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  • Obama contre Poutine : la parabole de la paille et de la poutre...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Arnaud Imatz, cueilli sur le site du Cercle Aristote et consacré à la vertueuse indignation des Américains après la récupération de la Crimée par la Russie... Docteur en sciences politiques, Arnaud Imatz est l'auteur de deux ouvrages importants, José Antonio : la phalange espagnole et le national-syndicalisme (Albatros, 1981) et La guerre d'Espagne revisitée (Economica, 1993).

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    Obama contre Poutine : la parabole de la paille et de la poutre

    À l’occasion de l’intervention russe en Crimée, le président Barack Obama n’a pas manqué de s’indigner violemment. La Russie « est du mauvais côté de l’histoire », a-t-il  fulminé, condamnant « l’acte d’agression » de Poutine « avec la plus grande fermeté ». Rendons-nous à l’évidence : Obama a une parfaite maîtrise de son rôle. Cela dit, sa leçon de « morale politique », énième illustration de la parabole de la paille et de la poutre, est-elle crédible ?

    Depuis Monroe jusqu’à Clinton, en passant par Wilson, F. D. Roosevelt, Bush et aujourd’hui Obama, les discours des présidents américains se nourrissent de convictions simples : le peuple des États-Unis est « élu et prédestiné », « le destin de la nation américaine est inséparable du Progrès, de la Science, du Bien, de l’Humanité, de la Démocratie et de la volonté de Dieu ».  La démocratie libérale américaine, est le « meilleur des régimes », la « meilleure forme de modernité » applicable universellement. Des articles de foi qui légitiment à eux seuls le « leadership mondial » états-unien et la croisade planétaire en faveur des droits de l’homme.

    Ces idées, ces valeurs, sont partagées plus ou moins consciemment par tous les américanolâtres.  L’histoire des États-Unis se confond, selon eux, avec la liberté, la tolérance, la prospérité, la démocratie et la civilisation. Dès lors, ils interprètent la moindre réserve comme le signe du ressentiment, de l’ingratitude, de l’esprit de décadence, pire, de la haine obsessionnelle du libre marché et de la démocratie libérale. Obsédés et aveugles, ils se condamnent toujours à tordre la réalité pour l’adapter à leur idéologie.

    À coté de ce point de vue moraliste des américanolâtres patentés, il y a bien sûr les analyses des historiens et des géopolitologues qui s’efforcent de circonscrire le débat sur un plan géostratégique. Ceux-là soulignent que, depuis deux siècles, la politique étrangère nord-américaine ne cesse d’osciller entre deux interprétations opposées de la doctrine de Monroe (1823).

    Il y a, disent-ils,  d’une part, ceux qui défendent le concept de « grand espace », de continent américain, délimité et interdit à toute ingérence étrangère, et, d’autre part, ceux qui revendiquent son antithèse, la politique de sécurité des voies de communication et le droit d’intervention dans n’importe quel espace traversé par ces communications. D’une part, le panaméricanisme, l’idéologie supranationale, d’autre part, la politique d’ingérence, instrument de pénétration du capitalisme américain en particulier sur les marchés d’Asie et d’Europe.

    Ce point de vue réaliste permet de voir des analogies étonnantes avec l’attitude des russes dans la crise de l’Ukraine. Mais une différence demeure : Poutine ne veut pas la domination du monde, simplement, il n’a pas envie d’être menacé par des bases américaines à ses frontières.

    En la matière, tout semble affaire de perspective. Pour mes amis historiens et géopolitologues hispano-américains la distinction classique entre les deux interprétations de la doctrine de Monroe, si chère aux politologues européens, n’a pas vraiment lieu d’être. Pour eux, les grands principes énoncés par la diplomatie états-unienne [doctrine de Monroe (1823), idéologie de la Destinée manifeste (1845), politique du Big Stick de Théodore Roosevelt (1901), politique de bon voisinage de Franklin Roosevelt (1932), théorie de la sécurité nationale de Truman (1947), projet de zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) de Bush, etc.]aboutissent tous à une seule et même fin que résume ces mots : « L’Amérique aux Américains… du Nord ».

    Les interventions et les agressions des États-Unis dans le monde luso-hispanique au cours des deux derniers siècles se comptent, ne l’oublions pas, par centaines pour les majeures et par milliers pour les mineures. La bibliographie sur le sujet est considérable. On ne citera ici qu’un seul exemple : le travail encyclopédique de l’historien argentin Gregorio Selser, Chronologie des interventions étrangères en Amérique Latine [Cronología de las intervenciones extranjeras en América Latina, 4 tomes, México, CAMENA, 2010]. Ce livre, produit d’un dur labeur de trente ans, a permis de réunir et d’ordonner des milliers de fiches, chacune sur une intervention ou une agression étrangère dont 90 % a été le fait des États-Unis. Une œuvre qui, en raison de son ampleur, ne sera vraisemblablement jamais traduite en français.

    « La Russie est du mauvais côté de l’histoire » nous dit donc M. Obama. Comme une image vaut mieux qu’un long discours, j’invite le lecteur à observer quelques secondes la photo des quatre tomes de l’œuvre de Selser. La seule vue de ces énormes volumes permet de balayer bien des doutes sur la question et de replacer l’attitude de la diplomatie nord-américaine face à la crise ukrainienne dans sa correcte perspective.

    En matière d’intervention étrangère, à l’évidence la Russie de Poutine a des leçons à prendre outre-Atlantique.

    Arnaud Imatz (Cercle Aristote, 5 mars 2014)

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