Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

eurasie

  • Akinakès : Une histoire des épées divines en Eurasie...

    Les éditions Lemme edit viennent de publier un essai de Iaroslav Lebedynsky intitilé Akinakès - Une histoire des épées divines en Eurasie.

    Historien spécialiste des anciennes cultures des steppes eurasiatiques et du Caucase, Iaroslav Lebedynsky enseigne l’histoire de l’Ukraine à l’Institut national des langues et civilisations orientales à Paris.

     

    Lebedynsky_Akinakes.jpg

    " De l’akinakès des anciens nomades de la steppe, à l’Excalibur d’Arthur, en passant par le « glaive de Mars » que prétendait détenir Attila, Batradz, le héros caucasien dont le corps est une lame d’acier trempé, le mythique Zulfikar d'Ali, ou les sabres des héros chinois et japonais, les cultures d’Eurasie connaissent de nombreuses traditions d’épées divines. Certaines légendes ont des similitudes frappantes... Remontent-elles à une source commune ?
    Sans omettre la part de rêve attachée à ces armes surnaturelles, ce livre recense les principales histoires d’épées "magiques" d’Eurasie, nous entraînant par là même de la Bretagne à l’Extrême-Orient, des steppes d’Ukraine aux pics du Caucase. "

    Lien permanent Catégories : Livres 0 commentaire Pin it!
  • Les ambitions inavouées...

    Les éditions Tallandier viennent de publier le nouvel essai de Thomas Gomart intitulé Les ambitions inavouées - Ce que préparent les grandes puissances. Historien et directeur de l'Institut français des relations internationales, Thomas Gomart est membre des comités de rédaction de Politique étrangère, de la Revue des deux mondes et d'Etudes et est déjà l'auteur de L'affolement du monde - 10 enjeux géopolitiques (Tallandier, 2019) et de Guerres invisibles (Tallandier, 2021).

     

    Gomart_Les ambitions inavouées.jpg

    " Que savons-nous des plans échafaudés par nos partenaires et adversaires ? La guerre en Ukraine nous a brutalement rappelé qu’une décision prise par un chef d’État a un impact sur le sort de millions de personnes. Pour rompre avec une vision du monde souvent nombriliste, la France doit mieux comprendre les ambitions des autres grandes puissances. C’est l’objectif de cet essai inédit et stimulant.

    Quelle importance accorder à la foi religieuse dans les stratégies conduites par la Turquie d’Erdogan, l’Iran de Khamenei et l’Arabie saoudite de MBS ? De quelle manière les orientations
    prises par l’Allemagne de Scholz, la Russie de Poutine et la Chine de Xi Jinping reconfigurent-elles l’Eurasie ? Le Royaume-Uni et les États-Unis se définissent désormais comme des «démocraties maritimes ». Qu’en est-il de l’Inde ?

    Combinant temps long et ruptures récentes, Thomas Gomart nous invite à regarder «d’en haut» neuf grandes stratégies. Pour concevoir sa propre vision, Paris doit intégrer celle des pays
    avec lesquels elle entretient des relations cruciales tout en considérant le contexte global : réchauffement climatique, crise énergétique, conflits, innovations technologiques ou encore flux économiques et numériques. Au regard des transformations à l’œuvre, il y a urgence pour la France à repenser sa stratégie pour les décennies à venir si elle veut encore compter dans le monde. "

    Lien permanent Catégories : Géopolitique, Livres 0 commentaire Pin it!
  • Une perspective d’Orient...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Dario Rivolta, consacré au point de vue de l'Orient sur l'Occident et l'Europe. L'auteur est analyste géopolitique et ancien député italien et membre de la Commission des Affaires Étrangères.

    Amérique du Nord, Analyse, Articles, Asie, Chine, Eurasie, Europe, géoéconomie, Organisations Internationales, Panorama de la Gouvernance mondiale, Politique et Relations internationales, Stratégie Globale, dario rivolta

    Une perspective d’Orient

    Notre monde sous une autre perspective : comment l’orient nous perçoit-il ?

    Pour obtenir de bons résultats dans une négociation internationale, qu’elle soit commerciale ou politique, il est indispensable de bien comprendre quels sont les véritables centres d’intérêts de l’interlocuteur (même non déclarés) et ses « lignes rouges« . Pour cela, il faut essayer d' »entrer » dans sa tête, connaître les racines culturelles dans lesquelles il a grandi et, surtout, savoir comment il nous perçoit ainsi que le monde dont nous sommes le fruit. Au contraire, l’erreur la plus courante et la plus contre-productive dans laquelle nous tombons consiste interpréter la négociation au travers nos codes de lecture en projetant nos propres canons de jugement sur l’autre et en présupposant l’existence de valeurs et réflexes communs.

    Malheureusement, quand nous regardons l’Asie et le reste du monde depuis l’Occident, nous n’avons pas l’habitude de nous dépouiller de nos préjugés et de nos habitudes culturelles. Pire encore : il nous semble évident que notre façon de voir le monde est le seul possible ou du moins la meilleure de toutes les alternatives.

    Cependant, quiconque souhaite jeter au moins un aperçu de la façon dont les Asiatiques voient le monde occidental ferait bien de lire le livre de Kishore Mahbubani : « Occident et Orient : qui perd et qui gagne« .

    Mahbubani est un parfait « médiateur culturel » ayant été diplomate singapourien pendant trente ans ayant assumé différentes hautes responsabilités auprès du Conseil de sécurité des Nations unies. Son éducation culturelle débute à Singapour avec une licence en philosophie et un mémoire de master sur la confrontation entre Karl Marx et John Rawls. Il a étudié la littérature européenne, indienne et chinoise et parle plusieurs langues. Entre autres choses, il a enseigné aux USA à Harvard et a été doyen et professeur de la Lee Kuan Yew School of Public Policy (Singapour). Il a également écrit plusieurs livres, dont un sur Machiavel. Foreign Policy l’a inclus dans la liste des plus grands intellectuels mondiaux et le Financial Times le considère parmi les cinquante économistes capables de débattre raisonnablement de l’avenir de l’économie capitaliste.

    Son jugement sur l’Occident part de l’hypothèse que le plus grand cadeau qu’il ait fait au monde est le pouvoir du raisonnement logique. Mode désormais également adopté par l’Orient mais peu à peu revisité ou même abandonné en Asie : « … L’Occident a perdu la capacité de se poser des questions fondamentales et s’est réfugié dans une bulle auto référentielle et complaisante…« .

    Dans le volume susmentionné, il nous rappelle que depuis le début de l’histoire jusqu’au XIXe siècle, les deux plus grandes économies du monde étaient la Chine et l’Inde et ce n’est qu’au cours des deux derniers siècles que l’Europe et le monde anglo-saxon sont devenus politiquement et économiquement dominants. Cependant, cette situation s’est clairement inversée, surtout au cours des deux dernières décennies. La part du PIB mondial en 1980 était clairement en faveur de l’Occident (au sens large, y compris le Japon et la Corée du Sud, considérés politiquement « occidentaux« ) avec une part supérieure à 60 %, mais aujourd’hui cette part est tombée à moins de 40 % et se contracte continuellement en faveur des économies des pays émergents. Déjà en 2015, les membres du G7 ont contribué à hauteur de 31,7 % à la croissance mondiale, tandis que la Chine + l’Inde + le Brésil + le Mexique + la Russie + l’Indonésie et la Turquie (E7) ont atteint 36,3 %. En termes de pouvoir d’achat, en 1980, la Chine représentait un dixième de l’économie américaine, en 2014 elle est devenue la plus grande économie du monde.

    Pour confirmer le revirement, des enquêtes ont par exemple établi qu’en 2016, 90 % des jeunes Indonésiens se déclaraient heureux alors qu’en Europe, seuls 57 % de leurs pairs étaient heureux. Il est clair pour tous que le sentiment de bonheur potentiel découle davantage des attentes concernant l’avenir que des conditions du moment.

