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Wall street : place financière ou scène de crime ?

Nous reproduisons ci-dessous un article de Xavier Raufer, cueilli sur le site du Nouvel Economiste et consacré au royaume de la fraude et de l'escroquerie qu'est devenu Wall street, la bourse de New York.

 

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Wall street : place financière ou scène de crime

Lançant, dans les années 1980, un important programme de dérégulation de la finance américaine, Ronald Reagan avertissait : “La libre entreprise n’est pas un permis de chasse.” Un sage avis hélas resté lettre morte. Car ce qu’on apprend aujourd’hui sur la place boursière new-yorkaise, le New York Stock Exchange NYSE, ou “Wall Street”, fait dresser les cheveux sur la tête. Une “inquiétante disposition de Wall Street pour le crime”, comme le dit le procureur fédéral de Manhattan-Sud, aussi profonde qu’ancienne : délits d’initiés, faux en écritures comptables, escroqueries pyramidales bien sûr ; mais aussi réseaux illégaux de corruption et d’échanges de données confidentielles – et même présence avérée du crime organisé.

En sus, une incapacité – parfois proche de la complicité – de l’instance régulatrice, la SEC (Securities and Exchange Commission) à faire régner un ordre minimal au sein d’un bazar d’autant plus tortueux que les transactions douteuses s’y opèrent, ajoute le magistrat, “entre proches ou au sein de la même communauté ethnique”.

Du coup, le FBI use désormais, pour ses investigations visant la criminalité financière en col blanc, de techniques “associées aux enquêtes visant le crime organisé violent” : écoutes téléphoniques, perquisitions, détentions préventives, inculpations criminelles aussi bien que civiles. Une mobilisation en mesure de juguler la vague criminelle ? Pas sûr car cet élan répressif est bien tardif, le FBI ne consacrant, en outre, aux grandes fraudes financières, que “quelques centaines de policiers fédéraux sur un effectif de 14 000 agents”.

Des policiers qui ont du pain sur la planche. Car désormais la certitude est là : au moins dans l’affaire Madoff, la présence mafieuse est avérée. Lisons cet extrait d’une interview donnée au New York Times par Harry Markopolos, expert financier qui, depuis l’an 2000, dénonçait les fonds Madoff comme une “pyramide de Ponzi” : “Question : “Vous sembliez vraiment craindre que M. Madoff ou ses sbires [nous soulignons] ne vous tuent ?” Réponse de H. Markopolos : “Croyez-moi, ce n’est pas de la paranoïa… Les agents du FBI portent des armes, pourquoi ? Au cas où. Donc moi aussi, j’ai une arme. Madoff jouait un jeu très dangereux. Quand j’ai discuté avec l’agent du FBI chargé de l’affaire, il m’a dit “Harry, avec de tels montants – on parle de plusieurs milliards [de dollars US], certains finissent mal et tu as eu beaucoup de chance”.” Telle était, vers 2008, l’ambiance à Wall Street.

Les choses se sont-elles arrangées depuis ? En tout cas pas du fait de la SEC, instance régulatrice sur laquelle on apprend, jour après jour, les faits les plus effarants.

D’abord, celui-ci : le directeur juridique de la SEC, l’homme personnellement chargé du dédommagement des victimes de l’escroquerie Madoff, était lui-même un bénéficiaire de la fraude en tant qu’héritier, avec ses proches, d’un compte Madoff de 2 millions de dollars – et pendant longtemps, nul à la SEC n’a réagi ! Un conflit d’intérêt chimiquement pur, la loi fédérale interdisant d’évidence à tout haut fonctionnaire de traiter un dossier où il a un intérêt financier personnel.

Cette négligence proviendrait-elle des agents de la SEC, qu’un journaliste dépeint comme “abrutis par la consultation maladive de sites pornographiques pendant les horaires de bureau” ? Pas seulement, car il y a plus grave encore.

En août dernier, le sénateur fédéral Charles Grassley s’indigne contre la SEC, qu’il décrit comme “un organisme dominé par les malfaiteurs financiers sur lesquels il est chargé d’enquêter”. Depuis la décennie 1990, la SEC (en théorie censée garder toutes ses archives 25 ans…) aurait en effet systématiquement détruit quelque 18 000 dossiers de ses enquêtes préliminaires, dont – entre bien d’autres – ceux de Madoff, Lehman Brothers, Goldman Sachs – bref, dit le rapport sénatorial, des archives sur les prédateurs ayant provoqué “la vague de corruption et de fraude qui a dévasté l’économie mondiale”.

Membre de la commission de la justice au Sénat, Grassley souligne que ces dossiers contenaient sans doute des éléments qui auraient pu permettre de prévenir la crise financière de 2008 et l’escroquerie de Madoff.

En cours, l’enquête sur ces destructions illicites de pièces de justice montre que ces faits sont réels – tout cela étant négligemment considéré par la SEC comme éléments “secondaires” ou “sans intérêt”.

La SEC pourra-t-elle se ressaisir ? Difficilement, car un efficace lobbying des grands prédateurs financiers a amputé son présent budget de 222 millions de dollars (sur un total de 1, 2 milliard). Rappelons que les réserves financières pour litige de la seule banque JP Morgan, s’élèvent à 4 milliards de dollars…

Or un budget amoindri signifie moins d’enquêtes, moins d’investigations elles-mêmes limitées dans le temps, donc moins de malfaiteurs poursuivis et plus d’arrangements à l’amiable – un rêve pour requin de Wall Street.

Des prédateurs qui, s’ils se trouvent encore trop gênés aux entournures dans le cadre financier traditionnel, peuvent aujourd’hui aisément recourir à la “finance de l’ombre”. Une “soupe de structures, d’entités et d’intermédiaires hors des circuits traditionnels”, nous dit récemment Le Monde, hedge funds, firmes de capital-investissement, banques d’affaires, agences de notation, spéculateurs en matières premières, chambres de compensation, sociétés hors-bilan – un ensemble mondialement actif, mais laissé à peu près sans surveillance.

Concluons par cette cruelle observation de Karl Marx (auteur dont le signataire use peu…) : “Dans son mode de gain comme dans ses jouissances, dit-il dans Les Luttes de classe en France, l’aristocratie financière n’est pas autre chose que la résurrection du lumpenproletariat dans les sommets de la société bourgeoise.” Marx décrivait alors la France de la monarchie de Juillet. Depuis sa fin, voici plus de 160 ans, il semble hélas qu’à Paris comme à Wall Street, bien peu ait changé.

Xavier Raufer (Le nouvel Economiste, 4 novembre 2011)

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