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corruption - Page 4

  • La corruption, arme de la mondialisation ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un excellent article d'Auran Derien, cueilli sur Metamag et consacré à la corruption comme moteur de la mondialisation.

     

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    La corruption, arme de la mondialisation

    Le dernier rapport publié par Transparency international considère que le niveau de corruption est décevant  dans la zone Euro, notamment en Grèce et en Italie. Il  reprend ainsi un discours démagogique sur la corruption du secteur public puis affirme niaisement que la lutte contre la corruption est l’une des clés pour sortir la Grèce de la crise.

    Plus le gang globalitaire crée des centres du type Transparency, plus l’hypocrisie se répand et plus les mensonges éhontés peuvent circuler. A la fin, l’infamie couvre notre monde en toute légalité. Car là est l’escroquerie fondamentale dont ne parle jamais Transparency : la corruption légale est la norme en occident. Selon le Service Central de Prévention de la Corruption (SCPC qui fonctionne en France) celle-ci utilise des professionnels, dénommés conseils voir intermédiaires en accommodement dans les affaires. Des sociétés spécialisées, où tout est légal, se chargent de l’industrie de la corruption. Deux méthodes sont particulièrement répandues : la facturation de prestations fictives par des sociétés domiciliées dans des paradis fiscaux et les sur-facturations et sous-facturations d’achats et de ventes entre sociétés liées. 

    De plus, la corruption passive et le trafic d’influence ne sont pas couverts par les conventions que promeut la globalisation pestilentielle et ses pitres tarifés. La corruption passive désigne le cas où l’initiative de la demande de pots-de-vin est prise par le décideur ou l’exécutant détenteur d’un pouvoir de  décision ou d’exécution. 

    Le trafic d’influence est qualifié d’ “actif” lorsque la personne qui souhaite une décision en sa faveur propose des avantages à un tiers susceptible d’influencer le décideur. Le trafic d’influence est passif lorsqu’un personnage qui peut jouer un rôle dans la décision propose de sa propre initiative ses services illégaux et rémunérés.

    Une corruption pas seulement financière. 

    Le favoritisme qui conduit à sélectionner une entreprise peu efficace est une forme de pot-de-vin. C’est un sabotage. Du point de vue de l’efficacité économique globale, la corruption réside tout autant dans le fait de recevoir un “dessous-de-table” (somme versée à un quidam pour favoriser un projet) non déclaré que dans celui de bâcler son travail, d’être paresseux, incompétent et sans conscience professionnelle. Chaque fois, des personnes ou des groupes vivent largement sans fournir une contribution positive à l’ensemble. Le parasite, fléau de l’Europe maastrichtienne, est aussi et surtout un corrompu. Pourquoi ne pas en parler?

    Pas de supra classe globalitaire sans corruption.

    La curiosité intellectuelle des grands penseurs de Radin (selon la belle expression forgée autrefois par feu Pierre Dac) à propos de la lutte contre la corruption ne va pas jusqu’à interroger le monde dont ils sont l’émanation. Pourtant, le psychanalyste Horst-Eberhard Richter, alors directeur de l'Institut Sigmund Freud de Francfort, a publié en 1996 un ouvrage au titre explicite : « Le grand art de la corruption », dans lequel il se préoccupe de démontrer de manière systématique comment la corruption est l’instrument de contrôle indispensable pour la classe dominante globalitaire. 

    Il n’est ni le premier ni le seul. On peut dire que la corruption morale est organisée systématiquement et très consciemment. Un changement de valeurs a été imposé peu à peu en Europe à travers un nouveau paradigme introduit depuis la deuxième guerre mondiale: toutes les élites attentives aux voies de leur conscience, préoccupées par la vérité, et voulant œuvrer pour le bien-être général, bref ceux qui cherchaient à mener une vie utile aux autres, ont été transformées en monstres de foire, uniquement préoccupées par leurs plaisirs. On citera l’Institut Tavistock mais tant au M.I.T. que dans d’autres universités soi-disant prestigieuses, de petites coteries réfléchissent  à la façon de corrompre la population le plus efficacement possible.

