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Ce que le procès DSK veut dire...

Nous reproduisons ci-dessous une excellente analyse de Claude Bourrinet, publiée sur Voxnr, à propos de l'affaire DSK...

 

 

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Ce que le procès DSK veut dire

L’affaire DSK, qui ébranle le monde médiatique, d’ailleurs étrangement partagé entre le jour et la nuit, comme si l’événement assumait crânement ses deux parts, d’ombre et de lumière, tel un mélodrame, dépasse largement le cadre des turpitudes scabreuses mettant en cause un homme politique.

Plusieurs plans se superposent, imposant des lectures différentes.

D’abord le plan humain. On peut certes détester l’individu, non peut-être pour des raisons morales, ou plus précisément moralisatrices. Les défauts de l’homme, ses pulsions, son manque notoire de maîtrise par rapport aux femmes sont maintenant révélés au grand jour. La vérité y gagne, et les tartuffes sont démasqués. On attendrait presque le lieutenant du roi pour arrêter tout ce beau monde, qui apparaît de plus en plus comme le Monde, ce milieu interlope où se côtoient coquinerie, (vocable que l’on pare impudemment du terme historiquement noble, voire héroïque, de « libertinage »), et pratiques discursives qui, à force de calculs, en arrivent à tourner à vide, comme des moulins idéologiques que le vent remuerait mais qui ne broierait plus aucun grain. La faillite de l’ex futur candidat socialiste à la présidentielle se révèle ainsi plus qu’une tragédie personnelle, mais, comme un négatif de pellicule photographique traversé par une lumière permettant de découvrir l’apparence des choses ; elle montre la vérité crue de nos maîtres. Ne nous trompons pas : Strauss-Kahn, nonobstant sa pathologie personnelle, par une figure de synecdoque par ailleurs largement usitée lorsqu’on veut détruire un adversaire, soudain découvre ce que tous pressentaient. On n’expliquerait pas la panique qui s’est emparée des politiques et des journalistes si l’on ne voyait pas cette ironie théâtralisée par la rudesse du système judiciaire américain, comme un dom Juan, qui enseigne brutalement, à la face du monde, ce qu’est l’hypocrisie, et ses vertus essentielles, qui sont de voiler l’immoralité et de faire taire définitivement ses éventuels contempteurs. La classe politique française est devenue une antiphrase dans notre Histoire. Il est certes réjouissant de voir un ennemi tel que Dominique Strauss Kahn, qui se serait réjoui de la destruction des patriotes, en grande difficulté. On présume qu’un dangereux ennemi de notre peuple est écarté de la scène. Cependant ce n’est qu’un individu, fût-il perçu comme le futur président. Il y en aura d’autres. C’est le système qui est en cause.

Un autre aspect de l’événement est frappant, c’est la proximité du drame qui se joue à New York. La ville semble tout à coup devenue une banlieue de l’Europe, à moins que ce ne soit le contraire, que ce soient nous qui sommes devenus la périphérie de la Grosse Pomme, et que notre sort soit désormais décidé là-bas. Nous sommes bien sûr effarés par la mise en scène de la transparence, par cet édifice inhumain qui ne cache aucune des structures qui le constituent. Une sorte de pornographie judiciaire, en quelque sorte. Rien n’est caché, la chair souffrante est livrée à la jouissance publique, les rôles sont bien répartis dans cette orgie sans retenue, sans gêne, sans inhibition, dont le ressentiment populaire se repaît.

La matérialité du processus est le sens même de la justice. D’abord parce que chaque chose a son importance, les menottes, la déambulation ritualisée, consacrée par maints feuilletons télévisés, vers la voiture où s’engouffre, escorté par des policiers en civil, l’accusé, sa gueule mal rasée, le procureur, le juge etc. Les caméras sont les facteurs de réalité. La logique de la machine suit son cours mécanique, ou plutôt son jeu cruel, mais l’acteur principal, ce sont les regards qui scrutent, qui, comme dans toute tragédie, s’ouvrent sur le destin horrifique et pitoyable d’un héros écrasé, disloqué par les conséquences de sa faute présumée. Et on se dit que la cible des procédures n’est pas à proprement dit l’accusé, ni la justice, ni même ici la victime, ectoplasme sans visage, mais la communion qui se noue autour d’un sacrifice, et la forte sensation d’ensemble d’être un peuple attaché à l’égalité des conditions.

Autrement dit, la justice américaine est un acte politique, qui draine toute l’Histoire d’une Nation qui s’est fondée contre les privilèges de la Vieille Europe.

Cet aspect hautement politique, qui nous semble appartenir à une civilisation exotique, étrange et étrangère, jure avec les us judiciaires de notre pays. Nous sommes sidérés, abasourdis par la brutalité avec laquelle on traite là-bas les Grands ; on sait qu’ici ils jouissent, pour le moins, d’une mansuétude admirable de la part d’un pouvoir judiciaire sous influence, et d’une compréhension remarquable du quatrième pouvoir, la presse. Aussi bien les événements du Nouveau Monde jettent-ils une lueur crue sur la réalité de notre vie publique, tout à coup transmuée en vie fausse, et sur l’incurie de notre justice, que le pouvoir semble reconnaître d’ailleurs par la mise en place d’une réforme la calquant sur celle des Américains, sans que le cordon ombilical avec le ministère soit tranché.

La vraie conséquence de ce film à suspense, ce scénario palpitant, c’est une sensation d’irréalité. On a une impression onirique, les images se bousculent, un décor de Métropolis se met en place, les surprises s’enfilent, un homme qu’on croyait indéboulonnable se décompose, et on se demande si tout cela est vrai sur cet immense écran planétaire. Quel est le sens de tout cela ? Peut-on par là avoir prise sur le réel, notre destin ? Quelles vont être les conséquences du verdict, ou des inévitables négociations entre l’accusation et la défense ?

Ce qui restera sera la sensation désagréable, vertigineuse, que tout se passe maintenant de l’autre côté de l’Atlantique. L’Europe ne donne plus depuis longtemps le la de la grande musique internationale. Nous le savions, mais maintenant, cela crève les yeux. Dorénavant, elle n’est plus qu’une coquille vide, un fantôme de civilisation qui n’a plus aucune puissance, qui ne se fait plus craindre. On apprend que nos dirigeants sont coupés du peuple, qu’ils se livrent à leurs petits plaisirs et qu’ils bénéficient généralement d’une certaine impunité, que les Américains semblent être devenus des parangons de justice, qu’ils sont aptes, et même presque destinés, à juger les citoyens d’Europe, et qu’il n’est plus beaucoup de trajet avant qu’on ne demande à être gouvernés par eux.

Claude Bourrinet (Voxnr, 19 mai 2011)

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