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ojim - Page 4

  • Quand les médias paniquent...

    Nous reproduisons ci-dessous une excellente analyse de l'Observatoire des journalistes et de l'information médiatique consacrée à la panique qui semble s'être emparée des médias depuis qu'ils anticipent une très forte progression du Front national aux élections départementales de la fin mars...

     

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    Élections départementales : quand les médias paniquent

    « Plus une organisation est grande et autoritaire, plus les chances sont grandes que ses hauts dirigeants évoluent dans des mondes purement imaginaires », remarquait l’économiste américain Kenneth E. Boulding (1910-1993). Cette règle se vérifie en ce qui concerne l’État et c’est un lieu commun que de constater combien le pouvoir éloigne de la réalité ceux qui l’exercent. La nouveauté, c’est que cet enfermement dans un monde imaginaire s’applique désormais à la plupart des grands médias dont la grille de lecture n’arrive plus à rendre compte de l’évolution du pays. Le résultat, c’est l’incompréhension et la panique, mais aussi la surenchère dans la violence, laquelle nait, comme on le sait, de l’impuissance des mots à nommer la réalité.

    Vers un nouveau bouleversement politique ?

    Depuis décembre dernier, une batterie de sondages donne régulièrement le Front national gagnant des élections à venir, dans des proportions que ce parti n’a jamais connues. Le dernier en date, effectué par Odoxa pour RTL le 9 mars place le parti de Marine Le Pen à 31% des votes au premier tour, devant l’UMP/UDI (29%) et le PS (20%). Après la victoire des élections européennes, le franchissement de la barre des 30% au premier tour par le Front national serait un nouveau bouleversement politique susceptible de remettre en cause le bipartisme de fait sur lequel repose la vie politique française depuis plusieurs décennies. Les états-majors des deux grands partis menacés ont donc élaboré des stratégies pour tenter de limiter la casse : affirmation d’une alliance électorale objective du PS et du FN pour l’UMP. Dramatisation à outrance sur le mode de « la République en danger » pour le gouvernement socialiste. Manuel Valls a ainsi sorti l’artillerie lourde en affirmant craindre que la France ne vienne se « fracasser » contre le Front national, en revendiquant la « stigmatisation » de Marine Le Pen et en appelant « les élites intellectuelles et culturelles » à s’engager plus avant dans ce qu’il considère désormais comme un combat de civilisation et non plus seulement un combat politique. Le lyrisme du Premier Ministre a ceci de paradoxal que s’il a pour but de sidérer l’électorat de gauche pour le conduire aux urnes, il risque dans le même temps d’encourager davantage encore au vote FN tant il est vrai que c’est précisément contre ces élites intellectuelles et culturelles qu’une partie grandissante des Français se révolte, notamment par le biais du vote pour un parti encore largement perçu comme « anti-élites ».

    Comment lutter contre le Front national ?

    Les médias dominants prennent évidemment leur part dans cette tentative désespérée de contenir ce qu’ils perçoivent dans leur immense majorité comme une « menace » à laquelle leur conscience citoyenne leur intime l’ordre de lutter de toutes leurs forces, en contradiction parfois avec leur statut de journalistes censé leur conférer sinon l’objectivité, du moins une certaine neutralité. Mais comment lutter contre le Front National ? Depuis de nombreuses années, cette question hante les rédactions mais aucun consensus ne s’est jamais dégagé. Pour certains journalistes, il faut inviter les dirigeants du parti sur les plateaux pour démonter leurs arguments ; pour d’autres il faut au contraire ne pas les inviter pour ne pas leur offrir de tribune. Certains estiment qu’il faut continuer à « diaboliser » Marine Le Pen quand d’autres affirment à l’inverse qu’il faut la traiter comme les autres hommes et femmes politiques pour lui ôter cette odeur de soufre qui attirerait précisément les mécontents. Aucun pour dire qu’il faudrait peut-être simplement se limiter à informer sur Marine Le Pen et le Front national de la même façon qu’il faut informer sur les autres dirigeants et partis politiques. C’est donc un joyeux bouillonnement intellectuel et stratégique, dont la réflexion proprement journalistique est souvent très éloignée, qui occupe les rédactions autour de cette question, avec cette petite précision utile : aucune de ces stratégies n’a jamais fonctionné. Le FN grimpe inexorablement.

    Impuissance des journalistes

    On pourrait attendre des élites intellectuelles et culturelles, dont les journalistes font partie, qu’elles se posent enfin la question du pourquoi et non seulement celle du comment. Pourquoi leurs stratégies ne marchent pas ? Pourquoi le FN grimpe inexorablement ? Pourquoi son programme séduit-il de plus en plus de Français ? Certains intellectuels le font : Michel Onfray, Christophe Guilluy ou Jean-Claude Michéa, pour ne citer que ceux d’entre les plus connus qui sont marqués à gauche, et il est intéressant de remarquer au passage qu’aucun d’entre eux n’est rattaché à une institution.

    Une hypothèse serait d’avancer que les institutions, y compris les grands groupes de presse, ont tellement partie liée avec l’ordre économique et social actuel qu’ils sont incapables non seulement de le remettre en cause mais de voir combien cet ordre, s’il profite à une minorité, nuit de plus en plus à la majorité qui le rejette ainsi logiquement de plus en plus violemment. Le travail d’analyse qui consisterait à mettre à jour ce que cet ordre a de punitif et d’injuste est ici rendu compliqué, voire impossible, par l’intérêt personnel que tirent la plupart des journalistes de cet ordre. Le remettre en cause consisterait pour certains journalistes à scier la branche sur laquelle ils sont assis et il ne leur reste alors plus qu’à se convaincre, à défaut de convaincre leurs lecteurs, que les électeurs du FN sont au mieux manipulés par « des semeurs de haine » (que l’on est donc moralement autorisé à « stigmatiser »), au pire des salauds. De la concurrence sauvage à laquelle sont soumises les petites PME provinciales depuis la fin des frontières à l’immigration incontrôlée qui déstabilise les modes de vie en passant par les bandes d’Albanais et autres balkaniques qui mettent une partie du pays en coupe réglée au point de donner naissance à des milices privées, on ne dira pas un mot si ce n’est pour se moquer des « fantasmes » d’une population tentée par le « repli sur soi », comme Le Petit Journal s’en est fait une spécialité.

    Un aveuglement touchant

    Les stratégies politiques des médias pour endiguer le Front National ont toutes échoué ? Appliquons-les quand même. Telle est aujourd’hui la tragique impuissance des médias dominants qui à mesure que l’échéance électorale approche ressortent leurs lance-pierres et leurs sarbacanes face aux panzers de Marine Le Pen qui sont eux portés par une situation objective, c’est-à-dire par une forme de fatalité tant que cet ordre demeurera ce qu’il est. Le journalisme n’est souvent pas très loin de la communication et peut-être ceci explique-t-il cette foi naïve dans les slogans et dans la tentative de culpabilisation morale face à des gens réels vivant des situations réelles et désireux de changer cette réalité dont ils sont les victimes.

    Face à l’ouvrier licencié d’une entreprise de construction, qui pour survivre à la compétition est obligée d’avoir recours à une main d’œuvre intérimaire polonaise, les médias affirment que le parti pour lequel il s’apprête à voter n’est pas républicain. Face au paysan à qui des gangs de Roumains volent essence, tracteurs, vaches et chevaux, on brandit les années 1930. Face à la mère de famille dont le cours de piscine de sa fille est annulé à l’école publique parce que les élèves musulmanes refusent de montrer leur corps, les journalistes parlent du danger fasciste. L’aveuglement en est presque touchant.

    Bêtise ou malhonnêteté ?

    Les armes sont donc toujours les mêmes et chaque campagne a désormais son lot de « traqueurs de dérapages » ou de traqueurs de « candidats fantômes ». LCI a ainsi découvert « une septuagénaire aveugle du Puy-de-Dôme qui a eu la surprise de découvrir qu’elle était candidate aux élections départementales sur une liste FN ». Bigre. Certains médias locaux ou nationaux ont également beaucoup insisté sur les « dérapages » de candidats, la plupart du temps des dessins postés sur leur compte twitter (« le niqab jetable », « le grand remplacement », etc.) ou des formules provocatrices sur « l’islam, peste bubonique », « l’islamophobie est un droit. Combattre l’islam un devoir », etc. En tout une quinzaine de « dérapages », la plupart des blagues de café du commerce, qu’ont mis à jour les limiers du journalisme sur 7648 candidats se présentant aux élections. On prend très peu de risque en affirmant que le même travail systématique exécuté dans n’importe quel autre parti aurait probablement donné un résultat à peu près similaire. Oui, il y a une France moins fine qu’à Saint-Germain-des-Prés qui fait des blagues de mauvais goût « sur les Arabes et les pédés ». Bonjour le scoop.

