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denis bachelot

  • Donald Trump, sauveur de l’Europe… malgré lui ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Denis Bachelot, cueilli sur Polémia et consacré à l'effet paradoxal que pourrait avoir la politique étrangère de Donald Trump sur l'Europe... Journaliste; Denis Bachelot est l'auteur d'un essai intitulé L'islam, le sexe et nous (Buchet-Chastel, 2009).

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    Donald Trump, sauveur de l’Europe… malgré lui ?

    Il faut bien comprendre, en effet, que l’enjeu international est l’élément le plus déterminant du conflit politique en cours au sein des univers du pouvoir outre-atlantique. Il renvoie aux choix les plus clivants de Donald Trump. Sur le plan extérieur, celui-ci, au même titre que ses prédécesseurs, veut maintenir et affirmer le leadership mondial des Etats-Unis, mais en rompant avec la logique mondialiste d’un multilatéralisme post nationale. Pour lui, la puissance américaine, qui doit rester économiquement et militairement archi-dominante, n’a pas vocation à être la garante d’un ordre mondial qui dépasse et soumet les nations, mais doit assurer sa suprématie dans une approche de nation à nation qui rejette les grandes organisations multinationales ; d’où son aversion  pour l’ONU et l’Europe de Bruxelles et sa vigoureuse remise en question de l’OTAN. C’est dans cette logique que Trump souhaite redéfinir les rapports entre les Etats-Unis et la Russie. Il prend acte du fait national russe, de son retour sur le devant de la scène internationale, et souhaite l’appréhender comme un rapport de force objectif à négocier, et non comme une croisade messianique du bien (progressisme libéral)  contre le mal (national identitaire).

    Cette remise en question de la vision mondialiste qui conduit les politiques occidentales depuis trois décennies, est une mutation idéologique au sein du capitalisme américain qui bouscule la puissance d’un capitalisme financier globalisé qui s’impose aux nations  et à leurs agents économiques. Elle s’accompagne d’une volonté de réhabilitation des frontières et de maîtrise des flux migratoires.  Elle impacte directement l’avenir de l’Europe.

    Une chance pour l’Europe ?

    Trump n’est certainement pas un ami de l’Europe dont il méprise visiblement la pusillanimité et la dépendance intéressée à l’égard de la puissance américaine. Toutefois, ses attaques répétées contre Bruxelles, ses initiatives agressives au plan des relations commerciales et son désir de faire payer les européens pour assurer leur protection, pourraient constituer une chance historique pour les peuples du vieux continent de reprendre leur destin en main, et d’échapper enfin à la dilution mondialiste de l’idéologie bruxelloise. La guerre juridique que les Etats-Unis mènent depuis des années contre les intérêts économiques européens à coup de milliards de dollars d’amendes  prononcées par leurs tribunaux, a fini par lever le voile sur le cynisme de leurs méthodes de domination économique. Le droit américain, imposé au reste du monde, couplé à l’arme fatale du dollar, forment ensemble un outil de suprématie impériale qu’il n’est plus possible de feindre d’ignorer.

    La soumission européenne semble toucher ses limites et les incessantes menaces concernant les liens commerciaux avec l’Iran suscitent désormais des velléités de résistance  alors que les pays de l’Union tentent de mettre sur pied des mécanismes d’échange permettant de contourner les sanctions imposées par Washington. Le très lisse Bruno Le Maire, n’hésite plus à déclarer que l’Europe doit se doter d’outils financiers totalement indépendants de l’emprise américaine. L’enjeu est de taille ; il en va de l’avenir du dollar et de sa suprématie mondiale, alors que d’importants pays comme la Chine, la Russie, l’Inde, le Brésil et, désormais la Turquie, se tournent vers  une « dédollarisation » de leurs échanges commerciaux. Après l’ère de la domination par la communication souriante et élégante d’un Obama, la brutalité primaire d’un Trump a quelque chose de bénéfique. Elle pourrait susciter un choc salutaire pour une Europe sans repère qui n’a d’autre issue, pour survivre dans un monde hostile et dangereux,  que de revenir à ses fondamentaux civilisationnels à partir de ses peuples qui se reconnaissent encore dans leurs nations pluriséculaires.

     

    Puissance et souveraineté

    Les européistes les plus convaincus sont pris à contre-pied face au retournement en cours de la politique américaine, alors que leur capacité de domination provenait largement de leur alignement docile sur la puissance des Etats-Unis; cette dernière, désormais, n’est plus leur meilleure alliée. Sur quelle force peuvent-ils  s’appuyer pour pérenniser leur système de pouvoir alors que les peuples  de l’Union se détournent inexorablement de l’attraction bruxelloise ? Le désir de réhabiliter les souverainetés et les  identités des nations au sein d’une Europe unie face à des dangers communs, tend à s’imposer comme l’horizon naturel des peuples européens. Une évolution qui s’inscrirait dans le cadre d’une Europe réconciliée avec elle-même et prête à assumer les défis de la puissance souveraine. Avoir un président des Etats-Unis qui ouvertement appelle à lutter contre l’immigration clandestine et non désirée est un élément capital qui devrait changer l’enjeu migratoire en Europe. Le fantasme mondialiste d’abolition des frontières a perdu son soutien le plus puissant.

    La recomposition du monde autour de quelques grands pôles géographiques structurés autour de nations puissantes représente le défi historique de la veille Europe. La technostructure de l’Union européenne, fondée sur la primauté formaliste du droit, de la libre concurrence et d’un humanisme  à prétention universaliste, est incapable de répondre aux défis du siècle qui se construit sous nos yeux. Elle a tout simplement oublié l’enjeu de la puissance comme le rappelle inlassablement l’économiste Christian Saint-Etienne. En 2003, déjà,  ce dernier écrivait  un ouvrage, préfacé par l’ancien ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine,  dont le titre La Puissance ou la mort : L’Europe face à l’empire américain (Seuil),  lançait un  cri d’alarme prémonitoire : « Si l’Europe, avertissait Christian Saint Etienne, ne fait pas le choix de la puissance, dans les quinze ans qui viennent elle ne sera plus qu’une proie pour les puissances nationalistes ». Nous y voilà ; et nous sommes bien aujourd’hui placés au pied du mur : «  La puissance ou  la mort » !