    Mahbubani décrit un aveuglement des élites occidentales dans le fait que nous continuions à croire que l’événement le plus important de l’histoire mondiale récente ait été le 11 septembre 2001 (Twin Towers). Tout en attribuant la présence d’excellentes universités et d’intellectuels talentueux dans le monde occidental, il est surprenant que l’importance absolue de l’adhésion de la Chine à l’OMC sur les développements futurs dans le monde n’ait pas été comprise et mieux interprétée dans ce qu’elle signifie à l’échelle planétaire. C’est cet événement qui a conduit au début du déclin économique occidental. La Banque des règlements internationaux, elle aussi, le dit dans un rapport officiel de 2017 : l’entrée d’un milliard de nouveaux travailleurs hautement productifs dans le système commercial mondial a entraîné une « destruction créative » massive et la perte de nombreux emplois en Occident. D’où l’instabilité politique et l’appauvrissement économique croissants, les populismes et les luttes entre pauvres qui dévastent nos sociétés. Un fait intéressant (citant un universitaire américain) est le suivant : « En moyenne en 1965, le PDG d’une entreprise américaine gagnait 20 fois le salaire d’un de ses ouvriers. En 2013, toujours en moyenne, ce ratio est passé à 296 fois« . Exactement ce qui a continué à se produire en Europe aussi, contribuant à exacerber les conflits sociaux.

    Concernant la croyance répandue parmi nous selon laquelle les Chinois souffrent tous d’un régime exceptionnellement despotique, il écrit : « Si cette perception occidentale était vraie, comment 100 millions de Chinois voyageraient-ils à l’étranger ? … Et puis, 100 millions de Chinois rentreraient-ils librement chez eux s’ils se sentaient vraiment opprimés ?« . Il ne s’agit pas de nier que de nombreux cas de mécontentement populaire se manifestent aussi en Chine, mais des formes de protestation, parfois violentes, se produisent également dans nos pays démocratiques et la seule différence (importante) tient à la façon dont les gouvernements respectifs réagissent.

    Parlant de visions stratégiques, Mahbubani est très clair. Selon lui, « l’intervention la plus malavisée a été d’envahir l’Irak en 2013. En théorie, la guerre en Irak s’est déroulée au lendemain du 11 septembre. En pratique, ce n’était qu’une démonstration de l’arrogance et de l’incompétence stratégique de l’Occident, et des États-Unis en particulier. En détruisant Saddam et en attaquant les talibans, les États-Unis ont beaucoup aidé la puissance iranienne… et créé un gâchis colossal« . L’Irak est maintenant devenu l’exemple type de comment ne pas envahir un pays. Lee Kuan Yew, Premier ministre de Singapour et ami des Américains, a sarcastiquement noté que « même les Japonais avaient fait mieux pendant la Seconde Guerre mondiale« .

    Selon lui, une deuxième bévue stratégique occidentale majeure a été d’ »humilier davantage la Russie déjà humiliée« . Il cite Churchill qui a soutenu que « dans la victoire, vous avez besoin de magnanimité« . Au contraire, après avoir remporté la guerre froide, l’Occident a voulu étendre l’OTAN aux frontières de la Russie. À ce propos, Thomas Friedman (c’est toujours Mahbubani qui le cite) dans le New York Times du 4 mars 2014 (après le Maïdan) écrivait : « J’ai lutté contre l’expansion de l’OTAN jusqu’aux frontières de la Russie après la guerre froide, quand la Russie était de loin la plus démocratique et la moins menaçante de tous les temps. Cela reste l’une des choses les plus stupides que nous ayons jamais faites et, évidemment, a jeté les bases de l’ascension de Poutine.« 

    Autre aspect abordé par le cultivé diplomate singapourien est l’accusation lancée contre la Russie d’avoir tenté de s’ingérer dans les élections présidentielles américaines de 2017 : « Aucun dirigeant américain ne s’est posé la question : mais les USA ne se sont-ils jamais rendus coupables d’ingérence dans des élections dans d’autres pays ? » Et la réponse est citée par une étude (2016) de l’Institute of Politics and Strategies de l’Université Carnegie Mellon qui a constaté que de 1946 à 2000 bien plus de quatre-vingts cas d’ingérence américaine ont été documentés.

    Le troisième point qu’il considère comme une erreur de jugement de l’Occident sont les soi-disant « révolutions de couleur”. Une liste partielle comprend : la Yougoslavie (2000- Bulldozer), la Géorgie (2003- Rose), l’Ukraine (2005- Orange et 2014- Maidan), Irak (2005- Violet), Kirghizistan (2005- Tulipes), Tunisie (2010- Jasmin), Égypte (2011- Lotus). Sans oublier la Libye et la Syrie. Il souligne que certaines de ces « révolutions » ont été générées en interne mais que l’Occident s’est empressé de les soutenir au nom de « l’exportation de la démocratie« . Une exportation qui n’a jamais concerné des pays « amis » comme par exemple, l’Arabie Saoudite et (peut-être) la Turquie.

    Garcia Marquez, après le 11 septembre, a écrit au président Bush : « … Comment vous sentez-vous maintenant que l’horreur éclate dans votre jardin et non dans le salon de votre voisin… Savez-vous qu’entre 1824 et 1994, votre pays a fait 73 invasions en Pays d’Amérique latine… Depuis près d’un siècle, votre pays est en guerre avec le monde entier… Qu’est-ce que ça fait, Yankee, de découvrir qu’avec le 11 septembre, la longue guerre est enfin arrivée chez vous ? « .

    Bien sûr, le livre de Mahbubani contient de nombreuses autres considérations vues d’orient qu’il nous est utile de découvrir. Attention, il n’est pas un ennemi de l’Occident et a même été élu membre de la prestigieuse Académie Américaine des Arts et des Sciences. C’est simplement quelqu’un qui nous regarde d’un autre point de vue et, dans de nombreuses circonstances, regrette ce qu’il juge être nos erreurs.

    Le livre se conclut par un constat très intéressant sur la diversité des intérêts des États-Unis et de l’Europe, pas toujours conciliables, et sur son étonnement de voir comment les élites européennes suivent servilement les volontés américaines, même si elles constituent souvent un préjudice pour le Vieux Continent.

    La lecture de Kishore Mahbubani nous oblige à une nouvelle perspective, à travers le spectre asiatique et mondial et nous offre différents angles d’analyse pour observer le globe dans lequel nous vivons trop souvent en guerres inutiles.

    Dario Rivolta (Geopragma, 29 décembre 2022)

    Lien permanent Catégories : Géopolitique, Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Quinze visions de l'Europe...

    Nous reproduisons ci-dessous la traduction d'un article d'Erik Lehnert, de Benedikt Kaiser et de Till-Lucas Wessels cueilli dans le numéro d'octobre 2018 de la revue "néo-droitiste" allemande Sezession et consacré aux principales visions de l'Europe qui existent ou ont pu exister dans l'espace politico-idéologique.

     

    Koundourou_Europe.jpg

    Nation et Europe - Quinze conceptions

    Mitteleuropa
    La conception la plus connue de la Mitteleuropa repose sur le livre du même nom de l'homme politique libéral Friedrich Naumann (1860-1919). Paru en 1915, il devint rapidement un best-seller. Dans le contexte du débat général sur les buts de guerre, Naumann y revendiquait un "impérialisme libéral", par lequel il voulait avant tout assurer la survie des deux États allemands, l'Empire allemand et l'Autriche-Hongrie.
    Le long débat autour de ce livre a montré qu'en Allemagne, personne n'avait sérieusement réfléchi aux buts de guerre avant le début de la guerre et que beaucoup n'étaient pas d'accord avec les exigences exagérées des cercles völkisch.
    Le point de départ des réflexions de Naumann était la fusion de l'Empire allemand avec la double monarchie, d'abord sur le plan économique, puis sur le plan politique. Les causes en étaient la guerre, qui remettait en question la survie, et le fait, postulé par Naumann, que seuls les grands espaces économiques étaient capables de survivre à long terme.
    Naumann était convaincu que non seulement les deux pays seuls, mais aussi les deux ensemble étaient trop petits pour survivre et qu'il fallait donc, si l'on ne voulait pas sombrer dans l'isolement, se joindre à l'Angleterre ou à la Russie pour pouvoir survivre ensemble en tant que "monde".
    Mais la souveraineté n'existerait que si l'on devenait soi-même un centre, en réunissant un territoire plus grand, à l'instar du Zollverein allemand. L'Allemagne entière devait donc devenir une puissance économique de "première classe" et, pour ce faire, intégrer les autres États et nations d'Europe centrale afin de devenir ensemble un corps économique mondial propre.
    Naumann n'a été concret qu'en ce qui concerne l'union des deux États allemands, il est resté discret sur d'autres points et a misé sur l'attractivité de la nouvelle Mitteleuropa, à laquelle les États se rallieraient ensuite d'eux-mêmes.
    Fidèle à ses convictions nationales et sociales, Naumann voulait faire de ce projet l'affaire du peuple. La Mitteleuropa est l'une des "idées de 1914" qui ont finalement échoué à l'issue de la guerre, mais qui sont restées d'actualité en raison du chaos provoqué en Europe centrale par les traités de la banlieue parisienne. (EL)