    Le but de ces compilations de dérapages est évidemment de montrer que « le Front National n’a pas changé », ce qui est un élément important de la doxa anti-FN. Pour des journalistes généralement à l’avant-garde dans la dénonciation de « l’essentialisme », il est amusant de constater que tout et tout le monde peut échapper à tous les déterminismes, sauf le Front national, enfermé à jamais dans une identité mythique fossilisée dans le racisme et l’antisémitisme. Et cela en dépit des études des politologues ou des sociologues montrant que depuis l’accession à la tête du parti de la fille de Jean-Marie Le Pen, le parti a bel et bien effectué sa révolution copernicienne sur le fond comme sur la forme. Répéter que le FN d’aujourd’hui est le même que le FN des années 1990 relève ainsi, au choix, de la bêtise ou de la malhonnêteté.

    Et revoici le cordon sanitaire…

    C’est pourtant la position de Jean Quatremer, brillant journaliste spécialisé dans les questions européennes pour qui le Front National est un parti fasciste de toute éternité. Invité le 6 mars dernier dans l’émission « 28 minutes » sur Arte sur le thème « La victoire annoncée du FN est-elle inéluctable ? », c’est en tout ce qu’il a affirmé héroïquement. Selon lui, la montée du Front National n’a rien à voir avec des revendications légitimes d’électeurs défendant leurs intérêts (comme lui défend les siens) mais tout à voir avec la maladresse des autres partis et surtout la complicité des médias. Quatremer s’insurge ainsi de voir les dirigeants du Front National invités sur les plateaux télé et les journalistes « poser des tas de questions à Marine Le Pen ». Pour que l’on comprenne bien le fond de sa pensée, il donne « l’exemple de la Belgique où pendant 25 ans, il y a eu un cordon sanitaire autour du Vlaams Belang ».

    En clair, ce que souhaite Quatremer, c’est que les journalistes ne parlent plus du premier parti de France, qu’ils passent sous silence toute information à son sujet de manière à le plonger dans la nuit médiatique. Curieuse conception et du journalisme et de la démocratie. « À Libération par exemple, nous n’allons jamais interviewer de responsables du Front National parce qu’on considère que ce sont des menteurs », ajoute ce journaliste qui prend décidément son métier bien à la légère. Il faut être du bon côté de la barrière pour pouvoir affirmer de telles énormités sur un plateau télé sans soulever chez ses confrères certaines questions déontologiques de base. Le dernier paradoxe de cette séquence, c’est qu’en agissant à visage découvert en militants et non plus en professionnels de l’information, les journalistes se coupent de plus en plus de leur public qui leur accorde de moins en moins de crédit. Tels des hamsters dans leur cage, ils tournent dans leur petit monde imaginaire, rêvant de cordon sanitaire et de censure tandis que plus personne ne les écoute et que le Front National gagne élection sur élection. Une vraie tragédie antique.

    Observatoire des journalistes et de l'information médiatique (OJIM, 11 mars 2015)

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  • Décrypter les médias : une nécessité !...

    Claude Chollet, président de l'Observatoire des journalistes et de l'information médiatique, était reçu le 5 mars 2015 par Martial Bild et Elise Blaise dans le journal de TV Libertés. Il a évoqué à cette occasion le travail assez unique de décryptage et d'analyse du fonctionnement des médias réalisés par l'OJIM...

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  • Jusqu'à preuve du contraire...

    L'Observatoire des journalistes et de l'information médiatique (OJIM) a décidé d'accueillir une chronique vidéo de Christopher Lings, intitulée Jusqu'à preuve du contraire, qui se propose de présenter chaque mois les bidonnages les plus symboliques relevés dans les médias. Nous vous proposons de découvrir la première émission !...

     

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  • Les snipers de la semaine... (93)

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    Au sommaire cette semaine :

    - sur son site, l'OJIM exécute On n'est pas couché, l'émission de Laurent Ruquier sur France 2 ;

    « On n'est pas couché » , l'entre-soi des idées convenables

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    - sur le site d'Egalité & Réconciliation, la revue Faits & Documents prend dans son viseur Edwy Plenel, le directeur de Mediapart.

    Qui est Edwy Plenel, patron de Mediapart

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  • Une grenade dans le bunker de la pensée unique...

    Nous reproduisons ci-dessous une excellente analyse de l'Observatoire des journalistes et de l'information médiatique (OJIM) consacrée au phénomène "Zemmour"...

     

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    Le Phénomène Zemmour, grenade dans un bunker

    Le plus grand événement médiatico-littéraire de l’année aura donc été produit non par les révélations intimes de l’ancienne maîtresse d’un président dévalué, mais au cours de la promotion d’un pavé sur le déclin de la France, Le Suicide français (Albin Michel), où on aura assisté à la convulsion de tout un système autour d’un journaliste isolé.

    Le samedi 4 octobre 2014, une véritable déflagration allait partir du plateau du talk show de Laurent Ruquier, On n’est pas couché, dont les échos n’allaient cesser de se répercuter dans tous les médias : télévision, radio, presse écrite, et monopoliser les débats sur Internet ou les réseaux sociaux jusqu’à aujourd’hui inclus. La bête médiatique, le monstre polémiste que l’émission avait elle-même suscité et dont, en contrepartie, elle avait tiré une grande partie du carburant de sa propre ascension aux sommets de l’audience, était de retour dans le fauteuil des invités. Et ce fut comme un court-circuit propre à faire sauter les plombs de tout le système médiatique français. L’ancien chroniqueur était accueilli par son ancien patron vis-à-vis duquel il avait toujours fait davantage figure de Frankenstein, une créature ayant totalement échappé à son créateur, un virus dans le réseau rôdé et routinier des médias. D’abord promu pour contraster un peu la courbe mollissante de l’encéphalogramme et exciter l’audience, mais qui menaçait depuis de tout dévaster. Certes, on se réjouissait sans doute du record d’audience que n’allait pas manquer de produire sa venue, mais cette fois-ci, il allait tout de même falloir circonscrire le monstre. Alors même qu’à l’époque où il officiait, celui-ci représentait la voix « droitière » du plateau, compensée par son binôme de gauche, Éric Naulleau, cette double perspective se trouvant arbitrée par un Laurent Ruquier se tenant à peu près à son rôle, désormais, Zemmour s’assiérait sous les lumières comme un incompréhensible intrus cerné dans une logique du tous contre seul. Seul, sur le plateau, sur celui-ci comme sur les nombreux autres qu’il occuperait par la suite, mais pourtant, déjà environné d’une longue rumeur dont on percevait le bruissement sur les réseaux sociaux.

    Le retour du roi

    Sur le forum 18-25 du site www.jeuxvideo.com, des jeunes gens, depuis deux jours, préparaient fébrilement leur samedi soir. Était-ce pour se livrer à une partie de jeu en réseau annexant le week-end entier ? Afin d’élaborer une gigantesque soûlographie ? Non. Ils prévoyaient justement de se « mettre suffisamment la tête » la veille pour ne pas regretter de rester chez eux le lendemain et fixer les yeux sur un écran tout ce qu’il y a de plus classique où devait ressurgir leur idole, une idole n’ayant aucun des attraits de Lara Croft, un maigre intellectuel quinquagénaire faisant la promotion d’un pavé de plus de 500 pages détruisant point par point les coordonnées de l’époque même qui les avait vu naître. Le soir en question, c’est par dizaines qu’ils envahissaient un topic spécialement dédié afin de commenter en direct la prestation d’Éric Zemmour tout en tenant au courant les retardataires de ses dernières sorties. Lorsque le polémiste entra sur le plateau au début de l’émission sous l’ovation des spectateurs, une phrase fusa sur le forum, résumant toute l’excitation qui venait de s’y concentrer : « Le retour du roi ! » Les quelques réfractaires au culte, peut-être deux ou trois internautes, lancèrent bien des anathèmes, la foule n’y répondit même pas. À rebours de tous les clichés véhiculés par les médias en permanence, cette scène extravagante ne prenait pas place sur le forum 60-75 du site nostalgiquesdevichy.com, ou dans une soirée privée organisée par Radio Courtoisie, mais parmi des jeunes gens connectés représentant bien davantage l’avenir du pays que Cohn-Bendit ou Attali, les vieillards triomphants qui ont, depuis quarante ans, établi un règne qui ne se décide pas à offrir une quelconque alternance possible.

