Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

- Page 10

  • L’Afrique n’est plus le (seul) berceau de l’Homme moderne...

    La parution du numéro de la revue Sciences et Avenir de juin 2011 consacré aux "nouvelles histoires de l'homme" est importante. Elle rend publique la fin d'un des dogmes les plus tenaces de la paléoanthropologie, celui de la théorie appelée "Out of Africa" qui postulait  une origine africaine de l'homme moderne ; théorie avec laquelle on nous bassine depuis plus de quarante ans... Nous reproduisons ci-dessous un excellent texte de Bernard Lugan, publié sur son blog, qui expose clairement les enjeux de cette petite révolution scientifique...

    Sciences et avenir juin 2011.jpg

     

    L’Afrique n’est plus le (seul) berceau de l’Homme moderne

    Déclarant à la revue Science et Avenir (n° 772, juin 2011) que « L’Afrique n’est pas le seul berceau de l’Homme moderne », Yves Coppens fait voler en éclats le postulat de l’exclusivité des origines africaines de l’humanité. Il évacue également d’une phrase plusieurs dizaines d’années d’un hallucinant « bourrage de crâne » scientifique construit autour du paradigme du « Out of Africa ». Pour mémoire, selon ce dernier, les Homo sapiens seraient sortis d’Afrique sous leur forme moderne entre moins 100 000 ans et moins 60 000 ans, et ils auraient partout remplacé les populations antérieures, ce qui fait que nous sommes tous des Africains…

    C’est en prenant en compte les découvertes récentes qu’Yves Coppens a radicalement révisé ses anciennes certitudes. Désormais, pour lui, ni l’Homme moderne européen, ni l’Homme moderne asiatique ne descendent de l’Homme moderne africain puisqu’il écrit : « Je ne crois pas que les hommes modernes aient surgi d’Afrique il y a 100 000 à 60 000 ans (…) Je pense que les Homo sapiens d’Extrême-Orient sont les descendants des Homo erectus d’Extrême-Orient ».

    Comment serait-il d’ailleurs possible de continuer à soutenir que les Asiatiques ont une origine africaine quand, dans une Chine peuplée en continu depuis 2 millions d’années, les découvertes s’accumulent qui mettent en évidence la transition entre les hommes dits archaïques et l’Homme moderne dont les Chinois actuels sont les très probables descendants (Dong, 2008 : 48)[1]. Il en est de même avec les Européens.

    Les importantes découvertes archéologiques qui ont permis une totale révision des modèles anciens ne sont pas des nouveautés pour les lecteurs de l’Afrique Réelle. Dans un dossier publié dans le numéro 11 du mois de novembre 2010[2], il a ainsi été montré que l’Homme moderne, qu’il soit asiatique, européen ou africain est issu de souches locales d’hominisation ayant évolué in situ. Un peu partout dans le monde, nous voyons en effet et clairement des Homo erectus se « sapiensiser » et donner naissance à des lignées locales, peut-être les plus lointains marqueurs des « races » actuelles.

    Ces « sapiensisations » observables à la fois en Asie, en Europe, dans le monde méditerranéen et en Afrique, réduisent à néant le postulat du diffusionnisme au profit de l’hypothèse multi régionaliste que je défends depuis de nombreuses années[3]. Les découvertes qui s’accumulent, de la Georgie[4] à l’Espagne[5], de la Chine au Maroc ou encore d’Israël à l’Australie et à la Mongolie vont ainsi toutes dans le sens d’hominisations indépendantes de (ou des) l’hominisation africaine.

    Cette déferlante ayant fait céder les fragiles digues dressées par la pensée unique, ses derniers défenseurs en sont réduits à jongler avec les faits. Le célèbre généticien André Langaney n’a ainsi plus qu’un pauvre argument à opposer aux nombreuses et très sérieuses études faites en Chine puisqu’il ne craint pas d’écrire : « Des scientifiques orientaux au nationalisme mal placé veulent à toute force que l’homme de Pékin ou d’autres fossiles chinois soient leurs ancêtres » (Sciences et Avenir, page 63). Fin du débat !