    L’Europe actuelle est un ventre mou où, sous le voile de l’union, usé jusqu’à la trame, s’affrontent les égoïsmes les plus sordides et irresponsables. Elle doit se reconstruire sur des bases nouvelles, revitalisées par la volonté des peuples. Le nouvel isolationnisme américain, si la ligne politique de Trump finissait par triompher (ce qui n’est pas encore acquis, en dépit de l’importante victoire symbolique de la nomination du juge  Kavanaugh  à la Cour suprême), doit représenter une chance pour l’Europe !

    Un enjeu de souveraineté que l’institution européenne n’a jamais été capable d’assumer et que son suzerain d’outre atlantique finirait par lui imposer ! Une ruse supplémentaire de l’histoire qui ne doit plus nous étonner. En 1973, déjà, le grand Raymond Aron s’interrogeait sur la dépendance de l’Europe face aux Etats-Unis : « Il m’arrive, écrivait-il alors, de penser que les diplomates américains en suivant les conseils néo-isolationnistes  rendraient le même service à l’Europe politique qu’ils ont rendu à l’Europe économique, il  y a un quart de siècle ».  Les européens, poursuivait-il, s’ils étaient confrontés à la perspective du départ du dernier GI, « trouveraient-ils en eux-mêmes, avec la conscience du danger, le courage et l’initiative nécessaires pour surmonter leur condition d’Etats protégés ? » (1). Nous étions à cette époque en pleine guerre froide. Près de cinquante plus tard, la politique nationaliste de Trump, basée sur le principe « America first »,  nous contraint à affronter la même question existentielle : « Etre ou ne plus être »…

    Denis Bachelot
    25/10/2018

    (1) Raymond Aron, République impériale, les Etats-Unis dans le monde 1947-1972, Calman-Levy

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  • Peut-on aimer la France, sans aimer les Français ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un excellent point de vue de Denis Bachelot, cueilli sur Polémia et consacré à l'oligarchie et à son entreprise de déconstruction identitaire...

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    Peut-on aimer la France, sans aimer les Français ?

    La grande offensive médiatique qui sévit depuis quelques semaines autour de la crise migratoire a au moins un mérite certain ; elle a mis au jour la vision du destin de leur pays portée par les élites dirigeantes européennes.
    En effet, au-delà des injonctions émotionnelles sur l’indispensable solidarité avec les « réfugiés » que nous avons le devoir moral d’accueillir sans restriction, l’argument massue mis en avant est celui de la contrainte économique :

    La démographie du vieux continent nous obligerait à recevoir dans les prochaines décennies des dizaines de millions d’immigrés pour faire face à la pénurie de main-d’œuvre qui menace les pays d’Europe. Cet argument représente la version rationalisante du discours dominant.

    Imposée comme une vérité d’évidence, cautionnée par les économistes en vue, cette affirmation, contestable au strict plan économique, doit être perçue par ce qu’elle révèle de ses présupposés idéologiques.

    On pourrait rétorquer, de prime abord, que les hommes ne sont pas des êtres indifférenciés que l’on peut sans risque substituer les uns aux autres. Dans cette approche anthropologique, la vraie question est de savoir alors quel est le rôle de la cohésion culturelle dans les performances des différentes nations ? Le sujet, du coup, devient infiniment plus complexe que la bien-pensance contemporaine ne l’affirme.

    Mais le point central de cette affirmation est sa conception induite du devenir des nations et de leurs peuples. Pour la première fois, officiellement et massivement, les dirigeants européens ont fait savoir à leurs populations que leur avis n’avait aucune importance. La nécessité économique, telle que les élites, économiques et politiques, la perçoivent, s’impose comme une fatalité qui relève de l’ordre naturel qui n’est pas à discuter.

    Un passage en force

    Maîtresse du jeu européen, Angela Merkel, sans aucune consultation autre que les pressions intenses du patronat allemand, a ouvert toutes grandes les vannes d’une immigration de masse qui déstabilise les équilibres fragiles du vieux continent. Sa rapide marche arrière, avec une fermeture « temporaire » des frontières, apparaît bien dérisoire face à l’appel d’air qu’elle a activé.

    En France, très rapidement, le PS a choisi le passage en force, en affirmant la responsabilité morale de l’Europe à l’égard des « réfugiés ». Le premier secrétaire, Jean-Christophe Cambadélis, a donné le ton lors du Congrès de Poitiers. « J’en ai assez, lance-t-il devant une salle acquise d’avance, de cette Europe forteresse, assez de cette Méditerranée cimetière, il faut un monde solidaire ». Et Manuel Valls de surenchérir : « Ceux qui fuient la guerre, les persécutions, la torture, les oppressions, doivent être accueillis. »

    Tout discours « d’équilibre », selon l’approche verbale du président Hollande et du premier ministre sur la nécessaire maîtrise des frontières fait par la suite pâle figure au regard de l’injonction morale qui, d’emblée, culpabilise et disqualifie tout esprit de résistance. Tout un chacun peut comprendre que le propos volontaire sur l’accueil contrôlé (qui croit au chiffre de 24.000 inlassablement répété ?) n’est qu’un paravent qui masque l’impuissance du politique face à une fracture de l’histoire.

    D’ailleurs, quelques personnages publics, plus ou moins oubliés, sont venus, opportunément, dire la vérité toute nue. Pour Dominique de Villepin, « les dirigeants politiques n’ont pas à se déterminer par rapport au  sentiment populaire » sur ce sujet et Mgr Gaillot, tiré de son sommeil médiatique, nous rappelle, vigoureusement, à notre devoir moral : « Seule compte la tragédie des migrants, des frères que nous devons accueillir ; nous ne devons pas penser à nous dans ces circonstances ».

    Dans sa naïveté moralisatrice, l’évêque de Partenia nous révèle la vérité profonde que l’idéologie dominante agite depuis longtemps sans l’expliciter tout à fait : l’histoire ne doit jamais être considérée du point de vue des peuples européens.

