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nihilisme

  • La défaite de l'Occident...

    Les éditions Gallimard viennent de publier un nouvel essai d'Emmanuel Todd intitulé La défaite de l'Occident. Anthropologue, démographe et historien, Emmanuel Todd est l'auteur de nombreux essais.

     

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    " L'implosion de l'URSS a remis l'histoire en mouvement. Elle avait plongé la Russie dans une crise violente. Elle avait surtout créé un vide planétaire qui a aspiré l'Amérique, pourtant elle-même en crise dès 1980. Un mouvement paradoxal s'est alors déclenché : l'expansion conquérante d'un Occident qui dépérissait en son cœur. La disparition du protestantisme a mené l'Amérique, par étapes, du néo-libéralisme au nihilisme ; et la Grande-Bretagne, de la financiarisation à la perte du sens de l'humour. L'état zéro de la religion a conduit l'Union européenne au suicide mais l'Allemagne devrait ressusciter. Entre 2016 et 2022, le nihilisme occidental a fusionné avec celui de l'Ukraine, né lui de la décomposition de la sphère soviétique. Ensemble, OTAN et Ukraine sont venus buter sur une Russie stabilisée, redevenue une grande puissance, désormais conservatrice, rassurante pour ce Reste du monde qui ne veut pas suivre l'Occident dans son aventure. Les dirigeants russes ont décidé une bataille d'arrêt : ils ont défié l'OTAN et envahi l'Ukraine. Mobilisant les ressources de l'économie critique, de la sociologie religieuse et de l'anthropologie des profondeurs, Emmanuel Todd nous propose un tour du monde réel, de la Russie à l'Ukraine, des anciennes démocraties populaires à l'Allemagne, de la Grande-Bretagne à la Scandinavie et aux États-Unis, sans oublier ce Reste du monde dont le choix a décidé de l'issue de la guerre. "

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  • Cioran ou la tentation du nazisme...

    Les éditions Imago viennent de publier une étude de Julien Santa Cruz intitulé Cioran ou la tentation du nazisme. L'auteur est professeur d'histoire.

     

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    " Les écrits d'extrême-droite, voire favorables à l'Allemagne nazie, du Cioran des années 30 ne laissent pas de nourrir la stupéfaction chez le lecteur admiratif de son œuvre française. Julien Santa Cruz établit ici les faits et les dires en analysant une centaine d'articles, publiés avant la guerre, et les premiers ouvrages du philosophe.

    L'orientation fascisante du jeune Cioran ne saurait être réduite à l'immaturité ou aux circonstances, et relève d'un goût bien affirmé pour la démesure, renforcée par une pensée ambiante hostile à la démocratie. Certes, il ne s'agit pas vraiment d'une adhésion idéologique aux thèses hitlériennes, mais d'une réponse par la violence du verbe au sentiment du vide, aux tourments identitaires et métaphysiques qui l'assaillent alors.

    Julien Santa Cruz voit dans ce moment exalté, et parfois hystérique, de la biographie de l'écrivain, l'origine et la clef de son fameux nihilisme. Ainsi se comprennent mieux la profondeur de son scepticisme, et le choix éthique de sa renonciation ultérieure à toute forme d'engagement pour une idée, quelle qu'elle soit. "

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  • Les émeutes à la lumière de Nietzsche : le nihilisme des « hors-sol »...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Pierre Le Vigan consacré au nihilisme des émeutiers qui ont sévi dans notre pays au début du mois de juillet.

    Urbaniste, collaborateur des revues Eléments, Krisis et Perspectives libres, Pierre Le Vigan a notamment publié Inventaire de la modernité avant liquidation (Avatar, 2007), Le Front du Cachalot (Dualpha, 2009), La banlieue contre la ville (La Barque d'Or, 2011), Écrire contre la modernité (La Barque d'Or, 2012), Soudain la postmodernité (La Barque d'or, 2015), Achever le nihilisme (Sigest, 2019), Nietzsche et l'Europe (Perspectives libres, 2022) et La planète des philosophes (Dualpha, 2023).

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    Les émeutes à la lumière de Nietzsche : le nihilisme des « hors-sol »

    D’une manière générale, la jeunesse veut la vie, c’est pourquoi elle peut aussi bien être héroïque que mettre son énergie au service de ce qu’il y a de plus médiocre. Dans notre époque, où l’horizon proposé n’est plus la grandeur d’un pays, ni les cimes du dépassement de soi, où les classes dirigeantes ne se cachent pas pour exprimer leur mépris du peuple, une certaine jeunesse se tourne vers le consumérisme et la médiocrité d’une société marchande sans culture. Les mariages dans certains milieux communautaires sont caractéristiques : locations de voitures de luxe, conduite sauvage, occupation physique et sonore du domaine public, drapeaux étrangers, mépris affiché pour les classes laborieuses, elles-mêmes pourtant en bonne partie immigrées. En un mot : appropriation du territoire et démonstration de force. Goût de la spectacularisation et consumérisme forcené. Le pire de l’Occident. Les pires des malchances pour la France.

