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  • Alain de Benoist : « Le RN n’est pas en train d’unir les droites, mais d’absorber ses concurrents »

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien avec Alain de Benoist, cueilli sur Breizh-Info, dans lequel celui-ci donne sa lecture de la victoire du RN aux élections européennes et de la dissolution de l'Assemblée nationale par le président de la République.

    Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Contre le libéralisme (Rocher, 2019),  La chape de plomb (La Nouvelle Librairie, 2020),  La place de l'homme dans la nature (La Nouvelle Librairie, 2020), La puissance et la foi - Essais de théologie politique (La Nouvelle Librairie, 2021), L'homme qui n'avait pas de père - Le dossier Jésus (Krisis, 2021), L'exil intérieur (La Nouvelle Librairie, 2022) et, dernièrement, Nous et les autres - L'identité sans fantasme (Rocher, 2023).

     

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    Alain de Benoist : « Le RN n’est pas en train d’unir les droites, mais d’absorber ses concurrents »

    Breizh-info.com : Que pensez-vous de la décision du président Macron de dissoudre l’Assemblée ? Y voyez-vous une mesure nécessaire ou un signe d’instabilité politique ?

    Alain de Benoist : C’était surtout une mesure inévitable. Après un tel désastre électoral, comment Macron aurait-il pu rester silencieux ? Je n’y vois pas un signe d’instabilité politique, mais plutôt l’aboutissement somme toute logique d’un processus de recomposition entamé depuis plus de quinze ans. Ce serait en tout cas une grave erreur de voir dans le résultat des élections européennes un simple mouvement de colère passager. Le diagnostic a été posé depuis longtemps. Depuis la révolte des Gilets jaunes, pour ne pas remonter plus haut, Emmanuel Macron a cristallisé sur sa personne une défiance et une hostilité d’une ampleur jamais vue. Avec une industrie qui ne représente plus que 10 % du produit intérieur brut, un endettement de 3000 milliards, un service de la dette qui dépasse 55 milliards par an, 5 millions de chômeurs et 9 millions de pauvres, sans oublier une immigration de masse voulue par le grand patronat qui est perçue partout comme synonyme d’insécurité, les gens ordinaires réalisent que le système est entré dans une phase terminale. Le processus s’est seulement accéléré, grâce à un effet de cliquet qui s’est traduit par un « saut qualitatif brusque » à la suite de quoi les plaques tectoniques se sont mises à bouger. C’est en cela que le vote des européennes peut être qualifié d’historique.

    Breizh-info.com : Le RN a récemment remporté un succès important lors des élections. Quels sont les facteurs qui, selon vous, ont contribué à cette augmentation du soutien au RN ?

    Alain de Benoist : Je viens de l’indiquer. La cause principale du succès du RN, par-delà le discrédit global dont fait l’objet la classe politique dominante, est le véritable schisme qui oppose aujourd’hui un nombre toujours plus grand de citoyens au « monde d’en-haut ». Les fractures sociales et politiques à l’œuvre partout en Europe, mais plus spécialement encore en France, font que la majorité des citoyens ne parlent plus la même langue que les catégories intégrées ou supérieures. C’est une situation dont l’enjeu est existentiel. Le « bloc central » a perdu toute crédibilité du fait de son incapacité à tenir ses promesses et à regarder en face la réalité. Le premier ressort du vote est un profond sentiment de déclin social que Christophe Guilluy a depuis longtemps décrit.

    Jordan Bardella a obtenu deux fois plus de voix que la « majorité présidentielle », qui ne représente plus que 15 % des suffrages (et seulement 8 % des inscrits) ! Il est arrivé en tête dans toutes les régions, dans 94 % des communes et dans toutes les classes d’âge, y compris les jeunes et les retraités. On peut donc parler de généralisation sociologique. Au vu d’un tel rapport de forces, prétendre, comme le fait Emmanuel Macron, que tous ceux qui ne partagent pas ses vues appartiennent aux « extrêmes » n’est tout simplement pas crédible. « Extrême-droitiser » les revendications de plus de 50 % des Français revient en fait à légitimer l’extrême droite !