    Le dossier de Science et Avenir constitue une étape essentielle dans la libération des esprits car il va toucher le plus grand nombre. En dépit d’inévitables scories idéologiques qui font surface ici ou là, et de concessions appuyées au politiquement correct, sa publication signifie qu’il n’est désormais plus possible de cacher au grand public une vérité que les spécialistes connaissaient mais qu’ils conservaient prudemment dans leurs tiroirs afin de ne pas désespérer le « Billancourt de la paléontologie »… La théorie de « l’Eve africaine » et celle d’ « Out of Africa » peuvent donc être désormais rangées dans le rayon des idéologies défuntes, quelque part entre la « lutte des classes » et le mythe de la « colonisation-pillage ».

    Bernard Lugan (Blog de Bernard Lugan, 2 juin 2011)

     

    [1] Dong, W., (2008) « Les premiers hommes vus de Chine ». Les Dossiers de la Recherche, n°32, août 2008, pp. 47-49.
    [2] Pour les synthèses les plus récentes, voir l’Afrique Réelle n°11 (novembre 2010) et Lugan, B., (2009) Histoire de l’Afrique des origines à nos jours. Ellipses, pp.15-19.
    [3] Notamment dans un livre paru en 1989 et aujourd’hui dépassé sur plusieurs points qui a pour titre Afrique, l’Histoire à l’endroit.
    [4] Lieberman, D.E., ( 2007) « Paleoanthropology : Homing in on early Homo ». Nature, n° 449, 20 septembre 2007, pp. 291-292.
    [5] Carbonell, E et alii ., (2008) « The First European ? » Nature, n° 452, 27 mars 2008, pp. 465-469.

    Lien permanent Catégories : Infos, Points de vue, Revues et journaux 0 commentaire Pin it!
  • Le renouveau russe : espoir ou péril ?...

    La revue Perspectives libres, publiée aux éditions Le Retour aux Sources, vient de sortir son deuxième numéro, qui est consacré à la Russie. On y trouvera, en particulier, des articles de fond d'Alexandre Latsa et de Xavier Moreau ainsi qu'un entretien avec l'historien Bernard Bruneteau.

     

    Perspectives libres 2.gif

     

    "« La Russie sauvera le monde » écrivait le regretté Jean Dutourd. Plus modestement, la Russie peut-elle aider l’Europe à se sauver elle-même ? C’est la question qui nous a conduit, en plus d’une affection pour une grande nation et grande alliée de la France, à nous interroger sur le renouveau russe.

    Qui aurait pu penser à la chute de l’Union soviétique que la Russie reviendrait au premier plan de la puissance. La tragique « modernisation » économique de la Russie entraîna plus d’un million de victimes, exemple comme un autre d’un hiver démographique qui pouvait condamner l’ex-géant soviétique. Le prestige diplomatique de la Russie ne survivait pas sans la béquille de la diplomatie américaine. L’économie et la société russe tombèrent aux mains d’anciens dignitaires soviétiques devenus de véritables seigneurs de guerre à la faveur de la privatisation des monopoles d’Etat.

    Mais dès 1997, la Russie reprend la conscience puis la maîtrise d’elle-même. C’est ce phénomène qui amènera l’arrivée au pouvoir, au terme d’une grave crise de régime, de Vladimir Poutine.

    Vladimir Poutine et son équipe proche ont réussi en dix ans à refaire une Russie-puissance. Le constat est là, quelles que soient les critiques que l’on puisse faire au régime et  aux hommes qui le servent. Du marché global de l’énergie jusqu’au maintient de la paix dans la zone stratégique d’Asie centrale (cf. entretien avec Alexandre Knyazev), la Russie est aujourd’hui un acteur mondial incontournable.

    Des stratégies de diabolisation (cf. article sur la russophobie) et de néo-containment (article d’Alexandre Latsa sur les révolutions colorées) ont été mises en place. Cette stratégie de diabolisation, mise en place à travers des intellectuels stipendiés ou idiots utiles d’une propagande grise (cf entretien avec Daniel Salvatore Schiffer), a permis de détourner les élites européennes avec des résultats variables de l’axe France-Russie ou Europe-Russie (voir l’article de Xavier Moreau).

