Au sommaire cette semaine :
- sur Fragments du temps présent, Romain Ducoulombier évoque la pensée politique de Jules Monnerot...
Penser et combattre : Jules Monnerot face à la subversion des « sociétés ouvertes » - Partie 1 et partie 2
- sur Cairn, un article de Bernard Valade tiré de la Revue française d'histoire des idées politiques et consacré à la théorie des élites de Vilfredo Pareto
vilfredo pareto
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Tour d'horizon... (263)
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Il y a 100 ans, mourait Vilfredo Pareto...
Nous reproduisons ci-dessous un article de Winfried Knörzer consacré à Vilfredo Pareto, cueilli sur le site d'Euro-Synergies, qui en a assuré la traduction, et initialement publié dans sa version originale sur le site de la revue allemande Sezession.
Il y a 100 ans, mourait Vilfredo Pareto. Winfried Knörzer nous rappelle l'importance de son oeuvre
Vilfredo Pareto (1848 - 1923) est un classique de l'économie politique et de la sociologie. Comme c'est souvent le cas avec les classiques, Pareto est souvent mentionné, mais rarement lu.
Les manuels d'histoire de la sociologie traitent de lui de manière obligatoire, mais la traduction française de son œuvre principale, Trattato di sociologia generale, qui se limitait de toute façon aux chapitres les plus importants, est épuisée depuis des décennies. Seul un recueil d'articles sélectionnés est actuellement disponible en Allemagne. Les efforts méritoires de Gottfried Eisermann dans les années 1960 pour faire connaître Pareto dans notre pays sont tombés à l'eau.
Pareto est encore populaire aujourd'hui grâce à l'une de ses nombreuses contributions à la théorie de l'utilité - la règle dite 80 : 20 (principe de Pareto). Exemple : si vous nettoyez une pièce encombrée de déchets, vous avez déjà mis de l'ordre à 80% avec 20% de l'effort total ; pour ranger les objets restants de manière judicieuse, un effort toujours plus important est nécessaire.
Les hypothèses de base de la théorie de l'utilité ont également influencé les travaux sociologiques ultérieurs de Pareto. Pour analyser les actions des personnes, il ne faut pas partir d'un homo oeconomicus construit de manière abstraite, qui s'oriente sur le marché uniquement en fonction du rapport entre l'offre et la demande, mais il faut observer les actions qui ont réellement lieu et essayer de comprendre leurs motivations. La notion d'utilité fait elle-même le lien entre l'économie et la sociologie ; il ne s'agit pas d'une donnée rationnelle, car l'"utilité" dépend du contexte.
Si l'on se penche sur le portrait intellectuel de Pareto, les zones d'ombre et de lumière apparaissent dans un contraste saisissant. Il a été ingénieur pendant vingt ans et a donc été particulièrement influencé par l'esprit positiviste de son époque. Les sciences naturelles étaient son modèle, c'est pourquoi il s'est toujours efforcé d'appliquer leur modèle de connaissance aux sciences sociales.
En tant que positiviste, il pensait qu'il était possible de découvrir une vérité objective en se débarrassant des préjugés de la doctrine dominante et de ses propres préjugés. Mais c'est précisément cette croyance qui l'a conduit au-delà du positivisme, puisqu'elle l'a amené à pousser la recherche de la vérité jusqu'à ses ultimes conséquences. Il a en effet découvert que l'action humaine était bien moins déterminée par la raison que ne le prétendait la science. Chaque ligne de son œuvre témoigne de son étonnement et parfois de son indignation face au fait que le monde n'est pas aussi raisonnable qu'il devrait l'être. Cette prise de conscience a eu deux conséquences : d'une part, elle lui a permis d'acquérir une vision du monde sans illusion et sans jugement de valeur, ce qui lui a permis de mettre à nu, par l'interprétation, les motivations qui sous-tendent les phénomènes sociaux. Cet art de l'interprétation fait la force de Pareto.
D'autre part, il a tenté d'extraire du chaos varié des actions non rationnelles un ordre analysable rationnellement sous la forme d'un système. Avec cette approche, il est cependant retombé derrière le positivisme, dans une taxinomie baroque avec des classifications confuses et des déductions abstruses.
Ce n'est pas grâce à sa théorie, mais en dépit de celle-ci, que Pareto est parvenu à ses conclusions révolutionnaires sur le fonctionnement des processus sociaux. Le système sociologique de Pareto est en quelque sorte la dérivation de ses connaissances intuitives. La faiblesse de la construction du système de Pareto apparaît déjà dans l'un de ses éléments centraux : la définition des résidus. Même les interprètes les plus bienveillants ont reproché à cette définition son manque de cohérence. Les résidus sont des complexes idéaux de motivation, souvent appelés simplement instincts par Pareto. Pareto interprète l'action sociale en la ramenant aux résidus qui la sous-tendent. Seuls les deux premiers résidus d'un groupe de six ont acquis une notoriété générale.