    Mensonge pieux, double morale, etc.

    Les éthologistes incitent à penser que l’être humain, il y a très longtemps, a appris à faire confiance à son prochain, une fois passée la période probatoire d’observation. Ce “degré de confiance” s’est accru dans les sociétés européennes du fait de la liberté d’expression qui y a régné en comparaison avec d’autres civilisations. Car la liberté d’expression a un avantage fondamental : beaucoup de faussaires, sur des affaires simples, sont démasqués et signalés. Cependant, le centre névralgique du mensonge, comme l’a enseigné Nietzsche, est au cœur des religions monothéistes et de leur caste sacerdotale qui a besoin du mensonge pour vivre. 

    Produire du faux est devenu une activité à plein temps pour des canailles cherchant à vivre en parasites sur la société de confiance. Pour cela, il convient de retourner les signes “crédibles”, ceux qui sont transmis par éducation, une fois que l’on a bien étudié la mentalité de la population que l’on veut tromper. Ainsi, on constate en Europe que le désert s’étend - des pans entiers de l’économie disparaissent, d’autres deviennent les auxiliaires de prédateurs, comme la banque et la grande distribution -  et cela laisse de marbre les chargés d’étude de la corruption...Par exemple, ils parlent peu - ou jamais - des partenariats public-privé pratiqués à l'Organisation Mondiale de la Santé...et qui expliquent que 45 millions d'Européens aient été vaccinés pour le seul profit de quelques multinationales lors de la pandémie de grippe A (H1N1) .

    La corruption n’a bien sûr rien à voir avec le niveau d’intelligence. Au contraire, beaucoup d’observations montrent que la plupart des personnes à haute capacité intellectuelle sont défaillantes dans la réussite matérielle et sociale. Le succès mondain nécessite la présence d’un facteur que les étatsuniens ont appelé “social or machiavellian intelligence”, considéré comme indépendant du QI, mais dont le niveau influe grandement sur la position socio-économique des individus. La compétition sociale suppose une intention de réussir. Y parvenir impose de développer une certaine lucidité par laquelle on détectera des signaux qui dévoilent les intentions des autres. Il s’ensuit que l’émission de fausses informations sera stratégiquement avantageuse pour celui qui les émet, lorsque de tels signaux sont suffisamment rares pour être interprétés par les autres comme véridiques. C’est exactement ce à quoi nous convie Transparency : faire croire que la corruption émane du politique, ce qui est exact en partie, mais n’est pas l’essentiel dans un monde occidental qui répand le néant, crée partout le désert.

    La réalité, sordide, est que le monde des affaires, et les membres fanatiques de la supra classe mondiale incarnent la corruption, et utilisent tous les moyens pour qu’elle prospère, dont les services spéciaux. Dans les grands groupes  américains, les services secrets (CIA notamment) entretiennent des  agents dans le cadre du programme  "NOC" (No official cover). Ce sont des officiers de la CIA qui se présentent comme des  cadres ordinaires. Ils sont envoyés en mission dans des pays “amis" - comme les pays européens - et ont  pour fonction de recruter des agents, choisis parmi les dirigeants : patrons, hauts fonctionnaires, politiciens. La corruption est donc systématique de la part des multinationales. 

    Quel avenir pour l’Europe ? 

    On ne pourra pas reconstruire rapidement un monde où la recherche de la vérité, la liberté de pensée et de parler, ainsi que l’éthique de l’honneur guideront des élites véritablement choisies. La tyrannie des trafiquants est désormais trop installée pour que l’esprit public s’évade de la propagande crasseuse que les médias imposent au quotidien. La corruption est une donnée pratique dont on peut limiter les effets et l’importance par l’éducation, les associations indépendantes de penseurs, la diversité des centres de diffusion et la limitation du pouvoir des congrégations multinationales. La globalisation pousse dans l’autre sens. Aussi incarne-t-elle aujourd’hui l’inhumanité.

