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günter grass

  • Quand Günter Grass dit ce qui doit être dit...

    Günter Grass fait à nouveau scandale en Allemagne ! Après le débat sucité par son roman publié en 2002 et intitulé Im Krebsgang - en français En crabe (Seuil, 2002) - qui évoquait la tragédie du Wilhelm Gustlolff, paquebot allemand coulé par un sous-marin russe en 1945 dans la mer Baltique alors qu'il était chargé de plusieurs milliers de réfugiés de Prusse orientale, après la violente polémique provoquée par ses révélations sur son passé de jeune engagé de la Waffen SS, Günter Grass fait à nouveau la une de l'actualité à cause d'un poème publié dans le Süddeutsche Zeitung et dans lequel il prend à parti la politique belligène d'Israël...

    Nous reproduisons ci-dessous la traduction française du poème, cueillie sur le site du quotidien Le Monde, ainsi que la version originale allemande.

    Günter Grass.jpg

    "Ce qui doit être dit"

    Pourquoi me
    taire, pourquoi taire trop longtemps
    Ce qui est manifeste, ce à quoi l'on s'est exercé
    dans des jeux de stratégie au terme desquels
    nous autres survivants sommes tout au plus
    des notes de pas de pages

    C'est le droit affirmé à la première frappe
    susceptible d'effacer un peuple iranien
    soumis au joug d'une grande gueule
    qui le guide vers la liesse organisée,
    sous prétexte qu'on le soupçonne, dans sa zone de pouvoir,
    de construire une bombe atomique.

    Mais pourquoi est-ce que je m'interdis
    De désigner par son nom cet autre pays
    Dans lequel depuis des années, même si c'est en secret,
    On dispose d'un potentiel nucléaire en expansion
    Mais sans contrôle, parce qu'inaccessible
    À toute vérification?

    Le silence général sur cet état de fait
    silence auquel s'est soumis mon propre silence,
    pèse sur moi comme un mensonge
    une contrainte qui s'exerce sous peine de sanction
    en cas de transgression ;
    le verdict d'"antisémitisme" est courant.

    Mais à présent, parce que de mon pays,
    régulièrement rattrapé par des crimes
    qui lui sont propres, sans pareils,
    et pour lesquels on lui demande des comptes,
    de ce pays-là, une fois de plus, selon la pure règle des affaires,
    quoiqu'en le présentant habilement comme une réparation,
    de ce pays, disais-je, Israël

    attend la livraison d'un autre sous-marin
    dont la spécialité est de pouvoir orienter des têtes explosives
    capables de tout réduire à néant
    en direction d'un lieu où l'on n'a pu prouver l'existence
    ne fût-ce que d'une seule bombe atomique,
    mais où la seule crainte veut avoir force de preuve,
    je dis ce qui doit être dit.

    Mais pourquoi me suis-je tu jusqu'ici ?
    parce que je pensais que mon origine,
    entachée d'une tare à tout jamais ineffaçable,
    m'interdit de suspecter de ce fait, comme d'une vérité avérée,
    le pays d'Israël, auquel je suis lié
    et veux rester lié.

    Pourquoi ai-je attendu ce jour pour le dire,
    vieilli, et de ma dernière encre :
    La puissance atomique d'Israël menace
    une paix du monde déjà fragile ?
    parce qu'il faut dire,
    ce qui, dit demain, pourrait déjà l'être trop tard :
    et aussi parce que nous - Allemands,
    qui en avons bien assez comme cela sur la conscience -
    pourrions fournir l'arme d'un crime prévisible,
    raison pour laquelle aucun
    des subterfuges habituels
    n'effacerait notre complicité.

    Et admettons-le : je ne me tais plus,
    parce que je suis las
    de l'hypocrisie de l'Occident ; il faut en outre espérer
    que beaucoup puissent se libérer du silence,
    et inviter aussi celui qui fait peser cette menace flagrante
    à renoncer à la violence
    qu'ils réclament pareillement
    un contrôle
    permanent et sans entraves
    du potentiel nucléaire israélien
    et des installations nucléaires iraniennes
    exercé par une instance internationale
    et accepté par les gouvernements des deux pays.

