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Points de vue - Page 385

  • «Puissance» : mot tabou ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Pierre Deplanche, cueilli sur le site Infoguerre et consacré à la disparition du concept, et même du mot, dans le débat publique...

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    «Puissance» : mot tabou ?

    Pourquoi ne parle-t-on plus de puissance aujourd’hui en France ? Le thème n’est, à ce jour, porté par aucun des candidats à la présidence de la république. Les problèmes qui se posent à la France sont pourtant légions. Suffirait-il d’affirmer que l’amoindrissement de la France dans certains domaines, ou en tout cas de la perception que nous en avons – qui est bien souvent celle que des « déclinologues » forgent pour nous et nous distillent – peut nous conduire à intégrer définitivement l’idée que toute prétention de ce pays à l’augmentation de sa puissance est illusoire ?  Que le mot « puissance » en ce qui concerne l’hexagone ne saurait s’utiliser qu’affublé d’épithètes comme « moyenne » ou « régionale » ? Que l’heure est venue pour des pays comme le nôtre d’accepter un rôle subalterne, que c’est là le cycle « naturel » des cultures constitué d’apogées et de déclins et que l’avenir signifie la décroissance ? Ce tableau d’un pays qui a fait civilisation et qui se retire du monde comme on part en retraite porte en soi les germes de la « dé-puissance » et élimine jusqu’à la simple utilisation  ordinaire du terme « puissance ».

    Le thème de la puissance nationale est devenu honteux. Au-delà du thème lui-même, c’est l’idée même de puissance qui semble repoussante car elle reste associée à tout ce qu’un pays comme la France a pu commettre pour se hisser au rang où elle est parvenue aujourd’hui. La puissance ne serait finalement que le résultat de la coercition, du pillage, de la négation de l’autre spolié de ses droits et de ses richesses. La puissance et l’influence françaises ne se sont pas construites que sur des guerres et le colonialisme. Ce sont pourtant ces événements, indubitablement éléments constitutifs de puissance, que la mauvaise conscience collective retient encore aujourd’hui (et que certains cercles intellectuels entretiennent par héritage et tradition politique) au point qu’il est aujourd’hui encore très politiquement correct de ne pas même employer le terme « puissance » pour figurer le rôle et le rang de la France dans le monde.

    La culpabilité cultivée et diffusée par la bien-pensance hexagonale ne trouve pas forcément un équivalent dans d’autres cultures ; certainement pas dans celles qui n’ont pas renoncé à l’augmentation de leur puissance. En tout état de cause, la culpabilité ne se manifeste pas de façon identique. Là où, par exemple, le gouvernement français a cherché à la fin des années soixante-dix à « adoucir » la Marseillaise en en ralentissant le tempo, tentant par là de la faire passer de chant révolutionnaire à anthem à l’anglo-saxonne, jamais les gouvernements américain et allemand n’envisagèrent de modifier respectivement Star Sprangled Banner ou encore Deutschland über Alles, hymnes aux accents pourtant guère moins menaçants et hégémonistes que la Marseillaise, même si dans le dernier cas quelques voix allemandes s’étaient élevées pour souhaiter des paroles moins agressives. Ces deux Etats ont leurs propres comptes à régler avec l’Histoire. Pour autant, ils n’ont jamais cessé d’être en recherche de puissance. Power, voire potency, sont, aux Etats-Unis, d’un emploi fréquent et utilisés de façon décomplexée, que ce soit pour évoquer les marchés conquis par les entreprises américaines ou la stratégie d’influence au niveau internationale de l’administration en place.