    « Un nihiliste, disait Nietzsche, est un homme qui juge que le monde tel qu’il est ne devrait pas exister, et que le monde tel qu’il devrait être n’existe pas » (Fragments posthumes, 1887, IX, 60). Pour les émeutiers et casseurs, le monde tel qu’il est leur convient. La loi de la jungle est leur loi et leur convient. C’est aussi la loi de l’argent, par quoi ils sont jumeaux de l’oligarchie d’en haut, à laquelle mille liens les rattachent, dont la même vue du monde, une vue postnationale avec l’argent comme seul étalon de référence. Certains gagnent de l’argent avec de la drogue non autorisée, d’autres avec des spéculations financières autorisées ou de faux vaccins autorisés. La différence est de forme et de style. Mais ce que veulent détruire les casseurs nihilistes, c’est ce qui résiste encore à la marchandisation du monde. Ce sont les services publics. Ce sont les vestiges d’une France qui fut assimilatrice (mais quand les immigrés étaient dix fois moins nombreux et ne pouvaient venir sans travailler) et dont ils ne veulent plus.

    Le désert des émeutiers

    Une partie de cette jeunesse se caractérise par un mélange de sadisme, d’infantilisme et d’ivresse de toute-puissance. La volonté de puissance devient une volonté de détruire. « La vie est à mes yeux instinct de croissance, de durée, d’accumulation de forces, de puissance : là où la volonté de puissance fait défaut, il y a déclin », dit encore Nietzsche dans L’Antéchrist. Un instinct de croissance, mais de quoi ? Il s’agit pour les émeutiers de faire croître le désert. Le désert du rien, le désert de toutes les institutions, par destruction des écoles, des gymnases, des médiathèques. Le désert des bédouins. Seules les institutions communautaires en réchappent : les mosquées ne brûlent pas. Et si les émeutiers brûlent plus volontiers les écoles que les églises, c’est que, bien que fort peu cultivés, ils ont compris que l’État français laïque se contrefiche de la destruction des églises (voire s’en réjouit. Belle occasion de les transformer en musée, en office de tourisme, en lieu de création culturelle « inclusive » !), mais pas de celle des écoles.

    Qui bascule dans le nihilisme ? Une certaine jeunesse, en majorité issue de l’immigration, qui est surtout celle qui vient des pays les plus dépourvus de culture nationale (États artificiels issus de la colonisation plutôt qu’originaires de vieux pays comme l’Égypte, la Turquie, l’Inde, la Chine, etc.). Plus on est dans le doute sur son identité, plus on ressent la fragilité de celle-ci (fragile ne veut pourtant pas dire médiocre), plus on est dans le ressentiment, « le plus contagieux des sentiments » (François Bousquet). Plus on est, aussi, dans la destruction. Une certaine jeunesse ne se sent pas chez elle, ici, et elle hait le pays d’accueil qu’est la France, qui offre pourtant (trop) généreusement sa nationalité et de toute façon a effacé toutes les frontières entre citoyens et non citoyens. Mais la générosité par faiblesse ne vaut rien. Plus la conscience est fausse conscience, plus la haine est forte. Ceux qui ont tous fait pour venir en France alors qu’ils ont tout fait pour chasser les Français de chez eux sont ceux qui la haïssent le plus : sans cette haine, ils se rendraient compte qu’ils sont dans une position de schizophrènes, consistant à vouloir vivre absolument dans un pays qu’ils haïssent. Et consistant à se réclamer d’un pays qu’ils ont fui parce qu’il n’y avait pas d’avenir dans celui-ci. Le choix de ces gens dans une situation folle est simple : soit la haine de la France, soit la haine de soi.

    La haine de la France

    Une certaine jeunesse n’est pas la majorité de la jeunesse de banlieue, ni de la jeunesse immigrée, majorité qui travaille ou étudie et est rendue invisible par les casseurs et agresseurs de gens paisibles, comme le rappelle Christophe Guilluy dans un entretien à Marianne (6 juillet 2023). Mais il y a une fraction de la jeunesse qui déteste la France, et y est encouragée par les rappeurs et autres « artistes » financés et promus par l’oligarchie. Cette fraction de jeunesse est une minorité, mais pas une infime minorité. Restera-t-elle une minorité, ou deviendra-t-elle majoritaire, l’impunité des jeunes mineurs, notamment, faisant basculer la majorité de la jeunesse issue de l’immigration vers la délinquance et le saccage ? C’est l’un des aspects de la question. C’est pourtant de la population immigrée que viennent les condamnations les plus nettes de cette violence, dont elle est la première victime, car ce ne sont pas les quartiers de Neuilly-Auteuil-Passy qui sont dévastés (encore qu’ils soient parfois marginalement touchés). Un paradoxe que cette condamnation des émeutes non par les bobos parisiens, ancrés dans la « culture de l’excuse », mais par les immigrés d’un certain âge ? Non, c’est une contradiction culturelle. Les gens issus d’une culture traditionnelle sont les plus offusqués par des émeutes et destructions gratuites. Les jeunes sans culture représentent une génération perdue, sans autre valeur que l’argent, et l’argent facile, celui de la drogue. Qu’il amène une partie de leur famille à jouir de cet argent facile, cela ne fait pas de doute, et c’est pourquoi, comme le dit justement Gabrielle Cluzel, les parents devraient être tenus responsables sur leurs deniers des dégradations faites par leurs enfants mineurs. Encore faudrait-il au moins qu’il n’y ait pas la possibilité d’une grève des greffiers à un moment aussi crucial que celui que nous vivons !

