhol et Oscar Wilde. "

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  • "Une société de drogués, c’est déjà presque une société de zombies"...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque la question des drogues... Philosophe et essayiste, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et L'écriture runique et les origines de l'écriture (Yoran, 2017).

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    Alain de Benoist : La drogue, phénomène de masse - une société de drogués, c’est déjà presque une société de zombies

    L’éternel serpent de mer revient avec le débat sur une possible légalisation du cannabis. Certaines régions des États-Unis viennent, d’ailleurs, d’en autoriser la vente à « usage récréatif ». En France, le gouvernement annonce un aménagement des sanctions frappant ses utilisateurs. On se souvient que les Américains n’ont jamais autant bu que sous la prohibition. Le combat est-il perdu d’avance ?

    Précisons, d’abord, que la légalisation et la dépénalisation ne sont pas la même chose et qu’en France, les autorités ne s’orientent, pour l’instant, ni vers l’une ni vers l’autre. Selon la législation actuelle, les fumeurs de joints sont, en principe, passibles d’une peine d’un an de prison. Comme on compte environ 700.000 fumeurs quotidiens, si l’on appliquait la loi, il faudrait transformer des villes ou des régions entières en prisons. C’est donc une loi inapplicable – et il n’y a rien de tel, pour discréditer la loi, que de la rendre inapplicable. En rendant l’usage du cannabis justiciable d’une simple contravention, on rend au moins la loi applicable. C’est donc le contraire d’une dépénalisation. (Vous remarquerez que, dans l’immédiat, rien n’est prévu pour les drogués au Nutella®.)

    Les stupéfiants sont aussi vieux que l’humanité. Il en était fait, autrefois, un usage religieux, chamanique ou divinatoire. Freud était cocaïnomane, Nabokov morphinomane, Rimbaud et Pierre Loti fumeurs d’opium, Antonin Artaud a eu recours à toutes les drogues, Ernst Jünger a essayé le LSD. Le problème ne commence vraiment que lorsque la drogue devient un phénomène de masse : une société de drogués, c’est déjà presque une société de zombies. Quant aux États-Unis, qu’on y légalise maintenant le cannabis (la coke et le crack s’y consommant déjà à la tonne) alors que fumer une cigarette dans la rue suffit presque à vous faire considérer comme un terroriste, disons qu’ils nous surprendront toujours…

    C’est en grande partie grâce à l’interdiction des stupéfiants, et donc à leur trafic, que nos « cités sensibles » demeurent relativement « tranquilles ». Si ces substances venaient à se retrouver en vente libre, les mêmes « banlieues » exploseraient pour de bon. Le prix à payer pour cette paix sociale vous paraît-il trop élevé ?

    Le principe du racket mafieux, c’est : Tu payes pour ta « protection » ou on casse tout ! La « loi des banlieues », c’est la même chose : Tu laisses faire le trafic ou ce sera l’émeute ! Cela n’a rien à voir avec une éventuelle légalisation du cannabis. Si celle-ci se produisait, les bandits et les voyous se reconvertiraient instantanément dans un autre trafic juteux, et la situation serait la même. Faire reposer la « paix sociale » sur des concessions faites à la pègre, cela revient à reconnaître que c’est elle qui a le pouvoir de décision.

    L’INSEE annonce qu’à partir du mois de mai, à la demande de l’Institut européen des statistiques, il va intégrer le trafic de drogue dans le calcul du produit intérieur brut (PIB). Faites-vous partie de ceux qui s’en indignent au motif qu’il est « immoral » de considérer que la drogue fasse partie de la richesse nationale ?

    Ceux qui s’en indignent sont des naïfs : ils croient encore que l’économie a quelque chose à voir avec la morale ! Mais ce sont surtout des gens qui n’ont absolument pas compris ce qu’est le PIB. Le PIB ne mesure pas la richesse mais la croissance qui résulte de l’activité économique, sans s’interroger sur les causes de cette croissance ni sur la nature de cette activité. Le PIB ne mesure nullement le bien-être, mais seulement la valeur ajoutée des produits et des services ayant fait l’objet d’une transaction commerciale, quelle que soit la source, positive ou négative, de ces échanges. C’est la raison pour laquelle il comptabilise positivement l’activité économique qui résulte des accidents de la route, des catastrophes naturelles, de certaines pollutions, etc. La tempête de décembre 1999, par exemple, a été comptabilisée comme ayant contribué à une hausse de la croissance de l’ordre de 1,2 %. Le PIB, d’autre part, ne tient aucun compte de la dégradation de l’environnement ni de l’épuisement des ressources naturelles. Ce qui est stupéfiant, ce n’est donc pas qu’il intègre le trafic de drogue ou la prostitution dans ses statistiques, mais qu’il y ait encore des gens pour être en extase devant la croissance mesurée par le PIB.