    Anatomie du Suicide

    Ce soir du 4 octobre, toutes les données du traitement médiatique de Zemmour et de son livre vont se mettre en œuvre. Tout d’abord, il faudrait donc rappeler de quel objet il va être question afin de comprendre la manière spéciale dont les médias ont décidé de le traiter. Le Suicide français déroule une espèce de chronologie du désastre, de la mort du Général de Gaulle à nos jours, récapitulant tous les éléments qui ont participé à « suicider » le pays – et dans chaque ordre : économique, politique, moral, esthétique, stratégique. Si l’écriture est souvent assez fruste, emportée par l’efficacité qu’elle vise ; si, en brassant une telle somme de choses si diverses avec des ambitions si profondes, Zemmour est très souvent dans le raccourci, l’approximation, la formule, ces défauts demeurent assez inhérents à son projet : celui de faire un livre de combat dans une situation d’urgence, et un livre qui, pour être efficace, puisse néanmoins être lu par un grand nombre. Il n’en reste pas moins très riche, dégage quelques intuitions lumineuses, et propose en effet comme thèse une certaine « déconstruction de la déconstruction » qui peut, évidemment, être discutée de mille manières, mais qui se trouve en tout cas étayée, cohérente, souvent implacable.

    L’idée la plus forte qu’il tente de démontrer – et dans le combat culturel, sans doute la plus stratégique -, est qu’il n’y a pas de « sens de l’Histoire », comme le prétendent sans arrêt les idéologues libéraux/libertaires d’un bord à l’autre de l’Assemblée afin de faire accepter aux Français, par une superstition fataliste, leur déclin, leur déclassement en tous plans, et pourquoi pas, demain, leur remplacement par une nouvelle population. Non, il n’y a pas de « sens de l’Histoire », d’obligation d’en passer par là contre quoi toute rébellion serait immature et stérile, mais, et Zemmour le démontre année après année à travers une liste très importante d’événements symptomatiques, il y a une succession impressionnante de démissions, de renoncements, de choix, de pressions internes et externes diverses qui aboutissent toutes, en se liguant au même faisceau, à la situation actuelle d’une France à l’état de possible mort imminente. Le problème n’est donc pas religieux, au sens d’une fatalité pseudo-progressiste et mondialiste devant quoi il faudrait s’incliner comme le croyant face aux décrets divins, mais le problème est politique et tient à une trahison des élites ayant, sciemment ou non, usé d’une certaine manière de leur responsabilité d’hommes libres et doués d’intelligence. Tradition de la raison critique française, tradition de l’essai polémique qui ne se confond ni avec une thèse ni avec une production de spécialiste, le format et la démarche employés par Éric Zemmour sont a priori naturellement appréhendables par n’importe quel « lettré ».

    Stratégie médiatique

    Sauf que, nous l’avons dit, l’objectif des chroniqueurs de Ruquier comme de leur patron, n’est pas d’instaurer un débat loyal ou d’établir une critique raisonnable d’un livre dont va être tout juste effleurée la thèse, mais de parvenir enfin à détruire le monstre, en profitant de son retour sur les lieux d’origine de sa puissance, comme si le cercle d’une malédiction pouvait ici trouver sa boucle. La stratégie choisie pour l’abattre n’est cependant pas de viser le cœur avec un pieu, mais, bien au contraire, d’attaquer le plus en marge qu’il soit possible. Qu’importe que, de cette manière, on ne vise jamais le cœur du débat et qu’on ne démonte jamais le fond de l’argumentaire d’Éric Zemmour : la télévision est un flux, l’image impressionne, la célérité des échanges empêche la prise de recul, elle produit naturellement une forme de confusion globale émotive – il suffit donc de créer des impressions à partir du matériau qu’on trouvera pour terrasser la bête au venin de trois fléchettes. 1/Zemmour est un faux prophète. 2/Zemmour ment. 3/Zemmour est fasciste.

    Et pour étayer ces accusations, puisqu’on est dans le registre d’un procès, d’une mise à mort médiatique rêvée, pour les étayer, donc, on ne recule devant aucun amalgame ni aucun procédé. Pour démontrer le premier point, on diffuse un extrait d’une émission de juillet dernier au cours de laquelle Éric Zemmour pronostique la défaite de l’Allemagne à la Coupe du monde qu’elle a finalement remportée. Que sur les nombreux pronostics qu’a établis le journaliste, il arrive qu’il se soit trompé, et concernant du football (!), on ne voit guère ce que cela démontre, mais qu’importe puisque cela infuse du moins une idée : celle qu’échouent les prophéties zemmouriennes.

    Caron ou le déni par la statistique

    Le plan sur lequel va attaquer Aymeric Caron pour exposer, lui, l’idée que Zemmour ment, est le seul qu’il connaisse : celui des saintes statistiques. Les chiffres rassurent toujours les esprits faibles, c’est l’objectivité à la portée des comptables. Et cela participe à nouveau d’une attaque complètement en marge. En effet, la moitié des chiffres présentés par Éric Zemmour dans son livre seraient-ils faux ou tronqués, que ça n’invaliderait pas sa thèse pour autant ! Elle serait seulement très mal étayée… Mais bref, Caron détecte et dénonce un chiffre sur le nombre d’enfants étrangers de moins de quatre ans qui semble en effet impossible. Il a tout à fait raison de le remarquer, mais de là à inférer que l’ensemble de l’argumentaire de Zemmour reprenant la théorie de Renaud Camus sur « Le Grand Remplacement », i.e. la substitution de la population française d’origine par une autre importée d’Afrique, il y a tout de même une conclusion pour le moins hâtive. D’autant que les chiffres qu’il oppose au polémiste comme des tables de la Loi et qui tendraient à prouver que la proportion d’immigrés dans la population est stable depuis des lustres sont à même de faire éclater de rire n’importe quel observateur de son propre quartier. De toute manière, l’immigration est l’angle mort statistique, aucun chiffre ne décrit le phénomène de manière satisfaisante. À partir du moment où la machine assimilationniste française est en panne, il devient impossible de recouper la nationalisation juridique d’une personne et sa francité effective. Les outils statistiques sont donc inopérants pour décrire la réalité. Le débat de chiffres qui s’ensuit n’est plus qu’une diversion sans aucun intérêt. Mais l’on pourra noter, en revanche, comment se révèle la tournure d’esprit particulière du chroniqueur lors de l’émission suivante d’ONPC. En effet, comme Ruquier revient sur le passage de Zemmour notamment en raison des très nombreuses protestations des spectateurs sur le traitement qui lui a été infligé, le présentateur tente de se réconcilier son public en arguant que les ventes faramineuses de son essai – 5000 exemplaires par jour –, sont peut-être aussi une conséquence de son débat avec ses chroniqueurs. Caron, ne supportant pas d’être assimilé de la sorte à un promoteur indirect des écrits d’Éric Zemmour affirme alors qu’on pourrait voir les choses autrement, et, tenant pour acquis les succès commerciaux de Zemmour, prétend que sans son intervention, le livre se serait peut-être écoulé à 10 000, voire 20 000 exemplaires par jour… Immédiatement, l’homme se jette donc sur des chiffres, des chiffres totalement délirants n’ayant d’autre fonction qu’un déni de réel : l’incontestable succès du livre d’Éric Zemmour. Cette réaction spontanée en dit plus long sur les méthodes de Caron que n’importe quelle analyse. On comprend néanmoins l’obsession mathématique du chroniqueur. Lorsqu’il se réfère aux lettres, monsieur a tendance à s’embrouiller, comme quand il prétend ridiculiser l’érudition de Zemmour en citant Schopenhauer brocardant ceux qui citent des auteurs référents, sans s’apercevoir que l’arme qu’il utilise le désigne, en l’occurrence, lui-même comme première cible…