Le contenu de "l'instinct de combinaison" est relativement précis : il comprend une attitude progressive, la recherche de la nouveauté, l'audace, l'utilisation de la ruse et de la persuasion dans les relations humaines et de l'imagination dans le travail créatif. Cette disposition mentale s'incarne dans les idéaux-types du spéculateur en économie et du renard en politique. Ce résidu passe au premier plan dans les époques hautement civilisées. Lorsque ce type est parvenu au leadership, il règne par consensus.
La deuxième catégorie s'intitule "Persistance des agrégats". Elle est incarnée par les types du rentier et du lion. Le retraité vit de ses économies, de ses avantages, de ses privilèges ou d'autres revenus fixes et est donc réticent au changement ; il est passif et anxieux. Le Lion tire sa confiance en lui de sa force et de son agressivité ; il domine par la violence.
Cependant, les dispositions mentales des deux types s'excluent mutuellement : On ne peut pas être à la fois passif et agressif, prendre le pouvoir par la force et avoir peur du changement.
Malgré ce manque de précision définitionnelle, le génie de Pareto apparaît toutefois ici, car en distinguant ces deux types, il a anticipé presque mot pour mot celui de David Goodhart entre les "somewheres" et les "anywheres" : «Dans la première catégorie se trouvent les "enracinés", dans la seconde les "déracinés"».
Pareto a acquis une importance durable grâce à sa théorie des élites, dont l'originalité réside avant tout dans l'analyse de la circulation des élites. L'idée de la circulation des élites découle nécessairement des hypothèses théoriques de base de Pareto :
1) ce sont principalement les instincts qui déterminent l'action ;
2) chaque grand groupe délimitable, y compris la classe dirigeante, est composé de personnes ayant la même constitution instinctive ;
3) comme la constitution instinctive et donc le type d'homme de la classe dominante ne peuvent pas changer, la classe dominante ne peut changer que si le type d'homme jusqu'ici dominant est remplacé par un autre.
Au début de chaque nouveau cycle, il y a la violence. Un groupe d'individus agressifs (résidu de la "persistance des agrégats") s'est emparé du pouvoir par la conquête ou la révolution. La domination ne peut toutefois pas être maintenue durablement par l'utilisation de la violence nue. Elle doit être légitimée et se fonder sur le consentement de ceux qui sont soumis à la domination. Dans le même temps, l'économie commence à prospérer grâce à la paix civile et à la sécurité juridique.
Ces deux évolutions, l'établissement d'un consensus et la croissance économique, favorisent l'émergence d'un type d'homme caractérisé non pas par l'agressivité mais par l'intelligence (résidu de "l'instinct des combinaisons"). Les productions de discours et de biens gagnent en importance, et avec elles le type d'homme qui exerce ces activités. Celui-ci accède donc à la classe supérieure, mais est encore exclu de la domination politique proprement dite. Il existe donc dans la classe supérieure deux fractions distinctes : l'une dominante (les établis, qui règnent par l'épée) et l'autre dominée (les ascendants, dont le pouvoir repose sur leur force mentale ou leur richesse).
C'est maintenant qu'il faut décider si l'évolution future sera pacifique ou violente. Elle est pacifique lorsque certains membres de la faction dominante, particulièrement incompétents, quittent la société et que des membres de la faction dominée prennent la place laissée vacante par cooptation. La révolution survient lorsque la faction dominante se ferme complètement et, surtout, lorsqu'elle tente de maîtriser la situation par la carotte et le bâton.
Dans cette phase, la faction dominée se fait le porte-parole des couches dominées, inférieures. Elle utilise l'agressivité, la colère et la force numérique des classes inférieures comme instrument pour parvenir elle-même à la domination. Une fois cet objectif atteint, l'alliance est rompue et le Maure, qui a fait son devoir, est apaisé par quelques cadeaux et phrases. Les classes inférieures n'accèdent jamais au pouvoir en tant que telles, mais seulement la petite partie, l'élite, qui a déjà accédé à la classe supérieure.
La véritable lutte des classes ne se produit jamais que dans l'affrontement entre la fraction dominante et la fraction dominée au sein de la classe dirigeante.
Pareto a été courtisé par Mussolini dans la dernière année de sa vie, ce qui l'a exposé au soupçon de sympathie avec le fascisme. Mais : Pareto n'est ni de droite ni de gauche, mais un analyste de la société devenu cynique et incorruptible.
Il semble être de gauche parce qu'il dénonce impitoyablement les agissements des classes dirigeantes et leur exploitation du peuple.
Il semble être de droite parce qu'il méprise la faiblesse des décadents hypercivilisés qui reculent devant tout usage de la violence, et parce qu'il se moque de l'hypocrisie humaniste.