    À l’instar de tous les autres commerces, celui de la drogue est désormais mondialisé. Le criminologue Xavier Raufer se désole que cette « économie grise », représentant près de 15 % du PNB mondial, intéresse assez peu les économistes et les politiques. Qu’est-ce que cela nous dit sur celui de nos sociétés ?

    Cela nous dit qu’à l’échelle mondiale, la part de l’illicite ne cesse de croître par rapport à celle des activités licites. Mais cela nous dit surtout, et c’est beaucoup plus grave, que les deux domaines deviennent de plus en plus indiscernables. Il y a belle lurette, en effet, que les profits faramineux des narcotrafiquants sont allés s’investir dans des sociétés industrielles et financières tout à fait légales, ce qui a encore renforcé leur pouvoir. Dérégulation aidant, pratiquement toutes les banques utilisent de l’argent sale, et très peu sont condamnées. Système capitaliste et crime organisé ont, ainsi, peu à peu fusionné. Entre le narcotrafic, le crime, la corruption, la spéculation à haute fréquence (à la vitesse de la nanoseconde), les contrefaçons et les pratiques frauduleuses, ce sont des centaines de milliards de dollars qui se promènent ainsi dans le monde. Lisez, à ce propos, le livre de Jean-François Gayraud sur « Le Nouveau Capitalisme criminel » (Odile Jacob, 2014). Il est éclairant.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 8 février 2018)

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  • Alain de Benoist : « Ce n’est pas la puissance des États-Unis qui est atteinte, mais leur certitude morale… »

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque les États-Unis et la présidence Trump... Philosophe et essayiste, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et L'écriture runique et les origines de l'écriture (Yoran, 2017).

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    Alain de Benoist : « Ce n’est pas la puissance des États-Unis qui est atteinte, mais leur certitude morale… »

    Depuis son accession à la Maison-Blanche, nos médias donnent dans le « Trump bashing » systématique. Il n’empêche qu’à la lecture de Fire and Fury, livre qui vient de lui être consacré, une question brutale se pose : Donald Trump est-il fou ?

    Je ne sais pas s’il est fou, mais ce qui est sûr, c’est qu’il paraît complètement cinglé. Vous vous rappelez sans doute que, dès avant son élection, j’avais pris soin de distinguer le « phénomène Trump », phénomène populiste traduisant le ressentiment des « angry white men » vis-à-vis de l’establishment, qui me paraissait très positif, et le personnage même de Trump, vis-à-vis duquel je nourrissais des sentiments pour le moins partagés. J’ai vu, ensuite, une certaine droite plonger dans la « Trumpmania », ce qui ne m’a pas paru plaider en faveur de ses capacités d’analyse. Depuis lors, il n’y a pratiquement pas de jour où, dans sa façon d’être comme sa façon de faire, « The Donald » ne donne l’impression d’être un grand caractériel égocentrique, immature, inculte et paranoïaque, à quoi s’ajoute l’incompétence d’un homme qui n’a d’autre expérience de la politique que l’immobilier et la télé-réalité.

    Entendons-nous bien. Je ne regrette pas un instant la défaite de l’abominable Hillary Clinton. Je ne dis pas, non plus, que tout ce que fait Trump est nécessairement négatif. Je tiens compte, aussi, de la mauvaise foi de ses ennemis, pour lesquels je n’éprouve pas la moindre sympathie. Cela dit, les ennemis de nos ennemis ne sont pas toujours nos amis, et les critiques d’un Steve Bannon ne sont quand même pas à négliger. Au passif de Trump, je mettrais personnellement sa politique fiscale essentiellement favorable à Wall Street (« business first »), son indifférence monstrueuse pour les problèmes d’environnement, et surtout sa politique étrangère qui vise apparemment à créer un axe américano-israélo-saoudien opposé à l’axe Moscou-Damas-Téhéran, en privilégiant les sunnites contre les chiites. S’ajoutent à cela les menaces de guerre qu’il fait peser contre l’Iran, la Syrie, la Corée du Nord, voire la Russie, à la façon d’un Docteur Folamour lancé dans une lamentable guerre des boutons (« C’est moi qu’ai le plus gros ! ») avec le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un qui, malgré tous ses défauts, apparaît, à la limite, comme presque moins cinglé que lui !

