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  • Les snipers de la semaine... (70)

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    Au sommaire cette semaine :

    - sur RTL, Eric Zemmour flingue le PS et sa dérive clientéliste...

    La mauvaise bouillabaisse des primaires

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    - sur Atlantico, Laurent Pinsolle fait feu sur la gauche lacrymale qui pleure sur les expulsions de clandestins...

    Léonarda ou la gauche qui se préoccupe plus des immigrés illégaux que des classes populaires


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    - sur France 2, Fabrice Lucchini, lui aussi, mouche la gauche morale...

    « J'adorerai être de gauche »

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  • Pour une alliance stratégique avec la Russie !...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous un entretien d'Alexandre Latsa avec Aymeric Chauprade, cueilli sur Ria Novosti et consacré à la place de la Russie dans le monde multipolaire du XXIème siècle.

    Aymeric Chauprade vient de publier un édition mise à jour de ses Chronique du choc des civilisations (Chronique, 2013).

     

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    “Si la Russie s’éloigne de l’Occident ce sera de la faute de l’Occident américain”

    Aymeric Chauprade bonjour, pourriez-vous vous présenter aux lecteurs de RIA-Novosti qui ne vous connaîtraient pas ?

    Je suis géopolitologue. Une formation scientifique d’abord (mathématiques) puis de sciences politiques (docteur) et dix années titulaire de la Chaire de géopolitique de l’Ecole de Guerre à Paris, entre 1999 et 2009. J’ai aussi enseigné la géopolitique et l’histoire des idées politiques en France à la Sorbonne et en Suisse à l’Université de Neuchâtel.

    Je suis maintenant également consultant international et très heureux de travailler de plus en plus avec la Russie. Mais je suis également souvent en Amérique Latine et j’ai des réseaux africains développés.

    Vous êtes considéré comme l’un des fondateurs de la nouvelle géopolitique française, pluridisciplinaire, attentive à décrire le « continu et le discontinu » dans l’analyse des questions internationales, pourriez vous expliquer aux lecteurs de RIA-Novosti ce qu’il en est exactement ?

    Je me rattache au courant dit réaliste qui tient compte de la force des facteurs de la géographie physique, identitaire et des ressources, dans l’analyse des relations internationales. Mais pour autant, je ne néglige pas les facteurs idéologiques. Ils viennent en combinaison des facteurs classiques de la géopolitique que j’évoquais à l’instant à savoir les déterminants liés à l’espace, aux hommes dans leur identité culturelle (ethnie, religion…), et à la quête des ressources. J’insiste sur la multicausalité (il n’y a pas de cause unique mais chaque situation est la combinaison unique, un peu comme l’ADN d’une personne, d’une multiplicité de facteurs déterminants) et sur la multidisciplinarité (je refuse l’idée que ma matière, la géopolitique, puisse rendre compte à elle seule de la complexité de l’histoire ; attention au “tout géopolitique”, au “tout économique” ou “tout sociologique”). La tentation de tout expliquer par sa discipline, comme le font beaucoup les sociologues aujourd’hui, est une dérive née de l’hyperspécialisation qui nous éloigne de l’époque des savants généralistes, ces savants du XVIe siècle qui étaient à la fois philosophes, mathématiciens et souvent hommes de lettres!

    Quant au “continu et au discontinu” c’est ce souci qui me vient de ma première formation scientifique de séparer la dimension continue et même parfois linéaire des phénomènes, de leur dimension discontinue et parfois erratique. Il faut savoir suivre les courbes des facteurs de temps long (la démographie par exemple) mais il faut aussi savoir lire les discontinuités, les sauts, de l’Histoire.

    Vous avez le mois dernier été invité au prestigieux Forum Valdaï, cofondé par RIA-Novosti. Pourriez-vous nous faire part de vos impressions sur ce forum ?

    D’abord j’ai été très honoré de figurer parmi les nouveaux invités du Forum de Valdaï. Ce fut une expérience véritablement passionnante. Les débats sont de qualité, l’organisation rigoureuse. C’est une sorte de Davos russe mais avec une différence notable : il n’y a pas de pensée unique mondialiste unanimement partagée. Des sensibilités différentes sont représentées. Si l’on voulait simplifier d’un côté, les Occidentalistes qui, Russes ou Occidentaux, célèbrent le “modèle démocratique occidental”, essentiellement américain et considèrent que celui-ci doit être l’horizon vers lequel doit tendre la société russe, et de l’autre côté, les partisans d’un modèle original russe, dont je fais partie, bien que n’étant pas russe, qui considèrent que la Russie n’est pas seulement une nation, mais une civilisation, dont la profondeur historique est telle qu’elle permet de proposer aux Russes un modèle original. A Valdai, j’ai beaucoup entendu les Occidentalistes se lamenter du fait que la Russie était encore loin des standards occidentaux, à cause d’un prétendu déficit démocratique et d’une forte corruption. Je n’idéalise pas la Russie sous Poutine qui travaille d’arrache-pied au redressement de ce pays depuis 13 ans ; j’en mesure les maux mais je dis simplement que lorsque l’on parle de corruption il faudrait premièrement rappeler que les indicateurs de mesure sont faits pour l’essentiel par les Occidentaux, et les Américains en particulier, ce qui n’est pas une assurance d’objectivité, et deuxièmement s’intéresser non seulement à la corruption de l’Occident lui-même mais à son fort pouvoir corrupteur dans les pays en voie de développement!

    Par ailleurs je considère que si la Russie court derrière le modèle occidental, elle sera toujours en retard. Bien au contraire, un pays qui a su pousser si loin la création artistique et scientifique, me paraît plus que capable de proposer un contre-modèle, lequel ne devra pas être fondé sur la toute puissance de l’individualisme, mais au contraire sur l’âme russe, sur la dimension spirituelle de ce pays. Il faut faire attention à une chose : le communisme, comme rouleau compresseur de l’esprit critique et de la dimension spirituelle de l’homme, a été un préparateur redoutable pour le projet de marchandisation de l’homme que propose l’individualisme américain.