Winfried Knörzer (Euro-Synergies, 1er septembre 2023)
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Crise de l’énergie : deux heures moins le quart avant le désastre...
Nous reproduisons ci-dessous une tribune de François Bousquet, cueillie sur Boulevard Voltaire et consacrée au marché de l’énergie européen.
Journaliste, rédacteur en chef de la revue Éléments, François Bousquet a aussi publié Putain de saint Foucauld - Archéologie d'un fétiche (Pierre-Guillaume de Roux, 2015), La droite buissonnière (Rocher, 2017), Courage ! - Manuel de guérilla culturelle (La Nouvelle Librairie, 2020) et Biopolitique du coronavirus (La Nouvelle Librairie, 2020).
Crise de l’énergie : deux heures moins le quart avant le désastre
Ce qui préside à nos destinées, c’est le complot, mais un complot déconcertant : le complot de la médiocrité, la conjuration de l’incompétence, la conspiration de la nullité. On en a tous fait l’expérience dans nos vies professionnelles, quelles qu’elles soient. Souvent, les plus médiocres sont aux commandes. Quand ce n’est pas le cas, les meilleurs doivent se soumettre à l’étiage le plus bas. Les exceptions sont comme des anomalies. Combien de temps peut durer un système aussi structurellement défaillant ? Pas éternellement. L’Histoire est un cimetière d’aristocraties, enseignait le grand sociologue Vilfredo Pareto. La nôtre n’a pas encore été mise sous terre, mais ça ne saurait tarder. Aristocratie est du reste un bien grand mot. C’est plutôt un syndic de faillite, une collection de clones interchangeables, une « zéroligarchie » affectée d’un même défaut de fabrication et des mêmes vices cachés : prétention, arrogance, insuffisance.
Jusqu’ici, la nullité de cette caste était à toute épreuve, comme le chiendent, les infections nosocomiales, les OQTF ou les déficits abyssaux. Elle a résisté à la crise de 2008, au covidisme, aux crises migratoires à répétition, à la guerre en Ukraine. Survivra-t-elle à la crise de l’énergie ? Il est permis d’en douter. Nul besoin d’être un prophète pour annoncer que l’Union européenne se fissurera sous peu. La crise de l’énergie est son chef-d’œuvre technocratique. Un travail d’orfèvre du désastre qui a été méthodiquement programmé, minutieusement planifié, idéologiquement organisé.
L’État défaillant
Inutile d’accabler Poutine. Certes, l’Europe a délibérément choisi de se priver de 40 % de ses approvisionnements en gaz. Une folie. Mais c’est prêter au mage du Kremlin des pouvoirs qu’il n’a pas. La Russie aura surtout été un révélateur et un accélérateur. La crise de l’énergie a des racines plus profondes, plus malignes, plus structurelles. Vingt-cinq ans d’égarements, un quart de siècle d’aberrations, deux décennies et demie de balivernes et de chimères.
Sortons nos calculettes. Quand la facture d’un boulanger s’envole de 800 euros par mois à 10.000 euros, c’est une augmentation sèche de 1.150 % (jusqu’à 2.000 % pour certains). Comment expliquer cette hausse stratosphérique ? Tout indique qu’elle est artificielle, irrationnelle et factice. Pourquoi ? C’est qu’il est dans sa nature d’être d’abord spéculative. Tel est l’aboutissement, inscrit dans les archives des erreurs économiques, de la libéralisation du marché de l’énergie amorcée dans les années 1990. Ce devait être la panacée, suivant la croyance magico-religieuse dans les vertus immanentes de la concurrence libre et non faussée. Le marché de l’énergie européen devait être interconnecté, il est totalement déconnecté des coûts réels. Il devait être intégré, il est en train de nous désintégrer. Il devait tirer les prix vers le bas, il les tire vers le haut. Tout à l’avenant. Pas une décision qui ne se soit avérée pertinente. Partout l’imprévoyance, l’impréparation, le court-termisme. La politique funeste de la cigale, celle de la fourmi ayant été jugée par trop rétrograde.
En France, on se flatte de ne pas avoir de pétrole, on découvre qu’on n’a pas non plus de gaz. Pour autant, on n’a toujours pas d’idées. Quand on en a, c’est qu’on les a achetées à l’étranger, à des cabinets de conseil américains. Résultat : on construit des usines à gaz sans gaz et des voitures électriques sans électricité. Cela fait longtemps qu’il n’y a plus d’État stratège. Il a disparu quelque part entre le traité de Maastricht et le traité de Lisbonne, aspiré par ce trou noir administratif qu’est l’Union européenne. L’État stratège, c’est aujourd’hui McKinsey plus Greta Thunberg. Du vent facturé au prix d’un cabinet new-yorkais et de l’éolien acheté au prix des cryptomonnaies – avant leur déroute. Rien d’étonnant à cela. C’est la génération climat qui fixe notre politique énergétique ; et son moteur auxiliaire est la génération startupper. La première veut sauver la planète, la seconde la privatiser. Mais la planète s’en fout. Elle est résiliente. Elle a survécu à quantité de crises, elle en traversera d’autres. Pas comme nous.