    Auran Derien (Metamag, 9 janvier 2013)

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  • Economistes, institutions, pouvoirs...

    Nous reproduisons ci-dessous un texte intéressant de Frédéric Lordon, cueilli sur son blog La pompe à phynances et consacré aux mécanismes institutionnels qui favorisent le corruption des économistes.

     

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    Economistes, institutions, pouvoirs

    [Je prends ici le risque de mettre en ligne la communication que j’ai faite à la table ronde « Economistes et pouvoir » du Congrès de l’AFEP (Association française d’économie politique) qui s’est tenu à Paris du 5 au 8 juillet 2012, risque puisque les textes universitaires ne vivent pas très bien hors de leur biotope universitaire. Je le fais cependant à l’occasion du supposé renouvellement du Conseil d’analyse économique (CAE) et accessoirement comme une pièce à verser au débat qui a fait suite à la parution du livre de Laurent Mauduit, Les Imposteurs de l’économie. Mais non sans avertir que ce texte a le style de son caractère et de ses circonstances : académique (quoique…), comme il sied à un colloque… académique, avec quinze minutes de temps de parole strictement comptées. Ceci dit pour signaler que lui reprocher ce à quoi sa nécessité de forme le vouait ne fera pas partie des commentaires les plus malins possibles. A part quoi, on peut discuter de tout — au fond.]

    Intérêts à penser 

    Sur un sujet à haute teneur polémique comme celui d’aujourd’hui, il est peut-être utile de ne pas céder immédiatement à l’envie (pourtant fort légitime) de la castagne et, au moins au début, de maintenir quelques exigences analytiques, conceptuelles même. Pour commencer donc, et dût la chose vous surprendre, voici ce que dit la proposition 12 de la partie III de l’Ethique : « L’esprit s’efforce autant qu’il le peut d’imaginer ce qui augmente la puissance d’agir de son corps. » La chose ne vous paraîtra sans doute pas aller de soi à la première lecture, mais cette proposition livre ni plus ni moins que le principe de l’idéologie, à savoir que la pensée est gouvernée par des intérêts à penser, mais de toutes sortes bien sûr, très généralement les intérêts du conatus, c’est-à-dire tout ce qui peut lui être occasion de joie (c’est-à-dire d’augmentation de la puissance d’agir de son corps).

    Derrière la pensée donc il y a toujours des désirs particuliers de penser, déterminés bien sûr par les propriétés idiosyncratiques de l’individu pensant, mais aussi — et en fait surtout — par sa position sociale dans des milieux institutionnels. C’est cette position sociale qui conforme ses intérêts à penser, je veux dire à penser ceci plutôt que cela, à avoir envie de penser, de s’efforcer de penser dans telle direction plutôt que dans telle autre. La question est donc celle des profits ou des intérêts à penser ce qu’on pense, et dont il faut redire qu’ils peuvent être de toutes natures : monétaires bien sûr, mais aussi, et évidemment surtout, institutionnels, sociaux, symboliques, psychiques, et à tous les degrés de conscience — ce qui, par parenthèses, devrait suffire à écarter les lectures catastrophiquement béckeriennes [1] de ce propos…

    Sans surprise en tout cas, Spinoza rejoint ici Bourdieu : dites moi à quel domaine institutionnel vous appartenez et quelle position particulière vous y occupez, et je vous dirai quelles sont vos inclinations passionnelles et désirantes, y compris celles qui vous déterminent à penser. Si donc on pense selon ses pentes, c’est-à-dire si l’on est d’abord enclin à penser ce que l’on aime à penser — et telle pourrait être une reformulation simple de (Eth., III, 12), ou plutôt pour lui donner la lecture structurale qui lui convient : si l’on est enclin à penser ce qu’on est institutionnellement déterminé à aimer penser —, alors c’est ce bonheur de penser ce qu’on pense, parce que cela procure toutes sortes de joie, qui est au principe pour chacun du sentiment de la parfaite bonne foi, du parfait accord avec soi-même, et de la complète indépendance, de la complète « liberté » de penser.

