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paysans - Page 2

  • Foutez-nous la paix !...

    Les éditions Albin Michel viennent de publier une enquête d'Isabelle Saporta consacrée à la France des terroirs et intitulée Foutez-nous la paix. Journaliste, Isabelle Saporta a déjà publié Le livre noir de l'agriculture (Fayard, 2011). Un livre utile à consulter pour comprendre une part, au mois, des raisons de la crise actuelle du monde agricole.

     

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    " Savez-vous quelle pression écologique un âne exerce sur son pâturage ? Votre carrelage est-il réglementaire ? Connaissez-vous le supplice de la pédichiffonnette ? La hauteur de votre « végétation concurrentielle » – l'herbe ! – est-elle conforme ? Vous êtes perdu ? Eux aussi !

    Ils s'appellent Gérard, Nelly, Jean-Baptiste, Anaëlle… Isabelle Saporta, journaliste et auteur notamment du Livre noir de l'agriculture et de VinoBusiness, les a rencontrés. De Tracy-sur-Loire à Créances, de Noceta à Eygalières, ils sont éleveurs d'agneaux de pré-salé ou de poules de Marans, fabricants de bruccio, de beaufort ou de roquefort, vignerons…

    Vous mangez leurs viandes, leurs fromages. Vous dégustez leurs vins. Leurs produits sont servis sur les plus grandes tables du monde. Et pourtant… l'administration les harcèle en permanence, transformant leur quotidien en enfer. Quant à l'agrobusiness, il attend tranquillement son heure. Son arme pour mettre à mort ces défenseurs du terroir ? Les asphyxier sous d'innombrables normes formatées par et pour les multinationales.

    Ceux qui résistent ne demandent qu'une seule chose : qu'on cesse d'assassiner en toute impunité la France de la bonne chère ! "

     

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  • « La France a besoin de ses paysans pour vivre, pour être, pour durer »...

    Nous reproduisons ci-dessous un entretiendonné par Périco Légasse au Figaro Vox pour évoquer la crise profonde qui secoue le monde agricole en France. Critique gastronomique de Marianne et défenseur sincère de l'enracinement et des identités régionales, Périco Légasse est l'auteur d'un savoureux Dictionnaire impertinent de la gastronomie (François Bourin, 2013).

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    Périco Légasse : «Notre pays importe les cordes avec lesquelles nos agriculteurs se pendent»

    LE FIGARO. - La crise agricole est en train de prendre une tournure inquiétante. Est-on arrivé à ce fameux point de rupture dont certains experts pensent qu'il pourrait générer des chaos encore plus tragiques?

    Périco LEGASSE. - Tout porte à le croire, car les mesures décidées par le gouvernement et présentées par le Premier ministre devant l'Assemblée nationale prouvent qu'il y a, cette fois-ci, une grande inquiétude au sommet de l'Etat. Et s'il s'est décidé à passer à l'acte aussi rapidement, c'est qu'il y a urgence. Que faut-il, après les incidents de ces derniers mois, pour qu'enfin l'on comprenne à Paris comme à Bruxelles que cette crise-là n'est pas comme les précédentes? Elle est celle de ceux qui n'ont plus rien à perdre. On sait depuis trop longtemps que certains secteurs au bord du désespoir vont basculer dans l'irréparable. Violences, suicides, affrontements.

    N'empêche, des situations aussi extrêmes auraient pu être évitées bien plus tôt puisque nos dirigeants trouvent soudain les moyens de prendre la crise par les cornes. N'empêche, la méthode reste la même: on continue, à coups de millions d'euros, trouvés dieu sait où, finalement payés par le contribuable, à colmater les brèches, à panser les plaies, à mettre des rustines sur les fuites, pour repousser le problème au prochain déluge. Cette stratégie est irresponsable car elle ne résout rien sur le fond. Elle est surtout l'aveu que le gouvernement français ne dispose plus des leviers nécessaires à une réforme structurelle du mode de fonctionnement de notre agriculture. Ces leviers, c'est la Commission européenne qui les détient et nous savons de quelle agriculture rêve la Commission. Son modèle? Les usines à cochon allemandes, avec main d'œuvre bulgare payée à la roumaine, dont la viande de porc agglomérée a donné le coup de grâce aux éleveurs intensifs bretons auxquels on avait assuré que leurs tarifs étaient imbattables. C'est ça l'Europe libérale libre et non faussée?

    Personne n'a donc vu venir le danger? C'est étonnant...

