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Entretiens - Page 235

  • Pascal Boniface flingue les intellectuels faussaires chez Robert Ménard !...

    Pour ceux qui n'ont pas encore lu Les intellectuels faussaires , vous pouvez visionner ci-dessous le passage de l'auteur du livre, Pascal Boniface, dans l'émission Ménard sans interdit sur Itélé.

     

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  • Quand les chinois construisent l'Europe...

     Vous pouvez visionner ci-dessous sur Realpolitik.tv un entretien avec Hervé Juvin sur la menace que les entreprises chinoises font peser sur l'Europe et son modèle social à construire. Clair et percutant ! 

     


    Hervé Juvin : quand les Chinois construisent... par realpolitiktv

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  • Euro : nouvelles du front...

    Vous pouvez visionner ci-dessous sur Realpolitik.tv un entretien avec Hervé Juvin sur la crise de l'euro. 

     


    Euro : nouvelles du front par realpolitiktv

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  • Chevènement, le PS et la doxa néolibérale...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien de Bernard Poulet avec Jean-Pierre Chevènement, publié sur le site de L'Expansion, dans lequel ce dernier revient sur la conversion du PS au néolibéralisme

     

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    Pourquoi les socialistes se sont-ils convertis au néolibéralisme peu après être arrivés au pouvoir, en 1981, se demande Jean-Pierre Chevènement dans son dernier livre, La France est-elle finie ? (Fayard, 315 pages, 19 euros). A l'approche de la présidentielle, l'ancien ministre socialiste explique pour L'Expansion les raisons de ce tournant dont ses anciens camarades ne sont jamais revenus. Au passage, il en étrille quelques-uns.

    Pourquoi pensez-vous que la gauche doit réévaluer l'histoire du tournant économique du début des années 80 ?

    A chaque étape, la gauche n'est repartie qu'en se mettant au clair avec elle-même. Or, en 1981, à l'instar de Christophe Colomb, la gauche française a cru découvrir les Indes - le socialisme -, et elle doit réaliser qu'elle a trouvé l'Amérique - le néolibéralisme. Même si l'environnement international n'était pas favorable, rien n'obligeait les socialistes français à opérer ce tournant néolibéral, ni à aller aussi loin : l'Acte unique européen, négocié par Roland Dumas, et la libération totale des mouvements de capitaux, y compris vis-à-vis de pays tiers, ou l'abandon de la clause d'harmonisation fiscale préalable qui figurait dans le traité de Luxembourg. Ou encore le Matif [Marché à terme international de France], créé en 1984, et la loi de libéralisation financière, en 1985. Tout cela était une manière de mettre Margaret Thatcher au coeur de la construction européenne, d'accepter d'abandonner l'Europe, pieds et poings liés, au capitalisme financier. En critiquant ces choix, je n'ignore pas l'existence du monde extérieur, mais on n'était pas obligé d'appliquer toutes les règles de la doxa néolibérale. On aurait pu maintenir quelque chose ressemblant à une économie mixte. L'Etat pouvait garder la maîtrise de quelques mécanismes de régulation essentiels. L'idéologie néolibérale a fait admettre comme vérité d'évangile que, grâce à la désintermédiation bancaire, les entreprises s'alimenteraient à plus faible coût sur les marchés financiers. L'entrée dans une mécanique irréversible en souscrivant à toutes les dérégulations prévues par l'Acte unique, la libéralisation des mouvements de capitaux, l'interdiction des politiques industrielles et des aides d'Etat, l'introduction de la concurrence dans les services publics, tout cela, personne ne nous le demandait vraiment.

    Quels ont été les motifs des architectes de cette politique ?Robert Lion et Jean Peyrelevade, qui dirigeaient alors le cabinet du Premier ministre Pierre Mauroy, Philippe Lagayette, qui était aux manettes de celui de Jacques Delors aux Finances, comme tous les hiérarques du ministère de l'Economie et des Finances, Michel Camdessus, directeur du Trésor, Renaud de La Genière, gouverneur de la Banque de France, et plus tard Jean-Claude Trichet, lui aussi à la tête du Trésor, ou Pascal Lamy, directeur de cabinet du président de la Commission européenne (1), tous croyaient fermement à la théorie de l'efficience des marchés. Ils étaient convaincus que tout ce qui était réglementation devait disparaître pour sortir de ce qu'ils appelaient l'"eurosclérose" et libérer l'économie des contraintes bureaucratiques qui l'empêchaient de se développer. Comment tant d'hommes dont je ne puis suspecter l'honnêteté ont-ils pu opérer pareille conversion ? Cette énigme doit être résolue.C'étaient des représentants de la haute fonction publique...