    Il est donc probablement inutile d’aller chercher même les économistes de service sur le terrain de la corruption formelle : leur corruption est d’une autre sorte. Elle est de cette sorte imperceptible et pernicieuse qui laisse en permanence les corrompus au sentiment de leur parfaite intégrité, dans leur pleine coïncidence avec les institutions qui, dirait Bourdieu, les reconnaissent parce qu’ils les ont reconnues.

    Les effets d’harmonie sociale qui accompagnent les normalisations institutionnelles réussies rendent donc superflue la thèse formelle du conflit d’intérêt. De ces économistes qui, ignorant tout de l’idée de critique, rejoignent ouvertement le camp des dominants, il n’y a pas même à dire que ce sont des vendus, car ils n’avaient pas besoin d’être achetés : ils étaient acquis dès le départ. Ou bien ils se sont offerts avec joie. La thèse du conflit d’intérêt d’ailleurs, à sa lettre même, est vouée à rester impossible à établir. De tous les arguments, où le misérable le dispute au ridicule, avancés par exemple par le cercle des économistes (en fait certains de ses membres) pour sa défense, il n’y en a qu’un qui soit un peu robuste : tous ces gens-là mettront quiconque au défi de « prouver » le conflit d’intérêt. Et on ne le prouvera pas ! On ne le prouvera pas, non pas parce qu’on aura du mal à mettre la main sur les pièces à conviction décisives, mais parce qu’il n’existe pas.

    Si je me suis livré à ce bref détour théorique en introduction, c’est précisément pour rappeler qu’il existe bien d’autres modes de l’alignement des discours que le conflit d’intérêt, et qu’en lieu et place de la transaction monétaire explicite et consciente, il est une myriade de transactions sociales implicites et le plus souvent inconscientes qui concourent bien plus sûrement au même résultat, avec en prime le superbénéfice de la bonne conscience pour tout le monde, ce supplément heureux de toutes les harmonies sociales.

    Economistes et journalistes, en rangs serrés 

    C’est donc plus un regard sociologique et institutionnaliste qu’un regard journalistique et criminologique qu’il faut prendre sur le paysage dévasté de ladite science économique. A cet égard, la thèse du conflit d’intérêt est un sous-produit de l’hypothèse plus générale de la crapulerie — alias, s’il y a du mal dans le monde, c’est parce qu’il y a des crapules. Ainsi, expliquer la commission des économistes de service par le conflit d’intérêt équivaut dans son ordre à expliquer la crise financière par Kerviel et Madoff, ligne qui entraîne irrésistiblement les solutions dans les impasses de l’éthique. Aussi, très logiquement, tenter de mettre un terme aux malfaisances à coup de déontologie, de chartes et de transparence aura-t-il les mêmes effets, je veux dire la même absence d’effet, ici que là.

    Evidemment, c’est un très grand progrès que de porter au jour les turpitudes de ces économistes, comme se sont attachés à le faire de longue date, et dans l’indifférence générale, Le Monde diplomatique, Acrimed et tout le mouvement de critique des médias, puis décisivement Jean Gadrey dans un texte de son blog, plus récemment le livre sans doute salutaire, quoique parfois surprenant, de Laurent Mauduit. Et l’on est tout aussi évidemment mieux avec des déclarations d’intérêt que sans ! Mais qui les lira, et qui en fera vraiment état ? Les journalistes ? Pour en faire quel usage ? Dans ses critiques Le Monde des Livres n’omet plus de signaler que Bernard-Henri Lévy et Alain Minc sont (était pour le second) au conseil de surveillance du journal. Ce devoir pieusement acquitté, on peut alors continuer de lécher comme d’habitude [2]…