    Nous avons accepté d'être dépossédés de prérogatives souveraines qui font défaut aujourd'hui à la République française pour sauver sa paysannerie. J'espère qu'il y aura un jour un tribunal de l'histoire pour juger les coupables qui ont accepté ces reniements successifs. L'éleveur laitier au bord du gouffre, qui voit son voisin revenir du super marché avec dix packs de lait UHT importés de Pologne, et auquel on demande son trentième certificat vétérinaire, a peut être des raisons de désespérer de cette Europe portée aux nues par son maire, son député, son sénateur, son président de chambre d'agriculture, son gouvernement, son chef d'Etat, souvent son journal, sa télé ou sa radio.

    Et s'il pose trop des questions, ou manifeste trop sa colère, c'est que, non content d'être assisté, il succombe aux sirènes du Front national.

    La pression exercée par les services de l'Etat, la banque, l'Europe et les aléas du marché sur nos agriculteurs atteint-elle ses limites?

    De normes sanitaires en règles communautaires, de contraintes financières en directives administratives, d'emprunts asphyxiants auxquels on les a poussés en leur tenant le stylo, aux pratiques commerciales imposées par le lobby agro industriel et par la grande distribution, les agriculteurs de France sont à bout. Pas les gros céréaliers nantis, liés à certaines coopératives et gavés de subsides européens, mais ceux qui nourrissent directement la population. Promenés et balancés de promesses électorales en programmes gouvernementaux jamais tenus, sous prétexte que nous sommes 12, puis 15, puis 18, puis 28 Etats à décider ensemble, ils ont contenu leur colère durant des décennies. «Mais rassurez vous, nous défendons bec et ongles vos intérêts à Bruxelles. Faites nous confiance, nous vous soutenons» … comme la corde soutient le pendu. Les chambres d'agriculture ont poussé les exploitants à devenir exploités, les incitant à s'agrandir en surface, à concentrer la ressource, à augmenter les rendements, à acheter des machines chaque fois plus grosses et coûteuses pour s'installer dans un productivisme global et compétitif. Ces paysans sont aujourd'hui floués, ruinés, abandonnés. On ne peut pas demander à un homme qui est à terre d'obtempérer sous peine de sanction, ni à un homme pris à la gorge, et qui ne sait plus comment nourrir sa famille, de s'acquitter des ses échéances bancaires ou sociales. Alors, épouvantable réalité, ceux qui sont acculés, à bouts de nerfs, sans lendemain, basculent parfois dans l'irréparable. La colère des agriculteurs est à l'image des désordres qui menacent la planète.

    L'importance du mouvement, la pugnacité des agriculteurs révoltés et l'extension du phénomène à toute la France révèlent-elles une souffrance plus profonde que ce que l'on peut imaginer?

    Nous sommes au delà de la tragédie humaine. Le désespoir agricole nous conduit à une tragédie nationale de grande ampleur. Et les effets aggravants vont exacerber les exaspérations déjà explosives. Car ce ne sont plus seulement les éleveurs bovins et les producteurs laitiers qui durcissent leurs actions. A l'Assemblée Nationale, ce jeudi 17 février, Manuel Valls déclarait que le gouvernement et l'Europe ont pris leurs responsabilités (baisse de 7 points pour les cotisations sociales des agriculteurs en difficulté et année blanche fiscale pour ceux à faibles revenus), et qu'il a appartient désormais aux agriculteurs de prendre les leurs. C'est le comble.

    Qui a conduit l'agriculture française dans cette impasse, toutes majorités confondues, depuis trente ans, en partenariat politique étroit avec le syndicat majoritaire? Qui, jusqu'au vote de la loi d'avenir, et de son programme d'agro-écologie porté par Stéphane Le Foll, en septembre 2014, par le parlement, a validé toutes les dispositions inféodant davantage l'agriculture française aux desiderata des lobbies bruxellois? Qui a validé la dérégulation du marché et la suppression des quotas laitiers sans contreparties? Qui refuse d'imposer la traçabilité des viandes entrant dans la composition des produits transformés? Qui laisse pénétrer chaque année sur notre territoire des millions de tonnes de tourteau de soja destinées à gaver nos élevages intensifs? Qui favorise l'importation déloyale et faussée de millions de litres de lait en provenance d'autres continents pour satisfaire aux oukases tarifaires de la grande distribution? Les cours mondiaux! Toujours les cours, mais alors qu'on le dise clairement, la France est soumise aux aléas d'une corbeille boursière qui décide de la survie ou non de nos exploitations agricoles. Quelle nation souveraine digne de ce nom peut accepter de sacrifier une partie de son peuple aux ambitions de patrons de casinos où le blé, la viande et le lait sont des jetons sur un tapis vert? La seule vraie question qui vaille est: ça nous rapporte quoi? La mort de nos campagnes, de ceux qui les entretiennent et une dépendance accrue aux systèmes agro industriels qui abîment la Terre, l'homme et l'animal.