    Pourquoi le mot « puissance » n’est-il plus employé  en France? Est-ce le sentiment que nous semblons développer collectivement de ne plus compter dans le monde qui fait que nous générons un complexe conduisant à une autocensure au point où le mot devient presque tabou ? A « puissance » et au champ lexical qui lui est associé, nous avons substitué «développement économique», «croissance économique », etc. Or, la croissance n’est pas la puissance, surtout lorsque le politique, dans un oxymoron inspiré, parle de « croissance 0 ». Nous avons manifestement remisé l’idée de puissance. Nous avons purement évacué la dénomination de son avènement et par là, sa réalité.  La France n’a plus de politique de puissance parce qu’elle n’a tout bonnement plus de vision de sa puissance.  Elle ne la dit plus parce qu’elle ne la conçoit plus. A l’inverse, comme elle ne la conçoit pas comme une idée au sens presque philosophique du mot, elle ne peut lui donner sa légitimité lexicale, donc d’existence. L’incapacité à dire la puissance manifeste son oblitération.

    Comment l’usage du mot en est-il venu  peu à peu à disparaître ? Sous la pression d’une bien-pensance consensuelle rongée par la culpabilité, à cause de la représentation que nous avons de nous-mêmes mais également en raison du regard  que des autres nations moins puissantes ou en émergence portent sur nous. La France continue de rayonner mais elle a perdu de son influence. Notre propre regard sur nous-mêmes conjugué à celui qui est porté sur nous s’alimentent mutuellement en un jeu de miroirs qui figure notre doute sur notre capacité à toujours vouloir la puissance et à l’augmenter.

    La disparition du mot « puissance » du vocabulaire politique – et par là de toute ambition de puissance – prend peut-être également racine dans notre conviction que la puissance acquise devenait, à un certain stade, permanente. Au regard de la situation  socio-économique actuelle de la France, il faut ici parler au passé. Nous avons peut-être pensé  la puissance comme une pérennité. L’utilisation du terme « puissance » dans le discours politique avait-il encore une justification puisque le pays y avait accédé ? Or, la puissance, c’est de l’entropie ; c’est une dynamique qu’il convient d’alimenter à chaque instant  et qui ne souffre pas de stagnation. Avoir pensé la puissance comme acquise et permanente a généralement mené à une vision court-termiste des politiques publiques, et a conduit l’Etat à engager des dépenses sans se soucier des recettes au point où le montant de la dette actuelle de la France atteste de sa perte de puissance.

    Enfin, la disparition graduelle du mot « puissance » du discours tient peut-être à l’individualisation de la société. La puissance est une dynamique qui puise au collectif. Elle ne peut exister si elle n’est pas portée par l’énergie d’un ensemble fédéré autour d’elle. Mais comment, dans une société qui promeut l’individu, fédérer des énergies autour un programme lorsque le mot qui en constitue l’essence a été sorti du vocabulaire ?
    Résumer la perte de puissance de la France à la disparition d’un vocable est une tentative d’explication pour le moins hétérodoxe, voire légère. D’aucun diront que c’est la perte de l’ambition de puissance qui signe la disparition de l’usage du terme. Certes. Pour autant, l’utilisation récurrente du mot « puissance » signifie déjà le désir de puissance, la mobilisation collective, la puissance comme dessein et garante de la pérennité d’un modèle sociétal. Le verbe mobilise. Il agrège. Peut-on ne faire exister la puissance qu’en la nommant ? Probablement pas, mais le mot la manifeste ; il l’officialise et d’une certaine façon, il la fait exister. La France est confrontée à un environnement politique et économique mondial chahuté ; il est par conséquent plus que temps de remettre à l’honneur le mot « puissance », de le vulgariser et de l’assumer en espérant que l’usage finira par réveiller chez les décideurs des envies de stratégie de puissance. L’enjeu est capital pour la France. Il l’est tout autant pour l’Union européenne.

    Pierre Deplanche (Infoguerre, 19 octobre 2011)
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  • Sans histoire... ni géographie...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Laurent Dandrieu, cueilli sur le site de Valeurs actuelles et dans lequel il dénonce la fabrication à la chaîne de générations de déracinés...

    Laurent Dandrieu est actuellement rédacteur en chef adjoint de l'hebdomadaire Valeurs actuelles et était, dans les années 90, un des animateurs de la revue Réaction, remarquable revue de la droite littéraire de conviction.