    Le désinvestissement affectif des «  élites »

    Nous sommes là au cœur du processus de domination culturelle qui sévit en Europe depuis plus de quatre décennies. La déconstruction des romans nationaux, particulièrement exacerbée en France, a principalement servi à délégitimer le lien fusionnel qu’un peuple entretient avec son histoire et son territoire. Le but recherché est de conduire le sujet collectif à ne plus distinguer le Nous de l’Autre, ne plus faire la différence entre ce qui procède de mon identité et ce qui est extérieur à moi.

    Le fait que personne ne questionne, dans les univers politiques et médiatiques institutionnels, l’affirmation qu’il faille, absolument, compenser le déclin démographique européen par une immigration de masse est la preuve la plus manifeste d’un désinvestissement affectif total des dirigeants européens à l’égard de leur peuple. L’identification à un destin commun a disparu.

    Le discours, sinon, serait – et ce depuis longtemps puisque la démographie est une affaire de long terme – de mettre en place des politiques natalistes volontaristes qui, outre leur finalité matérielle, solliciteraient le sentiment collectif d’une identité à perpétuer. Il faut pour cela un sentiment affectif d’appartenance commune à une identité qui fait aujourd’hui largement défaut à nos gouvernants. A comparer avec la politique nataliste qu’à mise en place le gouvernement de Poutine, au nom du destin historique du peuple russe.

    Ce que proposent aujourd’hui les responsables européens à leurs peuples est un effacement de leur identité au nom d’une logique économique simpliste et courtermiste qu’ils camouflent sous des vocables désincarnés et pavloviens d’ouverture à l’autre et de diversité ; enrichissantes, forcément !

    Dans ce contexte, toute référence à un principe identitaire pérenne qui dépasse et transcende les intérêts immédiats et particuliers est une dissidence insupportable à l’achèvement d’un monde plat, nomade et indifférencié, qui sous-tend la vision politique des élites dominantes de la vieille Europe, celles de Bruxelles en tête.

    Cette vision, elles la théorisent avec un simplisme intellectuel désarmant. Rappelons-nous les réflexions des technocrates de Terra Nova sur l’effacement irréversible des classes populaires traditionnelles (comprendre : blanches) issues du monde de la production, et la nécessité vitale pour le PS de réorienter ses choix politiques en fonction des nouvelles dynamiques sociales issues des minorités ethniques et culturelles : une façon grossière de faire passer une réalité mouvante, issue de facteurs circonstanciels, pour une vérité définitive et inéluctable. Les livres du socio-géographe Christophe Guilluy sont, opportunément, venus repositionner dans le débat public l’existence de ces classes « invisibles » qui, loin des centres villes, forment encore la substance profonde du pays.

    « La France doit être gérée comme un hôtel », affirmait, dans la même logique, le prophète cathodique de la mondialisation nomade Jacques Attali. Mais qui est prêt à mourir pour la gestion d’un hôtel ?

    Ce désinvestissement émotionnel total à l’égard d’un peuple et de son destin n’explique toutefois pas tout. Il ne pourrait être qu’une indifférence fonctionnelle et distante, sans autre finalité qu’un utilitarisme trivial. Comme nous l’écrivions dans notre précédent article : « L’œuvre de déconstruction identitaire, basée sur un intense travail de culpabilisation de l’identité traditionnelle, n’était pas une condition indispensable de la nouvelle phase de déploiement du capitalisme en voie de mondialisation» (1).

    Haine et violence idéologique

    L’entreprise forcenée de déconstruction identitaire dont nous sommes témoins depuis plusieurs décennies ne peut pas faire l’économie de la prise en compte d’une démission déterminante du combat politique : la haine comme fondement de la violence idéologique.

    On ne peut expliquer sinon, après bien d’autres exemples, l’incroyable violence de la campagne médiatique qui a frappé Nadine Morano, après sa déclaration sur le peuple « de race blanche et de culture judéo-chrétienne », reprise du général De Gaulle et maintes fois évoquée dans le débat public depuis la publication du livre d’Alain Peyrefitte qui la rapporte. Elle renvoie à une réalité historique simple et évidente, forte de deux millénaires de mémoire vive, que seule une hystérisation émotionnelle du débat permet, non pas seulement de nier, mais d’en interdire jusqu’à l’évocation même !

    Et pourtant, n’importe quel esprit tant soit peu rationnel peut d’emblée saisir la différence entre le rappel historique d’une réalité identitaire qui s’est construite au fil des siècles et un jugement de valeur sur la France contemporaine, désormais (qui peut le nier ?) multiethnique et multiculturelle. Mais le peuple « de souche », le peuple indigène, n’a pas le droit de se nommer lui-même en tant que référence première et déterminante de l’identité française, au risque, sinon, de ressusciter les démons du passé.

    La reductio ad hitlerum a encore de beaux jours devant elle. Elle est la pointe avancée d’une violence idéologique dont les formes de domination relèvent plus des mécanismes de la psychologie collective que de l’affrontement des idées.

    Le retournement des processus d’identification qui conduisent naturellement à privilégier ce qui vous ressemble, vous précède et vous prolonge, s’est construit sur un gigantesque travail de dévalorisation des cultures populaires traditionnelles, transformées en des séries de représentations répulsives et ringardes. Comment peut-on oublier, pour ne citer qu’un exemple, le personnage de prolo qui fit les choux gras de Coluche, avec son nez rouge d’alcoolo, son phrasé d’abruti et son racisme primaire ?

    Les discours rationalisants sur la « diversité » comme source d’enrichissement culturel et facteur de croissance économique ne sont que des constructions secondaires dans les rapports de force idéologiques, comparés à la puissance subjugante des systèmes de représentation de masse qui activent les processus collectifs d’identification.

