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françois bousquet

  • Le RN ou le « parti du milieu » ?

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François Bousquet cueilli sur le Figaro Vox et consacré à l'électorat du RN.

    Journaliste, rédacteur en chef de la revue Éléments, François Bousquet a aussi publié Putain de saint Foucauld - Archéologie d'un fétiche (Pierre-Guillaume de Roux, 2015), La droite buissonnière (Rocher, 2017), Courage ! - Manuel de guérilla culturelle (La Nouvelle Librairie, 2020), Biopolitique du coronavirus (La Nouvelle Librairie, 2020) et Alain de Benoist à l'endroit - Un demi-siècle de Nouvelle Droite (La Nouvelle Librairie, 2023).

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    «Au cœur du vote RN, le sentiment tenace d'être lésé et de travailler pour les autres sans contrepartie»

    On n'en finit pas de buter sur la définition du populisme. La vérité, c'est qu'il y a une immense difficulté – et pour l'heure personne n'en est formellement venu à bout – à lui donner un sens clair et sans équivoque. C'est depuis toujours un phénomène politique ambivalent, à l'unité problématique. Sa labilité sémantique se prête à toutes les réinterprétations. Cela ne tient pas seulement à la polysémie du mot, mais à son indéfinition même. S'il y a néanmoins un dénominateur commun à la pluralité des populismes, sinon même un invariant, quel que soit le contenu idéologique, c'est la polarisation politique – clivante, conflictuelle, oppositionnelle – que la dynamique populiste porte avec elle. Eux et nous, les «petits» contre les «gros», le peuple contre les élites, etc. Le populisme ne s'épanouit vraiment que dans ces couples de contraires qui ont la propriété de clarifier le champ politique et de désigner l'ennemi sans détour. L'antagonisme du «producteur» et du «parasite» en fait partie.

    Il y avait la dialectique du maître et de l'esclave chère au philosophe Hegel, peut-être faudra-t-il compter à l'avenir avec celle qui se noue entre la morale du «producteur» et l'amoralité du «parasite». C'est un autre philosophe, contemporain lui, qui a mis le doigt dessus : Michel Feher, qui vient de publier un livre particulièrement stimulant : Producteurs et parasites. L'imaginaire si désirable du Rassemblement national  (La Découverte). En dépit d'un parti pris hostile, il renouvelle notre approche du populisme en plaçant en son centre la question du travail productif et de sa juste rétribution, mise à mal par la «plus-value imméritée», celle-là même que prélève la figure du «parasite» : en haut, les «accapareurs» ; en bas, les «fraudeurs», selon les termes de l'auteur.

    Dès lors, l'antagonisme moteur du populisme n'est pas entre le travailleur et le capitaliste, mais entre le «producteur» (ouvriers, employés, travailleurs indépendants, chefs d'entreprise, etc.) et le «parasite» qui détourne la richesse produite par le travail, soit parce qu'il ne s'acquitte pas de l'impôt, soit parce qu'il bénéficie de ses largesses. «Parasite» ? Le mot est fort et frappe délibérément les esprits. C'est manifestement un choix polémique de l'auteur, quelque peu effarouché par ce qu'il découvre en tirant le fil du «parasitisme». On imagine que c'est la raison pour laquelle il nazifie, un peu commodément, son sujet en brandissant la figure-repoussoir du «Volksschädling», le parasite du peuple sous le Troisième Reich. Pour ne pas être en reste, il aurait pu convoquer les «parasites sociaux» que l'Union soviétique assimilait à des dissidents et jetait dans des camps. Qu'à cela ne tienne, les oreilles trop délicates peuvent recourir à un concept plus neutre, familier des économistes et des sociologues : la théorie du «passager clandestin». Le passager clandestin est celui qui profite d'une ressource ou d'un bien sans en payer le prix ou en le sous-payant.