     

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    Sans histoire... ni géographie

    Au début du quinquennat de Nicolas Sarkozy, il fut un (court) temps question de mener une “politique de civilisation”, concept intéressant disparu aussi vite qu’apparu. La civilisation, pour aller vite, c’est le processus qui permet de savoir d’où l’on vient, afin de pouvoir savoir où l’on va. Comment donc pourrait-on mener une “politique de civilisation” quand tout est fait par ailleurs pour que l’individu moderne ne sache plus d’où il vient ?

    Quand tout, des plaques d’immatriculation automobiles aux programmes scolaires, conspire à en faire un nomade sans appartenance et sans mémoire ?

    Dans un récent recueil d’annotations portées par des professeurs sur leurs élèves (les Perles des bulletins de note, éditions Jean-Claude Gawsevitch), on relevait cette remarque désabusée d’un professeur sur l’un de ses lycéens : « Année sans histoire… et sans géographie non plus d’ailleurs. » Boutade qui, comme toujours, est plus vraie qu’elle ne le croit. En effet, comme nous l’apprend une récente tribune de Rémy Knafou publiée dans le Monde du 5 octobre, les programmes de géographie des classes de première entrés en vigueur en septembre 2011 consacrent ni plus ni moins que la disparition de la France en tant que telle : « L’entité “France”, celle de la République française, a purement et simplement disparu au profit de deux autres niveaux : le niveau européen, d’un côté, et celui des territoires qui composent la France, de l’autre, la part belle étant faite aux “territoires de proximité” », explique ce professeur émérite de la Sorbonne. Tout se passe comme si l’on voulait nous faire croire que la France est une simple juxtaposition de régions, unie par un hasard administratif, mais sans histoire com­mune, sans identité commune et par conséquent sans destin commun. Le tout ne serait ici que la somme des parties, sans rien leur apporter, sans que l’appartenance de ces parties à un tout modifie en quoi que ce soit leur existence ou leur devenir. La négation de la géographie française devient ici la négation du roman national, qui débouche inéluctablement sur la négation d’un avenir national.

    Déjà alarmante en soi, cette curieuse omission, ­exemplaire selon Rémy Knafou « d’une certaine dés­orientation collective », ne fait en réalité qu’élargir la brèche sans cesse grandissante creusée dans la perception que peuvent avoir les jeunes générations de leur identité. Ci­toyens d’un pays qui semble avoir basculé dans “l’après-histoire”, sans rien pour les relier charnellement à une geste historique qui s’éloigne de plus en plus dans le passé, sans devoir qui concrétise leur appartenance à une communauté nationale – comme l’a fait pour des générations le service national –, sans pour autant pouvoir se rattacher à une identité européenne qui reste fictive, réduits à leur simple statut de consommateur et de rouage du système économique, les jeu­nes générations de Français voient en même temps s’effacer les ­symboles qui pourraient les rattacher à une com­mu­nauté de destin, à une identité collective, à des racines concrètes.

    On dit célébrer l’identité européenne, mais on édite un agenda ponctué des fêtes du monde entier… à l’exception des chrétiennes. On voudrait que les Français délaissent les dé­lices de la repentance pour retrouver une certaine fierté nationale, mais on les prive, dans les manuels d’histoire, des ­grandes figures du passé, Clovis, Jeanne d’Arc ou Louis XIV, pour les entretenir du Monomotapa et des beautés de la ­civilisation dogon. On les somme d’agir en acteurs économiques responsables de la planète, mais on ne leur présente, sur les billets de banque, qu’un monde imaginaire et abstrait : ponts qui ne conduisent nulle part, vitraux vierges de toute représentation qui n’éclairent aucune cathédrale, absence de toute figure identifiable conduisent à se considérer comme une monade anonyme, le rouage impersonnel d’un système sans visage. Les monuments réels, d’ailleurs, obéissent eux-mêmes à ce principe d’anonymat : aéroports, bâtiments administratifs et même musées dévolus à l’histoire locale (comme celui de Liverpool, inauguré cet été) se ressemblent tous d’un pays à l’autre, issus de ce style international interchangeable et terriblement monotone dans sa quête d’originalité précisément, qui reproduit les mêmes formes et les mêmes silhouettes à Tokyo, à Sydney ou à Los Angeles.