Au choix : ubuesque ou kafkaïen
L’écologie est une chose trop grave pour la confier aux écologistes. Dans leur esprit, la physique nucléaire, c’est de la pataphysique pour les clowns. Remercions la crise. Sans elle, la France était partie pour « tchernobyliser » son parc de réacteurs. Dénucléarisés, les Verts en auraient fait des ZAD et des centres d’art contemporain. Ubu roi repeint en vert.
Mais si l’enfer écologique est pavé de bonnes intentions, l’enfer néolibéral l’est tout autant. La crise actuelle est à ce point de jonction. La Commission a même inventé la bureaucratie libérale, parfait oxymore (comme une prison ouverte ou la bêtise éclairée), en additionnant les tares du néolibéralisme et les vices du dirigisme. En Union soviétique, les apparatchiks organisaient la pénurie à partir d’une conception dévoyée de l’égalité. Dans l’UE, Bruxelles organise la pénurie au nom d’une conception dévoyée de la concurrence. Cela s’appelait le Gosplan, en URSS ; cela s’appelle, chez nous, le paquet climat. C’est la même chose. Les causes divergent, mais les effets convergent.
Ce qu’a dit Emmanuel Todd des élites françaises s’applique au niveau de l’UE. Ce sont des aristocraties stato-financières hors-sol « en mode aztèque », c’est-à-dire qu’elles sacrifient leur propre population sur l’autel de leurs croyances. Elles vivent au crochet de l’État – qu’elles dépècent. Elles ne jurent que par le marché – dont elles ignorent les règles.
Au demeurant, il ne s’agit pas d’être pour ou contre le marché. Le marché est une réalité. Il fonctionne quand il s’agit d’acheter une baguette, c’est du moins ce que proclamait le professeur Adam Smith, qui disait que ce n’est pas de la bienveillance du boulanger que nous attendons notre repas, mais plutôt du soin qu’il apporte à la recherche de son propre intérêt. Nous ne nous en remettons pas à son humanité, mais à son égoïsme, résumait-il. À voir. Demandez à votre boulanger ce qu’il en pense. La libéralisation des biens de première nécessité reste toujours aussi problématique, hier des grains, aujourd’hui de l’énergie. À la veille de la Révolution, elle a abouti à la guerre des farines. Aujourd’hui à la crise de l’énergie.
Le mirage ravageur de la libéralisation
La libéralisation est le cache-sexe de la financiarisation. Libéraliser, en bon sabir bruxellois, c’est ouvrir à la spéculation des domaines jusque-là sanctuarisés, ce qu’était naguère la souveraineté énergétique. Aucun acteur privé n’est susceptible de se lancer dans la construction de réacteurs, qui requièrent des investissements courant sur des décennies (plus de cinquante ans, pour l’hydraulique). Nous sommes ici au cœur du régalien, pas du reaganien, comme se plaisent à croire les eurocrates.
Privatisé, le marché du gaz est devenu totalement opaque, volatil et incontrôlable, sans d’ailleurs aucun contrôle de la part de l’UE. Savez-vous que la Bourse du gaz, aux Pays-Bas, n’est même pas soumise aux règles les plus élémentaires de transparence, alors qu’il s’y échange 100 fois plus de gaz que les Européens n’en consomment réellement. Il y a dix ans, c’était dix fois plus – ce qui était encore dix fois de trop.
Bienvenue chez les fous ! À Bruxelles, cela s’explique. Mais à Paris ? Quel intérêt la France a-t-elle à démanteler EDF ? Ce qu’elle projetait de parachever il y a un an avec le délirant plan Hercule (chef-d’œuvre du naming, comme disent les Anglo-Saxons. Quand on fait un vilain coup, on le baptise d’un nom ronflant, le projet Hercule consistant à transformer notre Gulliver national en unités lilliputiennes).
On aurait pu en rester là, mais non. Errare humanum est, perseverare diabolicum. Le vieux dicton romain s’applique à la lettre à nos dirigeants. Car en juillet de cette année, ce sera au tour des particuliers de voir leur facture énergie déréglementée. Dérèglement : rien ne résume autant notre situation. Il est climatique, énergétique, idéologique. C’est lui, et pas Poutine, qui explique les variations du prix de l’énergie en forme de montagnes russes – et c’est bien la seule chose qui, ici, soit russe.
François Bousquet (Boulevard Voltaire, 3 janvier 2023)
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Inégalités pour tous ?...