    La colère populaire, un impensé politique

    À notre connaissance, nul n'aime les resquilleurs qui vous doublent dans la file d'attente ou les mufles qui hurlent dans leur téléphone en mode haut-parleur. C'est la même chose ici. En ne payant pas leur dû à la société, les «passagers clandestins» entretiennent le foyer de la colère du peuple, frustré des fruits de son travail par une fiscalité confiscatoire, qui serait tolérée si les mécanismes de solidarité n'étaient pas dévoyés. La colère populaire, autre impensé politique ! C'est pourtant une passion qui a toute sa place dans la cité, nous apprend Aristote, qui, en amont (et à rebours) de notre tradition philosophique, s'est livré à un éloge non pas des emportements violents, mais de la juste colère, parce qu'elle fait ressortir un sentiment d'injustice réel et pose une demande légitime de réparation. C'est ce sentiment d'injustice et cette demande de réparation qui commandent nombre de comportements électoraux qualifiés de populistes, parmi lesquels il n'est pas interdit de ranger les «fâchés pas fachos», comme les a appelés Mélenchon, pour une fois inspiré.

    Ni racistes présumés, ni fascistes fantasmés donc. Voilà qui nous change des analyses condescendantes qui réduisent le vote populiste à ses seules dimensions protestataires ou démagogiques, sinon xénophobes, en le corrélant à un faible niveau d'études. Grave erreur, nous prévient Michel Feher : «On ne naît pas lepéniste, mais on le devient» – et on le devient au terme d'une démarche volontaire, réfléchie, objective. N'y voir qu'une réaction de type épidermique revient à occulter l'attractivité électorale du populisme en général et du lepénisme en particulier. Au cœur de ce vote, il y a le sentiment têtu, tenace, insistant, d'être lésé, de travailler pour les autres sans contrepartie et de voir ainsi la norme méritocratique foulée aux pieds.

    «Si quelqu'un ne veut pas travailler, qu'il ne mange pas non plus», morigénait Saint Paul dans sa deuxième épître aux Thessaloniciens. C'est là une sentence quasi universelle. Elle a pu ne pas s'appliquer dans les sociétés où il y avait une «classe oisive», comme l'a baptisée l'inclassable sociologue américain Thorstein Veblen (1857-1929), que Raymond Aron a contribué à faire connaître auprès du public francophone. L'étymologie du mot travail fait d'ailleurs écho à un monde où l'oisiveté de quelques-uns était rendue possible par la mobilisation de presque tous. Le travail était alors une punition, ce dont porte trace la racine du mot : tripalium, «instrument de torture». Mais en dehors de ces sociétés, où une aristocratie pouvait se livrer à la guerre, à la dépense inutile ou au loisir studieux (l'otium gréco-romain) – rendus possibles par l'esclavage –, le travail est la règle. Dès lors qu'une société cesse de végéter dans un état stationnaire, le «producteur» en est l'élément moteur (quitte à ce qu'il devienne ensuite esclave d'un travail aliénant – mais c'est là un autre sujet).

    Celui qui se soustrait à cette obligation – le «parasite», pour rester dans notre registre sémantique – est stigmatisé, parce qu'il bafoue les lois de justice et qu'il transgresse le principe de réciprocité qui veut que l'on reçoive à hauteur de ce que l'on donne. Que celui qui ne travaille pas ne mange donc pas. Sans cela, il prélève sur le travail des autres une plus-value indue. La sagesse populaire est intarissable sur le sujet : «Un prêté pour un rendu, œil pour œil…» L'historien Christopher Lasch en a eu l'intuition dans son chef-d'œuvre, Le seul et vrai Paradis (1991, pour l'édition originale), quand il rappelle combien la philosophie puritaine, qui a fécondé le très riche populisme américain, condamnait toute tentative d'obtenir quelque chose sans en payer le prix, assimilant ce gain abusif à une forme de fraude fiscale.

    Le RN comme «parti du milieu»

    Ainsi raisonne la morale majoritaire, car morale il y a ici. Michel Freher l'appelle de son nom savant, le «producérisme», francisation de l'anglais producerism dont on voit mal comment il pourrait s'imposer dans le débat public. Il fait remonter cette idéologie, pour s'en tenir au cas français, à l'abbé Sieyès et à son Qu'est-ce que le Tiers-État ?, qui ciblait à la veille de la Révolution française l'aristocratie d'origine franque (étrangère) qui ne participait pas à l'effort de production et n'était pas soumise à l'impôt, ce qui lésait l'autochtone gaulois (un débat alors assez vif). Dans cette histoire vieille de plus de deux siècles, Michel Feher détache un premier noyau programmatique : lutte contre les propriétaires absents, contre les rentes de monopole, contre les intermédiaires improductifs et contre les étrangers. Le néolibéralisme a considérablement élargi ce noyau initial, en faisant jouer le ressort du contribuable spolié. Ses cibles : le fonctionnaire surnuméraire, le chômeur volontaire, le bénéficiaire des programmes sociaux, le syndicaliste et les élites culturelles (songeons à Javier Milei, le président argentin). Mais les néolibéraux épargnent dans leur critique les «parasites» d'en haut. Ce qui n'est pas le cas des électeurs du RN.