    Par élargissement de la focale institutionnelle, on voit donc que la question n’est pas seulement celle des économistes supplétifs de la mondialisation, mais aussi celle des médias qui en sont les complices, solidaires, et qui les ont imposés sur un mode quasi-monopolistique — tout ce petit monde vantant par ailleurs les stimulants bienfaits de la concurrence non distordue… Car à la fin des fins, qui a promu ces individus, dont certains sont des olibrius ? Qui les a poussés sur le devant de la scène ? Qui, par exemple, s’est porté partenaire avec empressement, il y a une dizaine d’années, de cette navrante pantomime qu’est le « prix du jeune économiste » — dont Antoine Reverchon dans un numéro récent du Monde Economie [3] n’hésite pas à faire un modèle de pluralisme, on croit qu’on rêve…

    Comme on sait, cet effet d’imposition a été d’autant plus puissant qu’il a été le fait de la presse dite de gauche, je veux dire de fausse gauche : Le Monde, Libération, Le Nouvel Observateur, France Inter, et jusqu’à France Culture — la honte… —, et ceci depuis des décennies. La complicité organique de ces médias avec ces économistes a passé les seuils où toute régulation intellectuelle a disparu. Avec ce sens très particulier de l’évidence qui est l’un des charmes de la bêtise, un article de ce même numéro du Monde Economie s’interroge en toute candeur : « Qui n’a jamais apporté ses conseils à une société privée ? A une banque ? A un gouvernement ? » Mais enfin, bien sûr ! Quel économiste n’a jamais fait ça ?... Mais il faudrait faire l’analyse complète de ce numéro décidément remarquable du Monde Economie, comme d’ailleurs de toutes ces opérations en mode damage control de cette presse auto-commise à la défense des experts organiques de l’ordre néolibéral, Dominique Nora pour le Nouvel Obs [4], ou l’inénarrable Eric Le Boucher pour Slate [5], journalisme de service au service des économistes de service.

    Misère de la déontologie universitaire 

    Ces simples évocations laissent entrevoir à elles seules l’ampleur du déport vers les pôles de pouvoir de tout un paysage institutionnel. Au sein duquel il faut évidemment compter les institutions de la science économique elle-même. Là encore, les patchs éthiques de la déontologie et de la transparence promettent d’être terriblement insuffisants. Les chers collègues et les comités de lecture des revues scientifiques liront-ils les déclarations d’intérêt ? Bien sûr ils les liront. Et puis ? Et puis rien évidemment ! La science économique dominante, de son propre mouvement, en suivant ses seules pentes « intellectuelles » (si l’on peut dire… ) et ses orientations théoriques, a donné son aval avec enthousiasme au tissu d’âneries dont les mises en pratique ont conduit à la plus grande crise de l’histoire du capitalisme. Je vous propose alors l’expérience de pensée suivante — c’est une contrefactuelle : période 1970-2010, soumissions aux revues, avec toutes les déclarations d’intérêt en bonne et due forme, des papiers de Fama, Jensen, Merton, Scholes, Summers, Schleifer, etc. Taux de rejet pour cause de collusion trop manifeste avec des intérêts privés ? Zéro, évidemment. C’est donc, là encore, toute une configuration institutionnelle, celle du champ de la discipline, qui a produit cet état dans lequel le discours de la science économique dominante est devenu si adéquat aux intérêts des dominants que se faire payer pour dire quelque chose qu’on a spontanément et « scientifiquement » pensé ne peut pas porter à mal.