    Le lancement de la polémique

    Enfin, comment, pour détruire un adversaire idéologique, aurait-on pu se passer d’un bon vieux point Godwin ? C’est facile et toujours efficace, la preuve : l’intervention de Léa Salamé va lancer une polémique qui affolera les médias pour une semaine entière. Reste à savoir, à quel point ces médias sont dupes ou à quel point ils se renvoient le point Godwin comme une balle en tentant à chaque coup de lui conférer un effet plus pervers. Encore une fois, Salamé attaque complètement dans la marge. Le sujet de Zemmour, qui consacre un bref chapitre à Paxton, n’est pas Vichy ni Paxton, d’ailleurs, mais l’entretien par les élites française d’une haine de soi nationale complètement mortifère. L’auteur montre comment la doxa engendrée par l’historien américain faisant de Vichy une incarnation du mal aussi définitive, sinon plus, que le nazisme, va être utilisée dans un but idéologique afin de parvenir à l’équation : France = Vichy = pire qu’Hitler. Evidemment, la démonstration de Zemmour est contrainte de se dérouler sur un terrain périlleux, et le bretteur avance toujours au pas de charge sans prendre peut-être toutes les précautions requises ( et quoiqu’il stipule bien qu’il ne cherche aucunement à réhabiliter Vichy), d’autant qu’il ne s’agit pour lui que d’un élément parmi un vaste catalogue. Mais comme Caron se jette, dans les marges d’une énorme démonstration, sur la statistique improbable ; Léa Salamé se précipite, toujours dans les marges, sur la première possibilité de point Godwin, et transforme les 500 pages de Zemmour en réhabilitation de Pétain, tout en le renvoyant paradoxalement à ses origines juives : celles-ci l’auraient prétendument poussé de manière névrotique à se vouloir plus goy que goy. On admirera ce déterminisme racial, et cette subtilité psychologique.

    Une semaine de calomnie

    S’en suivra une semaine de calomnie, sur le même mécanisme que l’affaire Millet, que l’affaire Deutsch, que l’affaire Gauchet, sur le même procédé de lynchage hystérique et de mauvaise foi pris en charge par tous les médias dominants en vue de fasciser le déviant sur le mode stalinien. Tout sera utilisé. Le mensonge par Bruno Roger-Petit prétendant, le 6 octobre, sur son blog du Nouvel Obs’ que le discours de Zemmour est : « Il faut réhabiliter Pétain, le bouclier protecteur des Nazis en 1940 », quand bien même Zemmour affirme, durant l’échange en question visible sur la page : « Ce n’est pas la réhabilitation de Pétain. » En outre, souligner que le régime de Vichy, en dépit de toute l’horreur qu’il représente, a paradoxalement protégé les Juifs français tout en se livrant à l’abomination par ailleurs, ne revient pas à reprendre l’antienne du glaive et du bouclier… On vire à la contradiction manifeste aux Inrocks, qui interviewent l’historien Serge Berstein afin que celui-ci donne une leçon d’histoire à Éric Zemmour. Berstein affirme donc que Zemmour a tout faux et explique : « Il est vrai que le quart des Juifs français a été déporté et n’est pas revenu. Le chiffre est moindre que dans d’autres pays. C’est dû d’une part aux effets de protection de la population et d’autre part aux efforts, en tout cas au début, pour essayer de conserver les Juifs français et livrer les Juifs étrangers à l’Allemagne ». Soit, précisément ce qu’affirme Zemmour, qui ne prétend rien de plus… Le 13 octobre, le JDD ira voir l’historien sur lequel s’appuie Zemmour, Alain Michel et titrera : « Le livre de Zemmour ne me concerne pas. », laissant entendre, donc, que l’historien conteste le journaliste. Pourtant, en lisant l’article, on découvre ceci : « L’expression de Zemmour est maladroite. Il aurait fallu dire “entre 90 et 92%”, et contrairement à ce qu’affirme Serge Klarsfeld, je ne pense pas que l’on puisse attribuer ces chiffres à la seule action des “Justes parmi les nations”, mais principalement à la politique appliquée par le gouvernement de Vichy, qui a freiné l’application de la solution finale en France. » À ce degré de malhonnêteté intellectuelle décomplexée, on sent que la machine déraille complètement. Jacques Attali, sur BFMTV, compare Zemmour à un « traitre glorifié » après l’avoir de nouveau acculé à son ADN juif. Quant à Jean-Jacques Bourdin, le 13 octobre, sur la même chaîne, il ira jusqu’à poser à Éric Zemmour cette question laissant son interlocuteur complètement ébahi : « Vous êtes négationniste, Éric Zemmour ? » Ainsi a-t-on à nouveau quitté l’aire du débat intellectuel depuis longtemps désertée pour s’engouffrer dans le délire collectif. Tout ça pour assimiler à Pétain un homme ne jurant que par de Gaulle.

    Collusion des élites

    Mais revenons à cette soirée inaugurale du 4 octobre. Zemmour s’y trouve seul contre tous et intervient sur tous les fronts. Cohn-Bendit, Ruquier, Salamé, Caron, Denisot, sont dans la mêlée, mais le cinéaste Xavier Dolan, comme son actrice au bord de l’apoplexie, même s’ils n’entrent pas dans la bataille, partagent le même ennemi. Dolan exprimera son dégoût pour le polémiste le 6 octobre sur Europe 1. Forcément, celui-ci représente une odieuse provocation au tribunal de son univers mental personnel. Néanmoins, personne ne semble relever, quand Dolan pousse un coup de gueule contre les manifestants opposés à la GPA, qu’il y a tout de même quelque chose de légèrement choquant à ce qu’un homosexuel québécois de 25 ans sans enfant vienne tancer brutalement les Français sur leurs choix en matière de politique familiale… La provocation, l’outrance, ne peuvent semble-t-il jamais venir que du même lieu. En tout cas, Zemmour ligue toute l’élite contre lui, phénomène qui devient aussi spectaculaire que transparent sur un plateau de télévision. Politiques, animateurs, journalistes, artistes, tous les représentants du pouvoir politico-médiatico-culturel se trouvent amalgamés d’un coup d’œil par la révulsion que leur inspire Zemmour. Après le plateau d’ONPC, ce sera le reste de la presse qui clamera sa réprobation, puis la classe politique à son tour. De Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire du PS sur LCP à Roselyne Bachelot sur France 5 ou même Pasqua sur Europe 1, sans compter bien entendu les associations prétendument antiracistes, par les voix de Dominique Sopo ou d’Alain Jakubowicz. Tous ne sont plus qu’un seul bloc.

    Déni de démocratie, le peuple pue

    Et pourtant, dès le début du choc, Léa Salamé l’affirme gravement : « Vous avez gagné, Éric Zemmour… », sous-entendant par là que les idées que celui-ci défend sont désormais majoritaires dans la population française. Mais comment alors ne pas prendre en compte l’invraisemblable distorsion de représentativité qui se joue à l’occasion de la « tournée promotionnelle » de l’essayiste ? Les médias, dans leur immense majorité, l’isolent et l’agressent tout en reconnaissant qu’il a le nombre invisible (de moins en moins invisible) pour lui ! Et ils l’agressent bien sûr soi-disant au nom de la diversité et d’un fallacieux humanisme progressiste que toute leur attitude bat en brèche ! Cette distorsion, si elle ne peut qu’être vérifiée par les ventes record du Suicide français, apparaît de manière plus sensible sur les pages Internet. Chaque article, chaque vidéo, se voient inondés par les commentaires quand ceux-ci ne sont pas purement et simplement fermés. Réalité qui poussera Laurent Ruquier à opérer un debriefing conciliant dans son émission suivante. Ces commentaires soutiennent Zemmour dans des proportions de 50 à 100% selon que les supports vont de la gauche à la droite. Sont-ce des cris de haine ? Des logorrhées xénophobes ? Des discours nazis remixés ? Non ! La plus grande partie de ces posts propose le débat, développe de réelles argumentations, se tient dans un cadre parfaitement rationnel. Ce sont les affiliés aux médias dominants qui se contentent d’invectives, d’injures, de raccourcis infâmants et ferment toute possibilité à l’échange. Et en dépit de cela, par un aveuglement idéologique obstiné, par une surdité démente, cette France-là, qui lit, qui discute, qui développe, qui écrit un français correct et qui, quand elle ne soutient pas totalement l’essayiste, s’étonne au moins du traitement qui lui est réservé, cette France-là est caricaturée et couverte de crachats par la Une de Libé, le 11 octobre, qui titre sur « La France rance d’Éric Zemmour. » Le champ lexical de la moisissure et de la pestilence ne s’étaye que fort peu.