    Haute fonction publique qui avait, pour l'essentiel, sa carte au Parti socialiste, où, il est vrai, elle était plutôt orientée "deuxième gauche". Personne parmi eux n'était résolu à mener une politique un tant soit peu volontariste. Tout s'est passé comme s'il leur fallait user la gauche au pouvoir et l'amener au "tournant libéral" que la technocratie bien-pensante avait, déjà avant 1981, imaginé pour elle. On les appelait "les rocardiens" ; en fait, ils étaient partout, et Rocard n'y était pour rien ! Tout cela a été conçu par des gens qui savaient où ils allaient et qui étaient décidés à se faire un allié de la puissance des marchés. Jacques Delors était cohérent. Il a passé consciemment un pacte avec ce qu'il appelle "les vents dominants" de la mondialisation. Très peu de gens dans l'administration, en dehors de ceux qui étaient avec moi à l'Industrie, s'opposaient à ce courant dominant, et la plupart de ceux qui avaient la charge d'appliquer le programme sur lequel François Mitterrand avait été élu, en 1981, n'y croyaient tout simplement pas. Il y avait une sorte de frénésie idéologique qui voulait que plus on libéralisait, plus on était "moderne".

    Mais où était le Parti socialiste ?

    Le Parti socialiste était presque absent sur les questions industrielles, monétaires et de régulation, qui lui paraissaient très techniques. Il estimait qu'il s'agissait d'une parenthèse qui ne changeait pas les orientations fondamentales, à commencer par le souci prioritaire de l'emploi. Le premier secrétaire du PS d'alors, Lionel Jospin, s'est porté garant de cette continuité politique et de l'absence de tournant réel, d'autant que François Mitterrand affirmait haut et fort ne pas avoir changé d'orientation. Le Parti communiste n'intervient pas non plus en 1983. Car il ne veut pas apparaître comme le parti de la dévaluation. L'affaire ne se joue finalement qu'entre un très petit nombre d'hommes.

    C'est donc Jacques Delors qui a joué le rôle clé ?

    Il était lié à François Mitterrand depuis les années 60. C'était un militant chrétien social, l'homme du dialogue social au cabinet de Jacques Chaban-Delmas. Je le reconnais comme un maître en idéologie. Il a toujours agi avec une bonne conscience inaltérable. Son discours pieux déconnectait parfaitement l'économique et le social, et, avec son disciple Pascal Lamy, il était sans doute convaincu que l'autorégulation des marchés tendait à favoriser la croissance. J'aime ces deux-là. Leur dogmatisme libéral sans peur et sans reproche, tout enrobé de bonne conscience chrétienne moralisante, fait plaisir à voir !

    Delors jouait dans les médias le rôle de saint Sébastien, criblé de flèches par ses camarades de parti, alors qu'il organisait le désengagement de l'Etat et la désintermédiation bancaire. Mystification conceptuelle qui conduisit en fait à l'explosion des revenus financiers. Mais je ne crois pas qu'il ait bien vu monter le capitalisme financier à l'horizon de la société. A l'époque, très peu de gens avaient compris qu'on avait tourné la page de l'ère du New Deal et du keynésianisme. Ne mesurant sans doute pas ce qu'il faisait, c'est lui qui a mis en place la dérégulation sur le continent. Il a fait la politique que Margaret Thatcher et Ronald Reagan appliquaient en Angleterre et aux Etats-Unis.

    Mitterrand n'y comprenait pas grand-chose, mais il souhaitait un accord européen, car il ne voulait pas que la France soit "isolée". Il raisonnait comme si elle était toujours le n° 1 en Europe. Quand il poussera à l'adoption de la monnaie unique, il ne verra pas non plus que la réunification allait faire de l'Allemagne le pays central, gouvernant l'euro comme un "mark bis".

    Depuis, la conversion au néolibéralisme ne s'est plus démentie, puisque c'est Dominique Strauss-Kahn, ministre des Finances de Jospin, qui autorisera le rachat d'actions par les entreprises. Comment l'expliquer ?