    Alors qu'on recense environ un suicide d'agriculteur tous les trois jours, les pouvoirs publics prennent-ils la mesure du drame?

    Les agriculteurs étranglés, aux abois, meurtris, voient leur pays importer les cordes auxquelles ils se pendent. Un paysan qui se suicide n'est finalement que le dégât collatéral de la modernisation de l'agriculture et de l'adaptation au marché globalisé. Le bœuf que l'on jette aux piranhas pour que le reste du troupeau puisse passer. Le seul problème est que, finalement, tout le troupeau y passe. Qui sont ces agriculteurs qui se suicident? Précisément ceux qui appliquent à la lettre depuis 10 ans, 20 ans, 30 ans pour certains, les instructions et les recommandations du syndicat majoritaire, cette FNSEA qui a beau jeu aujourd'hui de barrer les routes et de bloquer les villes après avoir encouragé et accompagné toutes les politiques ayant conduit à ce massacre. Précisément ceux qui ont cru, en toute bonne foi (on leur avait si bien expliqué qu'il n'y a pas d'autres solutions possibles) que les programmes officiels, de gestion des cultures et des élevages pour se conformer aux lois du marché, les conduiraient à la richesse. Ceux-là sont ceux qui se pendent les premiers sous le regard compassé de ceux qui ont tressé la corde fatidique. Certes, il y a bien eu la PAC, avec des centaines de milliards reversés aux agriculteurs les plus riches qui s'alignaient doctement sur les critères du productivisme alors que les autres étaient obligés de tendre la main à Bruxelles pour obtenir une obole. Comment une puissance au patrimoine agricole si glorieux et si performant a-t-elle pu laisser ce trésor se détériorer aussi vite et aussi tragiquement. Quelqu'un a forcément menti à un moment donné de l'histoire.

    Le Salon de l'Agriculture s'ouvre dans dix jours. Que faut-il en attendre?

    On l'appelait autrefois la Foire agricole. C'était une fête. La vitrine des fiertés paysannes de la France. L'engagement fervent de ceux qui montaient à la capitale pour témoigner qu'une majeure partie du pays continuait à travailler la terre pour nourrir la nation. L'édition 2016 sera marquée par les drames et les détresses ayant marqué les douze derniers mois. Mais rien n'y fera. La Foire restera celle des grandes enseignes industrielles et commerciales dont les bénéfices se sont faits sur l'éradication d'une société qu'ils ont contribué à ruiner. Qu'un vainqueur vienne planter ses aigles sur le territoire du vaincu est une chose, mais qu'un marchand de produits toxiques vienne édifier un mausolée au milieu du cimetière de ses victimes en arborant un grand panneau sur lequel on peut lire «Voici mon œuvre» est pour le moins original. Car les grandes enseignes mercantiles qui fleurissent le long des allées du salon, entre les vaches et les cochons, les sacs de grain et les bidons de lait, les vergers reconstitués et les prairies artificielles, pour faire croire qu'elles sont les bienfaitrices de ce qui n'est plus qu'un musée de la honte agricole, n'auront pas le courage de financer un grand mur sur lequel on pourrait afficher les trois mille photos des paysans qui se sont suicidés depuis 2007. Et si l'on demandait aux grandes marques dont les panneaux colorent à perte de vue les halls de la porte de Versailles d'indiquer combien de tonnes de lait en poudre néo-zélandais, de fruits et légumes saturés de pesticides, de viandes infâmes, de produits cuisinés nocifs, etc, etc, elles ont importés, puis déversés, à prix écrasés, sur les rayons des grandes surfaces, tout en creusant la tombe des agriculteurs français n'ayant pu s'aligner sur les tarifs de cette merde… Que faut-il en attendre? Plus de larmes et plus de sang pour les agriculteurs pris au piège et plus de profits et de bonne conscience pour ceux qui les exploitent.

    Existe-t-il une perspective pour sortir de cette impasse?