    On déplore à longueur de discours le désarroi de ci­toyens en perte de repères, mais on fait tout pour les faire disparaître, pour effacer tous les signes de reconnaissance qui pourraient leur donner le point d’ancrage leur per­mettant de résister au vertige du tourbillon bougiste en s’inscrivant dans une lignée, dans une mémoire, dans un héritage. En privant ainsi les citoyens de toute transmission, on croit former peut-être des individus pleinement maîtres de leur destin, des citoyens du monde, des agents économiques à la flexibilité parfaite et des consommateurs adaptés aux innovations perpétuelles d’un marché mondialisé. On fabrique surtout des générations de déracinés, balayés par la première bourrasque faute d’avoir la moindre fondation, propres à former les gros bataillons de la barbarie qui vient.

    Laurent Dandrieu (Valeurs actuelles, 20 octobre 2011)

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  • Trop, c'est trop ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un article de Michel Geoffroy, cueilli sur le site de Polémia et consacré au ras-le-bol des classes moyennes et populaires françaises...

     

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    Trop, c'est trop : vers une révolte des Français de souche ?


    1) Trop d’immigrés qui ne manifestent aucune volonté de « s’intégrer » et de devenir de vrais Français par la civilisation et la culture ; trop d’immigrés qui cultivent leurs particularismes d’une façon ostentatoire, et qui affirment de plus en plus leur religion – l’islam – dans l’espace public, au mépris de la laïcité et avec la lâche complicité des pouvoirs publics ; trop d’Africains qui se constituent en communautés.

    2) Trop de culpabilisation et de repentance à l’encontre des seuls Européens et des seuls Français de sang et de souche ; trop de mépris de la nation française et de son histoire ; trop de parti pris en faveur de nombreux allogènes, dont il est interdit de critiquer le comportement même délictueux, sous peine de « racisme » ; trop de discrimination à l’encontre des Français de souche.

    3) Trop d’insécurité pour les honnêtes gens, trop de bienveillance pour les criminels et délinquants récidivistes ; trop de délinquants d’origine immigrée ; trop de « zones de non-droit » ; trop de corruption dans la classe politique ; trop de police, trop de radars et trop de juges mais pas assez de sécurité et de moins en moins de liberté pour le citoyen.

    4) Trop de politiquement correct ; trop de répression de la liberté de parole, trop de propagande et de travestissement de la réalité dans les médias ; trop de publicité cynique et agressive ; trop d’américanisation de la culture.

    5) Trop de déni de démocratie ; trop de « minorités » bruyantes, trop de « communautés », trop « d’autorités morales », trop de lobbies qui prétendent imposer leurs préjugés et leurs seuls intérêts à la majorité des Français ; trop de mépris du peuple français de la part de l’oligarchie politico-médiatique ; trop de promesses non tenues par les politiques, qu’ils soient de gauche comme de droite.

    6) Trop de violences et de dégradations à l’école ; trop de maîtres qui capitulent devant les élèves et devant leurs parents ; trop de laxisme éducatif et universitaire ; trop de diplômes qui ne valent plus rien sur le marché du travail.

    7) Trop de chômage, trop de petits boulots, trop de contrats à durée déterminée, trop de délocalisations, trop de désindustrialisation ; trop d’inégalités sociales, trop de profits pour les uns, trop d’insécurité économique pour les autres ; trop de difficultés à se loger lorsqu’on est jeune ; trop d’impôts et de taxes pesant sur les classes moyennes et populaires.

    8) Trop de « réformes » inutiles qui ne s’attaquent pas aux vraies questions qui préoccupent les Français ; trop de services publics « reformés » mais qui ne fonctionnent plus ; trop de fonctionnaires découragés ; trop de fermetures de services publics de proximité.

    9) Trop d’inquiétudes sur l’avenir : trop de dépenses sociales que les actifs ne peuvent plus financer, trop de menaces sur les économies et les retraites ; trop de dettes publiques et privées.