    Dominique Strauss-Kahn a théorisé la non-intervention de l'Etat dans l'économie lors d'un séminaire tenu à Rambouillet en septembre 1999. Je fus alors le seul, avec Martine Aubry, à le contredire. Deux semaines plus tard, Lionel Jospin dira que "l'Etat ne peut pas tout faire". Ce qui se jouait, c'était l'idée que l'Etat n'avait plus rien à faire dans l'organisation de l'économie et que les décisions de structures devaient être laissées à des autorités indépendantes. Dominique Strauss-Kahn en fut le théoricien, ce qui l'amena, par exemple, à liquider les dernières participations de l'Etat dans Usinor.

    Si vous lisez son rapport à Romano Prodi en 2004, il est à mes yeux proprement confondant d'irréalisme. Il propose littéralement de former une nation européenne, de faire des listes plurinationales aux élections, de créer des médias transnationaux. On y sent à l'oeuvre la volonté de gommer la nation et d'en faire disparaître les repères. Comme chez Jean Monnet, qui est quand même, dès 1943, le grand inspirateur de cette construction d'une Europe par le marché. Vision purement économiciste, où la souveraineté populaire disparaît, happée par celle de l'empire (en l'occurrence américain).

    Mitterrand ne s'est-il pas servi de la construction européenne comme d'un prétexte pour cacher ses abandons ?

    Un prétexte, peut-être, mais aussi, chez lui, une conviction sincère. Je n'arrive d'ailleurs pas à rejeter sa vision, au moins quant à l'objectif final. L'idée que les peuples d'Europe doivent se rapprocher toujours plus me semble juste, surtout quand on est coincé comme aujourd'hui entre la Chine et les Etats-Unis. Le problème, ce sont les modalités de la construction européenne. Je ne crois pas que celle-ci impliquait un ralliement aussi complet au néolibéralisme. Pour construire une Europe "européenne", il ne fallait pas faire l'impasse sur les peuples, qui sont du ressort de la démocratie.

    Pour vous, le socialisme n'a plus de sens aujourd'hui...

    Je n'ai jamais beaucoup cru à l'autogestion. Mais je crois en la citoyenneté. Le socialisme, aujourd'hui, ça veut dire la perfection de la république, bref, la république sociale, comme l'avait pressenti Jean Jaurès. Le socialisme comme modèle de société toute faite dans laquelle on entrerait comme on enfile ses chaussures ne me séduit pas. Je n'aime pas me gargariser de formules dont je ne comprends pas le sens. Je suis viscéralement hostile à tout millénarisme et ne me range pas dans la catégorie des socialistes utopistes. "Aller à l'idéal, oui, mais comprendre le réel", disait Jean Jaurès.

    Pourquoi les socialistes n'ont-ils pas refait cette histoire ?

    Sans doute parce qu'ils restent prisonniers d'une confusion entre l'idée européenne et le logiciel néolibéral présent dans les traités qu'ils ont signés. Ils sont du parti du "Bien". Ils se veulent avant tout de "bons européens". L'Europe les sanctifie. Ils ne se rendent pas compte que l'Europe telle qu'ils l'ont façonnée est régie par des règles essentiellement néolibérales.

    Ils ne sont pas idiots, quand même ?

    Non, ils ne sont pas idiots, mais ils n'osent pas penser. Et puis leur ciment, c'est leur attachement au pouvoir. Etre "européen", c'est ce qui fait leur crédibilité vis-à-vis de gens qui ne pensent pas comme eux. François Mitterrand l'avait compris d'emblée en 1972 : je fais le Programme commun, disait-il, mais je suis européen, alors vous pouvez quand même me faire confiance.

    Jean-Pierre Chevènement

    Propos recueillis par Bernard Poulet (L'Expansion, 6 juin 2011)

    (1) Jacques Delors à partir de 1984.

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  • Ben Laden et DSK : deux icônes... (2)

    Nous reproduisons ci-dessous la suite de l'entretien avec François-Bernard Huyghe paru dans la lettre d'information Communication & Influence. 

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    La persistance des codes culturels est donc si importante que les effets de telles campagnes ne sont pas forcément maîtrisés en tous temps et tous lieux ?