    Paneurope/États-Unis d'Europe
    L'Union paneuropéenne du publiciste austro-japonais Richard Nikolaus Coudenhove-Kalergi (1894-1972) peut être considérée comme l'un des projets précurseurs de l'UE pendant un temps les plus réussis. L'élément central de l'œuvre de Coudenhove-Kalergi de 1923 était la création en plusieurs étapes d'une fédération européenne d'États : mise en place d'un traité d'arbitrage européen, d'une alliance défensive et d'une union douanière.
    Cette union d'États devait à son tour servir de point de départ à une unification globale sur le modèle des États-Unis, son objectif principal étant d'empêcher de nouveaux conflits armés en Europe et d'affirmer le continent face à l'Union soviétique et aux États-Unis d'Amérique.
    Coudenhove-Kalergi était donc tout aussi réticent à la participation de la Russie à cette alliance qu'à celle de la Grande-Bretagne, liée par essence aux États-Unis, bien qu'il n'exclue pas par principe l'adhésion de l'un ou l'autre pays.
    En revanche, les colonies d'outre-mer des États européens devaient être intégrées. Coudenhove-Kalergi les considérait comme une opportunité féconde pour nourrir la population croissante de l'Europe. En règle générale, Coudenhove-Kalergi est aujourd'hui perçu comme le représentant et le précurseur d'une union européenne démocratique.
    Winston Churchill s'est ainsi référé à lui lorsqu'il a appelé à la création des "États-Unis d'Europe" dans son "Discours à la jeunesse universitaire". Comme Coudenhove-Kalergi, il excluait toutefois la Grande-Bretagne et la Russie de cette Europe. (TLW)

     

    Union douanière européenne/Noyau européen (Kerneuropa)
    L'"Union douanière européenne" souhaitée par Otto Strasser (1897-1974) et d'autres nationaux- révolutionnaires dissidents a été modifiée à plusieurs reprises. Dans les années 1920, on a d'abord formulé l'objectif d'un "noyau européen". Celui-ci donnerait naissance à un marché intérieur qui comprendrait, outre l'Allemagne, les pays d'Europe centrale apparentés sur le plan économique, à savoir la Hongrie, le Danemark, les Pays-Bas, le Luxembourg et la Suisse.
    On soulignait expressément qu e la création réussie d'un noyau européen avec un système monétaire commun signifierait qu'à partir de ce noyau, d'autres étapes de mutualisation pourraient avoir lieu au niveau de l'Europe.

    Les "États-Unis d'Europe"
    Les "États-Unis d'Europe" – avec l'Allemagne comme hégémon naturel – ont été évoqués comme objectif à long terme. Dans les années 1960 et 1970, les partisans de Strasser, autour de leur inspirateur, défendaient l'idée d'une "fédération européenne" qui, en fin de compte, s'en tenait à l’union douanière de la "Kerneuropa" dominée par l'Allemagne.
    Strasser formulait après la Seconde Guerre mondiale que cette fédération possédait une légitimité "si elle préservait la spécificité des peuples européens et assurait leur possibilité de développement". Comme Oswald Mosley ou Pierre Drieu la Rochelle, Strasser soulignait la nécessité de s'opposer à tout nivellement, car la diversité proprement européenne constituait "la force et la beauté de l'Europe" - la fédération européenne autour du noyau dur de l'Europe devait être conçue de manière à préserver la plus grande autonomie d'action possible pour chaque peuple.
    Contrairement à Drieu (avant 1945) et Mosley (après 1945), Strasser ne voulait pas que les États-nations se fondent dans un État européen, mais voulait "confédérer" les différentes nations ; la correspondance de Strasser avec Mosley, en particulier, illustre le fossé qui le sépare de la "nation Europe". (BK)

    L'Europe intermédiaire (Zwischeneuropa)
    De nombreux nouveaux États-nations sont nés en Europe centrale et orientale de l'héritage des empires disparus lors de la Première Guerre mondiale. Après la consolidation de l'Union soviétique, il est devenu clair qu'ils n'auraient guère de chance de survivre isolément.
    C'est dans ce contexte que des intellectuels et des hommes politiques ont discuté de différentes variantes de coopération transnationale, qui ont été balayées par la Seconde Guerre mondiale et la domination communiste qui s'en est suivie et qui ne sont redevenues d'actualité qu'après la fin de la Guerre froide et la dissolution de l'Union soviétique en différents États nationaux.
    Le précurseur de cette idée fut le maréchal polonais Piłsudski, qui voulait rétablir la Pologne dans ses frontières médiévales. A long terme, il envisageait la création d'une fédération slave qui s'étendrait de la mer Baltique à la Méditerranée (Miedzymorze, "mer intermédiaire").
    Cette idée, qui perdure aujourd'hui sous le nom d'Intermarium, a toujours été caractérisée par une opposition frontale à l'Allemagne à l'ouest et à la Russie à l'est. Le journaliste et économiste Giselher Wirsing (1907-1975) élargit l'idée et forgea en 1932 le terme d'"Europe intermédiaire" pour les États situés entre l'Allemagne et l'Union soviétique.
    Dans son livre du même nom, il préconisait que l'Allemagne, après l'échec de son incursion dans l'océan mondial et sa vaine recherche d'amitié avec l'Ouest, se tourne vers l'Est. L'Allemagne devait se rapprocher des peuples de l'Europe intermédiaire afin de développer une forme d'économie autonome, qui devait s'opposer aussi bien au marxisme doctrinaire qu'au capitalisme impérialiste.
    Il avait en tête une structure fédéraliste de l'espace germano-intereuropéen basée sur les nations, tout en ne reniant pas le modèle de l'Union soviétique. Le seul moyen d’affirmer une identité était que les États ne disposent que d'une souveraineté de façade.
    La renaissance actuelle du concept d'Intermarium n'a rien à voir avec Wirsing et est propagée comme une alternative à l'UE dominée par l'Allemagne, bien que la plupart des États concernés soient entre-temps eux-mêmes devenus membres de l'UE. Une variante de cette idée relevant de la realpolitik se cache derrière le regroupement des pays dits de Visegrád (Pologne, Hongrie, République tchèque, Slovaquie) dans une union douanière, qui subsiste aujourd'hui sous le toit de l'UE en tant qu'alliance informelle. (EL)
    Eurasie
    La notion d'"Eurasie", utilisé notamment dans l'entourage du philosophe Alexandre Douguine (né en 1962), n'est qu'une ébauche d'une conception concrète de l'organisation. En fait, Douguine a d'abord formulé une série de théories sur les grands espaces qui examinent si et comment la Russie appartient à l'Europe et le contraire.
    Chez Douguine, le terme "Eurasie" a en outre une composante métaphysique et parfois même spirituelle. Les partisans de l'"Eurasie" défendent la thèse selon laquelle il existe un bloc eurasien qui s'oppose diamétralement à la partie atlantique et occidentale du monde.
    Il existe différentes idées sur l'étendue de ce bloc. Elles vont de l'espace couvert par l'Union économique eurasienne (composée en premier lieu de l'Arménie, du Kazakhstan, du Kirghizstan, de la Biélorussie et de la Russie) à l'"Eurasie de Dublin à Vladivostok", promue un temps par Douguine.
    Quoi qu'il en soit, les peuples européens et asiatiques en font partie à part égale, et la Russie occupe une position hégémonique naturelle. Du côté de la Révolution conservatrice et du nationalisme social-révolutionnaire de gauche, des revendications correspondantes avaient déjà été formulées avant et pendant la Seconde Guerre mondiale, et elles se sont exprimées en conséquence après la guerre, par exemple par la voix d'Ernst Niekisch, d’Ernst von Salomon ou d’Otto Strasser.
    Au niveau européen, deux autres penseurs eurasistes, Jean Thiriart et son élève Carlo Terracciano, prenaient le relais. Le premier, athée matérialiste, propageait une approche rationnelle et géopolitique de la thématique, tandis que Terracciano se référait fortement à des aspects de la philosophie de Julius Evola et ne se limitait donc pas à la promotion d’une alliance anti-américaine, mais soulignait, comme les premiers eurasistes russes autour de Nikolaï Trubetskoï, le besoin d'un renouveau spirituel. (TLW)