    Mais pourquoi le vieux journal de gauche, si célèbre pour ses titres, n’est-il pas allé plus vite à l’essentiel en titrant par exemple : « Le peuple pue. »

    La France du repli sur soi… et l’autre

    De fait, la stupéfiante semaine médiatique autour d’Éric Zemmour aura confirmé certaines de ses thèses d’une manière spectaculaire. Des élites toutes insidieusement solidaires auront vomi leur bile sur une bête médiatique incarnant le temps de quelques émissions toute la souffrance et l’orgueil d’un peuple méprisé, et auront également révélé le visage cohérent d’une certaine France. Une France du repli sur soi, du repli dans les beaux quartiers et les plateaux de télévision, bien unie derrière ses apparentes divergences, pour fréquenter les mêmes carrés VIP et partager les mêmes maîtresses. Une France de la haine, prête à toutes les calomnies pour faire taire celui qui ose exprimer une opinion divergente ; une France inapte au dialogue et gavée de préjugés sur quiconque se montrerait trop étranger à sa propre culture. Surtout, une France qui panique et perd toute maîtrise rationnelle. En somme, une France qui a peur. Et dont la peur, en effet, n’est sans doute pas seulement nourrie de fantasmes…

    Observatoire des journalistes et de l'information médiatique (OJIM, 20 octobre 2014)

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  • Le Grand Journal ou Goebbels à Beverly Hills...

    Nous reproduisons ci-dessous un article cueilli sur le site de l'Observatoire des journalistes et de l'information médiatique et consacré au décryptage du Grand Journal de Canal Plus, grand-messe de la bien-pensance...

     

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    Le Grand Journal ou Goebbels à Beverly Hills

    Il y a quelques mois, nous évoquions le cas Canal, les difficultés que rencontrait actuellement la chaîne, ses origines et ses évolutions, lesquelles avaient fini par aboutir à un mélange inquiétant de dérision et de fanatisme. Le visionnage attentif de son émission-vitrine en cette rentrée médiatique allait être l’occasion de détailler les procédés très particuliers que celle-ci emploie et qui lui permettent d’assener une espèce de matraquage idéologique indolore et pourtant permanent. Le temps de la propagande « à la papa » telle qu’usitée par Goebbels ou Staline est bien définitivement révolu. Plus de slogans manifestes, plus de foi affirmée avec éclat, plus de mythologie en toc orchestrée de manière pompeuse, plus de dénigrement littéral du déviant. Non, au Grand Journal, on est modernes, on fait dans le bourrage de crâne high-tech, on formate tout en finesse, on agresse à la Sun Tzu (le grand stratège chinois), c’est-à-dire systématiquement par un biais indirect. On est pourtant bel et bien en présence d’une véritable machine de guerre idéologique, très construite, très offensive, bien que peut-être de moins en moins efficace…

    Rappelons que cette émission, qui prit la suite de Nulle part ailleurs, avait d’abord était élaborée afin de répondre au problème que posait la création, par la gauche au pouvoir, d’une chaîne cryptée inaccessible aux pauvres, en proposant au moins quelques programmes en clair. Cette nécessité avait alors été transformée en moyen de racoler des CSP+, cœur de cible de la chaîne, et attirer ainsi de nouveaux abonnés. Qu’en est-il donc du Grand Journal au début de la saison 2014-2015, alors que la chaîne a subi de nombreuses attaques et qu’elle a, l’année dernière, rappelé Antoine de Caunes, figure de l’antique Nulle part ailleurs, pour tenter de renouer avec son souffle originel en le mettant à la tête de son programme phare ?

    Le règne des chroniqueurs

    Ce qui frappe d’emblée lorsqu’on observe le montage général, la mise en scène et les gimmicks de l’émission, c’est à quel point les chroniqueurs qui y participent sont ici « starifiés ». Bien sûr, ce phénomène tient à une tendance générale qui s’est développée au cours des vingt dernières années, mais il atteint dans le Grand Journal un degré incomparable. Le générique est toujours précédé d’un sketch mettant en scène certains des chroniqueurs. Avant chacune des parties qui composent le programme, ce n’est pas l’invité ou le thème qui est introduit, mais les visages et les noms de ces héros qui se succèdent dans un montage éloquent et une image idéale. Enfin, régulièrement, ceux-ci sont intégrés comme figures dans les différents sketchs, dans les vidéos parodiques, dans les scènes des Guignols. Ce qui produit deux effets concomitants : premièrement, traités sur le même plan que les politiques, les sportifs ou les artistes célèbres, ils y gagnent un statut symbolique comparable. Deuxièmement, cela participe à fonder un facteur déterminant du discours implicite : l’esprit de connivence. On peut également remarquer que ces « stars » à la place des « stars » semblent toutes – hormis le disgracieux Jean-Michel Aphatie -, issus d’un casting photo drastique. Que l’on préfère passer à l’écran des gens au physique avenant est tout à fait compréhensible, mais encore une fois, par son côté systématique, le Grand Journal atteint sur ce point un niveau objectivement caricatural. Et ce, toujours pour la même raison : faire des chroniqueurs les vraies vedettes, les vecteurs essentiels du désir et de l’identification, à la place des invités. Quant à ces derniers, en raison de la brièveté des séquences, de leur enchaînement tambour battant, de la multiplicité des chroniqueurs qui les entourent et s’en nourrissent comme prétexte à leurs gags, ils en ressortent, à quelques exceptions près, à l’état de simple carburant d’une machine qui ne fabrique que sa propre gloire.

    Une propagande VIPiste

    Si c’est l’équipe du Grand Journal qui est starifiée, c’est donc que c’est à elle et à son « esprit » que le téléspectateur est convié à adhérer, et non directement à des invités qui, en proposant diverses visions du monde, pourraient du moins entretenir un panel d’opinions un rien démocratique. Il ne s’agit pas de s’identifier à un peuple entier mythifié et au dictateur censé l’incarner, mais à une caste, une caste de journalistes branchés et télégéniques, la « hype » friquée et bien-pensante, vis-à-vis de laquelle le CSP+ visé par le programme peut davantage se sentir à portée que le téléspectateur de TF1. Il s’agirait « d’en être ». D’où la culture permanente de cet esprit de connivence qui tranche avec les codes traditionnels de distance objective. D’où la règle de l’implicite qui prévaut toujours en matière idéologique, et non l’exposition claire des partis pris possibles. C’est en effet toujours l’implicite qui caractérise une aristocratie : seuls ceux qui y appartiennent sont initiés à ses rites, on n’expose pas ceux-ci au vulgaire. Paradoxe typique de la gauche mitterrandienne et de sa télé par excellence : on se présente comme de gauche, et même à la gauche de Hollande, mais l’ouvrier de chez Renault peut toujours attendre pour capter les sous-entendus ; le pauvre paysan ne sera représenté que par les séquences de L’Amour est dans le pré rediffusées dans le zapping pour faire s’esclaffer les beaux gosses médiatiques ; la femme de ménage comprend d’instinct qu’elle n’aura jamais la moindre chance d’être intégrée parmi les « élus » casseurs de ringards. Sauf que, comme au Grand Journal, on ne pense pas, mais on déconne dans l’entre soi pailleté, on n’a pas l’occasion de s’arrêter sur ce genre de contradictions.