    C’est une évidence. Prenons le cas de DSK. Les publics américain et français ont réagi de manière très dissemblable. Alors que les Américains se réjouissaient de voir arrêté et puni un DSK considéré comme un pervers, qui plus est français, donc nécessairement arrogant, et qu'ils jugeaient normal qu'il soit ainsi menotté et conduit sans égard devant le juge, à l'inverse, 57% des Français,sous le coup de l'émotion, disaient douter de ces mêmes images – ne serait-ce pas de la mise en scène ? – et de la nature même du crime – n'avons-nous pas affaire à un complot ou à un piège ?...

    Que dire de cette réaction stupéfiante ? Est-ce un réflexe pour refuser la réalité, pour opérer un déni ? Est-ce une manière de dire, non, il n’est pas possible qu’un Français, celui que l’on nous promettait bientôt aux commandes du pays, ait pu commettre un tel acte ? Nous serions-nous trompés à ce point et pouvons-nous admettre que nous nous soyons ainsi égarés ?... Refuser le constat, sortir de ce questionnement angoissant par la facile hypothèse du complot, est certes plus apaisant.

    La mécanique qui se met ainsi en place invite à réfléchir. Très souvent, les masses sont déclarées inaptes à décrypter les arcanes de telle ou telle affaire. D’aucuns prétendent que seuls des spécialistes et intellectuels avertis le pourraient. Or, là, nous sommes confrontés à une autre lecture, puisque, en l’espèce, on se heurte ici manifestement à un scepticisme de masse. Pourquoi y a-t-il doute ? Les causes en sont sans doute multiples, mais de fait l'interrogation existe.

    Un autre exemple d’effet ricochet se traduit par le débat qui s’est très vite engagé en France sur cette affaire DSK, entre deux factions traditionnellement liées. D’une part ses amis politiques, qui ont tenté de minorer les faits, de les mettre en perspective, de prendre du champ, en déplorant ces images très dures. Et d’autre part, certains alliés politiques traditionnels de gauche comme les féministes – ou même les femmes en général – qui ont été choquées en évoquant l’image que l’on ne voyait pas, et donc qui ne se trouvait pas prise en compte : celle de la victime, la femme avilie, forcée, mère isolée, travailleuse, prolétaire, d’origine étrangère, de condition modeste, bref image aux antipodes du président du FMI et ex-futur présidentiable. On a vu DSK humilié mais on n’a pas vu la femme humiliée, de même que l’on ne voit pas ces dizaines de milliers de femmes qui sont violées chaque année et dont très peu vont porter plainte. D’un seul coup, une césure surgissait entre alliés d’hier, de nouveaux champs d’affrontement s’ouvraient.

    Comment s’articulent dès lors les rapports entre l’actualité et la fiction, entre le symbole et l’influence ?

    On sait aujourd’hui que dans la stratégie - militaire, économique, financière ou politique - la réalité est devenue une sorte d’annexe de la virtualité. Ou, en tous les cas, une part mineure de la production de spectacle, de ce qui est vu, perçu, de ce vers quoi on a attiré l’attention. On se trouve ici dans la sphère du "spectaculaire intégré", où la réalité n’a plus beaucoup d’importance, parce que le poids des émotions sur l’esprit humain (la pitié, la colère, la joie, la tristesse…) est finalement le produit d’images – donc de messages – construites en vue d’un effet qui porte en lui sa propre symbolique, et par conséquent, sa propre logique.

    Souvenons-nous cependant que là où existe la possibilité d’un effet, il y a aussi la possibilité d’un raté. Les facteurs culturels et religieux peuvent en particulier constituer des pierres d’achoppement à des entreprises médiatiques, aussi puissantes soient-elles. Ainsi, un sondage récent montre qu’en dépit des innombrables campagnes médiatiques destinées à promouvoir l’idéal américain, démocratique et mondialisé, au Moyen-Orient, une majorité d’Egyptiens préfère l’image de Ben Laden à celle d’Obama. Même mort, même battu, même disparu, Ben Laden reste une icône, un symbole face au Président des Etats-Unis, celui qui a entre les mains les outils les plus performants de la planète : finances, machines de guerre, institutions internationales, médias, etc.