    Toutefois la russophilie populaire, issue d’une très ancienne connivence intellectuelle franco-russe (voir l’article de Jean-Gérard Lapacherie) fit que la russophobie dans toute sa gamme idéologique (de Thierry Wolton à André Glucksmann) ne put passer la barrière de Saint-Germain-des-Prés et des médias dominants.

    L’émergence économique et énergétique chinoise, l’affaiblissement de la puissance américaine, la menace allemande sur les économies européennes, conjugués avec l’une des plus grandes crises de l’histoire du capitalisme, nous oblige à regarder notre allié russe dans sa vérité. Le grand historien Martin Malia écrivait que ce que l’on prend pour le fatalisme slave n’est rien de plus que la conscience que la Russie aurait pu ne pas être. Cette fragilité, le champ de ruines satisfaites qu’est l’Europe aujourd’hui devra l’apprendre. Cette Europe qui se laisse vivre sans même s’interroger sur elle-même,  sur son devenir et plus profondément sur sa singularité et son caractère contingent (Voir l’entretien avec Bernard Bruneteau).

    Le retour de la Russie est aussi un des facteurs du retour des politiques de puissance, nous commençons une série sur ce thème avec La Turquie et les grands nationalismes asiatiques. La mondialisation heureuse se dissipe, le multilatéralisme est un fait, nous entrons dans un monde plus libre mais plus incertain. La conscience de la fragilité joua pour la Russie, le rôle du déclin en France, une conscience de la nécessité de l’action, la pensée de survie et l’horizon de guerre nécessaire pour persévérer dans son être et demeurer libre."

    Lien permanent Catégories : Revues et journaux 0 commentaire Pin it!
  • Par delà droite et gauche...

    « Si un jour l’imagination politique, l’exigence et la volonté politiques ont une chance de rebondir, ce ne peut-être que sur la base de l’abolition radicale de cette distinction fossile qui s’est annulée et désavouée elle-même au fil des décennies, et qui ne tient plus que par la complicité dans la corruption »

    Jean Baudrillard, De l ’exorcisme en politique ou la conjuration des imbéciles, Sens et Tonka, 1998

     

    Nous reproduisons ci-dessous un texte intéressant cueilli sur le blog de Maxime Tandonnet. Il livre une vision du clivage droite/gauche plus machiavélienne qu'idéologique.  Maxime Tandonnet est un haut-fonctionnaire, spécialiste des questions d'immigration, conseiller à l'Elysée et auteur de plusieurs essais, notamment : Le Grand bazar ou l'Europe face à l'immigration (L'Harmattan, 2001) ; Migrations, la nouvelle vague (L'Harmattan, 2003) ; Le défi de l'immigration : la vérité, les solutions (François-Xavier de Guibert, 2004) ; Migration : sortir du chaos (Flammarion, 2006) ; et Géopolitique des migrations : la crise des frontières (Ellipses, 2007).

     

    aigle1.jpg

     

    Par delà droite et gauche

    Il n’existe pas me semble-t-il, d’idée ou de valeur, de gauche ou de droite en soi . Tout dépend des époques et des stratégies de pouvoir.

    Quelques exemples :

    -La Nation, la souveraineté nationale : aujourd’hui plutôt considérées comme des valeurs de droite, elles étaient jadis les marques distinctives des gauches européennes, contre les monarchies et les empires. La Révolution française et les révolutions européennes du XIXème siècle se sont faites au nom des Nations et ce sont les hommes de 1789 qui inscrivent la souveraineté nationale dans la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen.

    -La justice sociale n’était pas spécifiquement une valeur de gauche jusqu’au XXème siècle. En France, sous la Troisième République, les radicaux qui incarnent la gauche ne s’y intéressent pas, leur préoccupation essentielle étant la lutte contre le cléricalisme. Un homme comme Alexandre Millerand, marqué à gauche jusqu’au années 1910, bascule à droite en partie parce qu’il trouve la gauche trop timorée notamment sur les retraites ouvrières.

    -La colonisation a été impulsée sous la Troisième république par le centre gauche – Thiers, Jules Ferry, Freycinet, Méline – au nom de la « mission civilisatrice de la France (sic) », alors que la droite de l’époque, les monarchistes, sont dans l’ensemble défavorables à cette politique.