    Breizh-info.com : Comment pensez-vous que les prochaines élections législatives vont remodeler le paysage politique français?

    Alain de Benoist : Logiquement, le résultat des législatives devrait confirmer, voire amplifier, le scrutin des européennes. Il y a certes de grandes différences entre une seule élection à un tour et 577 élections à deux tours et au scrutin majoritaire, mais il est tout aussi évident que toutes les élections, quelles qu’elles soient, se transforment aujourd’hui d’emblée en référendum pour ou contre Emmanuel Macron. La compétition oppose désormais trois blocs. Mais le bloc majoritaire, en l’occurrence le bloc populaire porté par le Rassemblement national, est très uni, tandis que les deux autres sont à la fois minoritaires et divisés. A bien des égards, nous assistons en direct à la fin du macronisme.

    Certains semblent penser que l’union des droites qu’ils appellent de leurs vœux est en train de se réaliser. Ce n’est pas mon avis. Le RN n’est pas en train d’unir les droites, mais d’absorber ses concurrents. Le mouvement Reconquête ! a déjà explosé sous l’effet des rivalités entre Zemmour et Marion, ce qui était prévisible, tandis que les Républicains poursuivent leur descente aux enfers : les uns sont voués à s’associer au RN, les autres à devenir les supplétifs de Macron, tandis que ceux qui ne veulent ni de l’un ni de l’autre finiront dans les poubelles de l’histoire. Au demeurant, ma conviction profonde est que l’avenir du RN ne passe pas par l’union des droites, mais par l’effondrement du centre.

    Breizh-info.com : Parallèlement à la montée du RN, nous assistons à une augmentation du soutien aux factions d’extrême gauche. Quels sont, selon vous, les moteurs de cette évolution parallèle ?

    Alain de Benoist : Pas plus que je n’ai cru dans le passé au « plafond de verre » ou à la pérennité du « cordon sanitaire », je ne crois aujourd’hui au « péril rouge ». Le Nouveau Front populaire n’est qu’un médiocre avatar de la Nupes, et la mise au point en catastrophe d’un « programme » censé convenir à la fois à Glucksmann et à Raphaël Arnault, à Hollande et à Philippe Poutou, est tout simplement grotesque. Les processions de convulsionnaires qui se déroulent actuellement dans la rue relèvent de la stratégie des castors (« faire barrage » à l’extrême droite), ce qui les fait surtout apparaître comme des dinosaures. Ces gens-là, qui ne conçoivent la marche en avant qu’en ayant le regard braqué sur leurs rétroviseurs, n’ont plus rien à dire sinon hurler au « retour du fascisme » à une époque où la majorité des gens sont surtout préoccupés, non d’un « fascisme » inexistant mais de ces réalités bien concrètes que sont l’insécurité grandissante, la baisse du pouvoir d’achat, l’exclusion sociale et la généralisation de la précarité.

    Le Nouveau Front populaire ne peut en fait avoir qu’un seul espoir, celui d’empêcher le Rassemblement national d’atteindre la majorité absolue à l’issue du second tour. Ce qui ne fera qu’accélérer la marche au chaos.

    Breizh-info.com : Comment pensez-vous que ces changements politiques affecteront la société française en termes de cohésion sociale et de politique publique ?