    Je suis convaincu que le retour à la Sainte Russie, au contraire, peut être un formidable réveil du génie créateur russe, qui seul lui permettra de reconstruire, au-delà des hydrocarbures et d’autres secteurs, une économie performante et innovatrice.

    La question de l’identité a été extrêmement discutée et le président russe a utilisé une rhétorique eurasiatique pour parler de l’Etat Civilisation russe, pensez vous comme certains que le réveil russe l’éloigne de l’Occident, et donc de l’Europe, et devrait intensifier son rapprochement avec la Chine?

    Si la Russie s’éloigne de l’Occident ce sera de la faute de l’Occident américain. La Russie est en effet diabolisée dans les médias américains dominants et par conséquent dans les médias européens qui s’en inspirent. Cette diabolisation est injuste, c’est de la mauvaise foi qui vise à présenter le redressement russe comme agressif alors que celui-ci cherche à consolider sa souveraineté face à l’impérialisme américain qui fait glisser les frontières de l’OTAN aux frontières de la Russie et de la Chine.

    La Russie développe ses relations avec la Chine, dans le cadre notamment du groupe de Shangaï et aussi parce que les Chinois ont compris que les Russes pouvaient être des partenaires solides dans un monde multipolaire. De fait, ces deux puissances partagent la même vision de l’organisation du monde : elles respectent la souveraineté des Etats, refusent l’ingérence chez les autres, veulent l’équilibre des puissances comme garantie de la paix mondiale. Toutes deux s’opposent au projet unipolaire américain qui, il suffit de le constater, a déclenché une succession de guerres depuis l’effondrement soviétique : Irak, Yougoslavie, Afghanistan, Libye, Syrie maintenant… Où avez-vous vu les Russes dans toutes ces guerres?

    Je pense que la Russie ne veut pas se contenter d’un partenariat avec la Chine. Certes la Russie est une puissance eurasiatique, mais il suffit de s’intéresser à son histoire, à son patrimoine culturel, pour voir qu’elle est une puissance profondément européenne et qu’elle n’entend pas se couper de l’Europe. Si les Européens se libéraient de leur dépendance à l’égard des Etats-Unis tout pourrait changer et un fort partenariat stratégique pourrait se nouer entre l’Europe et la Russie.

    Vous aviez lancé le 13 juin dernier un « Appel de Moscou », quel regard global portez vous sur la Russie d’aujourd’hui?

    D’abord j’essaie de ne pas idéaliser la Russie même si je ne vous cache pas que je me sens extrêmement bien dans ce pays, parce que le matérialisme m’y paraît sans cesse équilibré par une sorte de profondeur d’âme insondable. Je pense que quelque chose est en train de se passer dans la Russie de Poutine et j’espère seulement que le Président Poutine pense à la manière de perpétuer son héritage, car la pire chose qui pourrait arriver ce serait le retour des occidentalistes de l’ère Eltsine, qui prennent la Russie pour un pays du Tiers monde qu’il faudrait mettre aux normes occidentales. L’appel de Moscou que j’ai lancé poursuivait deux buts: d’abord montrer mon soutien au refus russe du programme nihiliste venu d’Occident (mariage homosexuel, théorie du genre, marchandisation du corps), ensuite montrer aux Français qui défendent la famille et les valeurs naturelles que la Russie peut être une alliée précieuse dans ce combat. Je suis très surpris et heureux de constater à quel point mon appel de Moscou lancé à la Douma le 13 juin 2013 a circulé en France dans les milieux catholiques qui se sont mobilisés contre le mariage homosexuel.

    Le souverainisme est à vos yeux une notion clef de l’équilibre mondial. Très curieusement ce concept est abandonné en Europe alors qu’en Russie et dans nombre de pays émergents l’affirmation et le maintien de la souveraineté semble au contraire un objectif essentiel. Comment expliquez-vous cette différence d’orientation?

    La souveraineté est une évidence pour tous les peuples du monde, et en particulier pour ceux qui ont pris leur indépendance récemment ou qui aspirent à créer un Etat indépendant. Les Européens de l’Ouest, ou plutôt leur fausses élites gouvernantes, sont les seules du monde à avoir abdiqué la souveraineté de leurs peuples. C’est une trahison dont elles devront répondre devant l’Histoire. Des millions de Français ont péri à travers l’Histoire pour défendre la liberté et la souveraineté du peuple français, sous les monarques comme en République. Mon nom est inscrit sur les monuments aux morts français. Si les Français voulaient s’en souvenir, il n’est pas une famille française qui n’ait son nom inscrit sur ces monuments aux morts, de la Première, de la Deuxième ou des guerres de défense de l’Empire français.

    Imaginez-vous un Américain ou un Russe abdiquer sa souveraineté? Pour eux le patriotisme est une évidence, qui va d’ailleurs tellement de soi que tout parti affirmant un programme nationaliste en Russie est perçu comme extrémiste parce qu’il n’y a nul besoin là-bas d’affirmer l’évidence. Nos amis russes doivent comprendre en revanche qu’en France ce n’est plus l’évidence et par conséquent qu’il est normal qu’un parti politique qui veut rendre au peuple la souveraineté, mette celle-ci au sommet de son programme!

    Aujourd’hui nous assistons à une relative rapide modification des relations internationales, avec le basculement du monde vers l’Asie et la potentielle fin du monde unipolaire. Comment envisagez vous que cette transition puisse se passer?

    Ce que je vois c’est que les Etats-Unis refusent de perdre leur premier rang mondial et peuvent créer de grands désordres, peut-être même des guerres de grande ampleur, dans les décennies à venir, et que les Européens, quant à eux, sont dans la gesticulation kantienne, la proclamation de belles leçons de morale qui s’accompagnent d’un déclin en puissance dramatique et donc pathétique.

    Au sein de cet basculement, la France semble quant à elle pourtant de plus en plus aligner sa politique étrangère sur les intérêts américains, cela est visible avec la crise en Syrie. Comment l’expliquez-vous?