     

    Ordre du grand espace
    Le juriste Carl Schmitt (1888-1985) a produit un approfondissement du concept d'empire en 1939 avec sa conférence intitulée "Völkerrechtliche Großraumordnung mit Interventionsverbot für raumfremde Mächte" (Le droit des peuples réglés selon le grand espace proscrivant l'intervention de puissances extérieures). Il y reprend les idées de base de la doctrine Monroe de 1823, dans laquelle le président américain Monroe avait proclamé, outre l'exigence d'indépendance des États américains, la non-intervention des puissances extra-américaines dans cet espace, avec en même temps la non-intervention de l'Amérique dans des espaces extra-américains.
    Selon Schmitt, le principe "l'Amérique aux Américains" a été interprété par la suite comme un droit de domination des Nord-Américains sur l'ensemble de l'Amérique, qui a finalement été étendu au monde entier en 1917 avec l'entrée en guerre des Américains.
    La raison en est que les Américains considèrent le monde comme un marché de capitaux ouvert, qui fonctionne au mieux avec une constitution libérale et démocratique, ce qui justifie toute intervention contre des forces réticentes. Schmitt reprend l'idée d'un grand espace concret et l'applique à l'Europe et à la situation précédant immédiatement le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale.
    Dans l'esprit de la doctrine Monroe originelle, il revendique pour l'Allemagne le droit de régler elle-même les affaires allemandes mais aussi européennes, sans ingérence de puissances étrangères à l'espace, et proclame un grand espace européen.
    Celui-ci s'oriente vers les frontières continentales et exclut donc la Grande-Bretagne. Ce grand espace est déterminé par l'Empire allemand, qui se trouve au centre de l'Europe et donc en position de front contre les deux universalismes : l'Est bolchevique et révolutionnaire mondial et l'Ouest libéral et démocratique assimilant les peuples.
    En revanche, le Reich doit défendre la "sainteté d’une organisation de la vie non universaliste, populaire et respectueuse des peuples", qui prend forme dans le Großraum. Schmitt voyait dans cette association la condition d'un véritable ordre nouveau, capable d'intégrer à la fois le peuple et l'État dans les représentations spatiales du XXe siècle.
    L'Empire allemand devait être pour les peuples d'Europe le garant de leurs formes de vie. Cette conception a été profondément discréditée par la suite, mais reste vivante en tant que forme opposée aux idées de politique européenne de l'après-guerre, si l'on conçoit l'UE comme le contraire du grand espace européen imprégné par l’idée d’empire. (EL)

     

    Eurofascisme
    L'eurofascisme était un courant intellectuel idéo-politique qui connut son apogée de 1934 à 1945, avant que ses dernières ramifications ne se fondent diversement dans la "nation Europe" (Mosley) ou dans l'"Eurasie" (Douguine/Thiriart). Géographiquement, l'Etat fédéral euro-fasciste, tel qu'il était essentiellement défendu par Pierre Drieu la Rochelle (1893-1945), mais aussi par les Belges José Streel et Pierre Daye, englobait l'Europe actuelle sans la Russie, mais avec la Grande-Bretagne ; d'un point de vue purement géographique, il était identique au concept de Mosley.
    La différence résidait dans le degré de fédéralisation : le concept de Mosley était plus centralisé, celui de Drieu plus subsidiaire et fédéraliste selon la ligne "région, nation, Europe". Drieu voyait les obstacles à une unification européenne surmontés par une résolution des questions frontalières européennes au moyen de fonctions de pont régionales dans une "Paneurope" sociale (à ne pas confondre avec Coudenhove-Kalergi).
    Il faudrait d'abord se détourner de l'Europe "bourgeoise" pour aller vers une Europe "jeune", débarrassée du chauvinisme, de la décadence et de l'individualisme. L'eurofascisme en tant que phénomène "roman" était en outre un mouvement de protestation contre l'"Europe" allemande national-socialiste ("Grand Reich germanique", etc.).
    Le 15 juillet 1944, Drieu publie un règlement de comptes avec la politique étrangère nazie ; jusqu'à aujourd'hui, ce Bilan fasciste est considéré comme un texte clé des mondes d'idées "européistes" de droite. Dans l'environnement nazi lui-même, il n'y avait que des projets isolés, principalement économiques, d'instituts subordonnés ("Communauté économique européenne") [NDT : la lecture du récent essai de Georges-Henri Soutou, Europa ! - Les projets européens de l'Allemagne nazie et de l'Italie fasciste (Tallandier, 2021) permet de nuancer fortement ce propos.].
    Outre le juriste Alexander Dolezalek, l'historien Karl Richard Ganzer a également réfléchi au nouvel ordre européen dans son ouvrage Das Reich als europäische Ordnungsmacht (1941). Ces tentatives et d'autres sont restées marginales jusqu'à la fin de la guerre, tandis que l'européisme des tranchées propre à la Waffen-SS a survécu à l'année 1945 dans les cercles de vétérans. (BK)

     

    Union européenne
    Les débuts de l'actuelle Union européenne ne sont pas le fruit de théories politiques européennes, mais s'inscrivent dans la tradition de la politique d'alliance classique. Dans le Pacte de Bruxelles de 1948, la France, la Grande-Bretagne et les pays du Benelux s'étaient réunis pour former une alliance défensive.
    L'arrière-plan était la guerre froide qui se profilait et la peur de l'Allemagne, dans laquelle on voyait un danger potentiel malgré la démilitarisation. Avec l'adhésion de l'Union occidentale à l'OTAN, créée un an plus tard, les efforts d'unification européenne se sont ensuite concentrés sur le domaine économique, auquel l'Allemagne a également pu participer.
    La Communauté du charbon et de l'acier de 1951, qui avait pour objectif principal d'harmoniser les industries allemande et française de l'acier et du charbon, et qui a également impliqué l'Italie et les pays du Benelux et créé pour la première fois une autorité supranationale, est considérée depuis lors comme l'embryon de la future Communauté européenne.
    Quatre ans plus tard, l'Allemagne a obtenu une souveraineté limitée par le traité de Paris et a adhéré au pacte de Bruxelles (aujourd'hui Union de l'Europe occidentale) et à l'OTAN, ce qui a cimenté la division de l'Europe en deux blocs. En 1957, les traités de Rome ont été suivis par la Communauté économique européenne et la Communauté de l'énergie atomique.
    Ces communautés sont devenues la Communauté européenne, à laquelle ont adhéré en 1973 quelques pays d'Europe du Nord. En 1981, la Grèce, le Portugal et l'Espagne, jusqu'alors exclus en raison de leur régime autoritaire, ont suivi.
    Le souhait exprimé depuis le milieu des années 1980, surtout par la France, d'élargir la CEE pour en faire un marché intérieur européen a été exaucé en 1992 avec le traité de Maastricht, qui a créé l'UE en tant qu'union économique et monétaire.
    En 1995 a suivi le deuxième élargissement au nord, en 2002 l'introduction de l'euro (que 19 pays ont aujourd'hui comme monnaie), et à partir de 2004 l'adhésion des pays d'Europe centrale et orientale. Le traité de Lisbonne, adopté en 2007 et définissant l'UE comme un super-État centralisé, était un compromis, la Constitution européenne n'étant pas applicable en raison de l'échec des référendums en France et aux Pays-Bas.
    La Croatie a été le dernier pays à rejoindre l'UE en 2013, ce qui signifie que 28 [NDT : article écrit en 2018, donc avant le Brexit] des 47 Etats européens font désormais partie de l'UE. (EL)