    L’identification à la force au cœur de l’idéologie « progressiste »

    Il n’y a plus d’identification positive possible à la représentation dégradée d’une masse indifférenciée. Plus encore, nous assistons à un phénomène de renversement du processus d’identification qui fait que l’identification à l’Autre, l’étranger à ma culture, est plus valorisante que l’identification au semblable infériorisé. Nous sommes là dans une situation de domination culturelle et sociale classique, où le dominé n’arrive plus à se percevoir au travers de ses propres références culturelles qui le valorisent et intériorise son statut de dominé. Et l’identité dévalorisée du dominé ne suscite plus le désir d’identification. La faiblesse n’a rien d’attractif et l’identification va naturellement au modèle fort.

    L’occultation de son processus d’identification à la force est la face la plus cachée de l’idéologie « progressiste » mass-médiatisée (2).

    L’identification à la cause de l’Autre victimisé (l’étranger, l’immigré, le réfugié, quelle que soit sa dénomination) permet d’occuper une position de force en se valorisant par la défense du faible qui donne ses lettres de noblesse à l’engagement politique. Cette posture d’identification au faible mythifié est le socle de la fonction normative qui permet de dire qui est au service du bien et qui est du côté du mal ; un pouvoir redoutable pour qui le contrôle.

    L’écroulement des grands systèmes idéologiques n’a pas mis un terme à la violence idéologique. Le journaliste Jean Daniel, en 1979, publia un petit livre fort instructif dans lequel il racontait, à travers l’histoire du Nouvel Observateur, trente ans de cheminement de la conscience de gauche à la lumière des grands événements qui, depuis la Libération, l’ont portée.

    Dès les premières pages de son livre, Jean Daniel tentait de comprendre les mécanismes qui façonnent l’engagement de gauche. D’où vient cette attente passionnée du grand soir, du basculement de l’histoire ? Cette volonté violente de rupture que Michel Foucault, préfaçant l’ouvrage de Jean Daniel, relevait aussitôt : « Il [Jean Daniel] fait apparaître ce qui pour lui constitue la grande évidence structurant toute la conscience de gauche, à savoir que l’histoire est dominée par la révolution ». Une mystique de la révolution que l’auteur appréhende avec une distance critique : « Je finis par me demander, confesse-t-il, à propos de certains d’entre nous, si ce qui leur importe ce n’est pas la légitimation de la violence plutôt que la transformation de la société ? ».

    L’histoire, depuis, a fait son œuvre et les idéologies révolutionnaires se sont écroulées, en même temps que les régimes qui en avaient été, tour à tour, les porteurs. Le mythe d’une grande révolution collective, tranquillement, a été remplacé par celui de la « libération» individuelle.

    L’idéologie de la libération, beaucoup plus sociétale que sociale, a toutefois conservé le soubassement idéologique du mythe révolutionnaire : la rupture radicale avec l’ordre ancien comme condition de l’émergence d’un homme nouveau, libéré des contraintes et des aliénations du passé. La même violence idéologique, la même haine de l’ordre « naturel », sont recyclées au service d’une transformation de l’intérieur, celle du rapport de l’individu à ses désirs.

    Le mythe de l’individu absolu

    Un mythe de l’individu libéré, ou individu absolu, dont la mystique révolutionnaire est certes le soubassement originel, mais qui l’a largement débordé pour devenir, en tant que système de représentation de masse, une idéologie passe-partout, dont la banalisation même vide la mystique révolutionnaire de sa radicalité absolue, sans la vider pour autant de toute sa violence constructiviste.

    Pas de chance pour le prolétaire, jusque-là investit d’une mission messianique en tant qu’acteur historique du projet révolutionnaire, il devient, soudainement, le maillon faible d’un projet d’émancipation dont il ne maîtrise pas les codes culturels et qui n’est plus centré sur ses anciennes luttes sociales. Ce sont désormais les classes moyennes du tertiaire « intellectualisé» qui portent les valeurs de la transformation sociale. Et le beauf de Cabu, avec le mot qui va avec, devint le symbole dérisoire d’une France populaire ringardisée et exécrée.

    A contrario, on ne fait pas carrière dans l’espace public en tant que défenseur de la « France moisie ». Les chanteurs et les actrices « engagés », les comiques et les animateurs en vogue, les intellos en vue et les artistes connus, les journalistes vedettes, la masse des politiques médiatisés et les autorités morales institutionnelles sont quasi unanimes pour brocarder les tentations identitaires d’une France « franchoulliarde » qui, de toute façon, c’est bien connu, n’est qu’un fantasme sans réalité.

    « L’unanimité est mimétique », nous dit René Girard ; le système médiatique fonctionne effectivement en créant cette unanimité de façade qui vise à sidérer les esprits. Cette méthode est particulièrement efficace lors des grandes campagnes d’exécration collective lancées pour punir un « dérapage » ; l’affaire Morano en est un exemple parfait, ou lors des grandes opérations d’émotion de masse, type « Je suis Charlie ».

    Un message répété à l’infini, et légitimé par l’orchestration des voix les plus en vue, détient une force subjugante qui annihile les résistances rationnelles. La peur de ne pas être à l’unisson de ce qui est imposé comme la normalité évidente (il faut être un concentré de médiocrité et d’égoïsme pour refuser d’ouvrir les bras à la masse des réfugiés qui souffrent !) suffit à faire taire toute velléité de contestation du consensus émotionnel. Ce que le peuple « d’en bas » pense au profond de lui-même et refoule dans son for intérieur n’a plus aucune importance. Le Système actuel, au contraire des grands totalitarismes qui ont marqué le XXe siècle, n’a plus besoin de l’adhésion des foules ; il se contente d’une acceptation passive.

    Les rares voix dissidentes acceptées au banquet médiatique sont là pour occuper la case du « méchant » qui permet d’entretenir l’illusion d’un débat contradictoire et loyal. Eric Zemmour, avec talent, tient la première place du « réac » que le Système adore détester, un peu concurrencé désormais par Michel Onfray qui tourne mal, comme l’a vigoureusement expliqué Libération. L’icône de l’athéisme jouissif et de la gauche popu devient désormais un philosophe de bistrot pour beaufs lepénisés !