Le nouveau numéro de la revue Éléments (n°193, décembre 2021 - janvier 2022) est en kiosque!
A côté du dossier consacré aux inégalités, on découvrira l'éditorial d'Alain de Benoist, les rubriques «Cartouches», «Le combat des idées» et «Panorama» , un choix d'articles variés, des entretiens, notamment avec le sociologue et essayiste Mathieu Bock-Côté... Et on retrouvera également les chroniques de Xavier Eman, d'Olivier François, de Laurent Schang, d'Hervé Juvin, de Nicolas Gauthier, de Bruno Lafourcade, de Guillaume Travers, d'Yves Christen, de Bastien O'Danieli et de Slobodan Despot, ainsi que celle d'Ego Non consacrée à la philosophie politique...
Éditorial
La morale, on en meurt ! Par Alain de BenoistAgenda, actualités
L’entretien
Mathieu Bock-Côté Contre les nouveaux virus idéologiquesCartouches
L’objet politique : Fruit Of The Loom, l’arrivée des marques à l’école. Par Nicolas GauthierUne fin du monde sans importance. Par Xavier Eman
Cinéma : Blier, connais pas ! Par David L’Épée
Carnet géopolitique : Sahel, la France doit-elle partir ? Par Hervé Juvin
Champs de bataille : Hohenlinden, chant du cygne du général Moreau (I) Par Laurent Schang
Le rastaqueer. Par Bruno Lafourcade
Économie. Par Guillaume Travers
L’implacable douceur de Robert Walser. Le regard d’Olivier François
Bestiaire : théorie de l’esprit, la preuve par le chien. Par Yves Christen
Sciences. Par Bastien O’Danieli
Le combat des idées
Circus politicus : quand les clowns font de la politique. Par François BousquetPascal Rostain : premier voyeur de la République. Propos recueillis par Pascal Eysseric
La droitisation de la France en question : la parole à Eugénie Bastié Propos recueillis par Iseult Prullé-Rousseau
Jérôme Sainte-Marie : le peuple n’a pas dit son dernier mot. Propos recueillis par François Bousquet
La fièvre Carl Schmitt en Chine : les raisons d’un succès. Par Aristide Leucate
Actualités Carl Schmitt, « Kronjurist » de la Révolution Conservatrice. Par Aristide Leucate
Patrick Gilliéron Lopreno, méditations chtoniennes. Par David L’Épée
Chaumont-sur-Loire : quand l’art contemporain sait être généreux. Par Alix Marmin
Peter Watkins et la Commune, la Révolution ne sera pas télévisée… Par David L’Épée
Laurent James, le rire de Fernandel, une bénédiction céleste. Propos recueillis par Pascal Eysseric
La bibliothèque littéraire du jeune Européen. Par Anne-Laure Blanc
Tyll Ulenspiegel, l’éternel retour du joyeux vagabond saxon. Par Gérard Landry
Louis-Henri de La Rochefoucauld, du côté des Gilets jaunes. Propos recueillis par Nicolas Gauthier
Georges Dumézil, heur et malheur d’une épopée intellectuelle. Par Thomas Hennetier
Dossier
Inégalités pour tous ?
Penser l’égalité jusqu’au bout : comment le sociétal a vampirisé le social. Par Alain de BenoistFeu sur l’égalitarisme, les banderilles de Jean Cau. Par Pascal Eysseric
Oui aux inégalités, non à la précarité. Par Guillaume Travers
Jean Guilaine : aux origines des inégalités, le Néolithique ? Propos recueillis par Thomas Hennetier
Sans violence, pas de réduction des inégalités. Par Thomas Hennetier
Société marchande et égalité bourgeoise selon Marx. Par Denis Collin
Panorama
L’œil de Slobodan DespotQuand les choses nous utilisent . Par Slobodan Despot
La leçon de philo politique : Vilfredo Pareto. Faiblesse et déchéance des aristocraties. Par Ego Non
Heureux comme Ganesh en France ! Un reportage de Daoud Boughezala
Un païen dans l’Église : Saint-Parize-le-Châtel dans la Nièvre. Par Bernard Rio
C’était dans Éléments : L’esprit bourgeois. Par Alain de Benoist
Éphémérides
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Le réalisme politique : un art de l'action...
Vous pouvez découvrir ci-dessous une nouvelle vidéo d'Ego Non qui évoque le réalisme politique au travers de l’œuvre du Florentin Nicolas Machiavel, et, notamment, de son livre le plus célèbre, Le Prince.
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Pourrissement des élites : pour une analyse du cas français...
Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Denis Collin, cueilli sur le site La Sociale et consacré à la décomposition accélérée des élites françaises. Agrégé de philosophie et docteur ès lettres, Denis Collin est l’auteur de nombreux ouvrages consacrés à la philosophie, à la morale et à la pensée politique, dont Introduction à la pensée de Marx (Seuil, 2018) et Après la gauche (Perspective libres, 2018).