    10) Trop de diabolisation des Français qui respectent les lois, qui demandent que cesse cette situation qui les révolte, qui ne sont ni « racistes », ni « fascistes », ni « d’extrême droite » mais qui veulent enfin être entendus de la classe politique et voir leur opinion représentée dans les médias.

    Michel Geoffroy
    04/10/2011

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  • Je ne veux pas mourir Chinois !...

    Nous reproduisons ci-dessous un article de l'écrivain italien Antonio Scurati paru dans le quotidien La Stampa et publié sur le site Presseurop. Antonio Scurati est romancier et essayiste. Deux de ses livres ont été traduits en français Le survivant (Flammarion, 2008) et L'enfant qui rêvait de la fin du monde (Flammarion, 2011).

     

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    "Je ne veux pas mourir Chinois"

    Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais, en ce qui me concerne, je n’ai aucune envie de mourir chinois. Pourtant, au train où vont les choses, c’est hautement probable.

    A la mi-septembre, juste au moment où le Sud de l’Europe se précipitait vers le désastre, au cours du congrès annuel du World Economic Forum – qui depuis 2007 se tient (est-ce un hasard ?) en Chine et porte cette année le titre de  "New Champions 2011" – le premier ministre Wen Jiabao annonçait que son pays allait investir de plus en plus sur le "vieux" continent.

    Sauveurs ou envahisseurs ?

    Avec un sens de l’opportunité assez terrifiant, des voix insistantes avaient circulé les jours précédents sur des intentions d’acquisitions massives par les Chinois de bons du Trésor italien, corroborées par le voyage à Rome du président de la China Investment Corp, un des fonds d’investissements les plus riches du monde, venu discuter de l’achat de parts consistentes dans des entreprises stratégiques de notre économie nationale. Depuis lors, il ne se passe pas un seul jour sans que nous ne nous demandions tous si les Chinois sont en train de nous sauver ou de nous envahir.

    Dans mon cas personnel, la demande est on ne peut plus inquiétante, car le hasard a voulu que mon dernier roman – La seconda mezzanotte  [ “Le Second minuit”- ou “La seconde moitié de la nuit”, éditions Bompiani] –  soit sorti par pur hasard le 14 septembre, le jour précisément où les agences de presse battaient le tambour après les annonces de Wen Jiabao.

    J’y ai imaginé qu’en 2092 l’Italie serait devenue un pays satellite de la Chine après lui avoir cédé la totalité de sa dette extérieure et que Venise, à la suite d’une terrible inondation, aurait été achetée par une entreprise transnationale de Pékin. Refondée avec le statut de Zone Politiquement Autonome, son nouveau destin serait dés lors celui d’un parc d’attractions voué au luxe et aux vices effrénés des nouveaux riches orientaux. A cette question inquiétante, je ne peux donc qu’apporter une réponse tout aussi inquiétante.  

    Conflit de civilisation

    Catastrophismes littéraires mis à part, il me semble tout à fait évident que l’avènement d’une souveraineté politico-financière chinoise sur notre vieux continent précipiterait le déclin de la civilisation européenne telle que nous l’avons connue, rêvée et aimée (ne serait-ce que dans nos visions idéales). Je crains que ce ne soit une grave menace pour les fondements culturels de la civilisation occidentale européenne moderne : souveraineté politique du peuple, liberté de pensée et d’expression, droits des travailleurs et du citoyen, autonomie de chacun, solidarité entre les individus réunis en société, valeur de la personne, sécurité alimentaire, respect du caractère sacré de la vie.

    Oui, je crains tout cela, pas seulement parce que j’ai encore devant les yeux ce jeune homme qui, place Tien An Men, avait affronté un tank, armé seulement de ses deux sacs de courses (n’oublions pas que le jeune homme était, lui aussi, Chinois), ou parce que je prévoit un conflit de civilisation entre l’Europe et la Chine, mais parce que je suis effrayé par la dérive d’un capitalisme financier dont les fonds souverains chinois représentent aujourd’hui le fer de lance, par un usage du capitalisme conçu pour financer le travail et l’entreprise mais qui a fini par les enterrer.