    Enfermée dans une série de représentations négatives, souvent teintées de mépris social, l’identité traditionnelle française est soumise à un processus d’exécration collectif qui soude la cohérence idéologique du Système dominant. La négation même de cette réalité identitaire est probablement l’aspect le plus violent d’un processus de déconstruction, qui, a contrario, sans le dire tout à fait, ne cesse de renvoyer à cette identité française « blanche et judéo-chrétienne », quand il s’agit de dénoncer le racisme et la xénophobie !

    Le devoir de mémoire

    La classe politique et médiatique nous l’a impérativement rappelé à l’occasion de l’affaire Morano, la France est un idéal construit autour de quelques grandes valeurs universelles. En conséquence, la citoyenneté « républicaine », basée sur l’adhésion à ces valeurs, est le seul critère légitime d’appartenance nationale, en dehors de tout héritage de cette longue durée, chère à Fernand Braudel qui a cherché avec passion à appréhender une « identité de la France », à travers la construction obstinée des siècles et des millénaires, à partir de ses peuples, ses mœurs, ses territoires et ses institutions.

    De Gaulle est le dernier dirigeant français d’envergure à avoir lié la vision de son destin personnel à celle de son peuple et de son pays. C’est probablement aussi pourquoi, au-delà de son œuvre politique, il reste tant présent dans les mémoires contemporaines. Il a incarné la pérennité d’une vieille nation, à travers ses fractures et ses drames, avec la conscience aiguë que seule la réalité de son identité profonde permet à un peuple de perdurer. Derrière le Rideau de fer du communisme soviétique, il voyait vivre encore le destin de la Russie et de son peuple. L’histoire sur ce point lui a donné raison.

    Au vu de la dramatisation des crises migratoires sur fond de ruptures géostratégiques, la question doit être désormais posée : peut-on prétendre aimer la France, voire la diriger, sans aimer les Français, c’est-à-dire les héritiers et les garants d’une identité collective pérenne que la longue durée a façonnée ?

    Denis Bachelot (Polémia, 16 octobre 2015)

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  • Voyage au cœur du mal-être français...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Denis Bachelot, cueilli sur le site de la fondation Polémia et consacré à la bataille autour de la notion de  «Français de souche». Journaliste et essayiste, Denis Bachelot est l’auteur de Les Maîtres à Représenter : essai sur la mise en scène des mythologies médiatiques (Eska, 1997) et de L’Islam, le Sexe et Nous (Buchet-Chastel, 2009).

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    « Français de souche »/ Voyage au cœur du mal-être français

    Que signifie la diabolisation de l’expression « Français de souche » ? Il faut tirer le fil de la pelote et le dérouler jusqu’à ses limites ultimes pour saisir toute la portée de cet interdit. Cela signifie d’évidence que le porteur de l’injonction se donne le droit de définir l’identité de celui qui se définit comme tel. L’identité n’est plus portée par celui qui se définit lui-même en tant que « quelque chose » mais par celui, extérieur à lui-même, qui le définit selon sa propre vision. Ce qui veut dire, en clair, que la définition de son identité n’appartient pas à celui qui se nomme lui-même mais à celui qui le nomme.

    Un enjeu de pouvoir et de domination.

    Nous sommes là face à un enjeu capital de pouvoir et de domination qui, tout au long des siècles, traverse l’histoire des hommes. C’est bien le dominant qui dicte à l’autre la définition de son identité. Pour s’en tenir à l’histoire récente, c’est bien le colonisé qui se voit affublé d’ancêtres « gaulois » par le colonisateur.

    Mais le seul fait pour un groupe humain de se donner à lui-même une définition identitaire qui contredit la norme dominante est déjà une affirmation qui le constitue en une réalité identitaire. Et celui qui nie ce droit, de par sa seule négation, renforce cette réalité identitaire. Il la confirme a contrario, en quelque sorte.

    Les données « objectives » de l’identité, si tant est qu’elles puissent être saisies, n’ont au fond peu ou pas d’importance dans le vécu identitaire. Ce qui compte d’abord, c’est la façon dont un groupe se vit et se perçoit au sein d’un environnement humain auquel il se compare et dont il se différencie par opposition aux autres. Si des millions de Français se vivent et se pensent en tant que « Français de souche », ils existent donc en tant que tels, si le sentiment d’une réalité commune les unit, en dehors de tout jugement de celui qui se sent extérieur à ce vécu identitaire.

    Nier cette réalité existentielle en la renvoyant à une simple aberration historique ou une indignité morale, sans même prendre en considération sa vérité psychologique, est une posture de négation qui ne peut que reposer sur un rapport de forces et de domination.

    Nous touchons là au cœur de la dépression mortifère française. Elle tisse la trame la plus intime de l’enjeu politique contemporain.

    Le processus de déconstruction de l’identité française, socle de l’idéologie dominante depuis quatre décennies, révèle aujourd’hui sa vraie nature dans la géographie sociale du pays. Le socio-géographe Christophe Guilluy a pertinemment analysé le phénomène de recomposition du territoire national en fonction de critères sociaux et ethniques (1). Le constat est clair et sans appel : les perdants de la mondialisation libérale sont les classes populaires blanches, celles qui, massivement, ont été reléguées loin des grandes métropoles créatrices de richesses, pour se « réfugier » dans les zones périphériques défavorisées en termes d’emplois, de services sociaux et de transports.

    Ce processus de transformation territoriale marque le triomphe des classes supérieures adaptées à la mondialisation libérale et qui maîtrisent les codes du pouvoir social et culturel. En contrepoint, les représentations culturelles de la France « d’en bas » ont été massivement dévalorisées au point de devenir les modèles repoussoirs, les anti-modèles donc, d’une modernité cool, mondialisée et, surtout, diverse.

    Le triomphe des « maîtres à représenter ».

    Nous avons publié, il y a bientôt vingt ans, un livre qui analysait en profondeur le processus de retournement des représentations de la culture populaire et traditionnelle française, en une série de représentations répulsives et ringardes (2). L’idéologie dite « antiraciste » a été l’arme principale qui a permis le contrôle et la soumission des esprits; un processus de domination culturelle qui accompagnait, de fait, une nouvelle phase de domination sociale, dans un contexte de mutation économique accélérée.