    -L’égalité hommes-femmes ? La gauche radicale s’est opposée tout au long de la Troisième République au vote des femmes, suspectées d’être sous l’influence des « curés ». C’est le général de Gaulle, chef du gouvernement provisoire de la République française qui l’a enfin imposé en 1944.

    -L’immigration : on a du mal à le croire mais la gauche française a longtemps été fort réservée sur le sujet, contre le patronat favorable à l’accueil d’une main d’œuvre bon marché. Dans la première moitié du XXème siècle, ce sont le Cartel des gauches dirigé par Edouard Herriot (1924) puis les gouvernements issus du Front populaire (1936-1938) qui prennent les mesures de rigueur en matière d’immigration : voir mon billet sur l’histoire de la déchéance de nationalité. Le 6 janvier 1981, l’Humanité publie une lettre de George Marchais selon laquelle : « la poursuite de l’immigration pose aujourd’hui de graves problèmes. Il faut les regarder en face et prendre rapidement les mesures indispensables. C’est pourquoi nous disons : il faut arrêter l’immigration, sous peine de jeter de nouveaux travailleurs au chômage ». Le 10 décembre 1989, le Président Mitterrand déclare: « En matière d’immigration, le seuil de tolérance a été atteint ».

    Les idéologies relèvent en grande partie des circonstances, des calculs, des intérêts de pouvoir, des postures. L’essentiel, en politique, c’est-à-dire l’organisation et la conduite de la cité, au sens noble du terme, tient à la personnalité des dirigeants plus qu’à leurs idéologies qui sont la façade, l’habillage des choses. Les paramètres qui font un homme d’Etat ne varient guère, eux, en fonction des époques. Ils restent de tout temps à peu près les mêmes : lucidité; courage; sens du bien commun; dynamisme; volontarisme; créativité; capacité de dialogue et d’écoute.

    Je devine que nombre de mes lecteurs ne partageront pas cette vision, ou alors avec des nuances, mais en tout cas la discussion est ouverte si le sujet intéresse certains d’entre eux.

    Maxime TANDONNET (Le blog de Maxime Tandonnet, 1er juin 2011)

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • L'oligarchie au pouvoir...

    Les éditions Economica viennent de publier L'oligarchie au pouvoir, d'Yvan Blot, un plaidoyer en faveur de l'instauration en France d'une démocratie directe, à la suisse. Fondateur du Club de l'Horloge, Yvan Blot, qui préside actuellement l'institut néo-socratique, est l'auteur de L'héritage d'Athéna ou Les racines grecques de l'Occident (Presses bretonnes, 1996) ainsi que d'un essai consacré à Herbert Spencer, Herbert spencer, un évolutionniste contre l'étatisme (Les Belles Lettres, 2007).

     

    Oligarchie Yvan Blot.jpg

    "Tout le monde en France croit vivre en démocratie. Et pourtant, aucun citoyen ne pense que son bulletin de vote va changer quelque chose. Le pouvoir réel est oligarchique, c'est-à-dire dans les mains d'un petit groupe d'hommes. Le Parlement n'a plus guère de pouvoir : l'élu de la majorité doit voter pour les projets de lois du Gouvernement. Qui rédige ces projets ? Les hauts fonctionnaires non élus. De plus, des intérêts organisés font pression : grand patronat, grands syndicats, groupuscules qui se disent autorités morales, médias politiquement corrects. L'oligarchie tient le pays en mains en dépit des tentatives de réformes. Mais il y a de plus en plus de résistance. Elle vient des victimes du système, victimes de l'immigration, de l'insécurité, de la spoliation fiscale, de l'arrogance des dirigeants. Comment réconcilier les Français avec leur régime ? En écoutant le peuple et sa vérité vécue, grâce aux référendums d'initiative populaire. Cette vérité est différente de celle des «experts», car vécue, «existentielle». Qui suivra cette ligne ? La gauche ? L'UMP ? Le FN ? Si la classe politique s'obstine à ne pas comprendre, seule la démocratie directe pourra délivrer les Français du pouvoir oligarchique en rendant la parole au citoyen."