    S'est développée chez eux une «conscience sociale triangulaire» brillamment analysée par le sociologue Olivier Schwartz, qui a montré comment la conscience sociale de cette France ne se construit pas seulement dans l'opposition à ceux d'en haut – les écolos, les citadins, les bobos, les riches, etc. –, mais aussi à ceux d'en bas, principalement les immigrés, mais aussi les «cassos», figure incontournable de la France rurale et pavillonnaire («cassos» pour «cas sociaux», à qui il est principalement reproché d'être des allocataires abusifs, sans entrer dans le folklore descriptif de cet univers).

    Pour toutes ces raisons (et non sans regret), Michel Freher voit dans le RN le «parti du milieu», ni droite ni gauche, ni l'individualisme des libéraux ni le collectivisme des marxistes, ouvrant une troisième voie, dont ce parti est la synthèse, au sens où les socialistes parlaient de synthèse. Ses électeurs appréhendent une libéralisation à tout crin qui transformerait le marché du travail en struggle for life, comme ils craignent un État panier percé qui distribuerait l'argent sans compter aux catégories non méritantes. Ils veulent des protections, pas des entraves ; des libertés, pas du laisser-aller. Se dessine ainsi un moyen terme entre employés et employeurs, où se lit le souci de transcender les clivages de classe, caractéristique des troisièmes voies, en veillant à ne pas brider la dynamique entrepreneuriale, tout en garantissant la demande de dignité salariale et de protection sociale, pour peu qu'elle ne soit pas «parasitaire».

    François Bousquet (Figaro Vox, 30 octobre 2024)

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  • Le RN va-t-il devenir un parti néolibéral comme les autres ?...

    Pour cette nouvelle édition de "Cette année-là",  sur TV Libertés, Patrick Lusinchi, avec François Bousquet, Olivier François, Christophe A. Maxime et Rodolphe Cartremonte à décembre 2019, quand Éléments titrait "Et si tout basculait en 2022", avec un long entretien de Jérôme Sainte-Marie : "Il n’y a pas de plafond de verre pour Marine Le Pen". Qu’en est-il 5 ans après ? Le RN n’a certes pas brisé ce plafond, mais il semble de plus en plus fragile. Que faire pour le percer ? Le RN doit-il élargir son socle électoral au risque de désorienter sa base ? Les volte-face du parti de Jordan Bardella sur l’économie, lors de la séquence des législatives, peuvent laisser penser que c’est le choix du RN. Comment réagira demain son électorat populaire face à ces changements de cap ?...

     

                                           

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  • Notre avant-guerre civile...

    Dans cette émission du Plus d’Éléments, diffusée par TV Libertés, l'équipe du magazine, autour d'Olivier François, à l’occasion de la sortie du nouveau numéro, revient sur l'enquête de la rédaction consacrée à cette autre Amérique, plus populiste que conservatrice, plus libertaire que libertarienne, qui tourne le dos aux néo-conservateurs et à leurs guerres, aux "woke" et à leur censure, aux hygiénistes et à leurs interdictions – et a de quoi séduire les Européens, fussent-ils hostiles à l’imperium américain.

    Au menu également : un reportage exclusif sur le racisme antiblanc dans les écoles, tabou des tabous, un duo/duel Delon-Belmondo, le nouveau livre de Rodolphe Cart paru à La Nouvelle Librairie : "La menace néoconservatrice - Une France et une Europe sous influence".

    On trouvera sur le plateau François Bousquet, rédacteur en chef, Patrick Lusinchi, directeur artistique, Christophe A. Maxime et Rodolphe Cart...

     

                                             

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  • Demain la guerre civile ?...

    Le nouveau numéro de la revue Éléments (n°210, octobre 2024 - novembre 2024) est en kiosque!