    Je l’explique très simplement. L’oligarchie mondialiste a pris le contrôle des principaux partis de gouvernement français, le PS et l’UMP. La majorité de ses dirigeants ont été initiés dans les grands clubs transatlantiques. Ils ont épousé le programme mondialiste et ne raisonnent plus en patriotes français comme le faisait le général de Gaulle. Lorsque le peuple français l’aura compris, ces fausses élites seront balayés car elles n’ont pour bilan que le déclin en puissance de la France et la perte de sa souveraineté.

    Vous avez soutenu Philippe de Villers en 2004, auriez appelé à Voter pour Nicolas Sarkozy en 2007 et vous venez de vous ranger au coté de Marine Le Pen. Souhaitez-vous désormais entamer une carrière politique?

    Le mot carrière ne me va guère. Si j’avais choisi de faire une carrière dans le système, alors j’aurais choisi de proclamer autre chose que des vérités qui dérangent. Je n’ai qu’une ambition, pouvoir dire à mes enfants, au seuil de la mort, que j’ai fait ce que je pouvais pour défendre la liberté et la souveraineté du peuple français. J’ai soutenu Philippe de Villiers que je respecte.

    Mais je n’ai jamais appelé à voter pour Nicolas Sarkozy, que je vois comme soumis aux intérêts américains. Je ne sais qui a pu dire une chose pareille mais je vous mets au défi de trouver un seul texte de soutien de ma part à Nicolas Sarkozy. C’est d’ailleurs son gouvernement, en la personne de son ministre de la défense Hervé Morin, qui m’a brutalement écarté de l’Ecole de Guerre parce j’étais trop attaché à l’indépendance de la France et que je m’opposait au retour de la France dans les structures intégrées de l’OTAN. Donc de grâce que l’on ne dise jamais que j’ai soutenu ou appelé à voter Sarkozy.

    En revanche, oui je soutiens Marine le Pen et il est possible que je joue prochainement un rôle sur la scène politique à ses côtés. Marine a un caractère fort, une carapace héritée des coups que son père a pris pendant tant d’années, et je la sens donc capable de prendre en main avec courage le destin du pays. Le courage plus que l’intelligence est ce qui manque aux pseudo-élites françaises, lesquelles sont conformistes et soumises à l’idéologie mondialiste par confort.

    Comment envisageriez vous la relation franco-russe?

    Je l’ai dit et je le redis haut et fort. Si le Front national arrive au pouvoir, il rompra avec l’OTAN et proposera une alliance stratégique avec la Russie. Ce sera un tremblement de terre énorme au niveau international et c’est la raison pour laquelle, avant d’arriver en haut des marches, et même avec le soutien du peuple, il nous faudra affronter des forces considérables. Nous y sommes prêts. Et n’oubliez pas que la France est le pays de Jeanne d’Arc. Tout est possible donc, même quand tout semble perdu!

    Merci Aymeric Chauprade.

    Aymeric Chauprade, propos recueillis par Alexandre Latsa (Ria Novosti, 16 octobre 2013)

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  • L'Europe sortie de l'Histoire ?...

    Nous vous signalons la parution aux éditions Fayard d'un essai de Jean-Pierre Chevènement intitulé  1914-2014, L'Europe sortie de l'Histoire ?. Souverainiste de gauche, Jean-Pierre Chevènement est également l'auteur de plusieurs essais intéressants comme récemment La faute de M. Monnet (Fayard, 2006) ou La France est-elle finie ? (Fayard, 2011).

     

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    " On peut prédire, sans risque de se tromper, que la commémoration, en 2014, du déclenchement de la Première Guerre mondiale sera instrumentée à des fins politiques. Au nom du « Plus jamais ça ! », il s’agira, pour nos classes dirigeantes, de justifier la mise en congé de la démocratie en Europe au prétexte, cent fois ressassé, de sauver celle-ci de ses démons.
    Même si comparaison n’est pas raison, il m’a paru éclairant, pour comprendre comment l’Europe a été progressivement sortie de l’Histoire, de rapprocher les deux mondialisations, la première, avant 1914, sous égide britannique, et la seconde, depuis 1945, sous égide américaine, chacune posant la question de l’hégémonie sans laquelle on ne peut comprendre ni l’éclatement de la Première Guerre mondiale ni l’actuel basculement du monde de l’Amérique vers l’Asie. La brutale accélération du déclin de l’Europe ne tient pas seulement aux deux conflits mondiaux qu’a précipités un pangermanisme aveugle aux véritables intérêts de l’Allemagne. Elle résulte surtout de la diabolisation de ces nations nécessaire à des institutions européennes débilitantes qui ont permis leur progressive mise en tutelle par de nouveaux « hegemon » .
    Afin de ne pas être marginalisée dans la nouvelle bipolarité du monde qui s’esquisse entre la Chine et l’Amérique, l’Europe a besoin de retrouver confiance dans ses nations pour renouer avec la démocratie et redevenir ainsi actrice de son destin. Rien n’est plus actuel que le projet gaullien d’une « Europe européenne » au service du dialogue des cultures et de la paix, une Europe compatible avec la République, où la France et l’Allemagne pourront œuvrer de concert à construire l’avenir d’un ensemble allant de la Méditerranée à la Russie. Dans une « réconciliation » enfin purgée de ses ambigüités et de ses non-dits : celle de deux grands peuples capables de poursuivre ensemble leur Histoire. "

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  • Pour une écologie des civilisations !...

    Vous pouvez écouter ci-dessous l'émission Les matins, sur France Culture, diffusée le 16 octobre 2013 et animée par Marc Voinchet et Brice Couturier, au cours de laquelle Hervé Juvin présentait les idées de son dernier livre, La grande séparation - Pour une écologie des civilisations, publiée aux éditions Gallimard.

    On notera qu'au cours de l'émission, Brice Couturier compare les idées d'Hervé Juvin à celles de la Nouvelle droite, et notamment à celles développées dans Le système à tuer les peuples (Copernic, 1981), de Guillaume Faye.