    Nation Europe
    Le concept européen de "Nation Europe" est dû à Oswald Mosley (1896-1980). Mosley a été d'abord un politicien tory dans l'entre-deux-guerres, puis est passé au parti travailliste avant de se faire connaître en tant que fondateur du parti British Union of Fascists (BUF).
    Mosley et son entourage se sont progressivement détournés du fascisme et de l'un de ses fondements, le nationalisme. Dans les années 1930, l'image de la "nation européenne" centrée sur l'Occident avait déjà été esquissée, mais la conception proprement dite date de la période allant de 1945 à la mort de Mosley, 35 ans plus tard.
    L'objectif de la "nation Europe" était, comme le résume Mosley dans un texte de programme (Je crois en l'Europe, 1962), de former un État unitaire européen qui devait "préserver les peuples européens du nivellement et du mélange", "que ce danger vienne de l'américanisation ou de la bolchevisation".
    Marquée par les "guerres fratricides" européennes, la guerre froide et le déclin de l'énergie vitale européenne, la pensée de Mosley s'orientait vers un projet de grand espace qu'il concevait comme une union de tous les pays européens - y compris la Grande-Bretagne et l'espace colonial africain ("Eurafrique"), à l'exclusion de la Russie - conjugant les spécificités régionales et nationales afin d'agir ensemble comme un bloc de pouvoir avec un gouvernement central commun et une armée commune.
    Les différents pays devaient jouer un rôle similaire à celui des composantes fédérales de la Grande-Bretagne ou de l'Allemagne : selon Mosley, un Écossais restait finalement un Écossais même au Royaume-Uni, et un Bavarois un Bavarois même dans une Allemagne unifiée.
    Les idées de Mosley ("socialisme européen" dans un "Etat européen") ont circulé au sein de la droite d'après-guerre dans l'environnement de la (première) revue Nation Europa, de l'European et de certains cercles d'intellectuels autour de Maurice Bardèche, avant que l'idée de la nation européenne ne soit peu à peu reléguée à l'arrière-plan de la droite et développée par d'anciens "mosleyens" comme Jean Thiriart, par exemple dans le domaine eurasiatique. (BK)

    Une Europe à plusieurs vitesses
    Depuis la création de la Communauté européenne, des efforts ont été déployés pour rapprocher les situations juridiques des pays membres et aplanir les différences, notamment économiques, par le biais de la redistribution. Ces efforts, regroupés sous le terme de "politique de réforme", se basent sur l'Acte unique européen, entré en vigueur en 1987.
    La politique de cohésion qui en a résulté a permis de redistribuer dans le temps de sa mise en œuvre environ mille milliards d'euros. L'idée est que les conditions de vie au sein de l'UE doivent être aussi semblables que possible.
    La crise de l'euro en 2010 a mis un frein à cette idéologie, car il est devenu évident qu'il existait de trop grandes différences entre les économies des différents pays membres pour pouvoir les combler uniquement par des transferts.
    La crise a donc entraîné une renaissance de la vieille idée selon laquelle les pays européens au développement similaire devraient coopérer plus étroitement que les autres pays moins proches. L'application cohérente de cette idée aurait dû limiter l'euro à quelques pays.
    Toutefois, l'introduction de la monnaie unique ne reposait pas sur l'hypothèse de vitesses de développement différentes à long terme en Europe, mais suivait l'idéologie de ce que l'on appelle l'intégration par étapes.
    Celle-ci s'attendait d'une part à ce que la zone euro s'aligne rapidement et à ce que le reste des pays remplisse également rapidement les critères de l'euro grâce à des transferts (fonds de cohésion).
    L'appel à un euro du Nord et à un euro du Sud, qui diviserait la zone euro en deux, est l'expression d'une Europe à plusieurs vitesses, pensée de manière cohérente, qui veut éviter une Europe reposant sur le transfert sans remettre en question l'unification européenne.
    Le discours sur le noyau dur de l'Europe, qui englobe le Benelux, la France et l'Allemagne, a une tradition nettement plus longue. Jusqu'à présent, cette idée ne s'est concrétisée que par la création d'unités militaires communes.
    Parfois, la notion de noyau européen se réfère à l'"Europe intérieure", qui prend alors comme référence commune l'adhésion à l'OTAN, la participation aux accords de Schengen et l'euro, et qui englobe des États aussi différents que l'Allemagne, le Portugal et l'Estonie. (EL)

    L'Europe des patries
    Le slogan d'une "Europe des patries" est particulièrement apprécié parmi les populistes de droite, de l'AfD au Rassemblement national. L'expression remonte au général et président français Charles de Gaulle (1890-1970), qui l'a forgée au début des années 1960 pour la distinguer des "États-Unis d'Europe" et de l'intégration européenne qui y était liée.
    Avec ce concept, De Gaulle voulait satisfaire les intérêts nationaux des différents États et assurer le rôle de leader de la France face à l'influence américaine. La France devait rester le centre de l'Europe et les autres États devaient s'organiser autour d'elle comme un anneau satellite.
    Un noyau européen carolingien composé de la France, de l'Allemagne et des pays du Benelux devait ouvrir la voie et, par son rayonnement, favoriser la détente et les rapprochements entre les blocs. L'objectif à long terme était une "Europe de l'Atlantique à l'Oural". En 2018, on entend généralement par "Europe des patries" une alliance de coopération d'États-nations souverains coopérant dans certains domaines.

     

    Les pouvoirs législatif, judiciaire et exécutif incombent aux États membres respectifs et il n'y a pas d'autorité centrale. La position hiérarchique des différents États d'une telle Europe est caractérisée par une tension permanente, car les questions d'hégémonie militaire et économique ne sont pas soumises à une régulation extérieure, mais dépendent de la fidélité aux traités et des relations diplomatiques des différents États.

    (TLW)

    L'Europe des régions
    L'idée d'une "Europe des régions" a régulièrement circulé au sein de la droite au cours des dernières décennies. Ce concept a d'abord été associé au penseur du fédéralisme et de la subsidiarité Denis de Rougemont (1906-1985) et à son image de l'Europe aux nombreuses régions associées qui, grâce à la participation des citoyens et à l'autogestion, rendraient l'État-nation superflu.
    Guy Héraud (1920-2003) a poursuivi ce travail en se concentrant sur le libre développement des minorités ethniques dans une Europe régionaliste grâce à la suppression des États centraux. Dans le sillage de Rougemont et d'Héraud, Henning Eichberg (1942-2017), par exemple, a proposé de dissoudre l'État-nation et de le remplacer par des dizaines de régions.
    Alain de Benoist a, un temps, défendu une image similaire de l'Europe comme mosaïque d’unités régionales spécifiques, avant de trouver la triade "région, nation, Europe", dans laquelle aucun niveau ne doit plus être absolutisé. Felix Menzel, qui réanime à notre époque le concept d'une Europe structurée par régions, part du principe "qu'une Europe des régions n'est pas une construction de rêve qui méconnaît les dangers de la fragmentation. Il s'agit simplement d'un premier pas pour remplacer le pouvoir abstrait de la domination bureaucratique par un ordre gérable conforme à ce que les gens souhaitent localement".
    Les approches de la droite libérale quant à une "Europe des régions" sont également connues. Hans-Hermann Hoppe s'attend à une "guerre civile fiscale" en Europe, car les différences régionales et nationales entre les cultures économiques sont trop importantes.
    Il espère qu'après l’effondrement des États-nations d'Europe et de l'UE, des sociétés de droit privé indépendantes et structurées par régions verront le jour.(BK)

    Un empire latin
    Au printemps 2013, le philosophe italien Giorgio Agamben (né en 1942) a publié un court article intitulé "Un empire latin contre la suprématie allemande". Agamben y reprenait des idées que le philosophe Alexandre Kojève (1902-1968) avait adressées à Charles de Gaulle en 1945 dans un essai intitulé L'Empire latin.
    Kojève affirmait alors que l'Allemagne redeviendrait en peu de temps la première puissance économique d'Europe, reléguant ainsi la France au rang de puissance européenne secondaire. Kojève partait également du principe que les États-nations allaient disparaître.
    Ceux-ci devraient, par analogie avec le remplacement du féodalisme par l'État-nation, céder la place à des entités politiques dépassant les frontières nationales. Il a appelé ces entités "empire". L'Empire soviétique et l'Empire anglo-saxon (composé du Royaume-Uni et des États-Unis) lui semblaient être des modèles à suivre.
    La France devrait donc se placer à la tête d'un empire latin qui réunirait les grandes nations latines, la France, l'Espagne, l'Italie, sur le plan économique et politique. Agamben associe à cette idée une critique de l'UE réellement existante, comme entité fragile.
    A l'idée économique, il oppose celle des héritages culturels et des modes de vie, qui risquent de disparaître dans la volonté d'unité de l'UE dominée par l'Allemagne. Agamben reprend également l'affect anti-allemand de Kojève, qui voulait faire de l'Allemagne un Etat agraire et la mine de charbon de l'Empire latin.
    Si cet article d'Agamben n’a guère suscité de réactions d'indignation, c'est surtout parce qu'il ne réclamait pas d'empire germanique et restait discret sur les possibilités d'unification offertes à d'autres héritages culturels et modes de vie.
    Agamben ne fait pas référence aux réflexions de Mussolini, qui considérait les peuples romans comme des alliés naturels. (EL)