    Haine de la France : c’est bien de cela qu’il s’agit. Un banlieusard, 40 ans, origine maghrébine, dit à son voisin dans un autobus : « Ce n’est pas le Coran qui est en question, c’est la haine de la France. » Bien vu. Ces jeunes n’ont pas lu le Coran. Ils ne connaissent rien non plus à la France. Rien non plus de leur pays d’origine, sauf, parfois, la propagande débile de leur gouvernement, se défaussant de sa corruption et de son incapacité sur un soi-disant « héritage colonial », plus de soixante ans plus tard ! À cette jeunesse, on ne dit rien de fort. On lui parle de la « république », sans même préciser la République française.

    Ce que cette jeunesse déteste, c’est la France et tout ce qui la représente, les mairies, les commissariats, les pompiers, y compris les équipements construits pour eux, les centres sociaux, les équipements sportifs, etc. S’il y a une France qu’une certaine jeunesse trouve méprisable,  c’est bien celle qui ne s’affirme pas comme France, mais comme « pays des droits de l’homme » et « pays de la laïcité ». La négation officielle de la violence comme fait anthropologique inévitable à canaliser mais non à supprimer, le fait que plus d’émeutes se traduisent toujours par plus de subventions et de déclarations d’amour à ces « jeunes en souffrance » (sic) et autres « petits anges »  fait que la violence devient hystérique. On parlera à juste titre, avec Léon Bloy, de « mendiants ingrats ». Faut-il s’en étonner ? Le misérabilisme n’entraîne que le mépris. « C’est la société, notre société policée, médiocre, castrée, qui, fatalement, fait dégénérer en criminel un homme proche de la nature, venu des montagnes, ou des aventures en mer. Ou plutôt, presque fatalement : car il est des cas où un tel homme se révèle plus fort que la société », disait Nietzsche (Crépuscule des idoles, « Divagation d’un inactuel », 45). Et de fait, ces jeunes, qui ne viennent plus des montagnes mais des zones de trafic de drogues, imposent leur loi à la société. Car s’il y a nihilisme destructeur, il y a aussi l’expression d’un rapport de force, et quand l’affaire prend des proportions excessives, l’ordre est ramené dans les quartiers par les caïds (ceux qui détiennent les armes, les moyens pour acheter les mortiers d’artifice, etc.), de façon à ce que le trafic reprenne « normalement », si on peut dire. Le caïdat n’a pas d’intérêt à chercher l’affrontement avec un pouvoir qui tolère parfaitement le trafic. Celui-ci permet de payer les loyers, et il empêche tout mouvement social face au chômage de masse et aux emplois précaires, chômage qui serait accru si un certain nombre de gens ne vivaient pas du trafic de drogue. Cet anesthésiant social et psychologique fait très bien les affaires de l’oligarchie qui, pour partie, est en outre dans sa bonne clientèle.

    Les nomades qui mettent en coupe réglée les sédentaires

    Reste qu’il y a des émeutes malgré cet anesthésiant. Pourquoi ? Parce qu’une société médiocre ne fait plus peur. Elle devient l’enjeu d’un défi qui lui est lancé par cette jeunesse. Parce qu’il est régulièrement nécessaire aux bandes de rappeler que ce sont elles, et non l’État, qui fait la loi en banlieue, les émeutes sont ainsi l’expression d’un rapport de force que l’on veut imposer, et non une révolte sincère devant un décès dramatique. Car la mort ne révolte pas les jeunes : s’il y a des victimes de bavures policières – et assurément, l’enquête devrait être menée par une autorité totalement indépendante –, il y a beaucoup plus de victimes de la violence des bandes de jeunes parmi d’innocents voisins : passants écrasés en traversant la rue par un conducteur sans permis ou fuyant les forces de l’ordre,  victimes de fusillade ayant eu le seul tort d’être présent au mauvais endroit et au mauvais moment, etc. Plus encore, les affrontements entre « jeunes » (et moins jeunes) à propos de dettes de trafic ou de conflits de territoire font beaucoup plus de morts que les fameuses bavures policières. Il n’y a de pire conflit de territoires qu’entre les hors sol. Chassez la nature, elle revient au galop ! L’homme a un instinct territorial. Et quand on ne connaît pas grand-chose à l’histoire, il ne reste que les bagarres au couteau entre bandes de Maisons-Alfort contre celle d’Alfortville. Un conflit de civilisation, cela ? Pourquoi pas une querelle théologique tant que vous y êtes ! Laissez-moi rire.  

    Si la faiblesse de l’État, et celle de la justice, appelle au rapport de forces contre l’État, rien ne serait possible sans un climat, sans un état d’esprit métapolitique, qui est le nôtre. C’est l’ethno-masochisme qui nous gouverne. C’est la haine de soi sous la forme de la haine de notre nation qui est devenue la doctrine officielle de la post-gauche wokiste (la « droite » des Pécresse et autre Copé ou Darmanin n’étant qu’une gauche un peu en retard). Cette idéologie est la suite logique de l’égalitarisme. Car ce dernier n’est pas seulement l’égalité des chances. Il est l’égalité de nature de tous les hommes. Il est l’identité de nature. Pour être sûr qu’il y a égalité, le plus simple n’est-il pas qu’il y ait identité ? Voulons-nous vraiment l’égalité entre hommes et femmes ? Affirmons, pour être certain de l’atteindre, que les hommes et les femmes, c’est la même chose !