    Les matins - Faut –il redécouvrir le vrai sens... par franceculture

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  • Les derniers jours...

    Les éditions Gallimard viennent de publier Les derniers jours, un livre de souvenirs de jeunesse de Jean Clair. Conservateur des musées de France, Jean Clair a dirigé plusieurs musées et organisé de nombreuses expositions. Auteur d'essais sur l'art, c'est aussi un observateur lucide et féroce de la société contemporaine comme on peut le voir, notamment, dans son Journal atrabilaire (Folio, 2008).

     

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    "J'appartiens à un peuple disparu. A ma naissance, il constituait près de 60 % de la population française. Aujourd'hui, il n'en fait pas même 2 %. Il faudra bien un jour reconnaître que l'événement majeur du XXe siècle n'aura pas été l'arrivée du prolétariat, mais la disparition de la paysannerie. Ce sont eux, les paysans, qui mériteraient le beau nom de "peuple originaire" que la sociologie applique à d'improbables tribus. En même temps que les premiers moines, ce sont eux qui ont défriché, essarté, créé un paysage, et qu'ils lui ont donné le nom de "couture", c'est-à-dire de "culture", ce mot que les Grecs n'avaient pas même inventé : une façon d'habiter le monde autrement qu'en sauvage. J'ai tant aimé ce monde d'ici-bas, les choses matérielles, dans leur poids et dans leur rugosité, dans leur matière et leur facture, j'ai tant voulu ces biens qu'ont été les livres, les objets d'art, les outils du savoir, et j'ai fini, alors même que je n'en savais rien, par en acquérir assez pour me juger heureux. J'éprouve aujourd'hui le sentiment d'une trahison".
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  • La croissance est morte dans les années 70...

    Nous reproduisons ci-dessous un long entretien avec Serge Latouche, cueilli sur Ragemag. Economiste, sociologue et fondateur du MAUSS (Mouvement anti-utilitariste en sciences sociales), Serge Latouche est le principal théoricien français de la décroissance et dirige la revue Entropia. Il a publié de nombreux essais, dont, notamment,  L'occidentalisation du monde (La découverte, 1989 ), La mégamachine (La découverte, 1995), Le Pari de la décroissance (Fayard, 2006) et Sortir de la société de consommation (Les liens qui libèrent, 2010).

     

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    Serge Latouche : « La croissance est morte dans les années 1970. »

    Les statistiques de croissance du PIB au 2e trimestre viennent d’être publiées [NDLR : l’interview a été réalisée le 20 septembre] et il semblerait que la zone euro retrouve le chemin de la croissance : qu’en pensez-vous ?

    Je pense que c’est totalement bidon ! D’une part, savoir si la croissance est de +0,5% ou -0,5% n’a pas de sens : n’importe quelle personne qui a fait des statistiques et de l’économie sait que pour que cela soit significatif, il faut des chiffres plus grands. Ensuite, de quelle croissance s’agit-il ? Nous avons affaire à cette croissance que nous connaissons depuis les années 1970, à savoir une croissance tirée par la spéculation boursière et immobilière. Dans le même temps, le chômage continue de croître et la qualité de vie continue de se dégrader dangereusement. Il faut bien comprendre que la croissance est morte dans les années 1970 environ. Depuis, elle est comparable aux étoiles mortes qui sont à des années-lumière de nous et dont nous percevons encore la lumière. La croissance que notre société a connue durant les Trente Glorieuses a disparu et ne reviendra pas !

    La récession était-elle l’occasion idéale pour jeter les bases d’une transition économique ?

    Oui et non : le paradoxe de la récession est qu’elle offre les possibilités de remettre en question un système grippé, mais en même temps, le refus de l’oligarchie dominante de se remettre en cause – ou de se suicider – la pousse à maintenir la fiction d’une société de croissance sans croissance. Par conséquent, elle rend encore plus illisible le projet de la décroissance. Depuis le début de la crise, il y a un tel délire obsessionnel autour de la croissance que les projets alternatifs ne sont pas audibles auprès des politiques. Il faut donc chercher de manière plus souterraine.

    La décroissance est souvent amalgamée à la récession. Pourtant, vous affirmez que celle-ci n’est qu’une décroissance dans une société de croissance et qu’une vraie décroissance doit se faire au sein d’une société qui s’est départie de l’imaginaire de la croissance. Pouvez-vous détailler ?

    Le projet alternatif de la décroissance ne devait pas être confondu avec le phénomène concret de ce que les économistes appellent « croissance négative », formulation étrange de leur jargon pour désigner une situation critique dans laquelle nous assistons à un recul de l’indice fétiche des sociétés de croissance, à savoir le PIB. Il s’agit, en d’autres termes, d’une récession ou d’une dépression, voire du déclin ou de l’effondrement d’une économie moderne. Le projet d’une société de décroissance est radicalement différent du phénomène d’une croissance négative. La décroissance, comme symbole, renvoie à une sortie de la société de consommation. A l’extrême limite, nous pourrions opposer la décroissance « choisie » à la décroissance « subie ». La première est comparable à une cure d’austérité entreprise volontairement pour améliorer son bien-être, lorsque l’hyperconsommation en vient à nous menacer d’obésité. La seconde est la diète forcée pouvant mener à la mort par famine.

    Nous savons, en effet, que le simple ralentissement de la croissance plonge nos sociétés dans le désarroi, en raison du chômage, de l’accroissement de l’écart qui sépare riches et pauvres, des atteintes au pouvoir d’achat des plus démunis et de l’abandon des programmes sociaux, sanitaires, éducatifs, culturels et environnementaux qui assurent un minimum de qualité de vie. Nous pouvons imaginer quelle catastrophe serait un taux de croissance négatif ! Mais cette régression sociale et civilisationnelle est précisément ce que nous commençons déjà à connaître.

    Depuis la récession de 2009, l’écart entre la croissance du PIB et celle de la production industrielle s’est accentué dans les pays développés : sommes-nous entrés dans une nouvelle phase de la société technicienne ?