    L'Eurosibérie
    Le concept aventureux d'un "Empire solaire eurosibérien" est dû au Français Guillaume Faye (né en 1949), qui part du principe que, suite à une convergence de catastrophes économiques, écologiques et politiques, une réorganisation multipolaire du monde devrait avoir lieu.
    Cette réorganisation implique l'effondrement des États-nations européens et la formation de nouveaux collectifs régionaux qui s'unissent finalement à la Fédération de Russie pour former la "Grande Patrie", une fédération eurosibérienne.
    Cette conception repose sur la conviction de Faye que la Fédération de Russie possède une plus grande stabilité que le noyau européen dans une période de catastrophes. Par ailleurs, Faye voit dans l'union de l'Europe et de la Russie une nécessité géopolitique, notamment en ce qui concerne les ressources naturelles.
    Alors que dans le modèle de Faye prévalent au niveau mondial des blocs quasi-impériaux qui rappellent la pensée de Schmitt sur les grands espaces ou les théories géopolitiques des eurasistes, les différentes régions de sa fédération sont autonomes à bien des égards, par exemple en ce qui concerne les questions de système politique, de langue, d'éducation et de culture.
    Dans ses écrits, Guillaume Faye souligne toujours que sa prétention n'était pas de présenter un concept d'organisation de l'espace prêt à l'emploi. Il s'agissait plutôt pour lui de montrer l'image d'un ordre post-catastrophique possible. La Fédération eurosibérienne doit donc être considérée moins comme un modèle achevé que comme un réservoir d'idées qui ne peuvent être comprises que dans le contexte de ses autres approches théoriques ("convergence des catastrophes", "archéofuturisme"). (TLW)

     

    République d'Europe
    Ulrike Guérot (1964), grâce à ses nombreux articles d'opinion, ses participations à des talk-shows, ses livres-programmes et sa position de professeur/chercheur dans le domaine de la politique européenne et de la démocratie, est la défenseur libérale de gauche la plus connue d'une "République d'Europe".
    Dans cette république, les nations classiques ne sont pas considérées comme des éléments constitutifs parmi d'autres, mais doivent être niées comme "dépassées". La fondatrice du European Democracy Lab (EDL) est le prototype de l'idéaliste européenne, qui sur la base d’analyses en partie justes - par exemple la "nostalgie d'une autre Europe" distincte de l'UE, la critique des réponses égoïstes et économistes – en arrive, du fait de son manque d'attachement aux patries charnelles et à leurs terroirs, à des conclusions fondamentalement erronées.
    "Son" Europe, au-delà des idées des Lumières et du cosmopolitisme, ne connaît pas de particularités ethniques, religieuses ou culturelles qu'il faudrait préserver en tant qu'héritage authentiquement européen. Le citoyen de la "République d'Europe" vit sans attaches, donc par hasard, sur le territoire de l'Europe.
    Elle exige le droit de vote pour tous les habitants de l'Europe, qui devraient élire un gouvernement central. Son modèle prévoit un député pour un million de voix et contient la rupture totale des liens nationaux : un Européen, une voix.
    On trouve également chez Guérot la revendication de la dissolution des États-nations : 60 à 80 régions et "métropoles" les remplaceraient, un État unitaire européen servant de structure chapeau. Une particularité de Guérot et de ses partisans : la politologue est favorable à la création de nouvelles villes pour les réfugiés et les immigrés extra-européens, au sein de la République d'Europe.
    Qu'il s'agisse de la "nouvelle Alep" ou de la "nouvelle Damas", les Européens devraient autoriser la création de nouvelles agglomérations, tout comme les Européens pouvaient autrefois créer de nouvelles colonies en Amérique - Guérot n'inclut pas les différences culturelles des nouveaux immigrants dans sa comparaison.
    La fondation de la République européenne est prévue pour le 8 mai 2045. La question de savoir si, d'ici-là, elle trouvera un peuple pour celle-ci reste ouverte. (BK)

    Erik Lehnert, Benedikt Kaiser et Till-Lucas Wessels (Sezession 86, Octobre 2018)

    Traduction Métapo infos, avec DeepL

    Lien permanent Catégories : Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • L'Europe en tant que cible...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue d'Hervé Juvin, cueilli sur son site personnel et consacré aux trois questions auxquelles l'Europe doit impérativement se confronter sous peine d'impuissance stratégique : celle du Brexit et de sa véritable signification, celle de l'Eurasie et celle des Etats-Unis...

    Économiste de formation et député européen, Hervé Juvin est notamment l'auteur de deux essais essentiels, Le renversement du monde (Gallimard, 2010) et La grande séparation - Pour une écologie des civilisations (Gallimard, 2013). Il a également publié un manifeste intitulé France, le moment politique (Rocher, 2018).

    Quo vadis Europa.jpg

     

    L'Europe en tant que cible

    Pendant que la mécanique à produire de la règle, de la norme et du règlement fonctionne à plein régime au sein de l’Union européenne, l’Europe est en proie à une guerre qui ne dit pas son nom, livrée par des ennemis qui ne disent pas leur nom et que nul en son sein n’ose désigner.

    Pour que la boussole stratégique ait quelque chance d’être autre chose qu’une machine à cacher le réel, mieux vaudrait sortir du non-dit et regarder en face trois réalités éclatantes.

    D’abord, le Brexit. Le choix incontestable de sortir de l’Union européenne décidée par les Britanniques à une nette majorité à l’occasion d’un referendum marqué par une très forte participation n’a pas été vu pour ce qu’il était et pour ce qu’il entraînait. Ce qu’il était ? Le choix du grand large, le choix d’une puissance maritime rejoignant les États-Unis dans la défiance à l’égard d’un continent qui pourrait disputer aux Anglo-saxons la suprématie mondiale. Ce qu’il entraînait ? La mobilisation de la diplomatie et des services britanniques contre une Union européenne qu’après l’avoir quittée, après s’être jugée mal traitée par les négociateurs européens, la Grande-Bretagne n’a aucune raison de ménager.

    Dans les Balkans comme en Ukraine, en mer Baltique comme dans l’Indo-Pacifique, en Afrique subsaharienne comme aux Proche et Moyen Orients, nous commençons seulement à voir les effets d’un jeu britannique qui retrouve avec bonheur ses constantes ; diviser pour régner, semer les graines de la discorde et de la guerre à l’extérieur pour avoir la paix chez soi, confronter les Unions bricolées à leur inconsistance et à leur faiblesse existentielle. Inutile d’ajouter que l’Union dans ses dérives prête le flanc aux opérations britanniques !

    Ensuite, l’Eurasie. L’avertissement de Mackinder est dans toutes les consciences américaines et britanniques ; qui contrôle l’océan de terre qu’est l’Eurasie contrôle le monde. Chacun connaît la constante de la politique britannique à l’égard du continent ; semer la division et la discorde pour que jamais aucune puissance terrestre européenne ne puisse menacer la suprématie britannique sur les mers ; les familiers de la thèse de doctorat de Kissinger se rappelleront que c’est à une science consommée de l’équilibre européen que Metternich et Castelreagh, avec l’aimable appui de Talleyrand, doivent de rétablir très vite la France de 1815 dans l’intégrité de son territoire afin de prévenir une suprématie de la Russie tsariste incontrôlable — une science qui fera totalement défaut à Woodrow Wilson et aux Alliés quand ils imposeront à l’Allemagne une paix introuvable en 1918.