    On peut même lui fixer une date de naissance qui institutionnalise la haine identitaire de soi dans les représentations de la culture de masse : la sortie, en 1975, du film Dupont Lajoie. Image hideuse et dérisoire du « petit Français » sur fond de racisme assassin. Paradoxe cruel, l’homme qui incarnait à l’écran ce « Dupont Lajoie » abject, quintessence de Français moyen, bistroquet et campeur à caravane de son état, n’était autre que Jean Carmet, le dernier acteur du cinéma français à porter l’âme populaire française, comme Raimu, Fernandel, Bourvil ou Gabin l’avaient fait en leur temps.

    La domination culturelle a précédé la domination économique et sociale. Elle s’est construite, c’est la thèse que nous défendions dans notre ouvrage, comme un processus collectif d’identification à des représentations de masse qui se sont imposées par le jeu de leur dynamique mimétique.

    Bien sûr, des forces d’influence ont pesé dans la mise en œuvre des outils de domination ; un exemple probant est celui de SOS Racisme, création concertée du PS et d’un groupuscule communautariste de gauche, l’UEJF. Pour autant, la correspondance entre les rapports de force sociaux et l’idéologie véhiculée par le système de représentation de l’idéologie « antiraciste » n’est pas mécanique. L’œuvre de déconstruction identitaire, basée sur un intense travail de culpabilisation de l’identité traditionnelle, n’était pas une condition indispensable de la nouvelle phase de déploiement d’un capitalisme en voie de mondialisation. Le nationalisme identitaire peut même être un puissant facteur de développement et de conquête économique, comme on l’a vu, notamment, en Chine, en Corée, à Taïwan ou Singapour. Il peut également cohabiter avec un individualisme consumériste forcené ; la Chine là encore est un bon exemple.

    De même, la puissance hégémonique de l’empire américain n’impliquait pas, inéluctablement, le triomphe du modèle communautariste qui façonne la société américaine. Totalement dominé par la puissance de l’Oncle Sam, le Japon est resté hermétiquement fermé à l’immigration et à la diversité multiculturelle. Ce sont toujours les structures mentales qui, en définitive, font la différence.

    Une partie importante des baby-boomers les plus éduqués a choisi la déconstruction identitaire comme marqueur idéologique de sa prise de pouvoir générationnel pour des raisons psycho-culturelles qui ont, en soi, leurs propres dynamiques, au-delà des simples logiques socio-économiques.

    L’idéologie dominante a appuyé sa légitimité historique sur le long processus d’individuation des sociétés occidentales pour le détourner en mouvement de déconstruction radicale, bien au-delà de ce que les nécessités matérielles du temps l’exigeaient. Elle a construit, en quelques décennies, une représentation du monde qui constitue un horizon indépassable de la conscience collective européenne qui ne peut plus exprimer d’autres réalités que celles voulues, ou tolérées, par ses cadres établis.

    Déconstruction sexuelle et négation identitaire.

    Paradoxalement, dans le même temps, la gauche (c’est-à-dire l’idéologie « progressiste » dans sa fonction de déconstruction de l’homme « ancien ») a perdu la bataille des idées. Elle ne représente plus grand-chose et ne produit plus rien. La gauche «intellectuelle » se concentre dans quelques univers militants, stériles et subventionnés, comme l’Education nationale, la « culture », le monde associatif ou les médias, dont l’influence repose essentiellement sur la proximité avec l’argent public et les réseaux qui lui sont liés.

    Depuis la défaite historique de l’utopie sociale égalitariste, la déconstruction sexuelle et la négation identitaire sont les nouvelles frontières de la vulgate progressiste, en tant qu’aboutissement et réalisation de « l’individu absolu » : celui qui évolue comme en apesanteur face aux héritages du collectif et aux déterminismes de l’ordre « naturel ». L’humanité nouvelle se doit donc d’être « postidentitaire » et « postsexuelle ».

    Toutefois, au-delà de ses formulations militantes qui ne mobilisent que des franges marginales de la société, l’idéologie de l’individu absolu puise sa force et son apparente légitimité dans l’évolution endogène de l’individualisme contemporain qui mène à terme un long processus historique. Cette idéologie polymorphe, dégradée et simplifiée en messages répétitifs, imprègne les outils de représentation de masse de l’ordre marchand. L’individu « libéré », émancipé des limites des identités organiques (celles qui sont héritées de l’histoire) et qui construit son identité en fonction des objets du marché, est le consommateur idéal.

    La perte du pouvoir intellectuel offensif s’est ainsi accompagnée d’une prise de pouvoir quasi absolue dans les représentations de la culture de masse. L’idéologie « révolutionnaire » de l’émancipation individuelle aura donc bouclé son cycle historique en tant que doctrine promotionnelle de l’ordre marchand consumériste qu’elle prétendait subvertir. L’histoire n’est pas à un paradoxe près !

    Pour l’essentiel, désormais, l’utopie égalitariste du socialisme épuisé se déploie autour des questions sociétales.

    Sur la question de l’identité sexuelle, la dernière grande bataille, en France, s’est jouée en 2013 autour du « mariage pour tous ». La gauche a remporté une victoire institutionnelle en imposant sa loi en dépit d’un mouvement de contestation massif, mais elle a, politiquement, remporté une victoire à la Pyrrhus. Elle a dilapidé ses forces dans une guerre d’images qui ne répondait pas aux attentes de la grande majorité de son électorat qui espérait, avant tout, des mesures sur le pouvoir d’achat et le social. Elle a, notamment, sévèrement entamé son capital de sympathie auprès de l’électorat musulman qui avait massivement voté Hollande en 2012. Ses marges de manœuvre sur les problématiques du « genre » se sont donc fortement réduites.

    La question identitaire, épicentre du conflit politique.

    Désormais, l’essentiel du combat politique se resserre autour de la question identitaire que le pouvoir en place reformule en termes de lutte « contre le racisme et l’antisémitisme ». Cette stratégie a le mérite immédiat de ressouder toutes les familles de gauche. Elle permet aussi au pouvoir actuel de se repositionner en tant que champion d’un système menacé par les « extrémismes » et le « populisme », tout en neutralisant, du même coup, la droite institutionnelle, enrôlée dans le même combat.