    Oui et non là encore. Oui, dans la mesure où depuis de nombreuses années, on parle de « nouvelle économie », « d’économie immatérielle », « d’économie de nouvelles technologies » ou encore « d’économie numérique ». On nous a aussi parlé de « société de services ». Nous voyons bien que ce phénomène n’est pas nouveau et qu’il y avait déjà dans les sociétés industrielles un phénomène de désindustrialisation. Pourtant, ce n’était pas un changement dans le sens où l’industrialisation existe toujours. Mais elle est partie en Inde, en Chine ou dans les « BRICS ». Il y a eu une délocalisation du secteur secondaire, ce qui nous amène à réimporter, à un chômage très important et à cette croissance spéculative. Nos économies se sont spécialisées dans les services haut de gamme : les services financiers, les marques, les brevets, etc. La production est délocalisée tout en conservant la marque, ce qui est plus rentable. Mais nous assistons aussi à un développement par en bas des services dégradés ou à la personne et à une nouvelle forme de domesticité qui se développe avec cette désindustrialisation.

    Est-ce que vous confirmeriez les prévisions de Jacques Ellul qui voyait la naissance d’une dichotomie entre d’un côté les « nations-capitalistes » du Nord et de l’autre les « nations-prolétaires » du Sud ?

    Cela n’est pas nouveau, ni totalement exact ! Les nations occidentales se prolétarisent aussi. Avec la mondialisation, nous assistons surtout à une tiers-mondisation des pays du Nord et un embourgeoisement des pays du Sud. Il y a par exemple aujourd’hui 100 à 200 millions de Chinois qui appartiennent à la classe moyenne mondiale, voire riche.

    Le 20 août dernier, nous avons épuisé les ressources de la Terre pour 2013 et nous vivons donc à « crédit » vis-à-vis de celle-ci jusqu’à la fin de l’année. Il faudrait donc réduire d’environ un tiers notre consommation en ressources naturelles si nous voulons préserver notre planète. N’a-t-on pas atteint le point de non-retour ? La décroissance se fera-t-elle aux dépens des pays en voie de développement ?

    Déjà soyons clairs, la décroissance est avant tout un slogan qui s’oppose à la société d’abondance. Ensuite, il ne s’agit surtout pas de régler les problèmes des pays du Nord aux dépens de ceux du Tiers-Monde. Il faudra résoudre simultanément les problèmes et du Nord et ceux du Sud. Évidemment, ce que vous évoquez, et que l’on appelle l’over shoot day, n’est qu’une moyenne globale. La réduction de l’empreinte écologique pour un pays comme la France n’est pas de l’ordre de 30%, mais de 75%. Une fois explicité comme cela, les gens se disent que ça va être dramatique. Justement, ce n’est pas nécessaire : nos modes de vie sont basés sur un gaspillage fantastique de la consommation et encore plus de la production, donc des ressources naturelles. Il ne faudra donc pas forcément consommer moins, mais consommer mieux. Tout d’abord, la logique consumériste pousse à accélérer l’obsolescence des produits. Il ne s’agit donc pas forcément de consommer moins mais de produire moins en consommant mieux.

     

    Au lieu de consommer une seule machine à laver dans notre vie, nous en consommons 10 ou 15, de même pour les réfrigérateurs et je ne parle même pas des ordinateurs ! Il faut donc un mode de production où les individus ne consomment qu’une seule voiture, une seule machine à laver, etc. Cela réduirait déjà énormément l’empreinte écologique. Nous savons aussi que la grande distribution entraîne un grand gaspillage alimentaire. Environ 40% de la nourriture va à la poubelle, soit à cause des dates de péremptions dans les magasins, soit chez les particuliers qui ont emmagasiné de la nourriture qui finit par périmer. L’idée n’est pas de décroître aux dépens des pays pauvres, qui eux doivent au contraire augmenter leur consommation et leur production, mais de changer cette logique de gaspillage forcenée et de fausse abondance.

    Nicholas Georgescu-Roegen, affirmait : « Chaque fois que nous produisons une voiture, nous le faisons au prix d’une baisse du nombre de vies à venir. » La décroissance doit-elle être accompagnée d’un contrôle démographique pour être soutenable ?

    Il est toujours délicat d’aborder la question démographique. Les prises de position sur le sujet sont toujours passionnelles car touchant à la fois aux croyances religieuses, au problème du droit à la vie, à l’optimisme de la modernité avec son culte de la science et du progrès, elles peuvent déraper très vite vers l’eugénisme, voire le racisme au nom d’un darwinisme rationalisé. La menace démographique, vraie ou imaginaire, peut donc être facilement instrumentalisée pour mettre en place des formes d’écototalitarisme. Il importe donc de cerner les différentes dimensions du problème et de peser les arguments en présence, avant de se prononcer sur la taille d’une humanité « soutenable ».

    Si l’insuffisance des ressources naturelles et les limites de la capacité de régénération de la biosphère nous condamnent à remettre en question notre mode de vie, la solution paresseuse consisterait, en effet, à réduire le nombre des ayants droit afin de rétablir une situation soutenable. Cette solution convient assez bien aux grands de ce monde puisqu’elle ne porte pas atteinte aux rapports sociaux et aux logiques de fonctionnement du système. Pour résoudre le problème écologique, il suffirait d’ajuster la taille de l’humanité aux potentialités de la planète en faisant une règle de trois. Telle n’est évidemment pas la position des objecteurs de croissance, ce qui n’empêche qu’ils soient taxés de malthusianisme parfois par ceux-là mêmes qui condamnent les deux tiers de l’humanité à l’extermination.

    Il est clair que si une croissance infinie est incompatible avec un monde fini, cela concerne aussi la croissance de la population. La planète, qui n’a que 55 milliards d’hectares, ne peut pas supporter un nombre d’habitants illimité. C’est la raison pour laquelle presque tous les auteurs de référence de la décroissance, ceux qui ont mis en évidence les limites de la croissance (Jacques Ellul, Nicholas Georgescu-Roegen, Ivan Illich, René Dumont, entre autres) ont tiré le signal d’alarme de la surpopulation. Et pourtant, ce ne sont pas, pour la plupart, des défenseurs du système… Même pour Castoriadis, « la relation entre l’explosion démographique et les problèmes de l’environnement est manifeste ».