    Lien permanent Catégories : Livres 0 commentaire Pin it!
  • Le général Desportes et les enseignements de la guerre en Afghanistan...

    Excellent connaisseur de l'armée américaine, le général Vincent Desportes s'est fait connaître du public en juillet 2010 par une prise de position assez hostile à l'engagement militaire français en Afghanistan, qui lui a valu d'être sanctionné par le ministre de la défense. Il est aussi l'auteur de plusieurs ouvrages de réflexion sur la guerre et la stratégie, tels que Comprendre la stratégie (Economica, 2001), Décider dans l'incertitude (Economica, 2004), La guerre probable (Economica, 2008) et dernièrement Le piège américain (Economica,2011).

    Le 11 mai 2011, à l'occasion d'un colloque organisé par l'IFRI et consacré à la guerre d'Afghanistan, il a exposé avec beaucoup de clareté et de franchise les enseignements qu'il tirait de cette guerre...

     

    soldat français Afghanistan.jpg


     

    Les enseignements militaires et stratégiques du conflit afghan

    Je vais traiter de manière plus théorique le sujet qui a été donné : Les enseignements stratégiques & militaires du conflit afghan. Pour constater qu’en fait ce conflit valide à nouveau des concepts stratégiques persistants, qui affirment en chaque occasion leur pertinence, quel que soit le mépris qu’on puisse leur porter.

    Quelques idées :

    Première idée, c’est celle de la vie propre de la guerre. L’idée de Clausewitz, on le sait. Dès que vous avez créé la guerre, la guerre devient un sujet et non pas un objet. Clausewitz évoque la volonté indépendante de la guerre, les événements finissant par avoir leur dynamique propre. La guerre a sa vie propre qui vous conduit, pour de nombreuses raisons, là où vous n’aviez pas prévu d’aller.

    L’exemple de l’Afghanistan est particulièrement frappant. La guerre commence le 7 octobre, avec un objectif clair : faire tomber le pouvoir taliban à Kaboul et détruire le réseau d’Al-Qaïda en Afghanistan. En gros, l’objectif est atteint fin novembre 2001. Il y a alors moins de 2.000 militaires occidentaux au sol.

    Dix ans après : les objectifs de guerre ont totalement changé, il y a presque 150.000 soldats déployés en Afghanistan. C’est ce qu’un général résume d’une autre manière en parlant du niveau instable des décisions politiques, ce qui amène les stratèges militaires à adopter des modes de guerre successifs, qui s’avèrent contre-productifs par la suite.

    Cette évolution afghane éclaire donc deux réalités éternelles de la guerre. La première : toute guerre est marquée par une dérive de ses buts et le plus souvent une escalade des moyens, deuxièmement, les fins dans la guerre influent toujours sur les fins de la guerre.

    Deuxième idée – on doit concevoir la guerre et sa conduite non pas en fonction de l’effet tactique immédiat, mais en fonction de l’effet final recherché, c’est-à-dire le but stratégique. Autrement dit la forme que l’on donne initialement à la guerre a de lourdes conséquences ultérieures, ce qui est perdu d’entrée est très difficile à rattraper. Prenons les deux premières phases de la guerre en Afghanistan :

    - Première phase, celle du modèle afghan.

    2001, où selon les mots de Joe Biden, la stratégie minimaliste américaine. Lancée le 7 octobre 2001 cette phase associe la puissance aérienne américaine, les milices afghanes et un faible contingent de forces spéciales américaines. Résultat : on constate que le modèle a fonctionné pour faire tomber le régime des Taliban, mais beaucoup moins pour débusquer les membres d’Al-Qaïda et détruire les militants qui doivent se réfugier dans leurs zones sanctuaires. Conséquence : cette stratégie a contribué à renforcer les chefs de guerre locaux, en particulier ceux dont le comportement avec la population était honni et qui étaient hostiles au gouvernement central de Kaboul. Cela a renforcé la puissance tadjike et donc aliéné d’autant la population pachtoune. Tout cela a affaibli ce qui allait être essentiel ultérieurement, les deux piliers centraux de la reconstruction : l’État central et la bonne gouvernance.

