Les Germaniques : l’Allemagne en guerre et en prose
Au sein de la masse de publications destinées à accompagner un été et un automne placés dans la mémoire de la Campagne de France, – l’armée organise en septembre aux Invalides une manifestation baptisée « Comme en 40 » -, Les Germaniques, de Julien Monange, prennent place un peu à l’écart.
Pas sur un surplomb, plutôt sur une corniche latérale, un chemin de chevrier comme les aimaient Gaston Rebuffat et comme commence à nous y habituer Julien Monange, déjà auteur d’un étonnant recueil de poèmes dédiés à la Grande-Guerre.
À la fin de la « Drôle de guerre », alors que se déclenche l’attaque allemande, un vieillard se retrouve enfermé dans Lille, sa ville natale. Persuadé que cela sera « intéressant », le narrateur, qui se pique de littérature, se met à écrire son « journal de guerre ». Il y décrit la panique générale qui s’empare de Lille, les membres de sa famille rassemblés autour de lui, leurs moyens de subsistance, ainsi que ses réflexions personnelles, face à une situation tactique se dégradant à toute vitesse.
Le flegme initial et apparent de cette écriture diariste dissimule néanmoins une fêlure : le fils de la famille, homme mûr, professeur d’allemand à Lille, est mobilisé dans un fort du secteur « Thiérache », et les lettres reçues ne laissent plus de doute : comme « un grand faune en approche », l’ennemi arrive et s’apprête à dicter sa loi de fer et de feu.
L’histoire pourrait évoquer, jusque-là, des tableaux déjà brossés, dans la littérature de guerre, sur « l’existence sylvestre » des forts. Ce n’est d’ailleurs pas la moindre des influences gracquiennes des Germaniques, que cet appel assumé aux exils intérieurs, à la recherche de l’impressionnisme dans la vie militaire. Mais la composition picturale change totalement de contraste lorsque le fils officier, par lettre du front adressée à sa femme et à son père, leur fait d’étranges confessions sur sa germanophilie. Outre l’enseignement de la langue de Goethe au lycée Faidherbe, ce lieutenant a en effet servi en Rhénanie vingt ans auparavant comme jeune soldat, et en a rapporté un « amour de l’Allemagne » qui étincelle dans ses lettres et ses poèmes. Une étincelle qui souvent devient flamme haute, aux crépitements exaltés et lugubres, comme celui d’un incendie dans un château wagnérien.
L’intérêt du livre est bien sûr dans la confrontation, d’une part, entre les sentiments du fils pour l’Allemagne romantique, fut-elle défigurée par le nazisme (ce dont il a cependant conscience et tristesse), et la haine traditionnelle du père pour le Boche, éternel envahisseur barbare. Mais aussi entre les affinités d’élection, esthétiques, en l’occurrence germaniques, et la mission reçue, sacrée, qui impose de combattre ces ennemis en lesquels le lieutenant, idéaliste, voit jusqu’au bout des frères de « l’autre côté de la frontière ».
Très fouillé historiquement, écrit dans une langue recherchée, parfois précieuse, ce roman dérangeant tient à la fois du récit de guerre et du poème des armes et de la mort. Le champ de vision du lecteur est séparé, à chaque page, entre la netteté du détail authentique et le brouillard du symbolisme le plus exalté, presque hypnotique. Une sorte de bunker sur des falaises de marbre.
Cyril-Hervé Farret d’Astiès (Conflits, 29 août 2020)