    Si dans un avenir proche la politique ne parvenait pas à refaire en sens inverse le chemin qui l’a conduite de la souveraineté à l’obscénité, le risque serait effectivement que dans un avenir pas si lointain un gigantesque conflit se déchaîne entre les intérêts spéculatifs de la finance apatride – –  et qu’elle soit chinoise, américaine ou de chez nous importe peu –  et les besoins, les attentes légitimes, les espoirs de chacun d’entre nous.

    Antonio Scurati (La Stampa, 6 octobre 2011)

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  • Maternelle, ton univers impitoyable !...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Natacha Polony, publié sur son blog Eloge de la transmission et consacré à l'instauration d'une évaluation en classe de grande section de maternelle. Une mesure qui ne fait qu'illustrer la crise de notre système éducatif dans sa globalité...

     

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    Maternelle, ton univers impitoyable

    Le monde éducatif est en ébullition. Une fois de plus, sont convoquées les « heures les plus sombres de notre histoire », le « fichage » et le « tri », la « stigmatisation ». Le ton est dramatique, les fronts sont plissés, les voix altérées par l’émotion. D’autant plus qu’il s’agit cette fois d’enfants de maternelle. Ce que nous avons de plus cher. L’innocence même.

    Quel est donc ce texte ministériel porteur de noirs desseins ? Le protocole qui met en émoi syndicats et fédérations de parents fut présenté jeudi matin par la direction de l’enseignement scolaire à des inspecteurs de l’Education Nationale. Il préconise des évaluations pour les élèves de grande section de maternelle. Des évaluations destinées à repérer les élèves « à risque » ou « à haut risque » dans quatre domaines, comportement (joue-t-il avec les autres, exécute-t-il le travail prescrit … ?), langage (prononce-t-il correctement, sait-il construire des phrases complexes… ?), motricité (sait-il découper des formes… ?) et conscience phonologique (sait-il distinguer les sons, a-t-il conscience de la structuration de la langue en phonèmes ?). Bref, tout ce qui détermine la capacité de l’enfant à devenir un élève de CP, apprendre à lire et écrire, à se concentrer… L’idée est de repérer dès le mois de novembre les enfants en difficulté, pour utiliser les heures d’aide personnalisée afin de combler leur lacunes et de remédier à leurs problèmes.

    La crispation du milieu éducatif se focalise sur divers points : les uns accusent les exercices répétitifs proposés pour faire travailler les élèves en difficulté d’être « normatifs », ce qui vaut condamnation immédiate. Les autres font remarquer que l’évaluation du comportement apparaît en premier dans le document du ministère ; entendez que l’on veut repérer – et « ficher » - les élèves « déviants », dans la droite ligne du rapport de l’Inserm de septembre 2005 sur le repérage des « troubles de conduite » dès trois ans. A cet âge, répondent syndicats et psychologues, il peut s’agir d’un simple retard de maturité. Et le destin d’un enfant n’est pas scellé dès la maternelle.

    Les arguments sont recevables. Et le rapport de l’Inserm, fondé sur les outils de la psychologie behavioriste américaine semblaient réduire l’appréhension de l’humain à une dimension purement mécaniste. Pour autant, l’évaluation proposée par le ministère peut-elle être assimilée à ce genre de démarche ? La Direction générale de l’enseignement scolaire se défend de toute volonté « stigmatisante » et fait valoir que ce protocole s’appuie sur les travaux de Michel Zorman, du laboratoire de Sciences de l’Education de Grenoble, nouvelle référence éducative depuis que l’Institut Montaigne s’est chargé de mettre en avant ses expérimentations. Ajoutons à cela le « modèle québequois », en passe de remplacer le modèle finlandais dans le cœur des décideurs, et l’on comprend la filiation du projet.

    Le problème vient sans doute du fait que ces évaluations qui surgissent à tous les niveaux de l’Education Nationale emploient le vocabulaire de la « performance », des « scores » et des « items » chers au management. Les protocoles normalisés envahissent un domaine où, plus que partout ailleurs, l’humain devrait primer. L’humain, c’est-à-dire l’appréhension de la personne dans sa globalité, comme porteur d’une histoire à la fois collective et individuelle, loin de tout systématisme.