    Alain de Benoist : Tout dépend de la façon dont se déroulera la cohabitation si cohabitation il doit y avoir, et de ce que Jordan Bardella voudra et surtout pourra faire. Le calcul d’Emmanuel Macron repose sur l’idée qu’il est toujours très difficile pour le Premier ministre d’un régime de cohabitation de mettre en œuvre la politique qu’il entend suivre. Il pense donc que, confronté aux échéances, le Rassemblement national multipliera les échecs, fera la preuve de son incompétence et se discréditera peu à peu. Son éventuel succès aux législatives serait ainsi la garantie paradoxale de sa défaite à la présidentielle. L’hypothèse n’est pas à exclure : Bardella aura contre lui le chef de l’Etat, le Conseil constitutionnel, l’Union européenne, la Cour européenne des droits de l’homme, le gouvernement des juges et les marchés financiers, ce qui fait beaucoup. Je pense néanmoins que des parades sont possibles. La décision macronienne de dissoudre l’Assemblée nationale reste un coup de poker ou, si l’on préfère, un pari pour le moins risqué.

    Breizh-info.com : Quel impact pensez-vous que ces changements politiques en France auront sur ses relations avec l’Union européenne ?

    Alain de Benoist : L’Union européenne sort plutôt affaiblie des résultats de l’élection européenne que nous venons de vivre. Les incertitudes auxquelles elle est confrontée sont certainement appelées à s’accroître. Mais je ne crois pas que les rapports de force vont, dans l’immédiat, y être modifiés d’une façon vraiment substantielle. Il en irait différemment si ce qui vient de se passer en France se produisait aussi dans plusieurs autres grands pays d’Europe.

    Breizh-info.com : Comment décririez-vous le sentiment actuel de l’opinion publique française à l’égard de ses institutions et de ses dirigeants politiques ? Doit-on craindre un retour, à haut niveau, à la violence politique dans les prochaines semaines ?

    Alain de Benoist : Une intensification de la violence est en effet très possible. Mais de quelle violence parle-t-on et où commence-t-elle exactement ? Relire à ce propos les Réflexions sur la violence de Georges Sorel. Ou bien les Essais sur la violence de Michel Maffesoli, qui montre bien que la violence peut être tout à la fois destructrice et créatrice (Marx y voyait la grande « accoucheuse » de l’histoire). La peur de la violence conduit souvent à accepter ou légitimer des choses bien pires que la violence. Il est plus réaliste d’admettre que, dans certaines circonstances, l’épreuve de force est inévitable.

    Breizh-info.com : Quel regard portez vous enfin sur la fracture, la sécession de fait, actée, validée, entre les métropoles et la ruralité, entre plusieurs populations qui manifestement, ne peuvent et ne pourront désormais plus vivre ensemble ?

    Alain de Benoist : Nous vivons aujourd’hui des formes nouvelles de tribalisation et d’« archipélisation » (Jérôme Fourquet). La cause essentielle en est que les formes organiques de vie communautaire ont été systématiquement détruites par la modernité. La société prime désormais sur la communauté, et cette société est une société d’individus. Pour les libéraux, toute analyse de la vie sociale relève de l’individualisme sociologique. L’idéologie des droits de l’homme, qui est la religion civile de notre temps, professe pareillement que les pouvoirs publics doivent faire droit à toutes les revendications individuelles, ce qui aboutit nécessairement à la guerre de tous contre tous.

    Au-delà de toutes ces divisions, on repère néanmoins des entités relativement stables, parmi lesquelles je placerai l’opposition entre la France périphérique et les grandes métropoles mondialisées, entre les somewhere et les anywere, ceux qui ont encore un mode de vie enraciné et ceux qui se veulent « citoyens du monde ». Cette opposition est le fruit de la sécession des élites, à laquelle a répondu la « sécession de la plèbe » (secessio plebis). Le processus est là aussi engagé de longue date. Il sera passionnant de voir comment cela va évoluer.

    Alain de Benoist, propos recueillis par Yann Vallerie (Breizh-info, 19 juin 2024)

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  • Démographie et multiculturalisme...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de David Engels, cueilli sur le Visegrád Post et consacré aux questions de démographie et d'homogénéité ethno-culturelle.