    Oui, et même plusieurs: un gouvernement de combat et non un casting pour meeting électoral du PS avec supplétifs d'occasion. Exemple, dans la configuration politique actuelle, c'est Stéphane Le Foll qu'il aurait fallu nommer Premier ministre, afin de faire du programme d'agro-écologie, tout juste initié mais bientôt amplifié, une priorité nationale qui soit l'objectif premier du gouvernement de la République. Face à la détresse agricole, ce grand projet couvre toutes les problématiques et ouvre des perspectives au-delà même des enjeux agricoles. Il s'agit d'une redéfinition des logiques ayant prévalu jusqu'à aujourd'hui afin que l'agriculteur ne soit plus tributaire des spéculations et des OPA que la finance internationale lance sur les ressources alimentaires. Une seule réalité s'impose à toutes les autres: l'agriculture n'est pas faite pour produire, elle est faite pour nourrir. Nous avons la formule, nous avons le processus, nous avons des expériences. Un tel défi ne peut que susciter un vaste consensus populaire. De toutes les façons, seule une baisse générale de la production compensée par une redistribution qualitative de notre agriculture vers des formes de cultures et d'élevages répondant à la fois aux besoins et aux attentes de la population et aux impératifs d'un monde durable permettront de sortir de cette impasse. L'exacte contraire de ce que prône la FNSEA, toujours persuadée que le salut ne peut venir que d'une augmentation ultra modernisée de la taille des exploitations et des volumes, c'est-à-dire l'aggravation de tout ce qui a conduit l'agriculture française dans le mur. Cette redéfinition est une question de survie. Et plus l'on attendra avant de la décider, moins nous aurons de chance de voir nos agriculteurs redevenir des paysans. La clé du problème est là: rendez nous nos paysans!

    Et en projetant un peu plus loin?

    De même, il est fondamental de mettre en place un programme scolaire d'éducation citoyenne du consommateur concerté avec le ministère de l'Agriculture. Les bases existent sous le projet «classes du goût», créées par Jacques Puisais en 1975 puis expérimentées un temps dans certains collèges. Le client de demain doit apprendre à consommer pour se faire du bien, pour soutenir une agriculture qui le nourrisse sainement tout en préservant l'environnement, pour soutenir une industrie agroalimentaire créatrice de richesse et d'emploi dans le respect d'une agriculture porteuse d'avenir, pour soutenir un artisanat employeur garantissant la pérennité de savoirs faire et d'activités. Consommer moins mais mieux. Chaque année, chaque Français jette 7 kilos d'aliments frais emballés. Des millions de tonnes de nourriture à bas prix que l'on pourrait reconvertir en profit pour les agriculteurs qui produiraient donc un peu moins mais mieux payés. Sur le terrain de la compétitivité internationale, nous serons toujours battus par des systèmes qui peuvent produire encore plus infâme et moins cher. Cela passe par une émancipation des diktats bruxellois et le retour à la subsidiarité française en matière de normes agricoles. Enfin, repeupler nos campagnes et remettre en culture des terres abandonnées ou abîmées tout en créant une activité agricole conformes aux enjeux contemporains, non dans la surproduction surconsommée, mais dans une juste productivité qui permette de satisfaire 99% de la demande intérieure et d'en exporter l'excellence vers des marchés demandeurs. La France a besoin de ses paysans pour vivre, pour être, pour durer.

    Périco Légasse, propos recueillis par Alexandre Devecchio (Figaro Vox, 19 février 2016)

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  • "Nos agriculteurs n'ont même pas l'élégance de mourir en silence"...

    Vous pouvez découvrir ci-dessous une chronique d'Éric Zemmour sur RTL, datée du 11 février 2016 et consacrée à la crise agricole...

     


    "Nos agriculteurs n'ont même pas l'élégance de... par rtl-fr

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  • Que reste-t-il du paysan ?...

    Alors que le salon de l'agriculture ne va pas tarder à fermer ses portes, après avoir vu passer la quasi-totalité des candidats à l'élection présidentielle, nous vous proposons de lire le point de vue de Claude Bourrinet, cueilli sur Voxnr et consacrée à la France rurale, elle aussi frappée par la mondialisation...

     

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    Salon de l'agriculture : que reste-t-il du paysan ?