    Donald Trump, en définitive, est un homme essentiellement imprévisible. Or, c’est sans doute ce qu’il y a de pire en politique. Un chef d’État imprévisible peut faire le pire comme le meilleur. Mais ce qui est impossible, c’est de lui faire confiance.

    Les récentes équipées militaires américaines se sont toutes soldées par des échecs. En contrepoint, la Russie, la Syrie et l’Iran n’ont cessé de marquer des points. S’ajoutent à cela les difficultés intérieures du pays. Le colosse américain aurait-il des pieds d’argile ? Pourrait-on même parler de déclin des États-Unis ?

    Les difficultés que traversent aujourd’hui les États-Unis sont probablement parmi les plus sérieuses qu’ils ont connues depuis des décennies. En dépit d’un budget militaire supérieur à tous les autres budgets militaires de la planète, ils n’ont pas gagné une seule guerre depuis plus de quarante ans, leur armée est présente partout mais victorieuse nulle part (ils sont simplement parvenus à raser le Proche-Orient), leur dette publique atteint des sommets sans précédent et leur part dans le PIB mondial a chuté de plus de 20 % depuis 1989. Cela dit, je crois que ce serait une grave erreur d’en conclure que leur hégémonie est en passe de s’effondrer. L’expérience historique montre qu’il ne faut jamais sous-estimer les Américains, qui restent quand même la première puissance politique, militaire, économique et technologique de la planète. Ce que l’on peut dire, en revanche, c’est que leurs capacités d’expansion impériale semblent avoir atteint leurs limites, et surtout qu’ils sont moins disposés, au moins pour l’instant, à se présenter comme la « nation indispensable » dont parlait Madeleine Albright, c’est-à-dire comme les gendarmes d’un monde où ils auraient pour vocation d’imposer leur modèle. On pourrait dire, de ce point de vue, que ce n’est pas leur puissance qui est atteinte, mais leur certitude morale. C’est leur capacité et leur volonté de parler au nom du monde entier qui a disparu.

    Après la Méditerranée et l’océan Atlantique, le centre de gravité politique s’est depuis longtemps déplacé dans le Pacifique. Quid de l’Europe dans ce jeu aux cartes désormais rebattues ?

    Bien sûr que la façade Pacifique est essentielle. Mais depuis des décennies qu’on le répète, ce serait, là aussi, une erreur de croire que les États-Unis peuvent se désintéresser de l’Europe et du Proche-Orient. Ils savent que le XXIe siècle sera plus probablement un siècle chinois qu’un siècle américain, mais ils savent aussi très bien que l’Eurasie reste le centre géopolitique du monde. Quant à l’Europe, elle est comme d’habitude aux abonnés absents. Mais on note, cependant, que l’atlantisme n’est plus le réflexe automatique qu’il était au temps de la guerre froide. Il n’y a plus de mystique de l’atlantisme. Le refus des États européens de suivre Trump dans son projet de remise en cause de l’accord nucléaire iranien est, à cet égard, révélateur. Même les Européens semblent avoir intégré le fait que le monde est devenu multipolaire et que l’Amérique n’est plus nécessairement le pays qui donne le ton. C’est déjà très important.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 23 janvier 2018)

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  • La revue de presse d'un esprit libre... (39)

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    La revue de presse de Pierre Bérard

    Au sommaire :

    Frédéric Lordon développe une excellente argumentation à propos des fake news, dernière trouvaille du « système » pour cadenasser un peu plus la liberté d’expression. « Tout le discours de la politique Macron et tous les médias qui le soutiennent sont eux-mêmes d’intense propagateurs de fake news… », dit-il. Le fait qu’il n’y ait qu’une seule vérité consonne avec cette autre proposition suivant laquelle « il n’y a pas d’alternative ». Le mythe de la seule vérité comme l’absence supposée d’alternative est une clôture des choix possibles et un refus de la libre délibération. L’obsession autour des fake news est le symptôme d’une crise manifeste de légitimité des autorités qui ne font plus autorité. C’est ainsi que le thème récurrent de la post-vérité aboutit à la pseudo-fin des idéologies et à un monde dépolitisé. La « lecture renversée » du « gauchiste » Lordon est en tous points coruscante :