    Historien, spécialiste de l'antiquité romaine, David Engels, qui est devenue une figure de la pensée conservatrice en Europe, est l'auteur de deux essais traduits en français, Le Déclin. La crise de l'Union européenne et la chute de la République romaine (Toucan, 2013) et Que faire ? Vivre avec le déclin de l'Europe (Blauwe Tijger, 2019). Il a également dirigé un ouvrage collectif, Renovatio Europae - Plaidoyer pour un renouveau hespérialiste de l'Europe (Cerf, 2020).

     

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    « Size matters » ? La démographie déclinante de la Pologne dans le contexte européen

    Il y a quelques jours, les médias ont rapporté que, malgré les efforts considérables de son gouvernement, la Pologne continue d’afficher une tendance démographique à la baisse : par rapport à 2020, la population a diminué de 115 000 personnes, et le nombre de naissances est aussi faible qu’il l’était pour la dernière fois il y a 17 ans. Que signifie cette évolution, qui est considérée par de nombreux opposants au gouvernement comme la preuve de l’« échec » des politiques natalistes et anti-avortement du gouvernement conservateur ?

    Tout d’abord, il convient de souligner que la Pologne s’inscrit tout à fait dans la tendance des autres pays de l’UE pour l’année 2020 : l’Allemagne, la France et de nombreux autres pays ont également connu une baisse analogue des naissances. L’explication est simple : une pandémie accompagnée d’un confinement de la population, d’une surpopulation dans les hôpitaux, d’une fermeture des écoles et de la crainte des conséquences désastreuses du lockdown pour l’économie est certainement tout sauf un moment idéal pour mettre des enfants au monde – que ce soit en Pologne, en Allemagne ou en France. Mais le problème est plus profond, car l’ensemble du monde occidental souffre d’un déclin démographique rampant depuis des décennies.

    Les explications sont multiples : déclin de la foi religieuse, attitude hédoniste face à la vie, désir de développement personnel radical, banalisation de l’avortement, féminisme extrême, conséquences de la propagande sur le changement climatique, crise de la masculinité, disparition du mariage, nécessité pour les deux partenaires de travailler pour gagner leur vie, effets du culte de l’« éternelle jeunesse », etc. Mais toutes ces raisons ne sont que des symptômes superficiels d’un fait beaucoup plus profond : toutes les civilisations, lorsqu’elles atteignent leur stade final, connaissent un déclin démographique progressif, et nous pouvons observer des tendances similaires en Égypte au début de la période ramesside au XIIIe siècle avant Jésus-Christ, en Chine à la fin de la période des « États combattants » au IIIe siècle avant J.-C., dans le monde gréco-romain de la République tardive au Ier siècle avant J.-C., dans l’Iran sassanide tardif du VIe siècle de notre ère, ou dans le monde islamique post-classique du Xe siècle de notre ère.

    Si l’on considère les civilisations par analogie avec les êtres vivants, tôt ou tard, elles sont toutes condamnées à décliner, à mourir, à se fossiliser, et à mesure que la vigueur de la civilisation diminue, le désir de transmettre les traditions ancestrales à ses enfants s’estompe. Pourquoi une personne qui ignore, méprise ou même déteste son propre passé (et ces personnes sont de plus en plus nombreuses, grâce aux écoles, universités et médias politiquement corrects) voudrait-elle transmettre ses traditions culturelles à ses descendants – ou même avoir des enfants?

    Lorsque j’ai discuté avec une dame allemande lors d’une conférence il y a quelques années, elle m’a pratiquement reproché d’avoir des enfants, affirmant que les « Européens » avaient commis de telles atrocités dans leur histoire que c’était un signe de colonialisme et d’égoïsme que d’avoir sa propre progéniture, plutôt que d’adopter des enfants d’Afrique ou d’Asie, ou – afin de lutter pour la « neutralité climatique » – de s’en passer complètement. Lorsqu’une société entière pense de cette façon – et c’est maintenant le cas de beaucoup de citoyens, pas seulement en Allemagne – les civilisations se fossilisent et s’éteignent : non seulement par manque d’enfants, mais aussi par manque d’amour pour leur propre histoire et leur tradition. Il ne reste qu’une masse anonyme de personnes qui ne pensent qu’à leur propre intérêt matériel et ne peuvent ressentir aucune solidarité culturelle entre elles.