    « La doctrine de l’égalité ! Mais c’est qu’il n’y a pas de poison plus toxique : car elle semble prêchée par la justice même, alors qu’elle est la fin de toute justice… Aux égaux, traitement égal, aux inégaux, traitement inégal : telle serait la vraie devise de la justice. Et ce qui en découle : ‘’Ne jamais égaliser ce qui est inégal’’ », écrit Nietzsche (Crépuscule des idoles, 48). Mais qui peut croire que les émeutiers casseurs veulent vraiment l’égalité. Ils ne rêvent que de domination. « Niquer la France » : c’est un mot d’ordre de prédateur et de violeur.  Ils veulent dominer. Ils veulent être les nouveaux caïds. Ils sont les nomades qui mettent en coupe réglée les sédentaires. Les Anywheres contre les Somewheres (David Goodhart). Les casseurs qui ne veulent comme socle social qu’une connexion internet contre les gens de quelque part qui veulent la sécurité culturelle et deviennent populistes contre des élites qui les privent de celle-ci.

    Une guerre contre la civilisation

    Les « hors la loi » (HLL) sont ceux qui rançonnent ceux qui travaillent légalement (et qui peuvent, bien entendu, avoir, ou pas, les mêmes origines ethniques). Et comme les sédentaires et les travailleurs sont des hommes de la transmission, y compris celle des savoir-faire professionnels, les nouveaux barbares veulent la fin de toutes les transmissions.  Moins qu’une guerre de civilisation, c’est une guerre contre la civilisation qui est la leur. Et qui est donc la nôtre puisqu’ils ont désigné la France comme ennemi. Refusant l’histoire, le passé, ne lisant pas (sauf les notices des explosifs), ces jeunes vivent dans ce que Karl Heinz Bohrer appelait « un présent absolu ».  C’est un présent qui n’actualise ni le passé ni le futur – le contraire du présent chez Giorgio Locchi. Pour faire sortir cette jeunesse de ce « présent absolu », il faudrait que la France redevienne une terre et un peuple, et remette au premier plan le récit d’une transmission. Bernanos écrit à propos d’une époque qui annonçait les désastres moraux de la nôtre : « Non seulement ce malheureux pays n’avait plus de substance grise, mais la tumeur s’était si parfaitement substituée à l’organe qu’elle avait détruit, que la France ne semblait pas s’apercevoir du changement, et pensait avec son cancer ! » (La grande peur des bien-pensants).

    Pour renouer avec un récit français, il faudrait pour cela sortir d’une définition universaliste de la France. Chaque territoire est une voie d’accès à l’universel, mais précisément, il faut en passer par un territoire et une culture singulière. Comme le note Alain de Benoist, « il n’y a pas d’accès à l’universel sans médiation ». Nous ne sommes pas loin de l’idée que développait Hegel, comme quoi le concret est toujours supérieur à l’abstrait. Or, le concret, c’est notamment le charnel, le matériel au sens de ce qui a uns substance physique, ce qui se touche, et non pas l’abstraction de mots d’ordre comme « pays des droits de l’homme », « progrès », « vocation universelle de la France », qui est la version moderne de la « fille aînée de l’Église », et autres calembredaines, etc. Aimer une terre, c’est être capable de trouver, à partir d’elle, un horizon, être capable de définir un but à sa vie, de tracer un sillon, et de s’y tenir. La vita activa dont parle Hannah Arendt, c’est ce rapport à la terre, qui inclut à la fois le travail, l’œuvre, l’action. À la fois la peine des hommes, le dur labeur, et la création (l’œuvre), et la participation à la vie publique, communale d’abord, locale, nationale ensuite. Cette vie active nécessite de se reconnaitre dans plusieurs cercles d’appartenance. Elle nécessite la territorialisation de nos vies. Mais une certaine jeunesse peut-elle aimer la terre de France ? Sa place est là où est son cœur. Et si le cœur de cette jeunesse n’est pas en France, nous n’y pouvons rien.  Si ce n’est en tirer des conclusions. Par exemple en termes de déchéance de nationalité pour ceux, nombreux, qui sont Français par les papiers et ne se sentent visiblement pas Français.

    Pierre Le Vigan (Site de la revue Éléments, 18 juillet 2023)

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  • Émeutes : nihilisme festif et inframondisation...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Jure Georges Vujic, cueilli sur Polémia et consacré aux émeutes qui ont dévasté nos villes au début du mois...

    Avocat franco-croate, directeur de l’Institut de géopolitique et de recherches stratégiques de Zagreb, Jure Georges Vujic est l'auteur de plusieurs essais, dont Un ailleurs européen (Avatar, 2011),  Nous n'attendrons plus les barbares - Culture et résistance au XXIème siècle (Kontre Kulture, 2015) et Les convergences liberticides - Essai sur les totalitarismes bienveillants (L'Harmattan, 2022).

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    Émeutes : nihilisme festif et infra-mondisation

    Les dernières nuits d’émeutes et de pillages dans plusieurs villes françaises illustrent très bien ce qu’analysait Philippe Muray, à savoir une version criminogène de la « festivisation » générale de la société (homo festivus), avec cependant une déclinaison sociale et médiatique d’un hyperfestif violent, criminalisé et destructeur.