    Le cas Polony

    Passons à présent à la constitution de cette équipe. Il n’y a pas grand chose à dire sur Antoine de Caunes, animateur assez transparent, si ce n’est qu’il est physiquement très présentable et qu’il apporte la caution des heures de gloire de Nulle part ailleurs, censée donc régénérer un programme à bout de souffle. L’introduction en cette rentrée de Natacha Polony, ancienne chroniqueuse du talk show de Laurent Ruquier, concourt à la même tentative de rénovation du Grand Journal. Il est fort possible que les critiques touchant au ronron autosatisfait de l’émission aient poussé les producteurs à intégrer un zeste de « diversité » et de débat en la personne de Polony. Dans l’émission de Ruquier, On n’est pas couchés, les chroniqueurs bénéficient également d’une place de premier ordre, mais l’effet d’équipe n’y a pas sa place, puisqu’il s’agit d’un tandem et, jusqu’alors, d’un tandem gauche / droite produisant plus de discorde que de connivence. Une discorde qui avait atteint des niveaux assez outrageux entre Natacha Polony et Aymeric Caron. L’avantage était la possibilité d’ouvrir le débat, un débat qui, en règle générale, peut en effet se tenir étant donnée la durée significative accordée aux échanges. Qu’allait donc donner l’introduction de Polony, intellectuelle « de droite » (enfin, de gauche chevènementiste, mais passons…), dans le sérail des bobos triomphants ? Eh bien, au début : rien. Et ensuite : pas grand chose. Au début, rien, l’intello rouquine est digérée par la machine, on la fait, dès le 1er septembre, participer à des sketchs et on lui consacre le même jour une parodie de la bande annonce du film Lucy de Luc Besson. Quoiqu’érudite et sérieuse, elle est une déconneuse branchée et starifiée comme les autres. Surtout, elle est très discrète et peine à trouver ses marques lors des premières émissions. À partir du 4 septembre, notamment face à Eric Ciotti revenant d’Irak, la polémiste commence de s’affirmer enfin. Elle pose de bonnes questions. Reste que le format du débat ouvrant le talk show ne permet ni d’y répondre vraiment, ni de développer une analyse. Ce que Christiane Taubira (le 10 septembre) sait parfaitement, qui botte en touche dès que Polony évoque son traitement de la délinquance, expliquant qu’il faudrait pour cela le cadre d’une autre émission… Les questions de Polony peuvent donc bien fuser, moins conformistes, plus pertinentes ou plus dérangeantes certes que celles des autres, elles resteront lettres mortes et avalées dans le flux d’une émission qui prétend ouvrir des débats sans laisser à personne le temps de s’expliquer.

    Le cas Aphatie

    Dans cette première partie du programme où se tiennent en général deux discussions avec un invité puis des journalistes ou témoins sur un thème politique ou sociologique, Jean-Michel Aphatie est le pendant de Polony. Le vieux journaliste basque est une caricature outrancière de la suffisance, telle qu’acquise à tremper depuis des décennies dans la vase de la Pensée Unique qui a inondé tous les grands médias. Le 2 septembre, face à Nicolas Dupont-Aignan venu témoigner du mouvement de grève des maires refusant la réforme des rythmes scolaires, Aphatie, après lui avoir reproché de chercher le spectaculaire pour se faire de la promotion, lui affirme tout bonnement : « C’est pour votre bien que je dis ça. Ça peut vous servir. » Le 12 septembre, face à Axel Kahn qui revient d’explorer la « France périphérique », alors que l’invité expose comment le développement de ces territoires oubliés n’implique pas forcément une augmentation des dépenses publiques, Aphatie rétorque, catégorique : « Bah… Sans dépenses publiques, c’est impossible. » On ne saura pas pourquoi. Mais visiblement, Aphatie maîtrise mieux tous les sujets possibles que ses invités auxquels il ne laisse de toute manière que très peu de temps pour répondre. Figure de vieux sage recadrant tout le monde au milieu de la déconnade et assenant sans la moindre gêne ses vérités toutes faites, Aphatie ne rechigne pas pour autant à l’autocélébration et à la clownerie qui sont la marque de la maison. Ainsi, le 8 septembre, l’émission s’ouvrira sur une scène particulièrement grotesque : le chroniqueur, affublé d’un chapeau pointu et devant une bougie, chante : « Joyeux anniversaire à moi… » À un tel stade d’autosatisfaction, il faut croire que l’idée qu’on puisse se rendre ridicule n’a simplement plus la possibilité de jamais surgir.

    La tyrannie du montage

    Entre les quelques questions de Polony auxquelles on n’a pas le temps de répondre et les assertions péremptoires d’Aphatie, l’invité est également systématiquement coupé par des extraits vidéos, des tableaux de statistiques, voire par un sketch. Le portrait à l’écran de l’invité est en outre titré d’un adjectif censé résumer d’emblée ce qu’on est censé penser de sa personne. Le tout sur une durée de moins d’une dizaine de minutes entièrement maîtrisée par les organisateurs du plateau. Dans un tel contexte, il est évident que l’invité a peu de chance d’incarner autre chose que la marionnette qu’on a décidé qu’il incarnerait avant que ne s’animent les vraies marionnettes des Guignols de l’info… Le procédé est totalement déloyal et contraire à la constitution du moindre débat. D’abord, diffuser des extraits vidéo, sélectionnés, coupés, montés hors de leur contexte et les assener à un invité sommé de se justifier (encore une fois, sans disposer du temps pour cela) et pris totalement au dépourvu représente une méthode pour le moins malhonnête. Ensuite, les sketchs de Sébastien Thoen répondent également à un procédé pour le moins pervers. Celui-ci va interroger des gens dans la rue soit sur le mode de la blague soit sur celui du témoignage brut. Il place donc le sujet du débat sous le signe de la dérision, ou colporte des réactions censées avoir le poids du réel. Sauf qu’on peut évidemment monter les extraits qu’on a sélectionnés et ceux-ci n’ont bien entendu aucune valeur objective. Mais présentés de cette manière, ils se trouvent lestés d’un effet de réel totalement factice et comminatoire. Idem en ce qui concerne les chiffres que Jean-Michel Aphatie fait brutalement surgir sur un écran au cours de la discussion, qu’il s’agisse de sondages ou de statistiques. Ceux-ci produisent immédiatement un effet de vérité objective et indiscutable, alors qu’on sait bien que les chiffres doivent au contraire être manipulés avec beaucoup de précautions et mis en perspective, sans quoi on peut bien leur faire dire à peu près tout et n’importe quoi. Mais prenons un exemple particulièrement éloquent, lors du passage de Nicolas Dupont-Aignan sur le plateau du Grand Journal, le 2 septembre.

    Dupont-Aignant : lynchage orchestré

    Parce qu’il est représentant d’une droite gaulliste classique, Dupont-Aignan est d’emblée considéré comme un ennemi politique par les déconneurs de l’émission qui demeurent très sérieux en matière de rectitude idéologique. Le 2 septembre, il est invité au sujet de la polémique autour de la réforme des rythmes scolaires, suite au cadenassage des écoles par des maires refusant d’appliquer cette réforme. Il est probable que l’essentiel des téléspectateurs dans ces échanges confus, rapides, lapidaires qui acculent totalement un Dupont-Aignan débordé, ne retiendra que l’adjectif qui souligne son portrait en lettres capitales dès le début du « débat » : « LE PROVOCATEUR ». On aurait pu écrire : « le rebelle », « l’insoumis », « le frondeur », mais toutes ces épithètes ont, à gauche, une résonance positive. On choisit donc de l’étiqueter simple « provocateur », exposant d’ailleurs dans un premier temps comment cette provocation est une provocation contre la République. « Le principe républicain, c’est d’appliquer la loi », déclare Aphatie, plus méprisant que jamais. Donc d’expulser Léonarda ? a-t-on envie de lui répliquer. Même Natacha Polony y va de son soupçon d’anti-républicanisme. Dupont-Aignan tente de revendiquer le simple droit de grève. La rhétorique est archi-classique. À gauche, quand on désobéit : on résiste au fascisme. À droite quand on désobéit : on assassine la République, et donc on concourt au fascisme. À gauche, quand on obéit, c’est parce qu’on est attaché à la République. À droite, quand on obéit c’est par esprit de collaboration. Il n’y a rien d’autre à comprendre. S’ajoute à cette première pseudo-démonstration, un sketch de Sébastien Thoen qui donne la parole à des enfants, lesquels ne comprennent pas pourquoi ils ne peuvent pas aller à l’école. Le procédé est totalement grotesque. Pourquoi ne pas convier des élèves de CM2 à s’exprimer sur le plateau dans ce cas ? Enfin, dernière partie de la démonstration, Aphatie fait défiler plusieurs extraits qui tendraient à prouver que Dupont-Aignan a toujours fait dans la provocation et dans le spectaculaire au cours de sa carrière politique. Sauf que collecter des extraits vidéo sur une longue carrière politique, puis les rassembler permet évidemment d’illustrer n’importe quoi. On aurait tout aussi bien pu démontrer que l’homme avait toujours été dépressif ou optimiste, grincheux ou lyrique, amateur de thé ou de café. Surtout, dans une démocratie médiatique comme la nôtre, quel homme politique ne verse pas dans le spectaculaire ? Mélenchon, invité le 11 septembre, ne sera jamais accusé d’un tel vice, alors qu’il s’y vautre en permanence (il allait quelques jours plus tard s’afficher avec Jérôme Kerviel à la fête de l’Humanité). En tout cas, la démonstration est achevée : Dupont-Aignan n’est qu’un vulgaire provocateur, sa provocation a des relents plus ou moins fascistes, et ne sert en définitive que son carriérisme politique. Hormis ce lynchage parfaitement orchestré, on ne retiendra aucun échange véritable sur la question de fond : celle de la réforme des rythmes scolaires…