    Mais comment se fait-il que la Pologne et les autres États de la zone du trimarium soient particulièrement touchés par ce déclin démographique et donc aussi culturel ? Cela signifie-t-il même que l’Est de l’Europe est moins disposé à vivre que l’Ouest ? Ce serait probablement une erreur. D’une part, il faut garder à l’esprit que le déclin démographique de l’Europe de l’Est n’est pas seulement dû à la natalité, mais aussi au simple fait que de nombreuses personnes de l’Est se rendent à l’Ouest pour y travailler durement (et donc sans enfant) pendant plusieurs années et profiter des salaires plus élevés, et ne rentrent chez elles que plus tard – voire pas du tout. Mais d’autre part – et cela me semble central – les pays d’Europe de l’Est se caractérisent par une grande homogénéité de leur population, tandis que l’Ouest est de plus en plus peuplé de personnes issues des mondes subsaharien et musulman.

    Il est bien connu que ces personnes ont nettement plus d’enfants que les habitants « autochtones », non seulement au début, mais souvent aussi après plusieurs générations, et cela explique aussi la différence entre les deux moitiés de l’Europe : plus la nation est homogène et « européenne », moins il y a d’enfants désormais ; plus elle est « multiculturelle », plus il y en a : il n’est pas étonnant que la France et l’Angleterre aient une natalité élevée, mais plus on regarde vers l’Est et le Sud-Est, plus la démographie diminue.

    Maintenant, bien sûr, la question se pose de savoir quels seront les effets de cette dépopulation progressive. Une faible population signifie-t-elle nécessairement que son propre peuple sera dominé par ceux qui sont plus nombreux ? Pas nécessairement, ou du moins pas immédiatement : lorsque les Espagnols ont conquis les Amériques au XVIe siècle, ou lorsque les Anglais et les Français ont colonisé de grandes parties de l’Afrique et de l’Asie au XIXe siècle, ils étaient bien moins nombreux que les indigènes. Ils avaient cependant un avantage fondamental que l’Europe d’aujourd’hui a perdu : leur énorme supériorité technique. C’est également la voie empruntée par une autre société en déclin, celle des Japonais ; au lieu de compter sur l’immigration massive, ils investissent massivement dans les technologies du futur afin de maintenir un niveau de vie et une influence politique constants. Mais nous devons également considérer d’autres aspects.

    Auparavant, les Européens étaient convaincus de leur mission dans ce monde et avaient des sociétés fortes et cohérentes qui soutenaient la croissance et l’expansion. Aujourd’hui, la majeure partie de l’Europe est encore traumatisée par les horreurs de la Seconde Guerre mondiale et renonce non seulement à toute forme d’expansionnisme ou même de violence physique, mais même à la défense de sa propre survie, préférant acheter la paix et la tranquillité à court terme avec de l’argent plutôt qu’avec du respect – et sacrifier pour cela les générations suivantes.

    Et, bien sûr, il y a le problème de la pression démographique que subit l’Europe, non seulement de l’extérieur, mais aussi de l’intérieur, en raison de sa « culture de l’accueil » qui remonte déjà à des décennies, mais qui a été renforcée de manière drastique par le gouvernement Merkel : la population des Européens de souche diminue de façon spectaculaire, tandis que le nombre d’immigrants augmente rapidement, de telle sorte que dans de nombreuses villes d’Europe occidentale, les immigrants et leurs descendants constituent déjà la nette majorité de la population, surtout dans les groupes d’âge les plus importants, c’est-à-dire les jeunes. Compte tenu de l’absence apparente d’intégration culturelle dans la culture occidentale, cela signifie qu’au long terme, il sera de plus en plus difficile d’attendre une quelconque forme de solidarité entre les habitants de ce continent, car la solidarité se fonde généralement sur un certain nombre d’éléments culturels communs tels que l’histoire, la langue, la religion, le patriotisme, le folklore, les caractéristiques nationales et régionales ou une vision très spécifique de l’individu ou de la famille.