    Il est vrai que la sidération reste grande à contempler le triste spectacle de hordes de jeunes ensauvagés en train de piller en toute impunité les magasins de grandes marques tout en se filmant sur leurs smartphones, un nihilisme festif bien relayé, amplifié et diffusé en temps réel par les réseaux sociaux. Bien sûr, les phénomènes d’accélération et de contagion de ce nihilisme festif, brutal et juvénile, s’expliquent en grande partie par la tiktokisation sociale mondiale, qui pulvérise les déterminants géographiques et temporels. La toxicité des réseaux sociaux, loin d’être idéologiquement neutre, puisqu’elle propage une vision du monde de l’aliénation consommatrice et techno-ludique, permet non seulement une contagion criminogène mimétique, mais aussi la scénarisation narcissique et individuelle en temps réel des prouesses destructrices des vidéos de réalité des acteurs eux-mêmes. La réalité amputée de ses origines et de ses finalités, de sa consistance, fait place à l’éternel présent, forme d’hyperréalité diminuée, fantasmatique et narcissique. Parce que celui-ci est diffusé en temps réel sur les réseaux sociaux du monde entier par une sorte de « jokérisation » des esprits, on assiste à une escalade médiatique de la violence urbaine à la fois mimétique et « ludique », dont le seul défi est de faire toujours mieux et plus sensationnel en vandalisme et violence, plus qu’à Haïti, Mexico, New York, Chicago ou Los Angeles. La ville devient, malgré les millions d’euros engloutis dans les infrastructures des politiques d’intégration urbaine des banlieues, une sorte d’espace de jeu (Muray parlait du monde contemporain comme d’un « parc d’attractions mondialisé ») mortifère et criminogène, analogue aux jeux de guerre virtuels.

    Nihilisme festif et nihilisme de déni

    En effet, cette effusion de violence urbaine qui s’est généralisée dans une ivresse autodestructrice n’est bien sûr que le symptôme prégnant d’un nihilisme plus profond de plusieurs générations déstructurées sur fond d’immigration massive. Le nihilisme en effet, au-delà de la dimension doctrinaire, révèle un état d’esprit auquel manquent toute forme de représentation d’un sens, une hiérarchie des valeurs, un horizon axiologique porteur de sens et d’avenir. Ainsi, contrairement à ce que l’on pourrait penser, le nihilisme brutal et destructeur des bandes de banlieue que l’on pourrait personnifier par des vandales, des pillards, des incendiaires qui allient l’hyperfestif et le violent, ne peut se développer que grâce à un autre nihilisme plus sournois, le nihilisme du « dernier homme » conformiste, qui peut être aussi celui des élites ou de la majorité silencieuse, qui refuse toute forme d’action, plongé dans le déni de réalité et l’immobilisme de la compassion ou celui de la consternation passive.

    Le nihilisme festif, lui, est féroce, irruptif et sporadique, s’inscrit dans une logique de conquête et de délimitation de territoires, mais reste toujours présent à l’état latent, dévastateur, narcissique et grégaire. Le nihilisme du déni, qui correspond au « à quoi bon », lui, est silencieux, poli, civilisé et dans une posture d’impuissance et de défense, respectant scrupuleusement les convenances sociales du moment, lequel refuse obstinément d’affronter la réalité d’une société fracturée, violente, réduite au refus du choix et au refus d’endosser une responsabilité quelconque. Et c’est en ce sens qu’il s’agit bien d’un nihilisme de soumission.

    Émeutiers ou insurgés ?

    Même si le discours de l’excuse et celui de la misère des « nouveaux misérables » des banlieues semblent ici incongrus et inadaptés, il est intéressant de noter que dans Les Misérables, Victor Hugo opposait émeute et insurrection. L’émeute est un moment chaotique de destruction. L’insurrection, au contraire, est le moment où un groupe qui a conscience de lui-même et qui veut construire quelque chose se projette politiquement dans l’avenir. Les séquences des premières nuits d’émeutes festives de pillages et de vandalisme ne correspondaient en rien à une insurrection politique et idéologique et étaient purement motivées par des considérations matérielles et ostensibles (pillage des boutiques de grandes marques) et des pulsions destructrices. Cependant, la séquence qui s’est greffée sur cette vague de pillages avec la destruction coordonnée des lieux et des symboles de la nation (écoles, bibliothèques, mairies, centres de loisirs, transports, casernes de pompiers…), auxquelles ont bien sûr aussi participé des bobos, des antifas de service et des black blocs, pourraient très bien s’apparenter à des formes d’insurrection contre l’ordre public. Il est important de rappeler que cette logique de la conflictualité et de la légitimation insurrectionnelle est au cœur de l’idéologie révolutionnaire de la gauche radicale, qui ne se cache d’ailleurs pas de se référer à la Constitution de 1793 (article 35 : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque partie du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. »). Ainsi, la tentative d’assassinat du maire de L’Haÿ-les-Roses pourrait bien s’inscrire dans une stratégie de chaos et de terreur destinée à chasser et contenir les pouvoirs publics de l’État hors des territoires contrôlés par des groupes criminels, fortement communautarisés, qui entendent asseoir leur domination sur ces portions de territoire. En revanche, étant donné le caractère organisé des émeutes, de l’utilisation de techniques de guérilla urbaine et de l’importance du nombre d’armes utilisées, tout porte à croire qu’il s’agit de groupes organisés et facilement mobilisables.