    Nombreux sont les candidats à l’élection présidentielle, qui se pressent au Salon de l’agriculture, comme pour recevoir une onction, une légitimité quasi sacrée. On ne manque pas de souligner le paradoxe, entre le poids électoral déclinant des campagnes, et l’inflation rhétorique et symbolique qu’entraîne une telle immersion dans la « plus grande ferme de France ». Il est vrai que le nombre d’exploitations agricole n’a fait que chuter depuis plus d’un siècle, pour s’accélérer ces quarante dernières années. D’1,6 million en 1970, elles atteignent 600 000 en 2003, puis 500 000 en 2010. Leur surface s’accroît, augmentant en moyenne, en dix ans, de 13 hectares. Près d’un million de personnes en vivent, quand, en 1945, c’était près de dix millions d’actifs. L’économie de subsistance a laissé la place, à partir des années 50, avec le plan Marshall, et avec l’aide de l’Etat, puis de l’Europe, à une gestion productiviste ouverte sur le marché international. La France, autosuffisante en 1970, est le premier exportateur de produits agricoles et alimentaires européen, et le deuxième dans le monde. L’agriculture intensive n’a pas été seulement la cause d’un changement de vocabulaire, substituant administrativement l’appellation « paysan » par « exploitant agricole », plus fonctionnelle. Les contraintes de cette « modernisation » ont entraîné une révolution dans le rapport à la terre. Les investissements en matériel, engrais, produits phytosanitaires ont transformé l’agriculture en source de rentabilité, au même titre que n’importe quelle autre entreprise. La quête de capitaux est devenue cruciale, la dépendance aux banques, aux primes et à la fluctuation des marchés un souci permanent. L’agriculture est un secteur protégé, et en même temps libéral, ce qui ne manque pas de susciter des tensions, repérables notamment dans la mise en cause de la FNSEA par d’autres syndicats moins proches du pouvoir. C’est aussi le paysage et l’environnement qui pâtissent de ce bouleversement : la concentration des propriétés entraîne en effet l’arrachage des haies, la concentration des surfaces agricoles, le déboisement, et l’usage intensif des engrais et pesticides, dont la France est le second consommateur après les USA, ce qui n’est pas sans provoquer une pollution endémique des voies d’eau et des terres. Là aussi, un mélange de fierté et de culpabilité mine la conscience « paysanne ». Enfin, cette modernisation, comme dans l’ensemble de la société, a créé de profondes inégalités. Un quart des agriculteurs se situent au-dessous du seuil de pauvreté, et le taux de suicide est plus élevé que partout ailleurs. Qui a côtoyé de près le monde rural sait combien de situations de détresse y abondent, sans que ces drames n’attirent l’attention des médias, obnubilés par les « problèmes des banlieues ».

    Libre-concurrence et protection

    La condition agricole se trouve donc ambivalente. D’un côté d’indéniables réussites économiques, de l’autre des difficultés qui tiennent autant à la mondialisation de l’économie qu’aux nouveaux besoins suscités par le changement de civilisation induits par la « modernité ».

    En 1995, le Groupe d’étude britannique de la PAC (Politique agricole commune) proclamait : « En ce qui concerne la réforme de la PAC, il n’existe aucune raison de traiter les agriculteurs différemment d’autres opérateurs économiques relativement aux changements de politique qui les touchent. » Ce discours, redondant de la part d’une Nation qui a sacrifié son agriculture en 1846, par les « corns laws », en décidant le libre-échange généralisé avec l’Empire, revendications appuyées parfois par des pays, comme une Allemagne qui a choisi l’industrie, ou comme les USA qui font pression agressivement sur la Commission de Bruxelles pour ouvrir le marché aux OGM, aux hormones, non sans complicité de cette dernière, et non sans hypocrisie, puisque le marché américain est surprotégé, rappelle combien l’avenir de l’agriculture française, dépendante d’aides qui la lient, est sans cesse en danger de précarité. Du reste, de nombreux secteurs, soumis aux pris bas de produits importés, comme le lait ou l’agneau, subissent les conséquences d’une ouverture des frontières excessive. La revendication française de protection d’un secteur florissant n’est pas sans rappeler les enjeux qui sont ceux de la culture et du cinéma. Les ennemis sont toujours les mêmes, à savoir les anglo-saxons et l’OMC, qui, parfois, se servent des pays émergents pour miner les défenses européennes (par exemple la question de la commercialisation des bananes).

    La France et la terre

    Toutefois, en ce qui concerne la France, on conviendra que la défense du PAC dépasse la simple question économique. Non sans paradoxe. Car, comme on l’a vu, la modernisation énergique et systématique de l’agriculture a été la cause d’un changement profond de la condition paysanne qui est loin de correspondre à ce qu’elle était il y a seulement un siècle. Nous touchons là un sujet qui est lié à l’imaginaire, et plus largement à un enjeu culturel au sens large. Le ministre de l’agriculture de l’année 2003, Hervé Gaymard, ne déclarait-il pas : « […] ce qui est en cause dans les négociations communautaires et internationales n’est rien moins que la sauvegarde d’un modèle de civilisation, auquel nous sommes profondément attachés. »

    Les Romains notaient déjà le caractère profondément agricole des Gaules, et sa richesse. Gaston Roupnel, en 1932, remarquait, dans son merveilleux ouvrage, l’« Histoire de la campagne française » : « Car ici l’homme est fils du sol qui lui grava et lui colora les traits de sa face et de son âme. Ici, c’est sans cesse et partout que la terre « s’est faite homme ». En cette Europe de l’Ouest, nous n’avons de race que d’être les descendants du défricheur primitif. » Mais la France, c’est aussi la civilisation latine, l’esprit romain, qui, comme l’on sait, gardait profondément comme référence nostalgique le paysan du Latium, homme rude, simple, vertueux, modèle du citoyen de l’Urbs, et symbole de la domestication de la nature sauvage, principe qui a transformé nos paysages en « jardin ». Dans les Géorgiques, Virgile en fait l’éloge :