    Ces facteurs d’identité commune ont aujourd’hui largement disparu, et de nombreux pays, comme la France, la Belgique, les Pays-Bas et le Royaume-Uni, se sont transformés en sociétés tribalisées. Tant que l’économie reste stable et que les pressions démographiques extérieures sont maîtrisées, même une société aussi fragmentée peut raisonnablement survivre. Mais dès que des conflits internes éclatent à propos de la répartition de richesses décroissantes et que les frontières extérieures ne sont plus défendues, cela conduit inévitablement à la catastrophe. Et c’est exactement ce qui se passe en ce moment.

    En conclusion, il est donc peut-être plus sûr pour une nation européenne d’avoir une population décroissante, mais homogène et solidaire, qu’une population croissante, mais multiculturelle et déchirée à l’intérieur d’elle-même.

    David Engels (Visegrád Post, 15 avril 2021)

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  • Education : le grand abandon...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Pierre Le Vigan, cueilli sur Voxnr et consacré à l'éducation. Pierre Le Vigan vient de publier, aux éditions de La Barque d'or, un essai intitulé La banlieue contre la ville, disponible sur le site La barque d'or.

     

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    Education : le grand abandon
     
    Depuis Jacques Ellul nous savons que la modernité consiste à croire que tout problème a une solution technique. Il suffit en tous domaines de trouver la bonne technique : celle qui est la plus efficace. En matière d’éducation, nous en sommes là. Les pédagogues ont développé l’idée qu’il faut expérimenter le plus possible, et que des méthodes nouvelles permettront de surmonter les échecs de l’école. Il faudrait ainsi « apprendre à apprendre ». Comment ? Par petits groupes, par le travail « collectif », sous le patronage d’un « prof-animateur » et non plus de Monsieur ou Madame le professeur. Le tuteur remplace l’enseignant, qui était déjà une version dégradée du professeur. Le travail en petits groupes évite de se poser la question des notes individuelles, remplacées au mieux par une « évaluation » collective voire plus simplement par la validation d’un savoir-être : s’intégrer au groupe, réciter les mantras sur les « droits citoyens », les « écogestes », etc. Les petits groupes valident aussi la communautarisation de la société : chacun dans son groupe, c’est au fond l’individualisme à une échelle collective, soit ce qu’il y a de pire dans le communautarisme, à savoir non pas la communauté mais la tribu, et la juxtaposition des tribus sans lien entre elles. C’est en d’autres termes la fin de l’espace public. Nous allons ainsi vers « un pays libanisé » dit Natacha Polony (Le pire est de plus en plus sûr, Mille et une nuits, 2011). C’est le règne du chacun pour soi et du chacun chez soi, chacun dans sa communauté – celle-ci n’étant qu’une caricature des liens communautaires anciens. Avec la fin de l’espace public c’est bien sûr aussi la fin de la France qui se profile. C’est le grand abandon.