    Inframondisation sociétale

    Ainsi, la restauration d’un ordre public fictif et soumissionnaire, dans le seul but de se voir accorder un sursis de plus « pour que les affaires reprennent », ne fera que différer et exacerber les mêmes causes et les mêmes effets, qui à l’avenir seront encore plus dévastateurs. En l’absence de toute forme de visibilité verbale et de revendications, cette violence gratuite condense de manière paroxystique et très violente la problématique de la désaffiliation sociale et familiale, la faillite de toute forme d’autorité (parentale, scolaire et sociale), mais aussi celle de la déstructuration de l’identité, du sentiment d’appartenance à la nation et de l’enfermement dans un communautarisme ethnoconfessionnel qui fonctionne comme une société parallèle, un contre-monde régi par ses propres lois et ses codes culturels, une sorte d’inframonde zonal. Mais n’assistons-nous pas à une inframondisation sociétale de la postmodernité globale, à une inversion générale des valeurs, par le culte de l’individualisme matérialiste et déraciné, la transgression élevée au rang de norme, célébrés par ce que Muray nomme les « matons » et « mutins de Panurge » et les « rebellocrates » ? Nous vivons bien, comme l’avait observé Philippe Muray, une régression anthropologique, sur fond d’indifférenciation généralisée et de « réanimalisation » de l’espèce et de la société. En revanche, l’hyperfestif comme récit dominant de l’idéologie libérale du marché et du tout-économique se conjugue très bien avec la figure de l’homo violens, de l’homme violent, et explique comment la violence mimétique hyperindividualiste reste motivée par ce même désir mimétique de possession, plein de ressentiment et de haine alors que cette volonté de conquête motivée par les frustrations identitaires et sociales apparaît soudain comme constituant un inconscient victimaire qui détermine et oriente la dynamique de la sécession violente. Le nihilisme festif auquel nous avons assisté ces derniers jours se nourrit de la culture de l’impunité (du nihilisme du déni), et ces deux phénomènes sont parfaitement solubles dans la société du crime mondialisé, qui, des caïds de banlieues aux cartels de la drogue, sont les principaux leviers de la sécession territoriale et communautaire.

    Jure Georges Vujic (Polémia, 12 juillet 2023)

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  • Nietzsche affirme la vie...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Pierre Le Vigan consacré à Nietzsche et cueilli sur le site de la revue Éléments.

    Urbaniste, collaborateur des revues Eléments, Krisis et Perspectives libres, Pierre Le Vigan a notamment publié Inventaire de la modernité avant liquidation (Avatar, 2007), Le Front du Cachalot (Dualpha, 2009), La banlieue contre la ville (La Barque d'Or, 2011), Écrire contre la modernité (La Barque d'Or, 2012), Soudain la postmodernité (La Barque d'or, 2015), Achever le nihilisme (Sigest, 2019), Nietzsche et l'Europe (Perspectives libres, 2022) et La planète des philosophes (Dualpha, 2023).

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    Nietzsche affirme la vie

    Le cœur de la pensée de Nietzsche, c’est le constat que nous n’arrivons pas à « affirmer la vie ». Nous n’y allons pas franchement. Nous n’osons pas la vie. Derrière nos opinions, se cache souvent quelque chose. Derrière nos rationalisations, se dissimule souvent une peur : peur de nous affirmer, d’être vraiment nous-mêmes. C’est la philosophie du soupçon. Avec Nietzsche, on peut remonter de soupçon en soupçon, de caverne profonde en caverne encore plus profonde, toujours plus en amont. On peut et on doit remonter. Nous ne devons pas craindre ce que nous découvrirons dans cette enquête. Terrible périple, qui fait bien sûr une place à l’idée d’inconscient, ou de préconscient (qui précède la conscience, comme un préjugé précède le jugé).  

    On peut dire aussi que Nietzsche déconstruit le sujet, au sens où il déconstruit son évidence. Non, le sujet n’est pas toujours rationnel ; non, il n’est pas toujours prévisible. C’est pour le reconstruire, mais différemment, avec moins de faux semblants, que Nietzsche ausculte le sujet. De l’homme au surhomme, qui est un homme au-delà de l’homme : voilà le chemin que défriche Nietzsche. Le surhomme selon Nietzsche est l’homme qui comprend et qui accepte ceci : nous sommes portés par un souffle de vie qui nous dépasse. La volonté est ce qui nous permet d’accepter d’être traversés par des forces qui nous poussent vers plus d’être, vers plus de puissance, vers plus de vie, vers plus de création. Mais comment dire cela et peut-on le dire avec des mots ?