    Cela étant, ce que la décroissance remet en cause, c’est avant tout la logique de la croissance pour la croissance de la production matérielle. Même si la population était considérablement réduite, la croissance infinie des besoins entraînerait une empreinte écologique excessive. L’Italie en est un bon exemple. La population diminue, mais l’empreinte écologique, la production, la consommation, la destruction de la nature, des paysages, le mitage du territoire par la construction, la cimentification continuent de croître. On a pu calculer que si tout le monde vivait comme les Burkinabés, la planète pourrait supporter 23 milliards d’individus, tandis que si tout le monde vivait comme les Australiens, d’ores et déjà le monde serait surpeuplé et il faudrait éliminer les neuf dixièmes de la population. Il ne pourrait pas faire vivre plus de 500 millions de personnes. Qu’il y ait 10 millions d’habitants sur Terre ou 10 milliards, note Murray Bookchin, la dynamique du « marche ou crève » de l’économie de marché capitaliste ne manquerait pas de dévorer toute la biosphère. Pour l’instant, ce ne sont pas tant les hommes qui sont trop nombreux que les automobiles… Une fois retrouvé le sens des limites et de la mesure, la démographie est un problème qu’il convient d’affronter avec sérénité.

    Si une croissance infinie est incompatible avec un monde fini, cela concerne aussi la croissance démographique. La population ne peut, elle non plus, croître indéfiniment. La réduction brutale du nombre des consommateurs ne changerait pas la nature du système, mais une société de décroissance ne peut pas évacuer la question du régime démographique soutenable.

    Que faire pour changer de régime ? Combattre l’individualisme ?

    Les gens accusent souvent les partisans de la décroissance d’être des passéistes. Pourtant, nous ne souhaitons pas un retour en arrière. Mais, comme le préconisaient Ivan Illich ou même Castoriadis, il s’agit d’inventer un futur où nous retenons certains aspects du passé qui ont été détruits par la modernité. Sur ce sujet, un grand sociologue français, Alain Touraine, vient de sortir un livre intitulé La Fin des sociétés. C’est vrai qu’avec la mondialisation, on assiste à la fin des sociétés.

    À ce sujet, un ancien Premier ministre anglais, Margareth Thatcher, a dit : « Il n’existe pas de société, il n’existe que des individus ». C’est énorme de dire cela ! Donc, dans le projet de la décroissance, il ne s’agit pas de retrouver une ancienne société disparue, mais d’inventer une nouvelle société de solidarité. C’est-à-dire qu’il faut réinventer du lien social, parfois par la force des choses comme avec la fin du pétrole, sur la base d’une économie de proximité, avec une relocalisation de la totalité de la vie. Ce n’est pas un repli sur soi, mais une nouvelle redécouverte de la culture, de la vie, de la politique et de l’économie.

    Justement, relocaliser les activités humaines serait une nécessité écologique. Mais la réindustrialisation potentielle qui en découlerait ne serait-elle pas une entrave à la décroissance ?

    Non, parce qu’il ne s’agit pas de la réindustrialisation prônée par notre système. Madame Lagarde, quand elle était ministre de l’Économie, avait inventé le néologisme « rilance » : de la rigueur et de la relance. Pour nous, c’est exactement le contraire : nous ne voulons ni rigueur, ni relance, ni austérité. Évidemment qu’il faut sortir de la récession et récréer des emplois, non pas pour retrouver une croissance illimitée, mais pour satisfaire les besoins de la population. En fait, la réindustrialisation dans une optique de décroissance est plus artisanale qu’industrielle. Il faut se débarrasser des grosses entreprises au profit d’une économie composée de petites unités à dimensions humaines. Ces dernières peuvent être techniquement très avancées mais ne doivent en aucun cas être les monstres transnationaux que nous connaissons actuellement. Elles doivent être plus industrieuses qu’industrielles, plus entreprenantes qu’entrepreneuses et plus coopératives que capitalistes. C’est tout un projet à inventer.

    L’État moderne se comporte toujours comme un soutien au productivisme, soit en favorisant l’offre pour les libéraux, soit en favorisant la demande pour les keynésiens. La décroissance a-t-elle besoin d’une disparition de l’État ?

    Cela dépend de ce que nous mettons derrière le mot « État ». Même si l’objectif n’est pas de maintenir cet État-nation, bien sûr qu’une société de décroissance devra inventer ses propres institutions. Elles devront être plus proches du citoyen avec une coordination au niveau transnational. Celle-ci est vitale, car beaucoup de phénomènes environnementaux sont globaux : il est alors impossible d’imaginer un repli total. Il faudra donc inventer de nouvelles formes qui diffèrent de l’appareil bureaucratique moderne.

    La décroissance implique aussi un changement de mode de vie. Comment faire pour lutter contre la société marchande sans se marginaliser ?

    Effectivement, il faut les deux. Il y a d’ailleurs dans les objecteurs de croissance des gens très investis dans des coopératives alternatives comme des écovillages. De plus, il faut tenir les deux bouts de la chaîne : une société ne change pas du jour au lendemain. Il faut donc penser la transition sans attendre un changement global simultané. Les meilleurs exemples sont les villes en transition où l’on essaie de réorganiser l’endroit où l’on vit afin de faire face aux défis de demain comme la fin du pétrole. Ce qui m’intéresse surtout dans les villes en transition, c’est leur mot d’ordre : « résilience », qui consiste à résister aux agressions de notre société. Mais cela n’implique pas de revenir à l’âge de pierre, comme les Amish. Au contraire, cela implique une qualité de vie maximale sans détruire la planète.

     

    Changer de régime économique est-il possible pour un pays seul ? Une initiative isolée ?

