Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Périco Légasse, journaliste et critique gastronomique, cueilli dans l'hebdomadaire Marianne et consacré à la question des langues régionales.
Bien sûr, il fallait faire confiance à l'oligarchie pour polluer perfidement cette notion de langue régionale. Ainsi, le projet de loi du gouvernement visant à modifier la constitution pour permettre la ratification de la Charte européenne des langues régionales crée la notion de "langues de France" qui inclue les langues régionales classiques (breton, provençal, basque, alsacien, etc...) mais également l'arabe dialectal, le berbère, le romani, l'arménien occidental, le yiddish et le judéo-espagnol !...
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Langues régionales : notre patrimoine commun
Il est curieux de constater à quel point certains sujets déclenchent des réactions épidermiques à la limite du rationnel. Celui qui lira l'exposé de la proposition de loi sur la ratification de la charte européenne des langues régionales aura du mal à le trouver « hargneux », « sectaire» et « grossier », C'est pourtant ainsi que le qualifiait dans ces pages Anne-Marie Le Pourhiet, professeur de droit public à Rennes. Pourquoi une telle véhémence? N'y a-t-il pas moyen de débattre calmement du sujet? La charte est-elle vraiment ce cheval de Troie de tous ceux qui veulent la « déconstruction des Etats-nations au profit d'une Europe des régions redessinée sur des bases ethniques» ? Qu'il y ait une détestation de l'Etat-nation de la part de toute une élite européiste de droite comme de gauche est indéniable. Mais il y aurait une erreur de perspective à croire que c'est cette charte, et plus généralement la préservation des langues régionales, qui met en danger la République.
Passons sur les arguments qui relèvent de la pure ignorance:ces « patois » qui ne seraient presque plus parlés, placés sous respiration artificielle par des militants forcenés prêts à l'épuration ethnique. On n'aime vraiment que ce que l'on connaît et le plus triste pour la France est qu'elle ignore ou méprise ses propres richesses. En langue basque, idiome pré-indo-européen, « Basque» se dit Euskaldun, « celui qui parle basque », car est basque quiconque parle la langue. Y a-t-il précepte plus accueillant et moins xénophobe? Mais, surtout, l'idée que la charte définirait des «groupes» à favoriser et mettrait à mal l'idéal républicain en instaurant une logique communautariste constitue pour le moins une erreur de perspective. Une méconnaissance historique. La Révolution, ce n'est pas seulement ce qu'en firent des Jacobins purificateurs pour qui les langues régionales étaient un vecteur (parmi tant d'autres) contre-révolutionnaire, le support idéologique de tous les archaïsmes. La Révolution, c'est aussi le 14 juillet 1790, Fête de la fédération, c'est-à-dire la ferveur de l'unité nationale portée par toutes les composantes de la nation. Il est tout de même étonnant de voir les républicains d'aujourd'hui, ceux que les autoproclamés « progressistes» traitent de réactionnaires et de ringards parce qu'ils entendent perpétuer la France, reprendre les mêmes accusations contre ceux qui veulent perpétuer une part de l'identité française. On préserve pourtant les monuments comme une part du patrimoine commun et l'on en accepte le coût. On préserve les fromages dont la diversité fait la France. Pourtant, le monde continuera à tourner même si le roquefort ou le camembert disparaissent. Le monde sera simplement un peu moins beau et l'humanité un peu moins riche. Idem pour le breton, le corse ou l'occitan. Rien de bien grave au fond, juste un pas de plus vers l'uniformisation utilitariste et consumériste que redoutait Claude Lévi-Strauss à la fin de sa vie. Mais ceux qui se persuadent qu'il n'y a là que revendication communautariste sont les mêmes qui défendent le français minoritaire au Canada, les mêmes qui s'insurgent contre les prétentions de l'anglais à exprimer la modernité, les mêmes qui déplorent les ravages de la globalisation sur notre exception culturelle.
Il est même paradoxal que ceux qui se réfèrent si souvent aux œuvres du philosophe Jean-Claude Michéa pour fustiger le culte de l'individu nomade et mondialisé occultent ses réflexions essentielles sur l'articulation entre l'universel et le local. « Aux yeux des libéraux, déclarait-il au site Ragemag le 28 janvier 2013, l'individu ne saurait connaître de liberté effective que s'il parvient à s'arracher définitivement au monde étouffant des appartenances premières. [ ... ] S'il est clair, en effet, que l'expérience locale ne peut jamais constituer que le point de départ de l'aventure humaine, il est non moins clair que c'est le développement dialectique des acquis moraux et culturels liés à cette expérience première - et non leur négation abstraite - qui seul pourra conduire il un monde effectivement commun, autrement dit à un monde dont les valeurs universelles ne seront jamais séparables du cheminement concret qui aura permis à chaque peuple - à partir de ses traditions culturelles particulières - de se reconnaître en elles et de se les approprier. » Le dialogue de la France et de ses langues régionales, c'est la dialectique de l'universel et du particulier qui permet à chacun d'aimer la France comme projet d'émancipation humaine à travers une réalité culturelle et historique.
Amis qui défendez la France et le français, n'ayez pas peur, nos combats sont communs.
Périco Légasse (Marianne, 7 au 13 février 2014)