    De fait, les codes culturels peuvent se révéler être des obstacles de taille à l’omnipotence des médias. Et ces codes culturels ne sont eux-mêmes que la partie visible de la résistance du milieu ambiant à la pénétration d’un autre corps (de pensée, de valeurs…) qui lui est étranger.

    Un autre paramètre est à prendre soigneusement en compte. Aujourd’hui, plus personne n’a le monopole des médias. Toute image va entrer en concurrence avec d’autres images. Des scènes prises à partir d’un simple téléphone portable peuvent se révéler être une arme formidable. Par exemple, juste après les images officielles de l’exécution de Saddam Hussein, on a vu surgir d’autres témoignages, filmés à la sauvette, où l’on voyait le déroulement non maîtrisé, réel, de cette mise à mort. Avec tout ce qu’elle comportait de sauvagerie, de cris de haine, de lynchage et de règlement de compte, au final assez sordide. Version officielle contre version réelle en quelque sorte. L’enseignement est clair : toute émission d’images qui véhicule, nécessairement et par nature, un certain point de vue, s’expose à être en concurrence, voire à être contrée par d’autres images, orientées selon un autre but, au nom d’autres valeurs ou d’autres motivations.

    Enfin, il y a la déclinaison de ces faits d’actualité sur des modes plus ludiques, apparemment innocents, mais qui reflètent cette fascination pour l’extra-ordinaire, et qui permettent de s’identifier au drame, d’y prendre part de façon simulée. A chaque grand événement d’amplitude mondiale, on voit apparaître des jeux vidéos qui reprennent et instrumentalisent la thématique. Ainsi, sur l’un, il est proposé de se mettre à la place des soldats qui investissent la tanière de Ben Laden pour le tuer. Sur un autre, on voit un petit DSK tout nu qui doit attraper des femmes de chambre…

    Le fait médiatique engendré par les images perdure donc sur différents registres et contribue à accroître la portée symbolique du fait initial, confirmant en cela la fameuse phrase de Marx qui disait que l’histoire se répète toujours, la première fois comme une tragédie, la seconde fois comme une comédie. A l’heure du tout média, ce qui a été vécu une première fois comme une réalité filmée sera vécue une seconde fois comme une parodie vidéo.

    Si l’on veut bien comprendre les rouages du mécanisme ici à l’oeuvre, s'impose au premier plan la force de l’image. Mais il y a aussi, derrière, la force du texte qui le sous-tend. Et, derrière encore, la force des idées qui, au final, font se mouvoir le tout. Comment s'articule l'ensemble ?

    Il faut bien comprendre que l’image ne se réduit pas à la seule représentation de la réalité. Elle suggère, elle porte en soi une interprétation qui induit un effet psychique. Prenons ainsi la force de l’humiliation, que représente aussi bien une caricature du Prophète que l’effondrement des Twin Towers. Comme aimait à le dire excellemment le cinéaste Jean-Luc Godard, il n’y a pas d’image juste, il y a juste une image. Cette dernière est forcément intentionnelle. On peut, on veut lui faire dire quelque chose. Elle s’inscrit dans un certain contexte. Elle est montée en vue d’un effet à obtenir. Elle est sous-tendue par une vision des choses qui livre à travers elle une interprétation tangible. Et surtout, l’image est soutenue en permanence par un commentaire qui constitue la ligne directrice, obligatoire, à suivre, au cas où nous n’aurions pas vraiment compris la portée et le sens de l’image, au cas aussi où nous aurions des velléités de l’interpréter autrement.

    Plus on va pénétrer dans la sphère de l’autorité, plus on va aller vers les sources qui sont supposées détenir le savoir et avoir la capacité à dire le bien et le mal, plus le texte va prendre de l’importance, et plus la force des idées va se révéler essentielle. On a donc ainsi une hiérarchisation des pouvoirs (images, textes, idées) qui sont en même temps synchronisés par paliers.

    En guise de conclusion, et pour respecter la tradition qui veut que l’on demande à nos invités de bien vouloir préciser leur conception de l’influence, que pensez-vous de la définition qu’en donne Alain Juillet, ancien Haut responsable à l’intelligence économique : "L’influence consiste à amener l’auditeur à sortir de son schéma de pensée pour aller vers un autre. Ce changement est produit par des éléments qu’on lui présente et qui l’amènent à réfléchir. En somme, d’une certaine manière, plus on est intelligent, plus on est influençable. Parce que l’influence fait appel à la capacité d’analyse de l’auditeur, qui doit faire le tri entre ce qu’il pense "habituellement" et les éléments nouveaux qui lui sont soumis, dont il lui appartient de mesurer la validité. Tout argument solide qui lui est proposé peut ainsi le conduire à revoir son jugement, donc son positionnement. C’est à partir de là que s’enclenche le processus de l’influence."