    Moins nombreux sans doute sont ceux qui distinguent les forces à l’œuvre. Et chacun devrait voir que la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne a changé le jeu, ce que l’alliance Aukus signifie — pas une affaire de sous-marins, une affaire de puissance dominatrice dont l’Europe est exclue. Ajoutons cette conviction rappelée par Kissinger ; un système ternaire est par nature instable, tôt ou tard les « non -alignés » doivent choisir leur camp. Dans l’affrontement déjà en cours entre l’hyperpuissance américaine fondée sur l’attractivité unique d’un modèle de société qui promettait à chacun d’avoir toutes ses chances, et un « rêve chinois » qui prend une consistance imprévue et largement sous-estimée en Europe, Russie comme Europe sont les variables d’ajustement que ne sont pas l’Afrique, l’Amérique latine ou même l’Inde.

    Tout le jeu anglo-américain consiste à éviter l’émergence d’une Europe libre comme troisième puissance mondiale, une place qui lui reviendrait à bien des égards (à l’exception du militaire), tout en s’assurant que jamais l’Europe ne puisse lier son destin à l’Eurasie et à son indépendance. Cette position suit le mot d’ordre du premier patron de l’OTAN, Lord Jenkins ; «  tenir l’Allemagne en bas et la Russie dehors ». Elle est aussi justifiée par l’attitude de la majorité des pays européens, fort heureux d’avoir financé un luxe social sans équivalent dans le monde en faisant payer leur sécurité extérieure par les États-Unis, et en abandonnant le soin d’y veiller à l’OTAN (la France représentant une partielle et remarquable exception).        

    Enfin, les États-Unis. Tout citoyen d’une Nation européenne sait ce qu’il doit aux États-Unis — ou devrait savoir qu’il leur doit bien moins la victoire sur le nazisme, remportée par la Russie soviétique au prix d’inconcevables sacrifices, que la libération de l’Europe de l’Est du joug soviétique, provoquée par une pression stratégique intense aboutissant à l’explosion interne du régime. Sans guerre, faut-il rappeler à ceux qui s’obstinent à voir dans la Russie une puissance belliqueuse ; un Empire qui se dissout sans conflit est une exception dans l’histoire trop peu signalée. Tout Européen doit aussi savoir que pour l’Europe notamment, les États-Unis ont été une puissance d’ordre et de progrès, maître pendant cinquante ans (jusqu’au bombardements de la Serbie) de la paix sur un continent recru de guerres civiles.

    Mais tout citoyen européen devrait aussi savoir que le moralisme dévoyé qui continue de dominer la posture stratégique américaine — nous le Bien, les autres, le Mal, revu et corrigé par le mouvement LGBT, l’idéologie « Woke » et le racialisme — ne laisse que peu de place au réalisme, à des alliances entre égaux, ou à la définition d’ententes partielles et d’accords limités. « Vous êtes avec nous, ou vous êtes contre nous » ; l’oukaze de Georges Bush jr exprime une position constante de la diplomatie américaine dont les Européens devraient tirer toutes les conséquences ; les États-Unis n’ont pas d’alliés, ils n’acceptent que des supplétifs — ou des mercenaires.

    A l’exception incertaine de la Grande-Bretagne, les pays européens qui se reposent sur l’alliance américaine ne doivent pas s’y tromper ; ils peuvent être requis à tout moment de s’engager dans des guerres qui ne sont pas les leurs, pour des enjeux qui ne sont pas les leurs, au nom de choix qui ne sont pas les leurs, et d’ailleurs qu’ils ne comprennent pas. Et ils sont instrumentalisés par des campagnes de désinformation d’une exceptionnelle violence notamment contre la Russie et désormais contre la Chine, destinée à faire oublier cette réalité ; sur les cinquante ans écoulés depuis la décision de Nixon de suspendre la convertibilité du dollar en or, le plus constant adversaire de l’indépendance européenne et de l’avènement d’une Europe puissance d’équilibre dans un monde multipolaire, aura été les États-Unis, malgré, ou en raison même de la dépendance consentie à leur égard.

    S’il est un thème qui sonne juste dans le discours d’Emmanuel Macron, c’est celui de l’autonomie européenne, au prix d’un effort de défense dont chacun voit qu’il s’inscrit en dehors de l’OTAN — mais un thème qui résonne dans le vide, aucun des États membres de l’Union ne le reprenant à son compte.

    Ces trois facteurs déterminent la situation actuelle ; l’Union européenne est attaquée de l’extérieur. Ceux qui l’attaquent pour la diviser et l’affaiblir sont ses alliés désignés qui entendent la ranger à leurs côtés dans la lutte naissante pour un nouveau partage du monde. La lecture la plus vraisemblable de l’épisode ukrainien est simple ; provoquer la Russie en multipliant les bases américaines à ses frontières immédiates, et en ignorant au nom de grands principes sa légitime préoccupation de sécurité (principe de liberté des alliances et d’immuabilité des frontières, au mépris en Crimée et dans le Donbass ou à Donetzk de la volonté des peuples) a d’abord pour effet d’assurer la dépendance stratégique des pays d’Europe, une dépendance marquée aussi bien par les achats démesurés au complexe militaro-industriel américain que par l’absence totale de sens critique à l’encontre des manipulations de l’information — allant jusqu’à reprocher à la Russie de faire manœuvrer ses troupes sur son propre territoire, mais ignorant la présence coloniale de troupes américaines en Europe !

    Combien de collaborateurs de l’occupation américaine au sein du Parlement européen ? Combien s’empressent de saper les volontés françaises d’autonomie affirmées dans la PFUE au nom des soumissions confortables au parti de l’étranger ?

    Il est clair que l’Union européenne est la grande perdante de l’affaire ukrainienne. Elle en sort marginalisée, dépendante, et apeurée. Il est clair que, malgré les réserves allemandes et françaises, un suivisme européen béat a dégradé les conditions du dialogue stratégique entre la Russie et les pays de l’Union européenne. Et des pays ont accepté les bases américaines et les systèmes d’armes américains qu’ils refusaient jusque là, l’exemple de la Bulgarie parlant de lui-même !

    Comme il est clair que les tensions régionales réveillées à cette occasion, y compris avec la Serbie, la Bosnie et Républika Srpska ou avec l’importation de djihadistes de Syrie vers les foyers de crise européenne préparent déjà les opérations de déstabilisation qui permettront de couper les « Routes de la Soie » et de réaliser ce « containment » de la Chine qui, sous prétexte de « conditionnalité », est l’obsession actuelle des « puissances de la mer » pour diviser, opposer et affaiblir l’Europe.  

    L’Union européenne est sur le reculoir. La haute prétention du Haut représentant, Josep Borrell — représentant de quoi ? — ne fera pas longtemps illusion. En Europe comme en Afrique, aux Moyen et Proche-Orient comme en Asie, l’Union européenne réalise la sentence de Kant ; elle a les mains propres, mais elle n’a pas de mains ! Et répond en écho la question de Staline ; l’Union européenne, combien de divisions ?

    Que ce soit aux Balkans ou dans le Donbass, la Grande-Bretagne et les États-Unis n’auront aucun mal à provoquer les conflits locaux qui feront éclater l’inconsistance stratégique de l’Union. Pour améliorer sa situation, elle doit au plus vite intégrer les conséquences géopolitiques du Brexit, reconnaître sa condition continentale et eurasiatique, accepter qu’à la fois le « toujours plus d’Union » et le bénéfice de l’adhésion à l’Union ne vont plus de soi. Elle doit plus encore reconnaître que l’intérêt national ne commande plus l’adhésion à l’Union comme par le passé. Aujourd’hui, pour nombre de pays et pas seulement à l’Est, entre la sujétion à une Union intrusive et punitive, et la sécurité fournie à bas prix par les États-Unis, le calcul est vite fait !

    D’autant que le Brexit change la stature de l’Union, et son intérêt. D’abord parce que la France demeure la seule puissance dont la diplomatie est mondiale et l’empreinte présente sur cinq continents et quatre océans — oublions même sa force nucléaire. La capacité d’intelligence du monde dont peut faire preuve l’Union n’en sort pas grandie. Le départ de la Grande Bretagne prive l’Union de bien plus qu’un État membre de 60 millions d’habitants ; d’une conscience du monde et d’une présence au monde.

