Les éditions du Félin viennent de publier un essai de Gérard Mairet intitulé Les enfants d'Héraclite - Une brève histoire politique de la philosophie des Européens. Spécialiste de la philosophie politique, Gérard mairet est l'auteur d'une traduction intégrale du Léviathan de Thomas Hobbes.
" On trouve chez Héraclite la première ― et décisive ― élaboration du lien unissant le concept à l'action : il met ensemble Logos et Polemos, le discours et la guerre. Parcourir, comme le fait ce livre, le devenir de la parole de raison (logos) dans son rapport avec le conflit dans les choses, c'est à la fois comprendre le statut de ce genre particulier de pensée qu'est le logos philosophique et le caractère propre de la pensée des Européens. Né en Grèce d'Asie, le logos philosophique s'est finalement rétabli en Europe occidentale, après une longue éclipse médiévale, à la faveur d'une vaste migration à laquelle, d'Orient en Occident, ont pris part juifs, chrétiens et musulmans. Il en est ainsi parce que le logos des origines ― logos philosophique d'Héraclite à Marc Aurèle ― a fait l'objet d'un détournement théologique : le logos-raison est devenu, au tournant des Ie et IIe siècles de notre ère, le Christ-Logos. Dès lors, les apologètes chrétiens ont pratiqué un vaste larcin en élaborant la figure paradoxale d'un logos de l'ineffable : ce n'est plus le raisonnement qui établit le vrai, c'est la révélation. Ils l'ont construit non comme religion mais comme "philosophie chrétienne", polémiquant ainsi contre le logos "païen". Une opération qui substitua, aux temps médiévaux, le théologico-politique à la philosophie. En pistant les effets politiques du larcin chrétien sur le devenir des Européens, ce livre manifeste à la fois l'essence polémique de la philosophie, et comment les Européens ont rejeté, notamment au sein des universités de Paris et d'Oxford à partir du XIIIe siècle, la captation chrétienne du logos héraclitéen. Une opération violente par où le théologico-politique s'est finalement effacé devant la philosophie, et l'Eglise devant l'Etat moderne. "