    Mais les belles âmes qui s’insurgent oublient trop souvent que cette évaluationnite aigüe qui saisit l’Education Nationale – comme chaque strate des sociétés occidentales – se nourrit de la destruction des savoir-faire anciens, en l’occurrence du métier d’instituteur (ah, la belle alliance objective des pédagos libertaires et des libéraux modernistes…). Il est de bon ton de couper court à toute discussion sur l’état de la maternelle d’un lapidaire : « le monde entier nous l’envie ! » Un peu succinct. D’autant que les difficultés que rencontrent les élèves dans l’apprentissage de la lecture, et qu’ils traineront tout au long de leur vie (des futurs illettrés à tous ceux, plus discrets, qui n’accèderont simplement jamais au statut de lecteur par plaisir), ces difficultés sont sans doute le résultat, non seulement des dérèglements sociaux importés dans l'école (précarité, omniprésence des écrans et absence de repères), mais aussi de méthodes défaillantes dans les petites classes. Activités qui échouent à cadrer dès le matin les enfants, à leur apprendre la concentration et le calme, privilège donné à l’« autonomie » des enfants plutôt qu’à la capacité à respecter des règles…

    Quelques rares instituteurs se sont élevés contre les carences de formation des jeunes professeurs de maternelle, et contre la déperdition d’un savoir-faire essentiel. Les avoir traités d’affreux réactionnaires ne suffit pas à occulter les échecs d’une école qui médicalise progressivement son incapacité à éduquer, inventant des cohortes d’« hyperactifs », de « dyslexiques » et autres « dyscalculiques ». Car les carences d’apprentissage en maternelle ont ceci de formidable qu’elles ne se voient que plusieurs années plus tard, quand les difficultés s’accumulent. Ni responsables ni coupables (d'aucuns s'évertuent à s'en émouvoir dans l'indifférence générale). La démarche de la Direction générale de l’enseignement scolaire a du moins le mérite de s’inquiéter de ce qui se passe dès le début de la scolarité, là où – chaque professeur un tant soit peu honnête le sait – on pressent les difficultés de certains enfants. Il est déplorable qu’elle s’appuie sur un petit remplissage de cases, réduisant à néant ce qu’on appelait autrefois l’ « intelligence du métier ». Mais cette intelligence-là se porte mal depuis bien longtemps déjà. Et de ne pas s’en préoccuper, de le nier même farouchement, on ouvre la voie à des protocoles « scientifiques » contestables, mais qui ne sauraient être franchement pires que le néant actuel.

    Natacha Polony (Eloge de la transmission, 14 octobre 2011)

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  • L'essor du séparatisme culturel...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue du géographe Christophe Guilluy, publié dans le quotidien Le Monde à la suite de la parution du rapport de l'Institut Montaigne sur les banlieux. Christophe Guilluy est l'auteur d'un essai percutant intitulé Fractures françaises (Bourin, 2010)  et consacré  à la crise profonde du "vivre ensemble" dans la France d'aujourd'hui.

     

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    La fable de la mixité culturelle

    Plus que son contenu, c'est d'abord la surmédiatisation du rapport de l'Institut Montaigne qui est frappante. Le constat, celui d'une forme d'islamisation de certains territoires, n'est pas véritablement une découverte. On rappellera à ce titre que le rapport Obin de l'éducation nationale montrait déjà, en 2004, le débordement dans l'espace public des pratiques communautaires dans les établissements scolaires situés dans des communes à forte population musulmane.

    Rien de bien nouveau donc, le problème est en réalité sur la table depuis au moins dix ans. Cette question culturelle et identitaire est d'abord le fruit d'une dynamique démographique. La question de l'islam ne serait pas aussi présente si elle ne s'inscrivait pas dans un contexte démographique, celui de la croissance forte et récente du nombre des musulmans en France et en Europe.