    A côté du dossier consacré à la guerre civile qui vient, on découvrira l'éditorial, les rubriques «Cartouches», «Le combat des idées» et «Panorama» , un choix d'articles variés et des entretiens, notamment avec Troy Olson, Louis Furiet, Driss Ghali, Eric Werner et Bernard Wicht...

    Et on retrouvera également les chroniques de Xavier Eman, d'Olivier François, de Laurent Schang, de Nicolas Gauthier, d'Aristide Leucate, de David L'Epée, de Bruno Lafourcade, de Guillaume Travers, d'Yves Christen, de Bastien O'Danieli, d'Ego Non, de Slobodan Despot, de Michel Marmin et de Julien Rochedy...

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    Au sommaire :

    Éditorial
    Les enfants terribles, par Alain de Benoist

    Agenda, actualités

    L’entretien
    Troy Olson : « Trump a brisé le consensus antipopuliste des élites »
    Propos recueillis par Daoud Boughezala

    Cartouches
    L’objet disparu : le slow, par Nicolas Gauthier

    Une fin du monde sans importance, par Xavier Eman

    Cinéma fantastique à la française ? par Nicolas Gauthier

    Un homme, une revue : Louis Furiet présente « Écrits de Rome », propos recueillis par Xavier Eman

    Curiosa Erotica : grisettes, cousettes et midinettes, l’érotisme de la femme du peuple, par David L’Épée

    Champs de bataille : la petite guerre dans la Grande, par Laurent Schang

    Uranie, les nuisibles en rut (2), par Bruno Lafourcade

    Le droit à l’endroit : état civil et identité, par Aristide Leucate

    Économie, par Guillaume Travers

    Les châteaux d’Annie Le Brun, le regard d’Olivier François

    Bestiaire : cultures partagées, au-delà du vivre-ensemble, par Yves Christen

    Sciences, par Bastien O’Danieli

    Le combat des idées
    Les duellistes : Delon & Belmondo, ou les deux corps du roi, par Laurent Schang et Christophe A. Maxime

    Le RN a-t-il achevé sa mue « nationale-libérale » ? Par David L’Épée

    Comment éviter la guerre des mondes avec Driss Ghali, propos recueillis par François Bousquet

    La vérité interdite : notre enquête sur le racisme antiblanc à l’école, par François Bousquet

    Qu’est-ce que l’économie comportementale ? Par Guillaume Travers

    Allemagne : droite patriote (AfD) et gauche anti-immigration (BSW), par Lionel Baland

    Le divers décroît : vers un monde unidimensionnel, par François Bousquet

    Pour une dynamique du réveil : la stratégie de l’électrochoc, par Hubert Calmettes

    Renaud Camus, de près : la géographie du grand écrivain, par Quentin Verwaerde

    Rentrée littéraire, les choix de la rédaction, par Daoud Boughezala, Xavier Eman et Anthony Marinier

    Le miracle Virginia Woolf : quand le féminisme avait du génie, par François Bousquet

    Dossier
    Notre avant-guerre civile

    « La fièvre » ou la guerre civile portée à l’écran, par François Bousquet

    La Nouvelle-Calédonie à feu et à sang, par François Bousquet

    Éric Werner et Bernard Wicht : l’avant-guerre civile dans une Europe Mad Max ? Propos recueillis par Gabriel Rivière

    La tectonique des peuples : meutes et émeutes au Royaume-Uni, par Pierre Saint-Servant

    Police partout, justice nulle part : les forces de l’ordre contre le peuple, par Xavier Eman

    L’extrême gauche face à la lutte armée, par Laurent Vergniaud

    États-Unis, bannière éclatée : la séparation plutôt que la sécession , par Lionel Rondouin

    « Civil War » d’Alex Garland : la guerre sans commentaire, par Thomas Gerber

    Panorama
    L’œil, de Slobodan Despot

    Reconquête : le salut par le rock, par Slobodan Despot

    La leçon de philo politique : les fables philosophiques d’Isaiah Berlin, par Ego Non

    Un païen dans l’Église : Saint-Étienne de Launois-sur-Vence, par Bernard Rio

    Anachronique littéraire : un Voltaire de poche, par Michel Marmin

    Rochedytorial : l’après-demain ou rien, par Julien Rochedy

    Éphémérides

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  • Pourquoi le Rassemblement national ne livre-t-il pas la bataille culturelle ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de François Bousquet, cueilli sur Figaro Vox et consacré à la guerre culturelle, combat abandonné par le RN/FN depuis plus de vint ans...