    - 2ème phase, celle du modèle américain 2002-2006.

    Compte tenu de l’impossibilité pour les milices afghanes de venir à bout des Taliban, les troupes américaines prennent la tête des opérations de ratissage. Il s’agissait d’opérations de bouclage avec pour but d’éliminer les caches des terroristes. Résultat : très limité. Conséquences : l’efficacité du modèle américain est limitée par un très grand défaut de sensibilisation culturelle et politique, voire par la supériorité technologique elle-même. Les bombardements aériens soulèvent des questions sensibles. On se rappelle le bombardement d’une fête de mariage en Uruzgan en juillet 2002 avec des coûts politiques considérables. Les forces américaines suscitent crainte et hostilité dans la population, ils sont perçus comme des infidèles, commencent à être véritablement perçus comme une force d’occupation. La population initialement neutre, voire favorable, est ennemie. On passera en 2006 d’une guerre « enemy-centric » à une guerre « population-centric » mais le premier mode de guerre aura commis des dommages qui semblent irréparables.

    Quatrième idée – si le centre de gravité de l’adversaire se situe au-delà des limites politiques que l’on s’est fixé, il est inutile de faire la guerre car il ne sera pas possible de la gagner. Au sens Clausewitzien, le centre de gravité des Taliban se situe dans les zones tribales pakistanaises puisque c’est de cette zone refuge qu’ils tirent leur capacité de résistance. Il est impossible pour les Américains d’y mettre militairement de l’ordre, celle-ci se situe au-delà des limites politiques qu’ils se sont fixées, ne serait-ce d’ailleurs que pour de simples raisons logistique militaire, en raison de la vulnérabilité de leurs convois militaires lorsqu’ils traversent le Pakistan.

    Cinquième idée – c’est avec son adversaire que l’on fait la paix. Selon le bon esprit de la guerre froide qui n’a pas fini de nous faire du mal, la Conférence de Bonn en décembre 2001 a été non pas la conférence d’une réconciliation, mais la conférence des vainqueurs. Elle a de fait projeté les talibans, donc les Pachtounes, dans l’insurrection. Dix ans après, nous n’en sommes pas sortis.

    Sixième idée – ce qui est important, c’est le stratégique et non pas le tactique. Nous sommes aujourd’hui plongés au cœur d’une véritable quadrature du cercle tactique, entre protection de la population d’une part, protection de nos propres troupes d’autre part, et destruction de l’adversaire taliban par ailleurs. Nous sommes engagés dans un travail de Sisyphe du micro management du camp de bataille. C’est une impasse. Nous ne trouverons pas de martingale tactique en Afghanistan, la solution est d’ordre stratégique et politique. Une accumulation de bonnes tactiques ne fera jamais une bonne stratégie. Un problème politique au premier chef ne peut être résolu que par une solution politique. Citant des officiers américains, le New York Times regrettait récemment, je cite : « la déconnexion entre les efforts intenses des petites unités – et c’est tout aussi vrai des unités françaises – et les évolutions stratégiques ».

    Je voudrais maintenant évoquer une idée de… le niveau tactique. Elle est simple : le nombre compte, « mass matters » comme disent nos amis anglo-saxons. Les coupes budgétaires progressives et l’exponentiel coût des armements ont conduit à des réductions de formats incompatibles avec l’efficacité militaire et de nouvelles conditions de guerre au sein des populations.

    Contre l’insurrection, on connaît les ratios : en-dessous du ratio de 20 personnels de sécurité pour 1.000 locaux il est tout à fait improbable de l’emporter. Irlande du Nord : pour une population d’un million d’habitants, les Britanniques ont maintenu une force de sécurité globale de 50.000, ils sont restés vingt ans, le ratio est de 1 pour 20. En Irak, la population est de la trentaine de millions. Il a fallu mettre sur pied avec les Irakiens une force de 600.000 hommes pour que la manœuvre de contre-insurrection commence à produire ses effets. En Algérie, à la fin des années 50, les effectifs français étaient de 450.000 pour une population de 8 millions d’Algériens d’origine musulmane comme on les appelait alors. En Afghanistan, nous sommes extrêmement loin de ces ratios alors que le théâtre est infiniment plus complexe, physiquement et humainement, nous agissons en coalition, le ratio est de deux fois 140.000 pour 30 millions, c’est la moitié de ce qui est nécessaire pour avoir un espoir de gagner. Le ratio actuel forces de sécurité/population nous permet de conquérir – on le sait bien parce qu’on le fait tous les jours – mais pas de tenir. Or gagner la guerre c’est contrôler l’espace, or nous ne savons plus, nous ne pouvons plus, nous Occidentaux, contrôler l’espace.