Pourrissement des élites
Pour une analyse du cas français
Il n’y a pas de société sans élite. Ce constat est désagréable pour tous ceux qui, comme moi, tiennent l’égalité pour une vertu fondamentale. Mais c’est un fait. Nous ne pouvons guère nous passer de chefs capables de prendre des bonnes décisions sans trop tergiverser, de penseurs qui voient un peu plus loin que le bout de leur nez. Aucun État ne peut se passer d’un corps de fonctionnaires compétents, intègres et connaissant les lois et les techniques de l’administration. Qu’on le veuille ou non, toutes ces tâches ne peuvent être exercées par tous. Pour devenir un bon médecin, il faut beaucoup de temps et de connaissances et personne ne peut s’improviser médecin.
Le problème est bien connu : comment concilier l’idéal démocratique avec la nécessité que les élites gouvernent de fait. Il doit demeurer un libre jeu, conflictuel, entre le peuple et les grands, pour parler comme Machiavel. Les lois fondamentales doivent être adoptées par le peuple tout entier et les élites doivent être élues par le peuple et doivent lui rendre des comptes. La république idéale n’a pas d’autres principes. Le problème tient à ce que dans une société divisée en classes sociales aux intérêts divergents et même antagonistes, les élites sont sélectionnées par leur compétence, mais aussi et surtout par leur origine sociale. Ceux d’en haut finissent en haut ! Vilfredo Pareto a consacré un travail monumental à cette question en montrant les difficultés de la sélection des élites et la nécessité de la circulation des élites.
Si nous revenons maintenant à la situation française, il faut faire un constat terrible : celui de la décomposition accélérée des élites. En rajeunissant le personnel politique et en contribuant à l’éjection d’une bonne partie de la vieille classe politique, le macronisme a mis en lumière l’extraordinaire effondrement du niveau intellectuel des élites instruites dans notre pays. La bêtise crasse, la vulgarité, l’absence de tout sens moral et l’incompétence accablante dominent ces nouvelles élites, cette classe des « crétins éduqués » si bien caractérisée par Emmanuel Todd. Chaque jour, presque chaque heure, un des personnages haut placés du gouvernement profère quelque énormité qui va alimenter les réseaux sociaux. La porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye excelle dans ce domaine, mais elle s’est tout simplement mise dans les pas de son « Jupiter » dont les petites phrases sur les gens qui ne sont rien, les chômeurs qui n’ont qu’à traverser la rue, etc. ont donné le ton général. Lallement et Castaner, Aurore Bergé et Amélie de Montchalin, Élisabeth Borne qui les a dépassées (les bornes) en niant la nécessité pour les éboueurs d’avoir des masques, cette députée LREM, médecin de son état, qui affirme que gouvernement a volontairement menti sur les masques pour mieux obliger les Français à se laver les mains : la galerie des monstres n’en finit pas.
Transformations sociales du mode de production capitaliste
Il serait absurde de penser qu’un hasard malencontreux a permis à cette assemblée de prendre le pouvoir. Contrairement à l’idée que 99 % des citoyens s’opposeraient à 1 % de salopards, il faut admettre que la stratification sociale, les modes de formation et l’évolution technologique ont produit ces gens.
La France, c’est bien connu maintenant et nous le vérifions cruellement ces jours-ci, est un pays largement désindustrialisé — à la différence de nos voisins allemands et italiens (on oublie que la deuxième puissance industrielle de l’UE n’est pas la France, mais l’Italie). La désindustrialisation affaiblit le poids des élites scientifiques et techniques. À l’époque des Trente Glorieuses, l’appareil d’État était dominé par les « grands corps » issus des prestigieuses écoles d’ingénieurs (Polytechnique, Mines, Ponts et Chaussées). Ces gens n’étaient forcément des modèles d’humanisme ni d’humanité, mais au moins on peut présumer qu’ils savaient de quoi ils parlaient. En outre, leur existence sociale dépendait de l’existence d’une industrie forte et de la pérennité des orientations stratégiques de l’État. L’orientation vers les services et le commerce au détriment de l’industrie date de Giscard d’Estaing, grand européiste. Elle sera poursuivie par Mitterrand, en dépit de velléités contraires entre 1981 et 1983 et par tous les gouvernements successifs depuis. Macron n’est que l’aboutissement d’un héritage particulièrement lourd.