    « Le laboureur ouvre sa terre, avec le soc.
    De là, sueur au front, il nourrira toute une année
    Patrie, enfants, troupeaux, les bœufs ses compagnons.
    Point de repos qu’en leur saison les fruits n’abondent
    Et le croît du bétail et les gerbes de chaume
    Et la moisson, lourde au grenier comme au sillon. »

    Nous trouvons là une image qui perdure dans le « Labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France », de Sully, et dans les représentations iconographiques abondantes, du paysan intégré à l’ordre cosmique, soumis humblement aux travaux des saisons, suivant sagement, impassiblement les usages de sa condition, comme nous le suggèrent les miniatures vives des « Très riches heures du duc de Berry », ou le tableau de Bruegel l’Ancien, qui montre un laboureur absorbé par le sillon que trace le soc, tandis qu’à l’horizon, un Icare, victime de sa démesure et de son agitation imprudente, chute dans la mer infinie où voguent les vaisseaux.

    La France agricole est en effet cet « Empire du milieu » d’Occident, qui fait écho à la Chine. Elle abrite dans ses entrailles, comme le faisait remarquer Chaunu, le plus grand nombre de morts au monde. Elle est une terre bénie des dieux, singulièrement propice à toutes les variétés de productions agricoles, elles-mêmes reflets de types sociaux et culturels, souvent singularisés par une langue, un patois, qui ont fait de notre pays une contrée aux innombrables pays, et, malgré cela, un Etat fort et concentré. C’est cette originalité, cette personnalité que représente le maintien d’un monde agricole diversifié, et en même temps profondément attaché à la Nation française. Il n’est pas indifférent que Jeanne d’Arc fût une paysanne.

    Un imaginaire frappé par la modernité

    Néanmoins, nous voyons ce que nous avons perdu par l’exode rural. Des parlers se sont évanouis faute de locuteurs, ou abandonnés par les jeunes générations fascinées par la modernité. Des modes d’existence, des liens de solidarité, des complicités de village, des sensations mêmes, liées à un vocabulaire spécifiques, ont été irrémédiablement détruits par ce que l’on pourrait considérer comme un ethnocide. Les jeunes agriculteurs, rejoints par les « néo-ruraux », qui font monter le prix de l’habitat, cernés par la spéculation foncière, les aménagements des voies publiques, ne présentent plus guère de différence de vie, de consommation et de goût, avec les jeunes urbains. Après le formica des pères, c’est internet ou la télévision, le supermarché de la ville voisine ou la discothèque du samedi soir qui ont vite fait s’uniformiser les esprits. Le rapport à la terre s’est distancié. Du haut de tracteurs de plus en plus volumineux, ou à bord de quads pétaradants, le contact avec la glèbe n’est plus le même. On fait appel désormais à des sociétés pour ensemencer, et les semences elles-mêmes sont protégées par des brevets, ce qui interdit d’utiliser les graines qui résultent des plantes dont elles sont le produit. Au point que l’on se demande si le symbole d’un enracinement ancestral possède encore quelque justification. Mais qui dira ce que les symboles recouvrent encore au fond des consciences ?

    Claude Bourrinet (Voxnr, 26 février 2012) 

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  • Le temps des colons...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son blog Regards sur le renversement du monde et consacré à l'emprise des multinationales sur l'agriculture européenne.

     

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    Le temps des colons

    La nouvelle passera inaperçue de tous ceux qui n’entretiennent pas un lien direct avec l’agriculture. La Chambre des Députés examine le 28 novembre un projet de loi qui oblige les agriculteurs à payer des droits à l’industrie des semences, sur les semences issues de leurs propres récoltes de fruits et de légumes – obtenues gratuitement. De nombreuses organisations appellent à manifester ce même jour, à Paris, devant ce qu’elles dénoncent comme un hold-up des industries du vivant. De quoi s’agit-il ?

    Qu’elle soit entièrement naturelle ou gérée par l’homme, la reproduction végétale a lieu à partir de graines, de semences, qui produisent de nouvelles plantes. La terreur des famines vient beaucoup de ce dilemme qui a longtemps hanté la conscience occidentale; soit manger toutes les graines disponibles, de blé par exemple, et condamner la récolte future ; soit conserver une part des graines pour les planter, et mourir de faim… L’intervention humaine a su jouer de la sélection naturelle, puis des hybridations, pour produire de nouvelles variétés, choisir les variétés les plus résistantes, les plus productives ou les mieux adaptées. Tout a changé quand l’industrie des semences a pu déterminer scientifiquement les caractères des plantes, fruits et légumes – substituer le produit de l’industrie au fait de la nature. D’immenses travaux, des investissements, ont permis d’augmenter les rendements, de raccourcir les exigences et le temps du cycle végétal, etc. Pour une part au moins, l’industrie a contribué à la fameuse « révolution verte », et à la fin de la famine.