    Pour conclure, deux dernières idées :

    Un – le conflit afghan est bien une guerre américaine. On se rappelle de ce télégramme diplomatique révélé dans Le Monde par Wikileaks, où l’ambassadeur des États-Unis à Paris demandait, sur instance de l’Élysée, que Washington trouve des façons de faire croire que la France comptait dans les options stratégiques. On se rappellera aussi que de McKiernan à Petraeus en passant par McChrystal, le commander in chief américain relève et remplace le chef de la coalition sans en référer aux autres membres. On se souviendra que les calendriers et les stratégies sont dictés davantage par les préoccupations de politique intérieure américaine que par le dialogue avec les coalisés, bien obligés de s’aligner – ceux qui ont lu Les guerres d’Obama de Woodward ne me contrediront sûrement sur aucun de ces points.

    Dernière idée – L’Afghanistan est une nouvelle preuve de l’échec de l’Europe. Je constate qu’il y a ou qu’il y a eu 15 pays de l’Union ayant engagé des forces militaires en Afghanistan : Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, France, Hongrie, Italie, Lituanie, Lettonie, Pays- Bas, Pologne, Roumanie, Suède, République Tchèque, Portugal. Avec des effectifs non négligeables puisqu’ils représentent environ 40.000 combattants, soit un tiers de la force engagée. Or il n’y a presque pas d’Europe ou en tout cas de défense européenne en Afghanistan. On pourra toujours m’expliquer qu’historiquement l’Europe a eu du mal à s’imposer en tant que telle dans cette guerre. Certes. Mais le constat est là : l’Europe mène sa guerre la plus longue « ever », elle le fait avec des effectifs extrêmement importants et elle n’existe pas. Cela donne une résonnance nouvelle aux propos du ministre de la Défense Hervé Morin, qui affirmait fin octobre dernier : « L’Europe est devenue un protectorat des États-Unis ».

    Il est temps que l’Europe se reprenne en main. Merci.

     

     

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • "C'est du pain pour un siècle entier de littérature"...

    "C'est du pain pour un siècle entier de littérature", c'est ce qu'écrivait Céline à Gaston Gallimard pour lui proposer le manuscrit du Voyage au bout de la nuit. Entre 1931 et 1961, Céline a entretenu une correspondance agitée avec les éditions Gallimard (la N.R.F) et ses principaux responsables, dont on retrouve la trace dans ce volume, intitulé Lettres à la N.R.F., publié dans la collection Folio.

     

    Lettres à la NRF.jpg

    Mon cher Éditeur et ami,
    Je crois qu’il va être temps de nous lier par un autre contrat, pour mon prochain roman « RIGODON »... dans les termes du précédent sauf la somme – 1 500 NF au lieu de 1 000 – sinon je loue, moi aussi, un tracteur et vais défoncer la NRF, er pars saboter tous les bachots !
    Qu’on se le dise !
    Bien amicalement votre
    Destouches

    De l’envoi du manuscrit de Voyage au bout de la nuit en 1931 à cette dernière missive adressée la veille de sa mort, ce volume regroupe plus de deux cents lettres de l’auteur aux Éditions Gallimard et réponses de ses interlocuteurs. Autant d’échanges amicaux parfois, virulents souvent, truculents toujours de l’écrivain avec Gaston Gallimard, Jean Paulhan « L’Anémone Languide » et Roger Nimier, entre autres personnages de cette « grande partouze des vanités » qu’est la littérature selon Céline.



     

    Lien permanent Catégories : Livres 0 commentaire Pin it!