    Cette approche est effectivement très intéressante, et cette citation s’intègre parfaitement dans la longue suite de réflexions de penseurs qui, depuis l’éclosion de la pensée grecque, se sont efforcés de percer les rouages de l'influence ou de la persuasion, ce que l'on appellerait aujourd'hui le

    soft-power. Permettez-moi donc en guise de conclusion d’en citer une, dont nous sommes séparés depuis vingt-cinq siècles, mais qui n’a rien perdu de son acuité. Dans son Gorgias, Platon écrit : "L’art de persuader dépasse de beaucoup tous les autres car il asservit tout à son empire par consentement et non par force".

    A l’heure du tout médiatique et de la croissance exponentielle des technologies de l’information et de la communication, la maîtrise des stratégies d’influence a de beaux jours devant elle…

    François-Bernard Huyghe (Communication & Influence, mai 2011)

     

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  • Ben Laden et DSK : deux icônes... (1)

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec François-Bernard Huyghe paru dans la lettre d'information Communication & Influence. Docteur en sciences politiques, médiologue et spécialiste des sciences de l'information et de la communication, François-Bernard Huyghe est l'auteur de nombreux essais comme La langue de coton (Robert Laffont, 1991), L'ennemi à l'ère numérique (PUF, 2001), Quatrième guerre mondiale - Faire mourir et faire croire (Editions du Rocher, 2004), Maîtres du faire croire (Vuibert, 2008) ou dernièrement, en collaboration avec Alain Bauer, Les terroristes disent toujours ce qu'ils vont faire (PUF, 2010)

     

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    Le mois de mai a vu éclore sur les médias du monde entier deux événements majeurs dont les images ont marqué les publics : la mort de Ben Laden et la chute de Dominique Strauss-Kahn ? Comment le médiologue que vous êtes interprète-t-il ces séquences d’une grande violence ? De quelle manière ces images qui ont tourné en boucle pendant des jours ont-elles pu influer sur les jugements et analyses des populations et des élites ?

     

    Dans les deux dossiers, on est confronté à une production d’images. Prenons d’abord le cas de Ben Laden. Qu’est-ce qui a assuré sa notoriété, sinon prioritairement la production des terribles images du 11 septembre 2001 ? Au-delà de la mort de 3.000 personnes, c’est le fait d’avoir porté la mort symboliquement au coeur de la puissance de l’occident, d’avoir frappé les Twin Towers, ces modernes tours de Babel qui incarnaient l’argent et l’omnipotence des "Juifs et des Croisés". Tout le monde comprend ce jour-là que cette frappe par l’image inaugure une nouvelle ère. On vit en direct, en regardant des films tournant en boucle sur tous les écrans du monde, un événement d’une puissance inouïe, qui va conduire à un basculement géopolitique majeur. Sous nos yeux se produit une rupture historique, d'une amplitude difficilement appréciable immédiatement. Et Ben Laden en est le père spirituel. Stratège guerrier, il s’impose aussi et avant tout comme stratège médiatique.

     

    Or, presque dix ans plus tard, le paradoxe est que Ben Laden disparaît pratiquement sans image de lui. Analysons cet effacement. Après son coup d’éclat des Twin Towers, Ben Laden perd peu à peu l’initiative dans cette guerre médiatique. Bien sûr, il y a encore des images mythiques, comme celles le montrant à l’entrée de sa caverne au moment de l’invasion de l’Afghanistan, réactivant de vieux mythes et des figures archétypiques. Néanmoins, ses apparitions se font plus rares, elles bouleversent de moins en moins la planète. Ses messages vidéos se tarissent, puis les cassettes audios qui leur succèdent sont de moins en moins audibles, n’intéressent plus grand monde.