    De quoi s’agit-il pour les maîtres de notre politique éducative ? De déconstruire le concept de nation au nom de la diversité. Entendons-nous : la diversité des origines existe, et en France existent même les « petites patries » locales dont parlait Jules Ferry (et qu’il ne niait nullement mais voulait lier en une nation tel un bouquet), et a fortiori la diversité des origines avec l’immigration de peuplement. Mais à partir du moment où des millions de personnes ont été amenées à vivre en France et à s’y installer définitivement il est prioritaire de leur donner les moyens de s’y acclimater. Comment ? En enseignant d’abord l’histoire de France et d’Europe, la géographie, la langue française. Et en enseignant d’une certaine façon. Parce qu’il ne suffit pas de se mettre ensemble autour d’une table pour apprendre. Il n’y a pas à désamorcer l’angoisse de ne pouvoir arriver à apprendre. Qui ne l’a pas connue ? Cette angoisse est naturelle. Elle peut justement être desserrée en avançant sur des bases fermes, solides, universelles dans notre pays. Il fut une époque où tel jour à telle heure tous les écoliers de France faisaient la même dictée. Ce n’était pas si idiot. Cela indique un chemin : une éducation dans un pays doit être universelle, commune, en continuité d’un bout à l’autre du territoire. Elle doit créer un socle de références communes, et cela d’autant plus que les origines de chacun sont diverses. En effet, ce socle commun est d’autant plus nécessaire que manque la culture commune entre les élèves, d’autant plus nécessaire quand elle se résume au consumérisme et à l’américanisation des moeurs. C’est pourquoi la tendance actuelle dans l’éducation est néfaste. Quelle est-elle ? Elle est de valoriser les expérimentations, les autonomies des établissements d’enseignement. C’est le discours de la dérégulation appliqué à l’école après avoir été appliqué à la finance à partir des années 1980-90. Dans l’école post-républicaine, chacun expérimente, et chacun s’évalue. Au nom de la créativité. Un beau mot pour dire la fin d’un socle commun de connaissances. Depuis la loi Fillon de 2005 cette tendance s’accélère. Les expérimentateurs libéraux se retrouvent au fond d’accord sur la même politique que les « innovants » libertaires. Daniel Cohn-Bendit est l’archétype politicien de cette convergence. Tous deux, libéraux et libertaires, ont cessé de croire à l’espace public de l’éducation. Du fait de leur action conjointe, culturelle pour les libertaires, politique pour les libéraux (de droite ou de gauche), la tribalisation des établissements est en marche, en phase avec la tribalisation-barbarisation de la société. Dans le même temps, l’idée de savoirs à connaitre est abandonnée au nom de l’efficacité économique, que défendent aussi bien la droite que la gauche. Les savoirs laissent la place à des « compétences », concept flou à la mode. C’est un processus de dé-civilisation : il s’agit non plus de maitriser des connaissances, de les évaluer par des notes forcement individuelles, de progresser vers un savoir donnant la capacité d’être citoyen mais d’acquérir un savoir-être utilitaire, bref d’être adaptable dans le monde de l’entreprise. Fluide et flexible. Dans ce domaine la démagogie face à la préoccupation de l’emploi fait rage, surfant sur l’angoisse des Français. On ne parle d’ailleurs plus de métiers, qui supposent des connaissances précises mais de l’emploi, qui suppose une malléabilité continue. Il s’agit donc de créer l’homme nouveau flexible. Dévaloriser les connaissances précises et valoriser les « savoirs-être » c’est la révolution anthropologique de l’école nouvelle, l’école d’après la France et d’après la République, l’école d’après les nations (en tout cas les nations d’Europe). Curieusement la campagne électorale de 2007 s’est jouée sur d’autres thèmes. C’est en défendant, dans la lignée d’Henri Guaino, les principes d’une école républicaine que Nicolas Sarkozy a gagné, y compris en séduisant un électorat de gauche sur ces questions. (Il n’est pas exclu qu’il tente la même manœuvre). A t il appliqué ses principes affichés dans les meetings et discours ? Aucunement. La droite, malgré quelques tentations de bonnes mesures sous Xavier Darcos, est vite revenue avec Luc Chatel à la conception de l’enseignant-animateur, une conception plus en rapport avec l’air du temps.