    C'est la seule manière dont nous puissions les aider
    tous, Israéliens, Palestiniens
    plus encore, tous ceux qui, dans cette
    région occupée par le délire
    vivent côte à côte en ennemis
    Et puis aussi, au bout du compte, nous aider nous-mêmes.

    Traduit de l'allemand par Olivier Mannoni

    Günter Grass, Prix Nobel de littérature allemand

     

    Et pour les germanistes :

     

    Was gesagt werden muss

    Warum schweige ich, verschweige zu lange,
    was offensichtlich ist und in Planspielen
    geübt wurde, an deren Ende als Überlebende
    wir allenfalls Fußnoten sind.

    Es ist das behauptete Recht auf den Erstschlag,
    der das von einem Maulhelden unterjochte
    und zum organisierten Jubel gelenkte
    iranische Volk auslöschen könnte,
    weil in dessen Machtbereich der Bau
    einer Atombombe vermutet wird.

    Doch warum untersage ich mir,
    jenes andere Land beim Namen zu nennen,
    in dem seit Jahren - wenn auch geheimgehalten -
    ein wachsend nukleares Potential verfügbar
    aber außer Kontrolle, weil keiner Prüfung
    zugänglich ist?

    Das allgemeine Verschweigen dieses Tatbestandes,
    dem sich mein Schweigen untergeordnet hat,
    empfinde ich als belastende Lüge
    und Zwang, der Strafe in Aussicht stellt,
    sobald er mißachtet wird;
    das Verdikt "Antisemitismus" ist geläufig.

    Jetzt aber, weil aus meinem Land,
    das von ureigenen Verbrechen,
    die ohne Vergleich sind,
    Mal um Mal eingeholt und zur Rede gestellt wird,
    wiederum und rein geschäftsmäßig, wenn auch
    mit flinker Lippe als Wiedergutmachung deklariert,
    ein weiteres U-Boot nach Israel
    geliefert werden soll, dessen Spezialität
    darin besteht, allesvernichtende Sprengköpfe
    dorthin lenken zu können, wo die Existenz
    einer einzigen Atombombe unbewiesen ist,
    doch als Befürchtung von Beweiskraft sein will,
    sage ich, was gesagt werden muß.

    Warum aber schwieg ich bislang?
    Weil ich meinte, meine Herkunft,
    die von nie zu tilgendem Makel behaftet ist,
    verbiete, diese Tatsache als ausgesprochene Wahrheit
    dem Land Israel, dem ich verbunden bin
    und bleiben will, zuzumuten.

    Warum sage ich jetzt erst,
    gealtert und mit letzter Tinte:
    Die Atommacht Israel gefährdet
    den ohnehin brüchigen Weltfrieden?
    Weil gesagt werden muß,
    was schon morgen zu spät sein könnte;
    auch weil wir - als Deutsche belastet genug -
    Zulieferer eines Verbrechens werden könnten,
    das voraussehbar ist, weshalb unsere Mitschuld
    durch keine der üblichen Ausreden
    zu tilgen wäre.

    Und zugegeben: ich schweige nicht mehr,
    weil ich der Heuchelei des Westens
    überdrüssig bin; zudem ist zu hoffen,
    es mögen sich viele vom Schweigen befreien,
    den Verursacher der erkennbaren Gefahr
    zum Verzicht auf Gewalt auffordern und
    gleichfalls darauf bestehen,
    daß eine unbehinderte und permanente Kontrolle
    des israelischen atomaren Potentials
    und der iranischen Atomanlagen
    durch eine internationale Instanz
    von den Regierungen beider Länder zugelassen wird.

    Nur so ist allen, den Israelis und Palästinensern,
    mehr noch, allen Menschen, die in dieser
    vom Wahn okkupierten Region
    dicht bei dicht verfeindet leben
    und letztlich auch uns zu helfen.

    Günter Grass (Süddeutsche Zeitung, 04. April 2012)

     

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