    Journaliste, rédacteur en chef de la revue Éléments, François Bousquet a aussi publié Putain de saint Foucauld - Archéologie d'un fétiche (Pierre-Guillaume de Roux, 2015), La droite buissonnière (Rocher, 2017), Courage ! - Manuel de guérilla culturelle (La Nouvelle Librairie, 2020), Biopolitique du coronavirus (La Nouvelle Librairie, 2020) et Alain de Benoist à l'endroit - Un demi-siècle de Nouvelle Droite (La Nouvelle Librairie, 2023).

     

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    Pourquoi le Rassemblement national ne livre-t-il pas la bataille culturelle ?

    «C'est la huitième fois que la défaite frappe le nom de Le Pen.» On se souvient de la petite phrase, assurément maladroite, d'Éric Zemmour après l'échec de Marine Le Pen au deuxième tour de la présidentielle de 2022. Le 7 juillet dernier, Zemmour aurait pu ajouter à cet étrange palmarès une neuvième défaite. La question de savoir si le Rassemblement national vaincra le signe indien de l'élection n'en reste pas moins ouverte. Deux hypothèses se font face ici : celle du plafond de verre et celle du palier. La première postule qu'il y a un seuil incompressible au-dessus duquel le RN ne peut s'élever ; la seconde, au contraire, que ce n'est qu'une question de temps et de gains marginaux pour obtenir une majorité. Pourquoi pas ? Imaginons donc, comme dans les problèmes pour écoliers, que le RN accède aux responsabilités, que se passera-t-il alors ? Pourra-t-il réellement exercer le pouvoir ? Les corps d'État, petits et grands, accepteront-ils d'obéir à un exécutif «bleu Marine» ?Tout le monde a vu, entre les deux tours des législatives, comment la dynamique électorale du RN, qui semblait jusque-là irrésistible, s'est brisée face à un infranchissable tir de barrage «républicain». L'UMPS s'est spontanément reformée, une sorte d'UMPS+++ agrégeant les voix du Nouveau Front populaire avec le concours quasi unanime de la société civile. Qu'adviendra-t-il de ce front, même fissuré, si le RN parvient aux manettes ? S'activera-t-il de nouveau et sous quelles formes ? L'extrême gauche dans la rue ? La désobéissance civile débouchant sur une situation de chaos institutionnel ? Il est trop tôt pour le dire.

    Libre à chacun d'épiloguer sur la nature et la légitimité de ce barrage républicain. Ce sont plutôt ses conditions de possibilité qu'il faudrait interroger. La vérité, c'est qu'il en va de la nature politique comme du reste : elle a horreur du vide. Jamais ce front n'aurait atteint une telle intensité s'il n'avait pu tirer parti de l'isolement du RN et de son incapacité à s'appuyer sur de larges pans de la société civile pour en contrebalancer les effets. Or, c'est à la société civile qu'il appartient de fabriquer du «consensus-consentement», selon le mot d'Antonio Gramsci, le grand théoricien du combat culturel. Comment ? En produisant les énoncés de référence, assurant de ce fait la direction des esprits par le truchement de ce que Gramsci désignait sous le terme d'«appareils d'hégémonie», l'hégémonie n'étant rien d'autre que la faculté à transformer l'idéologie d'un groupe social en croyances universellement reçues et acceptées sans examen par tous.

    C'est ce pouvoir, le pouvoir culturel, qui commande les autres pouvoirs. Pas de victoire politique durable sans hégémonie idéologique. Que serait en effet un pouvoir politique orphelin du pouvoir culturel ? Un pouvoir frappé d'hémiplégie et d'impuissance, singulièrement dans les vieilles démocraties libérales, où la société civile est solidement implantée et coproductrice du pouvoir politique depuis le XVIIIe siècle.