     
    Sur cette chimérique histoire des fake news on lira du même Frédéric Lordon son article désopilant dans son blog du Monde Diplomatique, « Macron décodeur en chef », qui rappelle cette célèbre apostrophe de Guy Debord « Dans le monde réellement renversé le vrai est un moment du faux » (La Société du spectacle, 1967)  :
     
     
    Dans le cadre de de la campagne un brin hystérique lancée contre les fake news, Google a déjà supprimé 150 000 comptes YouTube entre juin et décembre 2017 et les comptes Faceboook suivent la même pente. Alors que Twitter s’engage dans une voie identique l’Union européenne félicite ces entreprises américaines pour leur « civisme » dans leur programme de « lutte contre les contenus haineux ». Traduction libre de cet élément de langage : il est désormais interdit de critiquer trop vivement l’impolitique européenne :
     
     
    Dans une tribune du Figaro Vox Renée Fregosi s’en prend à « radicalisation », un mot qui ne dit rien que d’extrêmement vague. Selon elle ce choix sémantique dissimule une attitude lâche qui préfère masquer la réalité islamique plutôt que de l'affronter. La philosophe, elle, désigne l'ennemi sans complexe. Encore faudrait-il savoir qui a fait entrer cet ennemi dans nos murs et pour quelles raisons. Bizarrement c’est un question qu’on ne pose jamais :
     
     
    Entretien de Paul-François Paoli avec Edouard Chanot sur Radio Sputnik à propos de son livre « L’imposture du vivre-ensemble de A à Z » (L’Artilleur, 2018) :

    https://www.youtube.com/watch?v=NXYCy5BqROo

    Quatrième de couverture du livre de Paul-François Paoli. Ce livre comporte près de 300 entrées qui constituent un panorama de la vie intellectuelle française et de ses enjeux idéologiques. Parmi elles, une chronique très laudative est consacrée à Alain de Benoist et à la revue Éléments  :
     
     
    Olivier Maulin sur l’affaire Céline :
     
     
    Eric Zemmour en débat défend la liberté d’expression sans restriction et oppose l’état de droit à la démocratie. Au cours du débat le chanteur Cali se casse du plateau ne pouvant supporter plus avant les discours d'un Zemmour qui ne donne pas dans le repentir :
     
     
    Du porc matin, midi et soir. Jean-Paul Brighelli réagit avec beaucoup de drôlerie aux campagnes d’intimidation lancées par les chiennes de garde contre les mâles blancs hétérosexuels. Autant de tartuffettes qui 
    s’emparant de la « parole libérée » entendent surtout faire parler d’elles aux bénéfice d’un rapport hommes/femmes toujours plus psychiatrisé et plus judiciarisé.
     
     
    Fort du succès rencontré par ses « Conversations » avec Alain de Benoist, Paul-Marie Coûteaux nous emmène cette fois au château de Plieux à la rencontre de l’essayiste et écrivain Renaud Camus. Une série de 
    six épisodes pour une rencontre de haut vol où se mêlent culture, littérature, histoire, patrimoine et politique. Nous devons ces brillantes conversations à TV-Libetrtés. Ici le quatrième épisodes :
     
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  • La recomposition du paysage politique en marche...

    Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire, dans lequel il évoque la recomposition du paysage politique français provoquée par l'élection d'Emmanuel Macron... Philosophe et essayiste, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Ce que penser veut dire (Rocher, 2017) et L'écriture runique et les origines de l'écriture (Yoran, 2017).

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    Alain de Benoist : « L’élection d’Emmanuel Macron a été un véritable fait historique, parce qu’elle a entraîné une recomposition générale du paysage politique »

    Depuis quelque temps, vous vous faites un peu rare sur Boulevard Voltaire. L’actualité politique ne vous inspire plus ?

    La politique n’a jamais été mon principal centre d’intérêt, et je la trouve en général extrêmement ennuyeuse. Je n’aime pas, non plus, répéter ce que d’autres ont déjà dit : faire du commentaire de commentaire, toujours à propos de péripéties qui, dans trois mois, auront été complètement oubliées, je trouve que c’est une perte de temps. Beaucoup de gens sont des réactifs, qui ne perdent pas une occasion de manifester leurs obsessions. À la réactivité, je préfère la réflexivité. En politique, les seuls événements dignes d’intérêt sont ceux qui ont une certaine portée et qui nous disent quelque chose de l’avenir.