    L’idéologie dite « antiraciste » est, plus que jamais, le socle et l’épicentre des enjeux de pouvoir et de domination qui agitent la société française. Le lieu où, plus que jamais, les tensions entre les représentations de l’idéologie dominante et les réalités vécues par le corps social sont les plus violentes. Des attentats de Charlie Hebdo au déferlement de réfugiés clandestins sur les côtes d’Europe du Sud, l’actualité est là pour, chaque jour, nous rappeler cette violence.

    L’offensive idéologique se déploie sur deux fronts : celui du politico-judiciaire et celui de la représentation et de l’affect.

    Au plan politique, chaque nouvel épisode de violence lourde issue des faillites de nos politiques migratoires, après les lamentations d’usage sur le refus de l’extrémisme et l’indispensable retour au pacte républicain, entraîne une nouvelle vague de condamnation paroxystique du « racisme et de l’antisémitisme ».

    Cette stratégie de l’amalgame, qui consiste à lancer des accusations indifférenciées, retombe en définitive sur la tête de ceux que le système de représentation dominant a depuis longtemps définis comme porteurs de dangerosité raciste : c’est-à-dire, bien évidemment, le Blanc plein de peur et de ressentiment – le représentant de la « France moisie », chère aux bien-pensants.

    Pour qu’il n’y ait pas de doute possible sur la cible désignée, sans être nécessairement directement nommée, le système a pris soin d’institutionnaliser le mantra du « pas d’amalgame ». L’islam est innocent des crimes que l’on commet en son nom, et la violence observée est le fait de déséquilibrés ou de jeunes révoltés, victimes de l’exclusion. La lutte contre le « racisme et l’antisémitisme » doit donc se doubler d’un nouveau combat contre « l’islamophobie », pour ne pas pousser les « jeunes » à plus de désespoir et donc plus de violence. Le premier ministre est lui-même venu nous expliquer que la France, donc les Français, avait construit un système « d’apartheid » qui fonctionnait au détriment de ses populations issues de l’immigration.

    Ainsi, grâce à un grossier tour de passe-passe, chaque nouvelle poussée de violence de minorités activistes se transforme en une nouvelle séquence répressive généralisée, structurée en système d’accusation de la France traditionnelle.

    Répression et bons sentiments.

    La dernière grande étape de l’offensive politique, suite aux attentats de Charlie Hebdo, a vu le gouvernement socialiste mettre sur pied une loi, dite loi sur le renseignement, sorte de Patriot Act hexagonal, qui tend à mettre sous surveillance l’ensemble de la population pour neutraliser toute personne que le pouvoir qualifiera « d’extrémiste » et considérera potentiellement dangereuse… pour lui ! Les esprits les plus avisés ont dénoncé, en vain, les tendances liberticides de ce texte, à commencer par le célèbre juge antiterroriste Marc Trevidic.

    Depuis plus de trente ans, le filet répressif se resserre autour d’une population qui s’est vue retirer le droit d’exprimer ou légitimer l’idée qu’elle se faisait de sa propre identité et des attentes qui en découlaient : cette France qui ne peut plus se dire « de souche », qui n’a donc plus le droit de se nommer en tant que telle, mais que le système dominant ne cesse de nommer en creux quand il parle de lutte contre le « racisme ».

    Cette situation de domination culturelle et sociale a été légitimée grâce à un long processus de détournement du réel qui, nous l’avons vu, a eu pour fonction essentielle de masquer la réalité des rapports de force qui structuraient la société. Le plus faible, le petit Blanc, ou le Français «traditionnel », a été présenté comme une menace pour une population immigrée, systématiquement montrée comme fragile et démunie face au racisme et à l’exclusion. Il suffit de voir la longue litanie des dessins de Cabu ou de Plantu, « maîtres à représenter » de l’idéologie dominante, pour se convaincre de cet état de fait. La vulnérabilité voire la détresse du « Français moyen » n’est, elle, jamais représentée.

    Violences symboliques et violences réelles.

    Celui-ci, pourtant, a subi une double peine : outre sa fragilisation économique et sociale qui s’est tout particulièrement traduite dans la nouvelle géographie humaine du territoire national, il a été l’objet d’une entreprise de dévalorisation et de délégitimation de son vécu identitaire qui représente un phénomène de violence symbolique assez unique dans l’histoire. Cette violence, en effet, ne venait pas d’un phénomène d’invasion extérieure, comme l’ont subi les civilisations amérindiennes dans un espace de temps très court qui a suffi à les détruire, mais bien d’une agression endogène, portée par les rapports de force socio-culturels d’un moment de l’histoire européenne.

    Cette violence mentale, toutefois, s’est traduite par une violence bien réelle et physique, celle d’une explosion des actes liés à la délinquance de proximité, pudiquement rebaptisés «incivilités », qui a, au niveau de la rue, placé le Blanc «ordinaire » en situation de victime, fragilisé par son absence de solidarité organique et le rejet global de la violence physique qui caractérise la modernité culturelle des sociétés européennes.

    Cette réalité-là a été absolument niée, traitée en tant que « fantasme sécuritaire » et, surtout, massivement occultée par l’idéologie dominante et ses systèmes de représentation. Pour ne prendre qu’un seul exemple, les rapports annuels du CNCDH, qui, depuis plus de vingt ans, servent de baromètre officiel à l’évaluation du « racisme » en France, n’ont jamais pris en compte les agressions dont sont victimes des Français blancs de la part de personnes d’origine non européenne : une négation qui représente une violence identitaire a contrario, que l’on peut donc qualifier de raciste, qui s’appuie sur la légitimité institutionnelle de l’Etat français.