    Pourquoi Nietzsche est irréfutable

    Philologue – il est professeur à Bâle dès l’âge de 25 ans –, Nietzsche se pose la question : la réalité peut-elle être entièrement saisie par le langage ? Il ne le croit pas. Les mots deviennent des idoles : amour, société, humanité, progrès… Dieu lui-même est une idole. « Je crains que nous ne puissions-nous débarrasser de Dieu, parce que nous croyons encore à la grammaire » (Crépuscule des idoles, « La raison dans la philosophie », 1888). Nous sommes prisonniers de la fixité des choses, ou plutôt de notre propension à voir les choses dans leur fixité, parce que cela nous rassure. Nous sommes prisonniers de la croyance hégélienne comme quoi tout ce qui est réel est rationnel et tout ce qui est rationnel est réel. Nietzsche refuse ainsi l’esprit de système. Cet esprit qui veut rassurer, et empêche de remonter vers les cavernes les plus profondes. « L’esprit de système est un manque de probité » (Crépuscule des idoles, paragraphe 26). Contre le systématisme, Nietzsche prône le perspectivisme. Les choses sont toujours mises en perspective, et ces perspectives changent toujours. C’est un mobilisme (comme quoi les choses ne cessent de se transformer), comme celui d’Héraclite. Panta Rhei : « Tout coule ». Tout est soumis à un devenir. Emporté par un devenir. Ce sont les pulsions, ou encore les instincts qui donnent du sens à des phénomènes. « Tout ce qui est bon sort de l’instinct — et c’est, par conséquent, léger, nécessaire, libre » (Crépuscule des idoles, « Les quatre grandes erreurs », 2).

    Les points de vue sont des éclairages. Ce sont des torches qui éclairent dans une direction. C’est pourquoi Nietzsche s’exprime souvent par des aphorismes qui, plus que des paroles, sont des sons. « Les sons ne permettent-ils pas de séduire à toute erreur comme à toute vérité : qui songerait à réfuter un son ? » (Le Gai savoir, paragraphe 106). Il y a ainsi, plutôt que des possibles réfutations de Nietzsche, de multiples interprétations possibles de sa pensée. « L’éléphant est irréfutable », disait Alexandre Vialatte. Nietzsche aussi. Surtout, il y autant d’interprétations de Nietzsche que de lecteurs de Nietzsche. Ce dernier dit lui-même : « On veut non seulement être compris lorsque l’on écrit, mais certainement aussi ne pas être compris. Ce n’est nullement encore une objection contre un livre quand il y a quelqu’un qui le trouve incompréhensible : peut-être cela faisait-il partie des intentions de l’auteur de ne pas être compris par “n’importe qui”. » (Le Gai savoir, paragraphe 381).

    Le bon et le mauvais nihilisme

    Au début des années 1880, Nietzsche s’éloigne de la pensée de Schopenhauer. Pour celui-ci, l’homme est le jouet d’un vouloir-vivre universel et sans but. Schopenhauer en concluait qu’il fallait renoncer au désir, seul moyen de ne pas être balloté par celui-ci. Au contraire, Nietzsche pense qu’il faut s’ancrer dans le désir. Celui-ci doit opérer la réconciliation du corps et de l’âme. C’est pourquoi la santé de l’âme et celle du corps sont un seul et même sujet. Le philosophe est un médecin de la culture. Il étudie les symptômes de la maladie ou des maladies qui affectent la culture. Et il désigne la cause des maladies, par exemple les religions culpabilisatrices, ou les philosophies qui dévalorisent la vie, au profit d’un arrière-monde, monde « d’avant », ou monde qui « devrait être », mais n’est point, ou monde « sauvé » qui viendra « après » la vie, etc.

    De ce refus des arrière-mondes vient la critique par Nietzsche du nihilisme. Ce dernier peut être passif. C’est le plus courant. Nihilisme du « à quoi bon ». Nihilisme de la fatigue de vivre et d’être soi. On ne croit plus en rien, et on ne croit plus en soi. C’est l’acédie [J’en dis deux mots dans Le malaise est dans l’homme]. Le nihilisme peut être actif : il veut détruire ce qui vaut quelque chose, il veut avilir. Il veut enlever le goût du travail bien fait, le sens de l’honnêteté, la pudeur, etc. C’est un cynisme. Puisque la société n’est pas parfaite, que tout le monde soit le plus imparfait possible. C’est un nihilisme de la rage. Et c’est moins la rage de vivre que la rage contre la vie.

    Il y a encore une forme subtile de nihilisme qui ne consiste pas à vouloir détruire, mais au contraire à affirmer des valeurs. Mais il s’agit de fausses valeurs selon Nietzsche, ou plutôt de valeurs faibles : l’amour universel, la petite charité sans générosité, les droits de l’homme, l’égalitarisme, le culte du progrès, le positivisme d’un Auguste Comte… Il faut démanteler cette forme subtile de nihilisme, qui ne se donne pas pour destructrice, mais qui ne laisse subsister que ce qui est bas et médiocre. Et pour ce démantèlement, il peut y avoir (enfin !) un bon nihilisme : un nihilisme actif qui consiste à balayer ce qui nous abaisse, à mettre à terre les valeurs basses, les valeurs non aristocratiques. Ce nihilisme actif est alors une négation de la négation, et cette négation est nécessaire.

    Proactif, pas réactif

    Il s’agit de lutter contre ce qui nous nie, et parmi ce qui nous nie, il y a toutes les utopies, de cellede Thomas More (1516) à 1984 de George Orwell (1949) en passant par Nous autres de Zamiatine (1920), La cité du soleil de Campanella (1602) et La République de Platon. Ces utopies sont des « forces réactives ». Elles veulent réagir contre ce qui empêcherait l’homme d’être heureux, ou juste, ou bon, ou ouvert au progrès, ou tout cela ensemble. Elles voudraient que l’homme soit parfait, rationnel, prévisible. Osons dire qu’il serait alors formidablement ennuyeux ! Il faut donc à la fois se garder des idéaux autour de grandes idées comme l’impératif moral catégorique de Kant, ou l’Esprit Absolu réconciliant la Logique et la Nature chez Hegel, et refuser les utopies qui imaginent un homme réconcilié avec lui-même et le monde parce que sa nature même aurait changé (ou aurait été changée). Les deux processus, l’un d’apparence métaphysique (exemple : Hegel), l’autre d’apparence imaginative (exemple : Campanella), sont tous deux des utopies et peuvent se recouper.