    Depuis quelques années, on voit fleurir des articles soulignant la victoire idéologique du RN. C'est aller un peu vite. Exception faite du campus Héméra, l'école de formation et de culture politique du RN lancée en 2023, le parti de Marine Le Pen n'a pas fait une priorité du combat culturel, au moins depuis le départ de Bruno Mégret, en 1998, imaginant sûrement que l'intendance intellectuelle suivrait. Elle tarde. Où sont les Sartre, les Aragon, les Yves Montand, les Jean Ferrat du RN ? En son temps, le PCF avait su les attirer.

    D'aucuns vous confieront en «off» que s'afficher RN revient à se condamner à la mort sociale. Mais il y a des stratégies de contournement. La première d'entre elles passe par la création d'un écosystème militant. Du temps des mégrétistes, il y a 30 ans, ce qui était alors le FN s'était doté d'un Conseil scientifique. On pouvait y croiser des sociologues de haut vol comme Jules Monnerot et quantité d'universitaires de renom. Le bilan est maigre aujourd'hui, une fois qu'on a fait le tour de l'essayiste Hervé Juvin ou du politologue Jérôme Sainte-Marie. Où sont les intellectuels organiques du RN, ses avocats médiatiques, ses ambassadeurs culturels, ses conférenciers, ses appareils d'hégémonie, ses think-tanks, ses journaux, ses cercles de réflexion, ses maisons d'édition ?Ces structures ont pour mission de créer et d'organiser l'hégémonie culturelle, dont elles sont les médiateurs privilégiés, en faisant émerger une «intellectualité nouvelle», c'est-à-dire une contre-culture. Travail de longue haleine. En attendant, le RN aurait pu s'appuyer sur les «intellectuels traditionnels», conservateurs et catholiques. Ce qu'il n'a guère fait. Il suffit de songer à la fin de non-recevoir adressée aux zemmouriens et aux auteurs nés dans le sillage de la Manif pour tous. Pire qu'un crime, une faute.

    On a souvent cité l'interview que Nicolas Sarkozy a donnée au Figaro Magazine à la veille de la présidentielle de 2007, sous la dictée de Patrick Buisson, où le futur président de la République faisait sienne «l'analyse de Gramsci : le pouvoir se gagne par les idées. C'est la première fois qu'un homme de droite assume cette bataille-là.» Rien de tel du côté du RN. Résultat : il n'y a pas encore eu de moment gramscien pour le RN, parce que ce parti a cru pouvoir faire à l'économie d'un «gramscisme de droite», à la différence d'un Éric Zemmour ou d'une Marion Maréchal, qui, eux, ont toujours assumé cette dimension du combat politique.

    C'est une chose d'être tout-puissant sur TikTok, c'en est une autre d'être producteur d'idées. Nul ne nie la nécessité de communicants, mais ils ne sauraient à eux seuls écrire le scénario. Pour cela, il faut bien d'autres choses, et d'abord une théorie du combat culturel assortie à un dispositif opérationnel ad hoc. Ce dont ne semble pas être pourvue la boîte à outils du RN. Avoir des électeurs suffit à son bonheur, les lecteurs semblent de trop dans cette équation. Depuis ses premiers succès, le RN a fait le choix de passer par-dessus les corps intermédiaires pour s'adresser directement à son électeur, en faisant comme si la société civile n'existait pas. Or, la société civile est une réalité avec laquelle il faut compter et le langage qu'on lui tient est d'abord métapolitique, c'est-à-dire idéologique. Faute de posséder un tel outil, c'est le langage de l'adversaire que l'on est réduit à singer.

    À scruter les insuffisances du RN, on en vient à penser que la principale faiblesse de ses cadres semble tenir à la précarité de leur statut social, comme s'ils avaient intériorisé leur condition de dominés, à peu près dans tous les domaines, dans les médias, dans les hémicycles, dans les universités, etc. En faisant le choix de la furtivité et du profil bas (le «pas-de-vaguisme»), le RN consent à sa domination dans les discours, pareil en cela à son électorat, lui aussi dominé, stigmatisé et infériorisé, n'ayant en réserve aucun contre-récit à opposer au récit dominant.