    De marginale, l’industrie des semences est aujourd’hui devenue dominante ; pour de nombreuses cultures, l’utilisation de semences achetées sur le marché est obligatoire, pour d’autres, elle est très majoritaire. Dans un exemplaire processus de captation réglementaire, les semenciers ont réussi un hold-up sur le vivant ; eux qui ont fondé leurs travaux, leurs produits et leur chiffre d’affaire sur la nature, entreprennent d’en finir avec le processus naturel scandaleusement gratuit. Qu’est-ce qu’un paysan qui travaille avec la nature et ne rémunère pas le capital concurrent de la nature ? De sorte que tout se renverse, et les industriels considèrent à présent l’usage de semences issues de la récolte précédent comme une concurrence déloyale. Des affrontements internationaux sévères ont assuré aux Etats-Unis un quasi-monopole sur la plupart des filières, même si quelques entreprises françaises, souvent coopératives, ont efficacement résisté. Mais à quel prix ! Celui du ralliement à un modèle d’appropriation du vivant qui ne va pas sans problèmes. De même que Monsanto poursuit impitoyablement les paysans qui auraient réutilisé des semences et contourné son monopole du vivant ( et se trouve probablement à l’origine de plusieurs milliers de suicides de paysans indiens chaque année), l’ensemble des semenciers entend mettre fin, non au mécanisme de la nature, mais à leur libre disposition par l’homme. Les exploitants qui utilisent des semences naturelles pour les 21 espèces autorisées par l’Union européenne ( blé, pommes de terre, entre autres ) devront payer un droit pour financer la recherche des semenciers… sous prétexte de protéger la propriété intellectuelle ! L’information peut sembler anodine, elle ne l’est pas. Vous ne rêvez pas ; pour toutes les autres variétés ( légumes, céréales ), il est interdit aux agriculteurs d’utiliser leurs propres semences ! Vous ne rêvez pas ; la biodiversité n’est plus gérée que par l’industrie des semences, qui a dramatiquement réduit la diversité des variétés locales ou régionales de maints légumes et plantes. Et vous ne rêvez pas ; même quand les agriculteurs utiliseront leurs semences, ils devront payer des droits à l’industrie !  Elle marque un pas supplémentaire dans la suppression de la gratuité décrétée et poursuivie sans relâche par les nouveaux esclavagistes, ceux qui entendent que pas un hectare, pas une graine, n’échappent à la loi du rendement maximal et au service du capital investi.

    Il est permis d’ironiser sur l’urgence européenne de réglementation des semences, quand la maison euro coule. Les fonctionnaires fonctionnent, c’est même tout ce qui leur est demandé. Il est plutôt permis d’analyser un hold up sur le vivant, de même nature que celui réalisé par les autorités américaines quand elles ont étendu le droit des brevets, non plus aux inventions mais aux découvertes, entendues dans le sens très extensif de description d’un mécanisme naturel quand elle est faite pour la première fois. Au nom de la recherche et du droit, il s’agit d’assurer la mainmise sur le vivant des industriels, de manière à mettre fin à la scandaleuse gratuité de la nature ; comment, des productions qui ne rapportent pas, qui ne rémunèrent pas le capital et qui ne paient pas l’impôt ? L’expulsion des hommes de leur monde par la privatisation et par l’entreprise se poursuit, elle se précise, elle gagne des domaines inouïs, comme celui de la reproduction animale, où il sera bientôt interdit que des particuliers laissent leurs animaux de compagnie ou d’élevage se reproduire sans payer un droit à l’industrie de la reproduction animale – sous couvert d’amélioration de la race, sans doute ? Et c’est un autre épisode de la colonisation de nos sociétés par l’entreprise privée et par l’économie financière qui se joue, comme il s’est joué à propos du gaz de schiste, comme il se joue à propos du coup d’Etat perpétré en Europe par les banques et les marchés, comme il joue à propos du démantèlement des frontières et de l’importation du sous-développement, de l’esclavage et de la misère sur notre sol. La séparation entre l’homme, la nature, sa terre et les siens se poursuit. Tous nomades, tous nomades – c’est-à-dire dépossédés de la sûreté d’être qu’assure le rapport direct avec la nature. Le banquier et le marchand veillent à cette dépossession, qui fait d’eux les colons du monde à venir. La production du monde de l’artifice, qui est aussi celui de la rente, ou du racket, s’accélère même à la mesure que la crise enlève toute pudeur ou toute retenue à l’exigence de rentabilité du capital investi. Et la question est posée ; n’est-ce pas un nouveau et vaste mouvement des enclosures, analogue à celui qui a expulsé les petits fermiers britanniques ou écossais de leurs terres, et grossi l’esclavage des forges, des aciéries et des filatures, au début de la première révolution industrielle qui se déroule avec l’expulsion du paysan européen de la nature, gratuite, inappropriable, et jamais asservie ?