    Est-ce un hasard si les accords de coopération militaire de Lancaster House ont laissé plus de bons souvenirs à nos armées que les accords de coopération franco-allemands ? Ensuite, parce que la dynamique britannique qui a abouti au Brexit donne à réfléchir ; plus la pression post nationale, intégratrice, destructrice des libertés nationales augmente, plus les bénéfices concrets de l’Union doivent être tangibles, plus l’Union doit délivrer de la valeur pour faire passer ses « valeurs » frelatées — la dissolution des Nations qui livre les peuples sans résistance aux élites du capital. Des Pays-Bas à la Pologne et de la Grèce à la Bulgarie, chaque Nation fait la balance des coûts et des bénéfices, chaque Nation compare les coûts de l’Union et ses avantages. Voilà ce qui est en jeu derrière les débats avec le groupe de Visegrad, et voilà ce qui devrait rendre prudente l’Union dans ses menaces et ses sanctions à l’encontre de la Pologne et de la Hongrie.

    Car elles sont loin d’être seules à se poser la question ; cette Union qui prétend décider d’un modèle de société et d’un type de vie, où en sera-t-elle demain ? Le Pacte de Migration, la soumission au lobby LGBT, les injonctions touchant aux mœurs et à la parentalité n’ont jamais été dans les traités. Le coup d’État permanent qu’entendent conduire les Cours européennes insulte l’histoire et la civilisation européennes. Et les Nations européennes sont nombreuses à envisager une réponse détonante ; si la sécurité extérieure est fournie par les États-Unis à bas prix, si les accords commerciaux sont mondiaux, globalisés et le marché intérieur européen inconsistant, le rapport coût-avantage ne joue plus en faveur de l’Union. Un Polexit, avant et avec d’autres, devient d’autant plus possible que la diplomatie britannique et l’empreinte américaine se font plus présentes, plus engageantes et plus pressantes.

    Et l’alliance de la diplomatie britannique et de l’argent américain peut faire merveille en ce domaine. La boussole stratégique en parlera-t-elle ? Nous vivons un moment semblable à celui de 1974, quand tout le poids des États-Unis se porta sur une Europe qui faisait semblant de diverger de la voie qui lui était tracée, entre Michel Jobert, Willy Brandt, Edward Heath, et qu’une autre génération de dirigeants, dont Valéry Giscard d’Estaing, ramena bien vite à la soumission. La Communauté européenne avait vécu son moment gaullien ; il reviendra aux travaillistes d’abord, puis aux socialistes, de la plier à l’agenda américain.   

    Le grand jeu qui oppose la Chine et les États-Unis lui aussi va peser lourd sur l’Union. Bien sûr, les États-Unis souhaitent isoler, contrôler et enrôler l’Union dans leur combat, comme ils l’expriment sans fards avec cette « conditionnalité » généralisée des échanges qui est un autre nom du protectionnisme intelligent. Mais il faudrait être naïf pour s’enfermer dans la vieille équation ; «  les ennemis de mes ennemis sont mes amis ». La Chine elle non plus ne fait pas preuve d’un immense respect pour la souveraineté des Nations européennes, comme elle le montre face à la Lithuanie, elle ne manifeste pas une admiration révérencielle pour l’Union, et son soutien à l’affirmation d’une Europe puissance est pour le moins réservé.

    La réalité est que la Chine s’accommode bien du face à face avec les États-Unis, et de la simplicité d’un système binaire qui conduit au partage du monde — toute la question étant ; qui contient l’autre, des États-Unis qui multiplient les bases militaires et les laboratoires de guerre biologique aux confins de la Russie (Géorgie, Bulgarie, etc.) ou de la Chine qui étend ses « Routes de la Soie » à l’Argentine et à l’Équateur ? Les provocations américaines en Ukraine ont eu pour premier effet que la Russie tourne le dos à l’Union européenne et même, qu’elle ferme ses portes à ses vieux interlocuteurs qu’étaient la France et l’Allemagne — mieux vaut parler au maître qu’au serviteur, doit penser le Kremlin.

    Ont-elles un autre objectif que l’abaissement de l’Europe, aussi bavarde qu’impuissante ? Et la Chine ne peut que se réjouir du reclassement en cours depuis bientôt quinze ans, qui attire la Russie à l’Est et fait du Pacifique le cœur géopolitique du moment. L’Union européenne comme la Russie devraient se souvenir qu’à l’origine, le rapprochement sino-américain s’est fait contre l’Union soviétique, et que l’histoire coloniale oppose bien davantage la Chine à l’Europe et la Russie qu’à des États-Unis qui ont longtemps soutenu la lutte anticoloniale puis antisoviétique de la République populaire de Chine !        

    Dans le grand jeu du renversement du monde qui s’engage, l’Europe est une cible. Comme l’industrie automobile allemande a été une cible désignée à maintes reprises par Donald Trump, désormais réduite à dépendre à 80 % des USA pour le soft et à 80 % de la Chine pour les batteries. Comme l’industrie européenne et d’abord française de l’armement est une cible, qui doit être privée de sa capacité à exporter des matériels non soumis aux contraintes américaines — et la coalition allemande de s’y employer. Le mode de vie européen est une cible, que les Verts émargeant aux Fondations américaines agressent avec une énergie punitive que rien ne justifie sur le continent le plus respectueux de l’environnement qui soit, et qui a vu la pollution dans ses villes se réduire par un facteur 5 en cinquante ans (d’où l’absurdité des mesures qui frappent des millions d’automobilistes) !

    Le commerce européen est une cible, qui doit se plier aux conditions imposées par Washington, aux embargos et sanctions unilatérales frappant les pays non alignés, et à la dictature financière des géants de Wall Street et de la City. L’Europe doit être réduite à la dépendance du GNL américain, donc Nordstream2 doit être coupé et plus encore, le nucléaire Européen doit être fragilisé pour que la précarité énergétique réduise l’Europe à l’obéissance. L’Europe est une cible, et tout l’intérêt de la manœuvre ukrainienne est d’avoir réduit à rien le dialogue stratégique de l’Europe avec la Russie, malgré les efforts pour une fois méritoires d’Emmanuel Macron et les arrière-pensées manifestes de l’Allemagne.

    Qui a envie de dépendre du gaz de schiste et du GNL américain ? Le recul stratégique de l’Europe est considérable, et il faudra des années pour le rattraper. La Chine a pris conscience de la faiblesse et de l’inconsistance européenne ; qu’il lui sera facile de diviser pour régner ! La Russie ne croit plus que soit utile le dialogue avec l’Europe, et l’Europe ne mesure pas ce qu’elle a perdu en souscrivant aux manipulations américaines — et d’abord, tout respect pour son intelligence stratégique.

    Car voilà le vrai jeu, le grand jeu du moment. La recomposition de l’Eurasie est en cours. Elle est d’importance mondiale. Aukus en est un signe, comme en sont tant d’autres, par exemple ces « five eyes » dont la France est exclue. L’arbitraire des sanctions économiques et commerciales comme celui des embargos, la menace de rupture des relations financières à travers Swift, comme la montée en puissance des contrats en yuan gagés sur le marché de l’or de Shanghaï (de l’or physique, pas du papier or !), ont pour effet de coaliser les cibles, des cibles qui représentent les deux tiers de la population et la moitié de l’économie mondiale.

    Et le moment est venu pour chaque Nation d’Europe de s’interroger ; son intérêt est-il de rester lié à un système parasité par les monopoles et par une finance tentaculaires, qui se mue en économie de rente, et à une puissance qui ne sème que le chaos et la destruction sur son passage, ou bien de se tourner vers le soleil qui se lève à l’Est, et promet à l’Europe le beau destin d’une puissance d’équilibre, capable de faire la balance entre toute puissance qui entendrait dominer le monde, capable de se tenir debout, et fière, et seule, entre terre et mer, entre Est et Ouest, sans dépendance, sans soumission, et sans collaboration ?

    Hervé Juvin (Site officiel d'Hervé Juvin, 18 et 20 février 2022)

    Lien permanent Catégories : Géopolitique, Points de vue 0 commentaire Pin it!
  • Sommes-nous en pleine 4ème guerre mondiale ?...

    Le 10 juillet 2020, Martial Bild recevait, sur TV libertés, Michel Geoffroy, à l'occasion de la publication de son essai La nouvelle guerre des mondes (Via Romana, 2020). Ancien haut-fonctionnaire, Michel Geoffroy a publié le Dictionnaire de Novlangue (Via Romana, 2015), en collaboration avec Jean Yves Le Gallou, et un essai, La Superclasse mondiale contre les Peuples (Via Romana, 2018).

     

                                          

    Lien permanent Catégories : Entretiens, Multimédia 0 commentaire Pin it!