    Pour comprendre la situation du RN et se donner les moyens de penser la condition historique de ses électeurs, il faudrait faire appel aux concepts développés par les sciences sociales, toutes acquises au wokisme et au gauchisme culturel – pour les retourner contre le wokisme et le gauchisme culturel. Les concepts de «domination», de «discrimination systémique», de «privilège», d'«invisibilité», de «politique de reconnaissance», d'«inclusion» sont taillés sur-mesure pour le RN. De fait, voter pour ce parti n'est associé à aucun prestige social. Ce qui domine au contraire, dans les représentations, c'est la condescendance, sinon le mépris, d'une large part de la société civile, qui regarde ce parti de haut, de loin et de travers.

    Le cœur sociologique de l'électorat du RN appartient aux classes «subalternes» (les «premiers de corvée»). Quel est le propre de ces classes ? Elles n'ont aucune légitimité culturelle tant et si bien qu'elles sont aussi inaudibles qu'invisibles. De la même manière qu'il y a des ondes lumineuses (les infrarouges par exemple) que l'œil humain ne perçoit pas, il y a des catégories sociales que l'œil social ne voit pas. C'est là comme une forme de «daltonisme» (autre concept des sciences humaines qui peut faire l'objet d'un détournement).

    Aucune série Netflix, aucun téléfilm de France Télévisions ne mettent en scène ces catégories sociales. La télévision les snobe avec une bonne conscience qui frise le racisme de classe. L'Arcom est la première à le savoir puisqu'elle diligente des études sur la représentativité des catégories socioprofessionnelles à la télévision (et pas seulement des minorités visibles, même si l'on ne parle que d'elles). Les cadres supérieurs, qui ne représentent que 10% de la population, constituent 65% des personnes qui s'expriment sur les chaînes de la TNT. Alors que les ouvriers, qui représentent pourtant 12% de la population, n'occupent que 2% du temps d'antenne. Les employés et les classes moyennes ne sont guère mieux lotis. On les voyait souvent au premier rang dans les émissions de Cyril Hanouna, mais l'Autorité de régulation a décidé de débrancher C8 et TPMP, non sans inconséquence, puisqu'elle est la première à convenir que «la télévision donne à voir une image très urbaine de la société». La cérémonie d'ouverture des JO nous l'a d'ailleurs amplement rappelé, même si aujourd'hui on ne coupe plus la tête de Marie-Antoinette, seulement son micro. Ce qui aboutit, volens nolens, au même résultat.

    C'est donc la double peine pour les catégories populaires. Privées d'expression politique par le «barrage» républicain, elles se voient privées d'expression médiatique. Ainsi fonctionnent les castors du barrage politique et les Pollux du filtrage médiatique. Ce processus d'invisibilisation opère à tous les niveaux. Étonnamment, les dirigeants du RN y consentent et ne trouvent rien à lui opposer. C'est le revers de la stratégie de la normalisation : une forme de discrétion sociale, d'acquiescement involontaire, de moins-disant doctrinal, qui vient redoubler l'invisibilité subie de la France périphérique. Aucune chance de s'élever à la phase d'hégémonie culturelle dans ces conditions.

    Dans la «dialectique du maître et de l'esclave», le philosophe Hegel a montré que l'esclave peut retourner contre le maître la relation de domination, mais à une seule condition : en étant actif, en travaillant, en transformant le monde, en luttant pour la reconnaissance et la visibilité. Voilà qui recoupe les enjeux du combat culturel pour la droite. Être plus proactive, plus offensive, plus contre-offensive. D'autant que le front républicain finira par apparaître pour ce qu'il est : un affront démocratique, celui d'une caste à bout de souffle («les Français ne feront pas deux fois ce chèque», dixit Macron), qui est en train de brûler ses dernières cartouches. «Les forces réactionnaires au seuil de leur perte, disait Mao Zedong, se lancent nécessairement dans un ultime assaut contre les forces révolutionnaires. »

    François Bousquet (Figaro vox, 31 juillet 2024)

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  • Pourquoi le rire est passé à droite ?...

    Le nouveau numéro de la revue Éléments (n°209, août 2024 - septembre 2024) est en kiosque!

    A côté du dossier consacré au retour du rire à droite, on découvrira l'éditorial, les rubriques «Cartouches», «Le combat des idées» et «Panorama» , un choix d'articles variés et des entretiens, notamment avec Wolfgang Streeck, Jeremy Carl, Victor Davis Hanson, David Engels, Vali Nasr, Morgan Sportès, Yves Christen, Olivier Eichenlaub et Henri Levavasseur, Julien Hervieux, Greg Tabibian et Karine Dubernet ...