     

    Bref, inexorablement, sa sphère médiatique se restreint et ses moyens d’action se trouvent réduits à la portion congrue. D’ailleurs, les dernières images que l’on a de lui – sont-elles vraies ? C’est une autre histoire, et ici peu importe... – le montrent comme un vieillard nostalgique regardant les scènes vidéos de ses heures de gloire. Sa mort survient sans que lui-même n’apparaisse vraiment. Le scénario mérite d'être examiné de plus près. A l’occasion de l’assaut sur sa demeure où il reste cloitré, le public a seulement des images allusives, indicielles. En revanche, ce sont ses ennemis qui sont mis en scène. En témoigne l'image répercutée sur tous les médias du monde montrant Obama et son équipe regardant depuis la Maison Blanche la mort de Ben Laden en direct sur un écran vidéo.

     

    Chacun joue là un rôle dont le symbole est net, Hillary Clinton la première. Si l’on excepte une vague tentative de substitution de corps reprise par une télé pakistanaise, on ne voit pas son cadavre. Celui-ci est très vite déclaré comme ayant été jeté à la mer. En revanche, les médias diffusent des images qui tournent autour de sa disparition et forment une longue chaîne d’indices devant permettre de conclure à sa mort, de lui donner un contexte et des auteurs. On voit ainsi des plans, des descriptions du lieu pris d’assaut, des reconstitutions modélisées expliquant de quelle manière les Navy Seals ont opéré au coeur même de sa résidence et ont pu éliminer l’ennemi n° 1 de l’Amérique.

     

    Le rôle de l’image est également déterminant dans l’affaire Strauss-Kahn…

     

    Oui, bien sûr. Toutes choses égales d’ailleurs, on se trouve là aussi confronté, dans l'affaire Strauss-Kahn, à un cas de réussite et de chute par l’image. DSK était extraordinairement présent dans les médias. Bien avant d’être le candidat du PS, il était d’abord le candidat d'Euro RSCG. Il s’imposait sur la scène politique, et économique comme une icône intouchable, sacré d’emblée par les faiseurs d’opinion comme le meilleur économiste de la planète, comme Raymond Barre en son temps avait été décrété meilleur économiste de France ! DSK, meilleur économiste, c’était plus qu’un postulat, c’était un credo auquel chacun était prié de se soumettre sans autre forme de procès. DSK était devenu l'icône de cette nouvelle société mondialisée, icône incarnant la quintessence de l’élite et mise en scène par ses communicants. Bref, DSK, c’était le chevalier blanc qui allait sauver le monde, avec à ses côtés son épouse aimante et dévouée Anne Sinclair !

     

    Le public était fortement incité à croire sans suspicion cette bande-son nous interprétant les pensées du grand homme, muet à l’image. Car DSK ne parlait pas. Il devait se montrer à nous comme un sphinx omniscient ne pouvant s’exprimer du fait de sa hauteur de vue et de ses fonctions. Face à cette résurrection d'une pythie des temps anciens, les communicants étaient les interprètes de ses oracles. Un sourire, un pincement de lèvres, une mimique suffisaient à alimenter les rédactions du monde entier. Au-delà des réserves inhérentes à sa fonction, son pouvoir était d’être silencieux. Il régnait par l’étonnant mystère du silence. Plus il se taisait, plus il était ambigu et mystérieux sur ses intentions présidentielles, plus cela le dispensait de s’exposer dans les bagarres de clans et de chapelles, plus il se tenait éloigné des prises de position sur les délicates questions de programme politique, plus son aura s’accroissait au regard de ses amis du PS et de la cour innombrable des observateurs et autres experts.

     

    Dans le même temps, l’image de son concurrent direct, Nicolas Sarkozy, était vouée aux gémonies. Sans nul doute, clamaient les pontes du cénacle médiatico-politique, l’hôte actuel de l’Elysée était appelé inéluctablement à disparaître. Nicolas Sarkozy, affublé des pires caricatures, représenté comme l’agité permanent, l’homme des riches, l’instable, apparaissait bel et bien aux antipodes de cette solennité silencieuse et majestueuse qu’était supposé – selon le monde de la presse et des médias – incarner DSK.