    En conséquence, la sélection sociale se fait de plus en plus en dehors de l’école publique, gratuite et laïque. L’abandon de la méritocratie prive les classes populaires de toute possibilité d’ascension sociale. A la place de l’ascenseur social par l’école publique un leurre est mis en place : c’est la diversité chère à tous nos gouvernants, de la droite américanisée à la gauche multiculturelle à la Jack Lang en passant par l’omniprésent Richard Descoings patron de « sciences po Paris », membre du club Le Siècle et diversito-compatible s’il en est. A ce stade, le chèque-éducation représenterait l’officialisation de la fin de l’école républicaine. C’est d’ailleurs pour cela qu’il n’est pas appliqué. Trop voyant. Trop symbolique. Il manifesterait trop clairement cette fin : il s’agit en d’autres termes de maintenir la fiction, le manteau vide de l’éducation « nationale, laïque et publique ». La diversité participe de l’abandon de la méritocratie. De quoi s’agit-il ? De faire entrer des élèves dans des institutions prestigieuses en les exonérant de l’accès classique, en ouvrant une voie privilégiée. Comme si on reconnaissait implicitement qu’ils sont incapables de réussir le concours normal de ces institutions – ce qui est faux sauf que ce ne serait sans doute pas les mêmes qui seraient admis. A l’inverse, une bonne politique républicaine serait de développer des aides aux devoirs, des bourses d’étude, des internats d’excellence pour aider à la réussite dans ces concours des jeunes issus de milieux populaires. Avec la « politique de la diversité » il s’agit en fait de former une petite élite hyper-adaptée au système économique et de lui offrir la collaboration (lucrative : les jeunes de la diversité admis dans les grandes écoles choisissent souvent… la finance) avec le turbocapitalisme tandis que l’immense masse des jeunes de banlieue resteraient l’armée de réserve du capital. Nous avons donc du coté des gouvernants, de droite comme de gauche, des pédagogistes ou ludo-pédagogistes pour qui chaque jeune doit découvrir en lui ses « savoirs faire enfouis » et développer un savoir-être basé sur le « vivre–ensemble », une autre formule magique. Et nous constatons dans le même temps que ce spontanéisme éducatif est prôné tandis que la barbarisation de certains jeunes, pourtant bel et bien passés par l’école s’accroit (cf. L’affaire Ilan Halimi). C’est en fait l’abandon de la dimension verticale de l’éducation qui est en cause dans la perte des repères que l’on observe. Il y a toujours eu des gens rétifs à se conformer à une certaine noblesse d’âme. Mais il fut un temps où on enseignait cette noblesse. Chacun savait plus ou moins qu’elle existait, sans s’y conformer pour autant. Désormais, le nihilisme qui se manifeste dans la société et dans l’éducation tend à dire que tout vaut tout, que l’élève doué et/ou travailleur doit être noyé dans le groupe. Pour ne pas « stigmatiser » les nuls. Face à cela les instructionnistes sont ceux qui disent : il y a des choses à apprendre, et pas seulement des savoirs être à acquérir. En d’autres termes le meilleur apprentissage du « savoir-être » - si on tient vraiment à avancer cette notion - c’est le sens de l’effort et du travail. On appelle aussi les instructionnistes les « républicains ». Je suis républicain. C’est de cela qu’il s’agit : d’affirmer que la République est autre chose qu’une démocratie des ayants droits où chacun serait réduit à un consommateur tranquille, avec une pondération raisonnable d’insurgés incendiaires, de façon à entretenir la peur sécuritaire (bien légitime face à des agressions bien réelles) et à empêcher toutes luttes sociales, si nécessaires pourtant, si légitimes quand le système de l’hypercapitalisme financier attaque les classes populaires, les salariés et les classes intermédiaires avec une détermination sans précédent.

    Refaire une instruction publique et républicaine pour former des citoyens qui iraient vers les luttes de libération sociale et nationale du peuple de France c’est là l’enjeu.
    Pierre Le Vigan (Voxnr, 5 novembre 2011)
     
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