    Ça rappelle le vieux débat qui a opposé Staline à Trotsky pour savoir si le socialisme pouvait se faire dans un seul pays. Mais en réalité, la réponse n’est pas « oui » ou « non ». La question ne peut pas être posée de façon manichéenne, simplement parce que nous ne pouvons pas changer le monde du jour au lendemain et il faut bien commencer ! Donc, le commencement se fait petit à petit, au niveau local, en visant le global. La parole d’ordre des écologistes fut pendant longtemps : « Penser globalement, agir localement ». Ce n’est pas qu’il ne faille pas agir globalement, mais c’est plus compliqué. Donc le point de départ est local pour une visée plus large. De toute manière, le projet ne se réalisera ni totalement ni globalement. La société de décroissance est un horizon de sens, mais pas un projet clé en main réalisable de façon technocratique.

    La décroissance, selon vous, commencerait-elle par une démondialisation pour tendre vers une forme d’altermondialisme ?

    Je n’aime pas le terme « altermondialisme ». Il s’agit évidemment d’une démondialisation, qui n’est pas une suppression des rapports entre les pays. Mais qu’est-ce que la mondialisation que nous vivons ? Ce n’est pas la mondialisation des marchés mais la marchandisation du Monde. Ce processus a commencé au moins en 1492 quand les Amérindiens ont découvert Christophe Colomb (rires). Démondialiser veut surtout dire retrouver l’inscription territoriale de la vie face au déménagement plantaire que nous connaissons. Car la mondialisation est surtout un jeu de massacres ! C’est-à-dire que nous détruisons ce qui fonctionnait traditionnellement bien dans les différents pays pour les asservir aux marchés. Par exemple, l’agriculture était fleurissante en Chine mais le capitalisme occidental a déraciné la majorité des paysans qui sont devenus des min gong : des ouvriers qui s’entassent en périphérie des grandes villes, comme Pékin ou Shanghai. Mais, dans le même temps, ces ouvriers chinois détruisent nos emplois et notre industrie. Nous nous détruisons mutuellement. Il faut au contraire que nous nous reconstruisons les uns les autres. La solution est une relocalisation concertée par un dialogue interculturel et non pas par l’imposition de l’universalisme occidental.

    Les nouvelles technologies, et plus globalement la technique et la science, peuvent-elles être employées contre l’oligarchie ou sont-elles intrinsèquement néfastes ?

    Ça c’est une très grande question, très difficile. Jacques Ellul avait énormément réfléchi dessus et n’avait jamais dit qu’elles étaient intrinsèquement mauvaises. Il pensait même que, dans certaines situations, elles pouvaient être utiles à la société d’avenir. Celle qui est, selon lui, intrinsèquement mauvaise, c’est la structure sociale dans laquelle la technique et la science sont produites et utilisées. Alors bien évidemment, il faut les détourner et c’est ce que certains font. Il y a une sorte de guérilla. Sur internet, par exemple, nous le voyons. Dans ma jeunesse, nous parlions de retourner les armes contre l’ennemi. Dans une société de décroissance, qui n’est plus une société dominée par la marchandisation et le capital, ces techniques fonctionneraient autrement. Il y a aussi plein de choses intéressantes créées par le génie humain qui ne sont pas utilisées, car elles ne correspondent pas à logique du système. Nous aurons besoin de ces derniers dans une société différente. Nous devons, en réalité, surtout concevoir un nouvel esprit. Notre système est dominé – d’un point de vue technico-scientifique – par un esprit prométhéen de maîtrise de la nature, que nous ne maîtrisons pourtant pas. Il faudra donc se réinsérer dans une vision plus harmonieuse des rapports entre l’Homme et la nature.

    Jacques Ellul estimait que le travail était aliénant. Est-ce à dire que la décroissance doit passer par l’abolition du salariat ?

     

    Il n’y a pas d’urgence à l’abolir. Dans l’immédiat, il faut surtout créer les postes de salariés nécessaires. Il faut surtout réduire l’emprise de la nécessité en développant notamment la gratuité. Je pense que l’idée d’un revenu universel, ou au moins d’un revenu minimal assurant la survie, n’est pas une mauvaise chose car il réduirait l’espace de la nécessité. Dans une société de décroissance, il faudra des échanges d’activités et d’œuvres qui auront remplacé le travail. Mais ce n’est évidemment plus l’échange marchand obsédé par le profit. Il faut réintroduire l’esprit du don – qui n’a pas totalement disparu – dans les rapports de clientèle et dans les marchandages. En Afrique, par exemple, il existe encore une sorte de métissage entre la logique marchande et celle du don. Ce qu’il faut surtout abolir, c’est le travail salarié en tant qu’abstraction inhumaine.

    Pensez-vous que la monnaie s’oppose à la logique du don et qu’en conséquence, une société de décroissance doit abolir le système monétaire ?

    Sûrement pas ! Par contre, il doit y avoir l’abolition de certaines fonctions de la monnaie. Il faut par exemple en finir avec la monnaie qui engendre de la monnaie, car l’accumulation monétaire est très perverse. Mais la monnaie comme instrument de mesure et d’échange est une nécessité dans une société complexe. Je dirais même que c’est un acquis de la civilisation.

    Des personnalités de gauche comme de droite se revendiquent aujourd’hui de la décroissance. Qu’en pensez-vous ?

    Que la décroissance soit un projet politique de gauche constitue, pour la plupart des objecteurs de croissance, une évidence, même s’il en existe aussi une version de droite. Allons plus loin : il s’agit du seul projet politique capable de redonner sens à la gauche. Pourtant, ce message-là se heurte à une résistance très forte et récurrente. La décroissance constitue un projet politique de gauche parce qu’elle se fonde sur une critique radicale du libéralisme, renoue avec l’inspiration originelle du socialisme en dénonçant l’industrialisation et remet en cause le capitalisme conformément à la plus stricte orthodoxie marxiste.