    Taubira, Mélenchon : ceux qui triomphent

    A contrario, quelques invités politiques, exclusivement de gauche, ressortent triomphaux de l’expérience. Ce furent Taubira et Mélenchon lors de ces deux premières semaines. Cela tient autant du fait qu’ils bénéficient d’un traitement de faveur que de leur propre talent en de semblables circonstances. Traitement de faveur : Taubira est annoncée par cette phrase de de Caunes : « Rare en télévision, ce soir, elle a accepté l’invitation du Grand Journal. » Pour une fois, c’est donc l’invitée qui est mise à l’honneur et accueillie avec gratitude. Ensuite, Taubira, comme Mélenchon, bénéficieront d’un temps d’antenne supérieur aux autres invités politiques, comme si on ne se décidait pas à les quitter et que l’on désirait leur avis sur tout, Taubira parvenant même à se faire réinviter en direct pour une autre émission. Mais l’autre point important, c’est également que ces deux invités sont de véritables bêtes médiatiques et qu’ils désamorcent tous les pièges que nous avons décrits plus haut afin de conserver la maîtrise de l’entretien ; et ils les désamorcent sans doute pour les avoir étudiés en amont. Ainsi, après un extrait de Martine Aubry suite auquel on demande à Christiane Taubira de réagir, celle-ci réplique : « Je suis étonnée de la transition… » mettant en relief la perversité du procédé du montage sauvage d’extraits en cours de débat. Comme Aphatie coupe la ministre, celle-ci rétorque, offensive : « Je peux finir une phrase ? » et force les chroniqueurs à lui laisser le loisir de s’expliquer. Mélenchon, lui, observant son portrait qui le montre grimaçant avec le titre : « ANTISYSTÈME », fait remarquer : « Elle n’est vraiment pas belle, la photo ! », révélant encore la déloyauté de ces raccourcis caricaturaux. À son sujet, d’ailleurs, le sketch réalisé par Sébastien Thoen sera pour une fois parfaitement complaisant. En effet, le comique demande des signatures de soutien au président du Front de Gauche dans le quartier huppé du XVIe arrondissement. C’est la bourgeoisie du XVIe qui est la vraie cible du sketch, que l’on tente de ridiculiser et non l’invité lui-même. Cette bourgeoisie représente une autre cible rituelle de Canal++ (avec le peuple ringard de province), non tant par esprit anti-bourgeois puisqu’en vérité, si la nouvelle bourgeoisie branchée et médiatique de gauche ne perd jamais une occasion de tacler la vieille bourgeoisie de droite, c’est simplement en raison d’une rivalité obsessionnelle.

    La bouillie commune

    En dehors de ces cas extrêmes, on pourra remarquer la prestation tout à fait correcte d’Eric Ciotti le 4 septembre, évoquant la situation en Irak et parvenant à formuler un propos sans être en permanence interrompu. Sur le même sujet -l’intervention contre l’État Islamique-, le 12 septembre, les invités parviennent également à développer à peu près leurs aperçus. Quand le thème est difficile et que l’invité en a une connaissance particulière que ne peuvent partager les chroniqueurs, le brouillage manipulatoire du discours est moins effectif et, faute de débat, on peut au moins entendre une analyse rapidement ébauchée. Sinon, la grande majorité des invités appartient à l’aile gauche du parlement : Stéphane Le Foll, Bernard Poignant, Julien Dray, Jean-Marie Le Guen, et bien sûr Mélenchon et Taubira. La plupart du temps, seule une bouillie confuse surnage de ces échanges truffés des lieux communs du politiquement correct. De toute manière, l’important ici, ce ne sont pas les idées, c’est le sketch. Lorsque les sujets sont délicats, ils sont en général éludés d’un slogan convenu. Le cas Mehdi Nemmouche, par exemple, qui soulève tout de même beaucoup d’inquiétudes sur l’intégration et la radicalisation de l’Islam en Europe, est résolu par le terme : « PSYCHOPATHE », accolé à son portrait. Ainsi peut-on bien s’enfoncer dans le crâne qu’un cas clinique marginal n’est le symptôme de rien en ce qui concerne la situation de l’Islam en France. Néanmoins, le mauvais accueil de la société française vis-à-vis de ces populations immigrées sera tout de même pointé du doigt. En somme, ce ne sont pas les dérives de l’Islam fanatique qui sont criminelles, mais les Français de souche qui, par leur méchanceté, les rendent inéluctables.

    Rissouli et la chasse aux fachos

    Parmi les (trop) nombreuses rubriques qui émaillent cette première partie, on trouve celle de Karim Rissouli, tellement anecdotique qu’on se demande bien ce qu’elle est censée nous apprendre. Une suite de flash info sans la moindre cohérence constitue en général son intervention. Cependant, le 9 septembre, le chroniqueur donne dans le scoop inédit. On nous montre des images d’une réunion sur le parvis de la mairie de Calais, où une foule est échauffée par un ex militant du FN, Yvan Benedetti. La population de Calais, exaspérée par le nouveau camp de réfugiés installé chez elle, est encouragée par Benedetti à s’organiser et, Rissouli force un peu le propos, à former des milices. Le chroniqueur, en bon adjuvant de la police de la pensée, en appelle à une condamnation judiciaire des déclarations du tribun. Le tatouage d’une croix gammée dans le cou d’un des hommes assistant au discours est zoomée pour faire s’effarer le téléspectateur. Encore une fois, on manipule sans vergogne. Qu’il y ait un skinhead à Calais et que celui-ci ait eu envie de se rendre à ce genre de réunion n’est symptomatique de pas grand chose, et sûrement pas de ce que laisse entendre le chroniqueur : que l’assemblée serait un regroupement de nostalgiques du IIIème Reich… Tenant son « affaire », Rissouli revient le lendemain avec des images des migrants, montrant la misère qui est la leur et comment les associations qui s’en occupent sont totalement débordées. Que ceux-ci soient également des délinquants qui enfreignent la loi française et qu’ils se livrent à de nombreuses déprédations dans la ville de passage qu’est pour eux Calais n’est bien sûr jamais mentionné. La population calaisienne elle-même n’est jamais interrogée ou prise en compte. Non, vu des studios parisiens et de la hype de Canal+, le problème est d’une simplicité déroutante : les méchants fachos d’un côté et les gentils migrants de l’autre. Et la seule question à se poser revient à se demander pourquoi l’État n’enferme pas les premiers et ne nourrit pas les seconds.

