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De l'individualisme à l'égocentrisme narcissique...

Nous reproduisons ci-dessous entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Boulevard Voltaire et consacré au passage de la modernité à la postmodernité...

 

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« Avec la postmodernité, l’individualisme se mue en égocentrisme narcissique… »

Modernité… Tous les médias n’ont plus que ce mot à la bouche. Il faut être moderne, nous dit-on, « parce qu’on n’arrête pas le progrès ». Au fait, ça veut dire quoi, la « modernité » ?

La modernité est une des catégories fondamentales de la sociologie historique et de la politologie contemporaines. Étudiée par une multitude d’auteurs, elle va très au-delà de ce qu’on appelle en général la modernisation (industrielle et postindustrielle). Elle trouve ses racines à la fin du Moyen Âge et à la Renaissance, et s’épanouit à partir du XVIIe et surtout du XVIIIe siècle. Elle se caractérise par la montée des classes bourgeoises, qui imposent progressivement leurs valeurs au détriment des valeurs aristocratiques et des valeurs populaires, et par la naissance de l’individualisme.

Sous l’influence de l’idéologie du progrès, rendue possible par l’essor des sciences et des techniques, s’affirme à l’époque moderne une confiance de principe dans les capacités de l’homme à gérer « rationnellement » son destin. Le passé et la tradition perdent dès lors leur légitimité, de même que les formes sociales d’appartenance traditionnelle et communautaire. L’hétéronomie par le passé est remplacée par l’hétéronomie par le futur, c’est-à-dire la croyance que demain sera nécessairement meilleur (les « lendemains qui chantent »). C’est l’époque où se déploient à la fois les philosophies du sujet et les grands systèmes historicistes, qui prétendent déceler un « sens de l’Histoire » assuré dont l’accomplissement mènerait le monde à son idéal. Sur le plan politique, le grand modèle est celui de l’État-nation, qui s’affirme au détriment des logiques féodale et impériale. Les frontières suffisent à garantir l’identité des collectivités, et servent de tremplin à des tentatives d’universalisation des valeurs occidentales, par le biais notamment de la colonisation. L’Église, de son côté, perd peu à peu le pouvoir de contrôle de la société globale qu’elle possédait autrefois.

Mais cette modernité, on y est toujours ou on en est sortis ? Quid de la « postmodernité » ?

La postmodernité ne s’oppose pas à la modernité, mais la dépasse tout en la prolongeant sur certains plans (on parle alors d’« ultra-modernité » ou encore d’« hypermodernité », au sens où l’on parle aussi d’hyperterrorisme, d’hyperpuissance, d’hypermarchés, etc.). Son avènement, à partir des années 1980, s’explique par le désenchantement du monde engendré par la désagrégation des « grands récits » historicistes, elle-même consécutive à l’effondrement des dogmes religieux et à l’échec des utopies révolutionnaires du XXe siècle.

Dans le monde postmoderne, on assiste à une dissolution généralisée des repères traditionnels, qui entraîne une fragmentation, voire une atomisation de la société civile, en même temps qu’une fragilisation des identités individuelles et collectives, elle-même génératrice de comportements anxiogènes et de poussées de « phobies » paniques. L’individualisme se mue en égocentrisme narcissique, tandis que les rapports humains extra-familiaux se réduisent à la concurrence ou à la compétition régulée par le contrat juridique et l’échange marchand. L’hédonisme s’appuie sur la consommation de masse (on consomme d’abord pour se faire plaisir plutôt que pour rivaliser avec autrui) pour viser avant tout au bien-être et à l’épanouissement personnel. Les disciplines contraignantes et les normes prescriptives s’effondrent, l’autorité sous toutes ses formes est discréditée, et l’art s’émancipe des règles de l’esthétique. On assiste aussi à un éclatement des cadres temporels, qui se traduit par le culte du présent au détriment de toute volonté de transmettre. Sur le plan politique, la gouvernance se ramène de plus en plus à la gestion, l’État-nation est débordé par le haut (emprises planétaires) et par le bas (renaissance des communautés locales), et les frontières ne garantissent plus rien.

La postmodernité correspond à ce monde « liquide » théorisé par Zygmunt Bauman, où tout ce qui était durable et solide semble se désagréger ou se liquéfier. C’est un monde de flux et de reflux, un monde de mouvances migratoires néo-nomades, caractérisé par le désinstitutionnalisation et la déterritorialisation des problématiques. Sous l’effet d’une logique économique qui a balayé tout idéal de permanence s’instaure le règne de l’éphémère et du transitoire, dans la production et la consommation des objets, tout comme dans les comportements, comme en témoignent la fin des engagements politiques de type sacerdotal, la désaffection des églises, des syndicats et des partis. La foi religieuse est privatisée, on se compose des croyances à la carte, et tous les modes de vie deviennent socialement légitimes. La vogue de l’idéologie des droits de l’homme et la croyance au pouvoir régulateur du marché se conjuguent pour légitimer la promotion des droits et l’affirmation de la « liberté des choix », tandis que l’explosion de la logique du marché entraîne la commercialisation de tous les modes de vie. Deux mots anglo-saxons résument bien cette tendance générale : le « selfie » et le « zapping », autrement dit l’obsession de soi et la volatilité des comportements, qu’ils soient électoraux ou amoureux.

Avec l’actuelle réforme de l’école, l’éternelle querelle entre les « Anciens » et les « Modernes » reprend du poil de la bête. L’enseignement du grec et du latin, c’est moderne, postmoderne ou archaïque ?

Ce n’est rien de tout cela. Car le grec et le latin, tout comme ce qui est de l’ordre de la culture authentique, ne sont ni d’hier ni de demain, mais de toujours !

Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard voltaire, 18 juillet 2015)

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