    Tout d’abord, la décroissance est bien évidemment une critique radicale du libéralisme, celui-ci entendu comme l’ensemble des valeurs qui sous-tendent la société de consommation. On le voit dans le projet politique de l’utopie concrète de la décroissance en huit R (Réévaluer, Reconceptualiser, Restructurer, Relocaliser, Redistribuer, Réduire, Réutiliser, Recycler). Deux d’entre eux, réévaluer et redistribuer, actualisent tout particulièrement cette critique. Réévaluer, cela signifie, en effet, revoir les valeurs auxquelles nous croyons, sur lesquelles nous organisons notre vie, et changer celles qui conduisent au désastre. L’altruisme devrait prendre le pas sur l’égoïsme, la coopération sur la compétition effrénée, l’importance de la vie sociale sur la consommation illimitée, le local sur le global, l’autonomie sur l’hétéronomie, le raisonnable sur le rationnel, le relationnel sur le matériel, etc. Surtout, il s’agit de remettre en cause le prométhéisme de la modernité tel qu’exprimé par Descartes (l’homme « comme maître et possesseur de la nature ») ou Bacon (asservir la nature). Il s’agit tout simplement d’un changement de paradigme. Redistribuer s’entend de la répartition des richesses et de l’accès au patrimoine naturel entre le Nord et le Sud comme à l’intérieur de chaque société. Le partage des richesses est la solution normale du problème social. C’est parce que le partage est la valeur éthique cardinale de la gauche que le mode de production capitaliste, fondé sur l’inégalité d’accès aux moyens de production et engendrant toujours plus d’inégalités de richesses, doit être aboli.

    Dans un deuxième temps, la décroissance renoue avec l’inspiration première du socialisme, poursuivie chez des penseurs indépendants comme Elisée Reclus ou Paul Lafargue. La décroissance retrouve à travers ses inspirateurs, Jacques Ellul et Ivan Illich, les fortes critiques des précurseurs du socialisme contre l’industrialisation. Une relecture de ces penseurs comme William Morris, voire une réévaluation du luddisme, permettent de redonner sens à l’écologie politique telle qu’elle a été développée chez André Gorz ou Bernard Charbonneau. L’éloge de la qualité des produits, le refus de la laideur, une vision poétique et esthétique de la vie sont probablement une nécessité pour redonner sens au projet communiste.

    Pour finir, la décroissance constitue une critique radicale de la société de consommation et du développement, la décroissance est une critique ipso facto du capitalisme. Paradoxalement, on pourrait même présenter la décroissance comme un projet radicalement marxiste, projet que le marxisme (et peut-être Marx lui-même) aurait trahi. La croissance n’est, en effet, que le nom « vulgaire » de ce que Marx a analysé comme accumulation illimitée de capital, source de toutes les impasses et injustices du capitalisme. Pour sortir de la crise qui est inextricablement écologique et sociale, il faut sortir de cette logique d’accumulation sans fin du capital et de la subordination de l’essentiel des décisions à la logique du profit. C’est la raison pour laquelle la gauche, sous peine de se renier, devrait se rallier sans réserve aux thèses de la décroissance.

    Tout le monde se souvient de l’échec de la commission Stiglitz-Sen mise en place par l’ex-Président Sarkozy dans le but de trouver un indicateur de « bien-être » autre que le simple PIB. Le problème ne viendrait-il pas de l’obsession des mesures quantitatives ?

    Il est certain que nous devons nous débarrasser de l’obsession des mesures quantitatives. Notre objectif n’est pas de mesurer le bonheur puisque cet objectif n’est par définition pas mesurable. Mais je ne crois pas que nous puissions parler d’échec de la commission Stiglitz-Sen, puisqu’elle a quand même proposé des indicateurs alternatifs pertinents. D’un autre côté, et malgré toutes les critiques qui peuvent lui être adressées, le PIB est tout à fait fonctionnel dans la logique de la société mondialisée de croissance. Il existe bien sûr d’autres indicateurs intéressants comme l’Happy Planet Index (HPI) mis au point par la fondation anglaise New Economics Foundation, mais ce dernier n’est pas fonctionnel dans notre système. Il est cependant intéressant comme indicateur critique du PIB. Pourquoi ? Parce que les États-Unis est en termes de PIB au 1er rang mondial, en termes de PIB par tête au 4ème rang et en termes de bonheur au 150ème rang ! La France se situe dans les mêmes ordres de grandeur. Tout cela signifie que si nous mesurons le bonheur par l’espérance de vie, l’empreinte écologique et le sentiment subjectif du bonheur — qui sont les trois critères du HPI —, les pays qui arrivent en tête sont le Vanuatu, le Honduras, le Venezuela et d’autres pays de ce type [ndlr : le trio de tête de 2012 est composé, dans l’ordre, du Costa Rica, du Vietnam et de la Colombie] . Malheureusement, il n’est pas fonctionnel dans notre système. Un autre indice de ce type qui pourrait être retenu, c’est l’empreinte écologique qui est elle-même synthétique. Le problème n’est pas de trouver l’indicateur miracle mais bel et bien de changer la société. Ces indices ne sont que des thermomètres et ce n’est pas en cassant le thermomètre que la température du malade change.

    La rupture avec la croissance n’est-elle pas aussi une rupture avec l’économie comme science au profit d’autres disciplines comme la philosophie ou la sociologie ?

    Oui, il s’agit bien d’une rupture avec l’économie. Mais celle-ci ne s’effectue pas seulement avec l’économie en tant que science mais aussi avec l’économie en tant que pratique. Il faut réenchâsser l’économique dans le social, au niveau théorique mais surtout au niveau pratique. Au niveau théorique d’abord parce que la « science économique » est une fausse science, et que la manière de vivre des Hommes appartient à l’éthique au sens aristotélicien du terme et donc à la philosophie ou à la sociologie. Sinon, pour paraphraser Lévi-Strauss, il n’existe qu’une seule science humaine : l’anthropologie. Au niveau pratique ensuite, en réintroduisant l’économique dans les pratiques de la vie et pas ne pas la laisser dans l’obsession du quantitatif avec la valorisation de l’argent, du profit ou du PIB.

    Serge Latouche, propos recueillis par Kévin Victoire (Ragemag, 15 octobre 2013)

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