    Hervé Juvin (Regards sur le renversement du monde, 28 novembre 2011)

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  • Des livres noirs sur l'agriculture...

    A l'heure où le salon de l'agriculture ouvre ses portes, plusieurs livres paraissent pour pousser un cri d'alarme à propos de cette activité essentielle, mais gangrenée par la logique ultra-libérale. Chez Fayard, Isabelle Saporta publie Le livre noir de l'agriculture, dont le sous-titre, Comment on assassine nos paysans, notre santé et l'environnement, résume bien le propos. Et chez Robert Lafont, c'est Pierre Priolet, producteur de fruits du sud de la France, qui dans Les fruits de ma colère, s'élève contre la marchandisation destructrice de sa filière... Des livres qui ne peuvent que convaincre de soutenir une agriculture paysanne implantée dans son tissu économique et humain local et au service de la communauté...

     

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    "Vous souvenez-vous des Shadoks, ces étranges oiseaux qui passaient leur vie à pomper, pomper, pomper et à inventer des machines toujours plus absurdes ? Les Shadoks, aujourd’hui, c’est nous, ou plutôt notre agriculture. Malgré son coût prohibitif, celle-ci ne respecte ni le pacte social qui la lie aux paysans, ni le pacte environnemental qui la lie aux générations futures, ni même le pacte de santé publique qui la lie à chacun de nous. Les ressources d’eau sont gaspillées, polluées. Nous recevons chaque jour dans nos assiettes notre dose de pesticides et autres résidus médicamenteux. L’agriculteur ne s’en sort plus, et il est injustement voué aux gémonies, lui qui n’est que le bouc émissaire d’un système qu’il subit. La confiance est rompue.
         Pendant deux ans, Isabelle Saporta a parcouru les campagnes françaises. Dans cette enquête, elle met au jour l’absurdité du système, en le remontant de la fourche à la fourchette, du cours d’eau pollué aux cancers environnementaux provoqués par les pesticides, des animaux trop traités à l’antibiorésistance.
         La conclusion semble s’imposer : puisque notre agriculture pose plus de problèmes qu’elle n’en résout, il est urgent de changer de cap et de revenir à davantage de raison. Mais si tout le monde s’accorde sur le constat d’échec, aucun responsable politique ne veut prendre le risque de s’attaquer aux fondements de l’agriculture intensive.
         Loin de se contenter de brosser un tableau alarmiste, Isabelle Saporta avance des solutions simples. Pour les trouver, il suffit de savoir écouter ceux qui connaissaient le monde avant son délire productiviste. Ceux qui, aujourd’hui, travaillent d’arrache-pied à remettre les champs dans les sillons du bon sens paysan."

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    "Pierre Priolet produit des fruits en Provence. Il y a un an ses larmes en direct sur France Inter et Canal + ont bouleversé le pays. Jean-Pierre Elkabbach, Thierry Ardisson, Guillaume Durand et Michel Denisot l’ont invité dans leurs émissions et à chaque fois sa présence, sa colère, ses mots simples et justes ont déclenché une avalanche de courriers et d’appels. Il était temps : ils sont des  milliers d’agriculteurs,  pris comme lui à la gorge, à disparaître sans faire de bruit, dans l’indifférence. Parce qu’il a les mots pour raconter les vergers à l’abandon, le paysage français qui se désertifie, l’humiliation quotidienne de paysans infantilisés par les subventions, le scandale de la grande distribution qui les étrangle, les pesticides autorisés en Espagne alors qu’en France, les agriculteurs sont traités de pollueurs. Parce qu’il n'adhère peut-être aussi à aucun syndicat et que sa parole est libre, Pierre Priolet est devenu en quelques mois le porte-voix d’un monde qu’on assassine. Passionné, il ne se contente  pas de dénoncer, il se veut aussi l’instigateur d’un projet pour bâtir un nouveau système de distribution qui se passerait des aides, et il se bat  pour l’idée d’une société où l'on consommerait plus juste. Un livre bouleversant, un appel au secours, mais aussi une très efficace réflexion sur notre société et sur un système en bout de course."

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