La délocalisation massive de la production vers les pays à bas coûts de main-d’œuvre se projette dans l’ensemble du corps social. Les ouvriers et les techniciens de l’industrie ont vu leurs effectifs fondre. Des pans entiers de l’industrie (textile, sidérurgie, électroménager) ont quasiment disparu. Les automobiles « françaises sont massivement fabriquées en dehors de nos frontières, notamment pour les petites citadines et gammes moyennes sur lesquelles la marge de profit est plus faible quand elles restent fabriquées en France. Est apparue une nouvelle classe moyenne supérieure de managers, commerciaux, communicants, DRH, etc. dont les compétences techniques et scientifiques sont nettement moindres, mais dont l’arrogance surpasse bien vite les pires des anciens élèves de l’X. Cette classe moyenne supérieure mène une vie aisée. Ses enfants trustent les bonnes écoles. Elle parle systématiquement une langue qui mélange des restes de français avec le globish. Elle comporte plusieurs millions d’individus. Certains sont directement des profiteurs de ce nouveau système et beaucoup d’autres sont seulement des aspirants, mais qui veulent y croire parce qu’ils pensent qu’ils le valent bien. Cette classe supérieure (entre la moyenne supérieure et la vraiment supérieure) est généralement “progressiste” : elle aime le “high tech”, les voyages, la communication et ne souhaite pas trop s’encombrer de restrictions. Elle est aussi souvent sympathisante de la cause animale, et elle est favorable au multiculturalisme avec d’autant plus de ferveur qu’elle vit dans ses propres quartiers, notamment les centres-villes “gentrifiés”. Point commun : la haine des “gilets jaunes”, ces ploucs qui fument et roulent au gazole, comme l’avait dit un certain ancien ministre, le sieur Benjamin Grivaux, disparu prématurément de la scène politique pour avoir voulu faire concurrence à Rocco Siffredi…
Des sociologues comme Christophe Guilluy ou des politologues comme Jérôme Sainte-Marie ont commencé d’analyser ces transformations sociales, mais c’est un travail qu’il faudrait poursuivre afin d’en comprendre toutes les implications.
L’éducation nouvelle et la fin de la culture générale
La culture générale a toujours eu pour finalité la formation intellectuelle des classes dominantes. De Gaulle le disait clairement : “La véritable école du commandement est la culture générale. Par elle, la pensée est mise à même de s’exercer avec ordre, de discerner dans les choses l’essentiel de l’accessoire (…) de s’élever à ce degré où les ensembles apparaissent sans préjudice des nuances. Pas un illustre capitaine qui n’eût le goût et le sentiment du patrimoine et de l’esprit humain. Au fond des victoires d’Alexandre, on retrouve toujours Aristote.” Tout est dit ! C’est pour cette raison que le mouvement ouvrier traditionnel a toujours revendiqué pour les prolétaires l’accès à cette “école du commandement”. Dans les écoles de formation des partis “marxistes” on faisait lire Marx et Engels, mais aussi Balzac et Hugo. On y vénérait l’histoire autant que la poésie.
À partir du moment où le gouvernement cède la place à la gouvernance, où la communication envahit tout le champ public autant que privé — ce qui commence au début du XXe siècle — la culture générale authentique n’est plus d’aucune utilité. Symbolique : la suppression de l’épreuve de culture générale à l’entrée de Sciences Po Paris — une école “prestigieuse” qui depuis longtemps n’était le plus souvent que “science pipeau”. La politique n’a plus besoin de culture, comme la direction de l’industrie n’a plus besoin d’ingénieurs. Une classe dirigeante cultivée peut être aussi cruelle et cynique qu’une classe dirigeante inculte — si la culture avait un rapport quelconque avec le bien, on le saurait. Mais une classe dirigeante inculte n’a aucun sens des perspectives d’avenir, y compris de son propre avenir. L’enseignement des vertus ayant complètement disparu, il ne peut plus en émerger quelque grand homme, quelque visionnaire.
Toutes les “réformes” de l’école depuis 1968 ont eu comme principale finalité l’abaissement du contenu des disciplines enseignées, entraînant l’indifférence croissante à l’idée de vérité objective. Tout bon communicant le sait : la vérité n’existe pas, elle n’est que ce que l’on parvient à faire croire. La pédagogie n’est rien d’autre qu’une technique de persuasion. L’idée n’est pas neuve. Elle est propre au système totalitaire, ainsi que l’a bien montré Hannah Arendt — on peut lire avec profit son livre sur Du mensonge à la violence. La fin de la culture générale implique également la fin du rapport au passé. Ce qui est inscrit d’une manière ou d’une autre dans l’idéologie du “progressisme” s’impose avec d’autant plus de perfidie qu’on multiplie les commémorations qui n’ont pas d’autre fin que de réécrire le passé, comme le fait Winston dans 1984.
L’élite gouvernante réunie derrière la figure de Macron — on a maintes fois raconté comment Macron a été choisi par l’élite tant étatique (inspection des finances) que capitaliste — est à la fois inculte (il suffit d’avoir entendu Macron essayer de s’élever spirituellement pour comprendre pourquoi il n’a pas passé l’agrégation de philosophie) et douée pour le baratin. Ils font tous immanquablement penser à un vendeur de voitures d’occasion, ce qui est un peu injuste pour les vendeurs de voitures d’occasion. Dans l’attitude de ces gens dans la crise du coronavirus il y a une part d’affolement devant une situation qui les dépasse, parce qu’il faut faire autre chose que de la communication et que les manuels de résolution de problèmes n’indiquent pas la procédure à suivre.