     

    Or, de manière fulgurante, des images vont venir détruire avec une violence inouïe cette patiente et subtile construction. Aucun scénariste n’aurait osé écrire une telle oeuvre de fiction ! Et pourtant, ces images surgissent de l’impensable et font le tour du monde. Elles montrent un DSK perdu, hagard, mal rasé, les menottes aux poignets, encadré par des policiers comme un petit délinquant du Bronx, et ainsi, font exploser le mythe. La scène est cruelle, il est amené vers les flashs des caméras comme vers un peloton d’exécution médiatique. Circulant en flux continu autour de la planète, elle consacre sa chute. Chaque spectateur ressent alors une impression d’irréalité, a le sentiment d’évoluer dans l’une de ces séries télévisées auxquelles nous sommes accoutumés, à la différence près que le héros déchu est un puissant de ce monde, un puissant qui existe vraiment.

     

    D’ailleurs, ironie de l’histoire, le soir où DSK tombe, TF1 diffuse New York unité spéciale, une série consacrée aux policiers en charge des affaires de moeurs délicates et crimes sexuels. Quel clin d’oeil du destin ! Plus que jamais s'opère un aller-retour incessant entre la réalité et la fiction. Et puis, il y a la bande-son incessante, qui, en France, diffuse sans relâche des appels à la présomption d’innocence, comme pour exorciser ces images auxquelles on ne peut croire. C’est là toute l’ambiguïté des médias qui se targuent d'objectivité et simultanément, se repaissent du terrible spectacle, se prétendant tout à la fois juges impartiaux tout en étant cependant moteur de ce même drame.

     

    Bref, subsiste un terrible enseignement : DSK qui a vécu par l’image est tué par l’image.

     

    Ces techniques d’influence par le biais de l’image prouvent-elles qu'en fait, la réalité importe finalement assez peu, ou du moins, est fortement modulable ou modelable ?

     

    On ne peut pas faire l’économie de la réalité. On part ici de faits tangibles, dont l’interprétation peut varier, mais qui ont une certaine densité, un fond, une consistance, sinon, quelles qu’en soient les causes, l’événement n’aurait pas eu lieu. Non, ce qui me paraît plus important, c’est de comprendre le pourquoi de ces images. Comme nous l'avons dit, dans le cas de la mort de Ben Laden, Obama devait être mis en scène, il devait produire des images dans une configuration bien précise. Il était important que le Président des Etats-Unis ordonne et respecte une dramaturgie montrant qu’il avait victorieusement dénoué l’écheveau du Mal. Il ne pouvait décemment pas prendre le risque d’inventer une mort de Ben Laden, si ce dernier avait pu réapparaître quelques jours après, avec une vidéo le montrant en train de brandir le journal du jour ! Obama devait assister à la mise à mort, comme guerrier en chef d'abord, pour endosser dans la séquence suivante la fonction de juge suprême, en affirmant à la face du monde que "justice avait été faite".

     

    Pour ce qui est de DSK, il n’y a pas eu, me semble-t-il, de volonté délibérée de l’humilier. C’est simplement la triste routine de la justice américaine. Cette dernière est par nature scénarisée. D’ailleurs, on peut observer que toute justice de par le monde se trouve être d’une manière ou d’une autre scénarisée. Il y a presque toujours une mise en scène où le corps du prévenu ou du coupable est montré, donc exhibé à la foule de ceux qui veulent voir. L’affaire présente une densité très forte dans le cas américain puisque l’on observe alors une exacerbation du phénomène, de par le tourbillon médiatique qui prend forme et de par sa répétition sans relâche sur les myriades de canaux qui répercutent inlassablement ces images. Il y a comme une sarabande des innombrables matériels, caméras, projecteurs, micros, photos, qui se déchaîne autour du corps de celui qui est, de fait, désigné à la vindicte publique.

     

    L’humiliation symbolique est un ressort puissant de cette logique. Le 11 septembre 2001 comme la descente aux enfers de DSK, à des degrés divers bien sûr, et sur des plans dissemblables, relèvent de cette même logique d’humiliation publique de maîtres du monde. On évolue là dans des sphères où le mythique ressurgit des tréfonds de l’archaïsme. C’est sans doute un écho du syndrome du bouc émissaire. Mais attention cependant à ne pas avoir qu’une lecture unilatérale ! On peut aussi souligner que les interprétations des publics sont différentes selon leurs traditions, leur histoire, leur manière de percevoir les choses.

    (A suivre)

    François-Bernard Huyghe (Communication & Influence, mai 2011)

     

     

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