    Dans l’ordre des représentations dominantes, chacun doit garder la place que le système lui a allouée : le racisme est une émanation de la France blanche traditionnelle et la France nouvelle issue de l’immigration extra-européenne est victime de « stigmatisation » et d’exclusion. A la fois au-dessus et au cœur de la mêlée, la France des autorités « morales » – celle des partis politiques, des associations subventionnées, des autorités religieuses et communautaires, des syndicats, des prêcheurs médiatiques et de tant d’autres – mène le juste combat contre les idées et les propos « nauséabonds » qui rappellent « les heures les plus sombres de notre histoire » ! Le langage est codé, le lexique pavlovien ; nous sommes dans la propagande lourde et le conditionnement de masse qui ne peuvent tolérer le doute, la nuance et la controverse.

    Contrôle de l’information et contrôle des représentations.

    Mais chacun aura bien compris que nous sommes, de fait, dans la simple gestion d’un rapport de pouvoir et de domination. Et qu’importe, au fond, que l’épuisement vital de l’idéologie dominante face aux réalités rebelles ait scellé sa défaite intellectuelle. Le contrôle en profondeur de l’information qui permet d’orienter les perceptions et les affects des citoyens, et la maîtrise des représentations dans les outils de communication de masse, suffisent à maintenir la force de domination du système en place. Ce dernier peut même se contenter de porte-parole dérisoires, tels Jamel Debbouze, Joey Starr, Yann Barthès, ou, dans de grandes occasions, Madonna, pour entretenir l’illusion d’une vitalité offensive. The show can go on ; oui, mais jusqu’à quand ?

    Les résistances identitaires se font de plus en plus sourdes et la négation de la réalité ne suffit pas à anéantir ses effets délétères. Le Français « historique », dans une société qui se communautarise à grands pas, prend conscience de sa spécificité identitaire. Il devient « de souche », sans même l’avoir vraiment voulu. Tous les débats lancinants sur la laïcité, le voile, le hallal, le porc dans les cantines, la mixité dans l’espace public et d’autres encore sont autant de points de tension qui renvoient « l’indigène » à ses origines.

    L’identité est d’abord une affaire d’interaction et d’effets miroirs. Les jeunes, plus immergés que leurs aînés dans les violences polymorphes de la cohabitation multiculturelle, sont les plus touchés par le sursaut identitaire : les jeunes Blancs des couches populaires, les 18/35 ans, massivement votent pour le Front national, seule expression de dissidence à laquelle ils ont accès.

    Le Blanc populaire, note Christophe Guilluy – après des décennies de polarisation des politiques sociales sur la paupérisation des banlieues – redevient, comme au XIXe siècle, l’incarnation des « classes dangereuses » qui menacent l’ordre établi. Cette « France invisible », selon l’expression du géographe, sur laquelle la France des élites avait mis une croix, non seulement n’a pas disparu, mais peut encore entrer en révolte sociale, type les Bonnets rouges, et demain, peut-être, en rébellion ouverte. La question sociale et la question identitaire se sont mélangées dans les urnes à travers le vote Front national ; qu’adviendrait-il si, un jour, elles fusionnaient dans la rue ?

    Si la notion de Français de souche s’imposait dans le débat public comme une réalité centrale et exigeante, elle bousculerait l’ordre établi qui se légitime dans les systèmes de représentation dominants. Celui qui, depuis des décennies, est stigmatisé pour sa dangerosité raciste et son archaïsme culturel pourrait désormais revendiquer un statut de victime et, à ce titre, changer l’agencement des rapports de force. A contrario, ceux qui se sont donné à eux-mêmes le rôle de conscience supérieure dans le domaine des valeurs démocratiques et humanistes pourraient apparaître alors comme les tourmenteurs de leur peuple.

    Etre collectif vs individu absolu.

    De même, l’appartenance à la nation et à la citoyenneté devrait être repensée en fonction d’une réalité identitaire portée par une longue mémoire qui s’incarne dans la continuité d’un peuple autochtone, même s’il peut s’enrichir d’apports divers à travers les siècles. La rupture est totale par rapport à la vision de la citoyenneté horizontale, désincarnée et formaliste qui sévit aujourd’hui et qui dénie le droit à une communauté, encore majoritaire, de se penser et se vivre comme le référant légitime et premier de l’identité nationale, et même de se nommer en tant qu’entité existante.

    En arrière-plan de cette confrontation politique s’opposent deux visions de l’Etre radicalement inconciliables. L’homme est-il un être de mémoire et d’appartenance dont l’individualité ne peut se concevoir en dehors de l’être collectif qui la constitue, ou bien un sujet, hors sol et hors nature, qui peut se construire et se réinventer à chaque nouvelle étape de son développement ?

    Ce n’est pas la question du « vivre ensemble » – simple mantra de la novlangue institutionnelle – qui se pose aujourd’hui aux sociétés européennes, mais bien la question existentielle de l’être social, qui s’ouvre comme un abîme à l’horizon de leur conscience désorientée. L’idéologie « postmoderne » de l’individu absolu a malmené notre capacité à appréhender l’humain à travers les contraintes « naturelles » de son être collectif.

    Un cadavre encombrant.

    La condamnation de l’expression « Français de souche » dans le débat public est bien une ligne de front, ultime et décisive. Se nommer soi-même, c’est reprendre le contrôle de son destin. Et c’est bien là que sévit le trou noir de la vie politique française depuis des décennies : dans la négation du droit du sentiment populaire (dans le sens de peuple en tant que communauté) de dire ce que l’ « être français » veut dire. Déjà, au début des années 1990, le philosophe Marcel Gauchet, à propos du triomphe récent de l’impératif pluriculturel, notait que « cette transformation présente la particularité d’avoir échappé, de bout en bout, au débat et à la décision démocratique, soit au titre de l’impuissance de l’Etat devant une réalité plus forte que lui, soit au titre d’une chose imposée au pays par l’oligarchie économico-politique… » (3).

    C’est ce cadavre du déni démocratique qui s’agite aujourd’hui dans les placards de la République. Pourra-t-on le tuer une deuxième fois ?

    Denis Bachelot (Polémia, 28 mai 2015)

     

    Notes :

    1- La France périphérique : comment on a sacrifié les classes populaires, Ed. Flammarion.
    2- Les Maîtres à Représenter : essai sur la mise en scène des mythologies médiatiques, Ed. Eska.
    3- Le Débat, n° 60, mai-août 1990
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