Ce qui atteint les classes dominantes rejaillit sur les classes dominées. On le sait depuis longtemps, ce sont souvent les intellectuels issus des classes dominantes qui ont apporté leurs armes aux dominés. Marx et Engels n’étaient pas des gros producteurs de plus-value ! Au lieu de ces mouvements des classes dominantes vers les classes populaires, nous avons aujourd’hui une “rébellion” organisée, patronnée, financée par les grands capitalistes qui y voient une opportunité commerciale autant qu’une idéologie parfaitement adéquate à leur monde, les mouvements “anti-discrimination” de tous les cinglés de la Terre, féministe 2.0, LGBTQ+++, décoloniaux de tous poils et amis des islamistes qui trustent les postes à l’Université, organisent les colloques les plus déments sur fonds publics et organisent la chasse aux sorcières contre ceux qui gardent un peu de bon sens.
Ce qui a disparu, ainsi que l’a très bien montré Diego Fusaro, c’est la “conscience malheureuse”, c’est-à-dire l’existence au sein de la classe dominante de la conscience de la contradiction entre les idéaux intellectuels et moraux au nom desquels elle a instauré sa domination (liberté, égalité, fraternité) et la réalité de cette domination. Tous ces ressorts de la vie sociale qui expriment la “force de la morale” [1] ont été progressivement supprimés. Entre un moralisme puritain et anxiogène et la destruction du “Surmoi” (au sens freudien), on aurait dû trouver une juste mesure. La critique du moralisme s’est transformée en critique de la morale et en apologie du “style décomplexé”. Sarkozy avait fait l’éloge de la “droite décomplexée”. Que veut dire “être décomplexé” ? C’est assez simple : mentir sans même avoir honte quand on se fait prendre la main dans le sac, n’avoir aucune compassion réelle pour les plus faibles, sauf, si c’est utile de manifester une compassion feinte qui n’entraîne aucune action, mépriser ceux qui se trouvent plus bas dans l’échelle sociale (les fameuses “gens qui ne sont rien”), et plus généralement refuser toute contrainte d’ordre moral et considérer que la réussite en termes d’argent est le seul critère qui vaille. Dans un tel monde, la corruption et les passe-droits sont normaux. Un Benalla est protégé et peut faire ce qu’il veut. Les titulaires de fonctions politiques se considèrent comme les propriétaires des lieux qu’ils occupent — voir le couple Macron à l’Élysée. Cette pourriture se propage de haut en bas — la soumission totale ou presque de la magistrature au pouvoir exécutif en est un exemple. “Le poisson pourrit par la tête” dit un proverbe.
Certes, rien de tout cela n’est vraiment neuf. Les scandales émaillent la vie de toutes les républiques. Mais ce qui est nouveau, c’est qu’il n’y a même plus de scandale. L’immoralisme a pignon sur rue et ceux qui invoquent la morale ne sont plus craints, mais traités comme des niais incurables, reliquats du “monde d’avant”. On a légalisé l’euthanasie obligatoire pendant cette crise sanitaire sans qu’il y ait le moindre débat et sans qu’on entende la moindre protestation. La vie humaine a un coût, n’est-ce pas. Et si cela passe aussi facilement, c’est que les esprits sont préparés depuis longtemps, parce que, depuis longtemps, règne le “tout est possible” — un slogan dont Hannah Arendt avait montré qu’il est un des slogans du système totalitaire.
Tous les pays d’Europe ne sont pas également atteints par ce mal qui décompose les élites françaises. Le contrôle de la morale publique reste assez fort dans les pays protestants d’Europe du Nord. Plus généralement, le parlementarisme aide à réfréner les délires des puissants, y compris dans un pays où la corruption est endémique comme l’Italie. La France qui se pensa jadis comme le phare intellectuel et politique de l’Europe, est aujourd’hui dans la pire des situations. “Ma France”, celle de Jean Ferrat peine à survivre sous le tas de fumier de la caste. Pourtant, il reste un peu d’optimisme. Emmanuel Todd dit les choses à sa manière : les classes supérieures ont bloqué l’ascenseur social, donc les meilleurs éléments des classes populaires restent “en bas” et donc logiquement la bêtise se concentre en haut ! Voilà où est l’espoir.
Denis Collin (La Sociale, 5 avril 2020)
Note :
[1] Voir La force de la morale par Denis Collin et Marie-Pierre Frondziak, à paraître à l’automne 2020 aux éditions « Rouge et Noir ».