    Et on retrouvera également les chroniques de Xavier Eman, d'Olivier François, de Laurent Schang, de Nicolas Gauthier, d'Aristide Leucate, de David L'Epée, de Bruno Lafourcade, de Guillaume Travers, d'Yves Christen, de Bastien O'Danieli, d'Ego Non, de Slobodan Despot, de Michel Marmin et de Julien Rochedy...

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    Au sommaire :

    Éditorial
    Se passer du passé ? Par Alain de Benoist

    Agenda, actualités

    L’entretien
    Wolfgang Streeck face à la crise du capitalisme contemporain. Propos recueillis par Thomas Hennetier

    Cartouches
    L’objet disparu : les collections de timbres. Par Nicolas Gauthier

    Une fin du monde sans importance. Par Xavier Eman

    Cinéma : les vices de Sergio Martino. Par Nicolas Gauthier

    La lumière de Jean-François Mattéi. Par Christopher Gérard

    Curiosa Erotica : La Fontaine, fabuliste moralisant ou conteur immoral ? Par David L’Épée

    Champs de bataille : Finis Hungariae ? (2/2). Par Laurent Schang

    Uranie, uchronie woke (1). Par Bruno Lafourcade

    Le droit à l’endroit : le recours à la légitime défense. Par Aristide Leucate

    Économie. Par Guillaume Travers

    Années 1930, la nouvelle grande peur des bien-pensants. Le regard d’Olivier François

    Bestiaire : corneilles pythagoriciennes. Par Yves Christen

    Sciences Par Bastien O’Danieli

    Le combat des idées
    Le RN et la France bleu-blanc-jaune : la revanche des « ploucs émissaires». Par François Bousquet

    L’immigration au secours du capitalisme. Par Guillaume Travers

    Vers un « génocide culturel » ? Le racisme anti-blanc vu par Jeremy Carl. Propos recueillis par Ethan Rundell

    Histoire et prospective des civilisations avec Victor Davis Hanson. Propos recueillis par Laurent Schang

    Leçon d’hespérialisme avec David Engels. Propos recueillis par Pierre Saint-Servant

    Les ressorts messianiques de la colonisation israélienne. Par Daoud Boughezala

    La géopolitique du Moyen-Orient décryptée par Vali Nasr. Propos recueillis par Daoud Boughezala

    Le décapant tour des immondes avec Morgan Sportès. Propos recueillis par Daoud Boughezala

    La dénonciation de l’écofascisme, un épouvantail bien pratique. Par David L’Épée

    Ernst Haeckel, père de l’écologie vu par Yves Christen. Propos recueillis par Thomas Hennetier

    Hommage à Jean-François Michaud. Par ses amis et ses enfants

    Olivier Eichenlaub et Henri Levavasseur présentent le Pôle Études de l’Institut Iliade. Propos recueillis par François Bousquet

    Drôle d’histoire : Julien Hervieux présente l’Odieux Connard. Propos recueillis par Laurent Schang

    Jack Kerouac, un réac chez les hippies. Par François-Xavier Consoli

    Dossier
    Humour : la droite qui rit, la gauche qui pleure

    Pourquoi l’humour et la transgression sont-ils passés à droite ? Par François Bousquet

    Greg Tabibian, Monsieur « J’suis pas content ». Propos recueillis par Daoud Boughezala

    Le rire périphérique : humour des villes contre humour des champs. Par Xavier Eman

    L’humour explosif de Karine Dubernet. Propos recueillis par Marielle et Christophe Belleval

    Le rire contre le ricanement : persistance du sarcasme français. Par Christophe A. Maximel

    Panorama
    L’œil de Slobodan Despot

    Reconquête : Avalon. Par Slobodan Despot

    La leçon de philo politique : Feliks Koneczny et la guerre des civilisations. Par Ego Non

    Un païen dans l’Église : Notre-Dame de Bruyères-et-Montbérault. Par Bernard Rio

    Anachronique littéraire : Regulus et Don César de Bazan. Par Michel Marmin

    Rochedytorial : la grande sensiblerie. Par Julien Rochedy

    Éphémérides


     

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