    Rappelons ici que les communes ciblées par l'Institut Montaigne se caractérisent d'abord par une transformation démographique sans précédent. Entre 1968 et 2005, la part des jeunes d'origine étrangère (dont au moins un parent est né à l'étranger) est passée de 22 % à 76 % à Clichy-sous-bois et de 29 % à 55 % à Montfermeil. Ce basculement démographique est un point fondamental. Une majorité de ces jeunes est musulmane ou d'origine musulmane.

    La visibilité de l'islam et de ses pratiques est ainsi directement liée à l'importance de la dynamique démographique : flux migratoires et accroissement naturel. La question est d'autant plus sensible qu'elle s'inscrit dans un contexte démographique instable où les "minorités" peuvent devenir majoritaires et inversement. Sur certains territoires, les populations d'origine musulmane sont donc devenues majoritaires. C'est le cas à Clichy et Montfermeil. La passion qui entoure les débats sur l'islam est directement liée à la croissance du nombre de musulmans. La question du débordement des pratiques religieuses interroge l'ensemble des Français musulmans ou non.

    Au-delà, ce débat interroge aussi la question du multiculturalisme. Ainsi, si l'on remplaçait demain les 6 millions de musulmans par 6 millions de sikhs, les controverses sur le port du kirpan (comme cela a été le cas au Québec), poignard mais aussi symbole religieux pour la communauté sikh, se multiplieraient.

    L'importance des réactions suscitées par le rapport Kepel révèle en filigrane le malaise de la société française face au surgissement d'une société multiculturelle encore impensée. Il faut dire que, en la matière, nous nous sommes beaucoup menti. Convaincus de la supériorité du modèle républicain, en comparaison du modèle communautariste anglo-saxon, nous nous sommes longtemps bercés d'illusions sur la capacité de la République à poursuivre, comme c'était le cas par le passé, "l'assimilation républicaine".

    La réalité est que, depuis la fin des années 1970, ce modèle assimilationniste a été abandonné quand l'immigration a changé de nature en devenant familiale et extra-européenne (pour beaucoup originaire de pays musulmans). Alors que l'on continuait à s'enorgueillir du niveau des mariages mixtes, les pratiques d'évitement explosaient.

    Aujourd'hui, le séparatisme culturel est la norme. Il ne s'agit pas seulement d'un séparatisme social mais d'abord d'un séparatisme culturel. Pire, il frappe au coeur des classes populaires. Désormais, les classes populaires d'origine étrangère et d'origine française et d'immigration ancienne ne vivent plus sur les mêmes territoires. Les stratégies résidentielles ou scolaires concernent une majorité de Français, tous cherchent à ériger des frontières culturelles invisibles. Dans ce contexte, la fable des mariages mixtes ne convainc plus grand monde et ce d'autant plus que les chiffres les plus récents indiquent un renforcement de l'endogamie et singulièrement de l'homogamie religieuse.

    La promesse républicaine qui voulait que "l'autre", avec le temps, se fondît dans un même ensemble culturel, a vécu. Dans une société multiculturelle, "l'autre" reste "l'autre". Cela ne veut pas dire "l'ennemi" ou "l'étranger", cela signifie que sur un territoire donné l'environnement culturel des gens peut changer et que l'on peut devenir culturellement minoritaire. C'est ce constat, pour partie occulté, qui explique la montée des partis populistes dans l'ensemble des pays européens.

    Si le rapport Kepel est "dérangeant", c'est d'abord parce qu'il nous parle d'un malaise identitaire qui touche désormais une majorité de Français. A ce titre, il faut relever l'importance de cette question pour l'ensemble des classes populaires d'origine française ou étrangère. C'est dans ce contexte qu'il faut lire la montée de l'abstention et de la défiance pour les grands partis aussi bien en banlieue que dans les espaces périurbains, ruraux et industriels.

    Si un islam identitaire travaille les banlieues, l'adhésion pour les thèses frontistes d'une part majoritaire des classes populaires de la France périphérique souligne que la question sociale est désormais inséparable de la question culturelle.

    Christophe Guilluy (Le Monde, 14 octobre 2011)

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