    Alors, quelles sont aujourd’hui les tendances lourdes ?

    L’élection d’Emmanuel Macron a été un véritable fait historique, parce qu’en mettant fin au clivage droite/gauche tel que nous le connaissions, elle a entraîné une recomposition générale du paysage politique comme on n’en avait pas connu en France depuis cinquante ans. Cette recomposition n’en est, aujourd’hui, qu’à ses débuts. Toute la question est de savoir si Macron, qui n’a pas fait de faute majeure jusqu’à présent, pourra imposer durablement son bloc contre-populiste et libéral-libertaire ou si, à la faveur de quelque événement imprévu, son projet va capoter. Pour l’heure, plus il se tourne vers les centristes, et plus il dégage à gauche un espace que Mélenchon n’a pas encore préempté. Laurent Wauquiez, dans le même temps, n’a de chance de tirer son épingle du jeu qu’en s’employant à rendre irréversible la coupure entre les conservateurs et les libéraux.

    Une autre tendance lourde, à laquelle on n’attache pas assez d’importance, c’est la décomposition progressive des classes moyennes, qui se retrouvent aujourd’hui de plus en plus menacées de déclassement. Les bénéficiaires de la mondialisation ont, jusqu’ici, bénéficié du soutien de deux secteurs protégés : les fonctionnaires et les retraités. Or, les fonctionnaires sont en passe de perdre leurs « privilèges » et les retraités, qui ont largement voté pour Macron, sont les principaux perdants des dernières réformes fiscales. Les puissants savent très bien que nous ne sommes plus à l’époque des Trente Glorieuses qui avaient vu enfler les classes moyennes parce que tout le monde finissait par bénéficier peu ou prou des profits accumulés au sommet de la pyramide. Aujourd’hui, la pyramide a cédé la place au sablier : les profits ne redescendent plus jusqu’à la base, les pauvres sont de plus en plus pauvres et de plus en plus nombreux, et les plus riches cherchent à rafler la totalité du gâteau parce qu’ils voient bien que sa taille ne cesse de diminuer.

    Le « capital culturel », disait Bourdieu, joue autant que le « capital économique ». Une grande partie de la moyenne bourgeoisie se sentait, jusqu’ici, en état d’insécurité culturelle, mais non d’insécurité sociale : en clair, elle déplorait l’immigration, mais ne craignait pas pour son pouvoir d’achat, son patrimoine ou son statut social. C’est elle qui a voté pour Fillon, alors que les classes populaires l’ont boudé. Le Front national, au contraire, a surtout recueilli le vote des classes populaires de la France périphérique, c’est-à-dire de ceux qui se sentent à la fois en situation d’exclusion sociale et d’exclusion culturelle : non seulement ils sont frappés par le chômage, mais ce sont eux qui subissent de plein fouet les conséquences de l’immigration. La tendance actuelle devrait logiquement faire basculer une grande partie de la classe moyenne vers les classes populaires. Exclusion sociale et exclusion culturelle vont donc s’ajouter l’une à l’autre dans des proportions croissantes, ce qui va faire s’évaporer une partie de la majorité actuelle. Peut-être est-ce ainsi que l’alliance des conservateurs et des populistes pourra se réaliser.

    Quelques questions plus anecdotiques, quand même. L’abandon de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ?

    Comme Philippe de Villiers, je me félicite de l’abandon de ce projet aussi destructeur qu’insensé. Et permettez-moi d’ajouter, pour être franc, que j’ai beaucoup plus de sympathie pour les « crasseux » zadistes que pour le très convenable PDG du groupe Lactalis !

    L’offensive contre les crèches municipales ?

    Nous en avions déjà parlé l’an dernier. Tout le monde sait qu’il y a deux sortes de laïcité : celle qui réside dans la simple séparation de l’Église et de l’État : l’État reconnaît tous les cultes, mais ne s’identifie à aucun, formule qui jusqu’à une date récente satisfaisait tout le monde. Et puis, il y a le fanatisme laïciste qui prétend privatiser intégralement la foi en interdisant le moindre signe religieux dans le secteur public, ce qui est à la fois impossible et absurde. La grotesque offensive contre la tradition à la fois religieuse et culturelle 1 des crèches municipales relève évidemment de la seconde catégorie. Il en va de même de la croix de Ploërmel – même si, à titre personnel, je la trouve absolument hideuse tant elle écrase par sa disproportion la statue placée en dessous d’elle !

    Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 19 janvier 2018)

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