    L’esthétique du zapping

    Dans cette première partie, Augustin Trapenard assure la caution culturelle « dure ». Le 11 septembre, de Caunes l’introduit en prétendant que se vulgarise à Paris l’expression « se faire trapenardiser », pour poursuivre l’autocélébration permanente que l’émission se rend à elle-même. Bien, mais pour ce qui est de haute culture, Trapenard ne relaiera durant ces semaines de rentrée littéraire que les romans qui font le « buzz », lesquels sont rarement promis à une quelconque postérité. Le 2 septembre, le « critique littéraire » nous append que Frédéric Beigbeder bousculerait les codes du roman… On peut certes apprécier les productions du plus mondain des romanciers français, mais affirmer, après Joyce, Proust ou Céline, que Beigbeder bousculerait les codes du roman relève tout de même de la bêtise la plus manifeste. Enfin, cette première partie du Grand Journal s’achève dans le « Zapping », métaphore de tout ce qui précède. Le rythme est trop rapide pour le moindre début de réflexion, mais cette vitesse générale est un moyen de propagande subliminale. Au lieu de marteler sans cesse le même slogan, on fait tout défiler dans une confusion et un relativisme délirants, en orchestrant néanmoins les choses de manière à ce que ne surnage au delà de l’agression du flux, qu’une vision extraordinairement simpliste et autoritaire des choses. Dans le zapping, trois types d’extraits dominent la sélection. 1) Des extraits de documentaires sérieux qui, en quelques secondes, ne nous apprennent rien, mais instillent l’idée que les monteurs auraient une véritable conscience politique. 2) Des extraits d’émissions de téléréalité ou de jeux télévisés pour ménagères, laissant entendre que chez Canal+, on n’est pas des ploucs et qu’on peut donc se gausser librement de ces derniers. 3) Des extraits du Grand Journal de la veille, induisant le fait que l’émission est donc la référence ultime dans le domaine médiatique. En outre, la même technique de montage sélectif permet d’inclure des témoignages unilatéraux qui, sur chaque sujet, offrent systématiquement le même filtre idéologique limité. Par exemple, le 1er septembre, on diffusera les images d’un peuple ukrainien révulsé par Poutine. En aucun cas les arguments des partisans, pourtant nombreux, du président russe. Lequel sera juste après présenté dans Les Guignols sous les espèces d’un conquérant impavide. Voilà comment fonctionne le bourrage de crâne du Grand Journal : sans avoir l’air d’y toucher et sans se donner les moyens d’aucun débat véritable et constructif, on divulgue en permanence, sur le ton de la déconnade, une idéologie ultraformatée qui passe comme un code implicite d’appartenance à une élite VIP autocélébrée tout en faisant fantasmer au spectateur le bonheur de s’y identifier.

    Batterie de sketch

    La suite de l’émission, au centre de laquelle s’insinuent Les Guignols de l’info, marionnettes mythiques qui en sont comme la perle au milieu de l’huître, ne déroule presque plus qu’une interminable succession de sketchs brefs, de gags mitraillés jusqu’à épuisement par une armée d’adulescents. Rire et chansons version bobo n’offre plus que mille variations sur le même ton. Les Guignols consacrent l’essentiel de leur énergie dans le Hollande bashing. Cet acharnement pourrait paraître étrange de la part d’une émission si marquée à gauche, pourtant la gauche dont on se réclame ici est une espèce d’utopie immaculée, un trailer pour le meilleur des mondes qui n’a d’autre fonction que d’être exhibé sur l’écran de son portable dernier cri. L’engagement politique se résume dans le fait de porter un tee-shirt Che Guevara en se rendant à sa soirée privée. Quant à l’analyse générale du monde telle que divulguée par les Guignols, elle est d’une simplicité redoutable. En Amérique : des dictateurs sanguinaires. En Russie : des dictateurs sanguinaires. Au Moyen-Orient : des dictateurs sanguinaires. En France : un incapable, Hollande, qui laisse Valls faire le travail, mais Valls, c’est déjà Sarkozy, Sarkozy, c’est plus ou moins Marine Le Pen, Marine, elle n’est jamais présentée sans son père, Jean-Marie, qui lui est toujours Hitler… En somme, le monde est peuplé d’ignobles fascistes. Heureusement, des studios de Canal++, on résiste avec humour et on empoche les bénéfices financiers, moraux et narcissiques qui en résultent.

    Éternelle adulescence

    C’est donc une vision du monde d’ados niaisement idéalistes, binaires, irresponsables, ignorants et narcissiques, mais forts en vannes et munis d’un compte en banque d’adultes parvenus qui imprègne tout le programme. Apogée soixantuitarde. Dans la seconde partie, dominent la sous-culture américaine, le sport, et les performances des jeunes stars du Net recrutées par Canal. On se demande à ce moment-là si l’émission ne s’adresse pas en fait exclusivement à un public à peine pubère. La fameuse « miss météo » du Grand Journal, cette année la jolie Raphaëlle Dupire, ne passera pas le 8 septembre, ne se sentant pas à la « hauteur » de sa mission. Elle sera donc relayée ensuite par Alison et Poulpe. Cette séquence est également symptomatique. Sous prétexte de mépriser la météo, info beauf par excellence, et au lieu de se contenter de ne pas la présenter, l’émission propose de la tourner en dérision à travers le sketch d’un jeune mannequin qui incarne peu ou prou une bimbo de l’époque de Stéphane Collaro avec moins de poitrine et davantage d’esprit. Hormis la séquence du Gorafi, le vendredi, les comiques du Web repérés par l’équipe du Grand Journal ne donnent pas grand chose dans un tel contexte et développent le même humour ultra stéréotypé qui se limite à une succession mécanique de vannes d’une phrase. On a beau changer les têtes, Alison, Poulpe, Jérôme Niels, la très médiocre Nora Hamzaoui, il semble que se poursuive sans interruption la même et unique litanie qui finit par assommer d’ennui le téléspectateur ayant passé la vingtaine.

    Kultur Kampf

    Hormis ce robinet à vannes, donc, la « culture », c’est soit la rubrique « pop culture » de Mathilde Serrell qui égraine des nouvelles dans la même superficialité alerte qui fonde le rythme de l’émission, soit des invités qui peuvent certes être Ora-ïto et Daniel Buren (9 septembre), pour faire dans l’épate-bobo, Houellebecq avec Délépine et Kervern, qui s’en sortent en effet plutôt bien, à l’instar de Benoît Poelvoorde. Mais plus généralement, on tombe sur Luc Besson pour le navet blockbuster Lucy, Cameron Diaz pour le navet blockbuster Sextape, Charlotte le Bon et Helen Mirren pour le navet bien-pensant Les Recettes du bonheur… En soi, pourquoi pas ? Simplement, si on prétend mépriser le plouc à longueur de temps, encore faudrait-il avoir les moyens culturels de se le permettre. On aura également le nageur Florent Manaudou et les stars de la rentrée littéraire Frédéric Beigbeder et Emmanuel Carrère. Mais surtout, le 10 septembre, un grand moment de communion autour de Djamel Debbouze et de Mélissa Theuriau, incarnant à eux deux le summum artistique, humain et moral tel que peut le rêver la clique du Grand Journal. Il est comique, elle est journaliste de gauche ; elle est belle, il est d’origine maghrébine ; ils sont un couple mixte et un couple qui travaille ensemble et, en l’occurrence, elle vient de réaliser un documentaire pour Canal+ à la gloire de l’improvisation théâtrale (et donc de Djamel Debbouze dont ce fut la voie d’avènement). Béatitude et extase. Personne, à ce moment-là, ne se permettrait la moindre dérision. On baigne dans le sacré. Mais également dans l’idéologie. Car derrière le film, le couple cherche à imposer l’improvisation théâtrale aux programmes scolaires… Laquelle possède en effet mille vertus. Mais pose également mille problèmes qu’il eût été opportun de soulever. Plutôt que la langue de Racine, l’inhibition de l’étude et l’intégration de l’héritage, on valorise ainsi le « viens comme tu es », « parle comme tu peux », et « dispense-toi des modèles ». Étant donnée la dégradation actuelle de la transmission, on peut penser qu’il serait bon d’actionner d’autres leviers que celui-ci pour relever le niveau général. On peut aussi penser que Djamel Debbouze ne représente pas forcément non plus le modèle absolu à donner en exemple aux jeunes Français comme s’il s’agissait d’une version XXIème siècle de l’ « Honnête homme » pascalien du XVIIème.

    Goebbels à Beverly Hills

    Si dans les régimes totalitaires classiques, la propagande adoptait la forme d’un certain lyrisme paternaliste à l’attention d’un peuple massifié et infantilisé, la propagande divulguée en permanence par le Grand Journal adopte celle de la déconne adulescente à l’attention d’une masse atomisée à laquelle on propose le fantasme de rejoindre un carré VIP. Quant à ce carré VIP, cette élite autocélébrée et décérébrée, elle ressemble moins à une aristocratie qu’à une bande de lycéens « populaires » dans une série américaine. Lorsque cette élite du fond du bus se penche du côté droit, elle voit des fachos ; du côté gauche, elle voit des ringards. Elle méprise autant le petit peuple des loosers que les bandes rivales en classe à Louis le Grand. Sa vacuité pailletée n’a d’égale que sa morgue. Et elle sévit du lundi au vendredi dès 19h10. En clair, sur Canal+.

    OJIM (Observatoire des journalistes et de l'information médiatique, 23 septembre 2014)

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