    Faut-il alors détruire ces forces réactives que sont les grands récits trompeurs et les utopies elles-mêmes ? Nietzsche ne le pense pas. Nous avons besoin de ces forces réactives comme ennemies. C’est dans le corps à corps avec ces forces réactives que nous pouvons élaborer de nouvelles valeurs, qui affirment l’immanence de la vie. Il s’agit de faire de nos vies des œuvres d’art et donc de faire triompher les valeurs esthétiques sur les valeurs morales. Mais dans l’esthétique, il y a l’acceptation de la joie comme de la souffrance. L’éternel retour – une idée qui vient à Nietzsche au bord du lac de Silvaplana, en Engadine, en août 1881 – veut dire l’éternel retour de tout, de la joie comme des peines. C’est un oui inconditionnel à la vie, et pas seulement un oui aux bonheurs de la vie. Si la volonté de puissance est le moteur de cet éternel retour, elle n’est pas la seule volonté de jouissance, elle n’est pas non plus principalement la volonté de domination, à moins d’inclure dans la domination la domination sur soi. Comme Heidegger l’écrira dans son Nietzsche II (Gallimard, 1971, p. 36), la volonté de puissance est ce qu’est la vie (son essence) dans son immanence (le quid, la quiddité), tandis que l’éternel retour est le comment elle se manifeste comme immanence (le quod, la quoddité).

    Désir du désir et volonté de volonté

    La volonté de puissance s’oppose à la volonté de vérité, car la recherche maladive de la vérité à tout prix peut être l’exact opposé de la volonté. La volonté de puissance est d’abord volonté d’ordonner ses passions. Nietzsche critique « l’anarchie des instincts » (il la voit chez Socrate, l’homme qui dit : « La vie n’est qu’une longue maladie », l’homme malade de l’hypertrophie de sa raison raisonnante.) Ainsi, la volonté de puissance est-elle avant tout une volonté de volonté. Nietzsche récuse par avance toute interprétation purement libertaire, hédoniste et spontanéiste de l’abandon aux forces instinctives. Pour le dire autrement, Dionysos doit être mise en forme par Apollon. L’un sans l’autre n’ont aucun sens. Sans Dionysos, il n’y a pas de vie. Sans Apollon, la vie ne produit aucune œuvre d’art. Si Nietzsche accuse Socrate, et la métaphysique, et la dialectique d’avoir dévalué la vie, c’est bien qu’il se veut, lui, médecin, et prescripteur de remèdes pour la « grande santé ». À la métaphysique et à la dialectique, Nietzsche oppose la danse. Il manqua à Nietzsche de rencontrer une Lucette Almanzor !

    Toute la quête de Nietzsche consiste à récuser les mensonges d’un sens du monde déjà-là, qui ne serait que consolation, avec le christianisme et les autres religions, d’un salut dans l’au-delà. Nietzsche ne nie pas qu’il faille trouver un sens à nos vies, mais sa philosophie du soupçon fait qu’il rend le sens, de l’exploration de caverne profonde en caverne toujours plus profonde insaisissable. De là le pari de Nietzsche : il faut dissocier la question du sens de la question de la vérité. Le sens ne se trouve pas dans les profondeurs, mais à la surface même de la vie.  Dans Le Gai savoir (préface IV), Nietzsche écrit : « Ah ! Ces Grecs comme ils savaient vivre. Cela demande [de] la résolution de rester bravement à la surface, de s’en tenir à la draperie, à l’épiderme, d’adorer l’apparence et de croire à la forme, aux sons, aux mots, à tout l’Olympe de l’apparence. Les Grecs étaient superficiels… par profondeur. »

    Pierre Le Vigan (Site de la revue Éléments, 11 mai 2023)

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  • Cap sur la communauté !...

    Les éditions de La Nouvelle Librairie viennent de publier un essai de Marco Scatarzi intitulé Cap sur la communauté ! - Une boussole pour les militants identitaires.

    Essayiste et militant italien, Marco Scatarzi, né en 1983, a fondé les éditions Passaggio al Bosco ainsi que l’espace identitaire Casaggi, à Florence.

    Scatarzi_Cap sur la communauté.jpg

    " Qu’est-ce que la Communauté militante ? Marco Scatarzi répond à cette question en passant en revue les principes qui l’animent et les modes opératoires qui la construisent. Dans l’harmonie essentielle de la Communauté, il veut voir la riposte identitaire au modèle mondialiste : les liens organiques comme rempart contre l’isolement du consommateur global, le solidarisme de la camaraderie comme alternative à la massification de l’individu atomisé, la synthèse des différences comme frein au nivellement de l’universalisme, le partage des idées comme digue face à la doxa nihiliste.

    Ces pages destinées en priorité aux militants, dont l’auteur assimile la destinée de soldats politiques à un serment de fidélité, sont des pages de combat. Elles envoient au diable le fatalisme pour lancer un défi au troisième millénaire : celui de réveiller notre Civilisation en dormition avec le feu inextinguible des âmes brûlantes de foi. "

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