    Voilà alors que, par une espèce de tropisme du pire, le système français, pris de décalcomanie institutionnelle, se met à imiter ledit modèle étasunien. Et la recherche est désormais en proie au fléau des fondations. Dans son ouvrage, Laurent Mauduit fait de curieuses différences en parant PSE [6] de tous les mérites, pour réserver à TSE [7] le rôle du vilain. Plutôt que de se perdre dans des différences secondes, c’est le principe premier lui-même, celui de l’organisation par fondation, qu’il faudrait questionner. Car en voilà une autre harmonie sociale, institutionnellement équipée, et là aussi, tout s’y emboîte à merveille : la science-scientifique la plus consacrée a pris le pli de dire d’elle-même des choses qui se trouvent n’offenser en rien les puissances d’argent (et je parle par litote) ; assez logiquement les puissances d’argent commencent à se prendre de passion pour une science si bien disposée et se proposent de « l’aider », comme une sorte de devoir citoyen sans doute…

    Mais qui peut sérieusement croire un seul instant qu’Exane, Axa, Boussard et Gavaudan Gestion d’Actifs (puisque ce sont les « partenaires » de PSE) pourraient ainsi offrir de larges financements si ces généreux mécènes n’étaient pas de quelque manière assurés d’avoir à faire à une institution qui, majoritairement, ne viendra à aucun moment défier sérieusement leurs intérêts fondamentaux sur le plan intellectuel ? Voici donc ce qu’on peut lire sur le site de PSE : « Le rôle des partenaires privés est central : leur engagement contribue au décloisonnement entre recherche académique et société civile ». On notera d’abord que ces décloisonnements s’effectuent toujours dans la même direction, et ensuite que c’est là très exactement l’argument sans cesse rabâché par le Cercle des économistes pour justifier ses agissements : « si nous sommes dans les banques et les conseils d’administration, c’est pour sortir de notre tour d’ivoire, aller au contact de la réalité, et parce que nous avons le goût du terrain »…

    Romain Rancière (PSE) peut bien proposer une charte à l’usage des chercheurs de PSE, on ne voit pas, et pour les raisons que j’ai déjà indiquées, quels changements significatifs elle pourrait produire à elle seule, et surtout quand, mettant les individus sur le devant de la scène, elle omet de mettre en question l’institution elle-même, dans ses principes fondamentaux. Quitte à faire dans la transparence, il serait sûrement intéressant de rendre publics les résultats des conventions de recherche entre PSE et, par exemple, Axa Research Fund, ou bien avec la fondation Europlace Institute of Finance — on imagine d’ici les brûlots…

    Laurent Mauduit est malgré tout porté à voir dans la moindre part des partenaires privés dans PSE (relativement à TSE) une démonstration d’auto-modération et de sage prudence. Je lui propose une autre interprétation : PSE en voulait autant que TSE ! C’est juste que le fund raising a un peu foiré en route… après quoi, bien sûr, il est toujours possible de faire de nécessité vertu. Je lui proposerais même une interprétation de l’interprétation : en moyenne, PSE affiche un enthousiasme pour les mécanismes de marché un petit peu en retrait par rapport à TSE — amis économètres, à vos codages ! Intensité market friendly des publications vs. millions d’euros levés : je vous prédis des R2 étincelants.

    Refaire les institutions d’une science sociale critique 

    Spinoza explique dans le Traité politique qu’il ne faut pas attendre le bon gouvernement de la vertu des gouvernants — pari sur un miracle voué à être perpétuellement déçu —, mais sur la qualité des agencements institutionnels qui, en quelque sorte, déterminent des comportements extérieurement vertueux mais sans requérir des individus qu’ils le soient intérieurement.

    Parce que ce sont les institutions, spécialement quand nous sommes exposés à un air du temps aussi nocif que celui d’aujourd’hui, parce que ce sont les institutions, donc, qui déterminent les choses aimables à penser, il n’y a pas de salut hors de la reformation des institutions. Une reformation qui vise à consolider les principes de celles que nous habitons, et à tenir à distance celles qui veulent nous coloniser. Dit plus explicitement : le bazar déontologique ne nous sera que d’une très mince utilité. Il n’y a qu’un seul combat qui ait quelque sens et quelque poids, c’est le combat institutionnel de l’AFEP [8], et spécialement sous le diagnostic que les institutions « officielles » de la science économique, l’AFSE, les sections 5 du CNU et 37 du CNRS étant sans doute irrémédiablement perdues, il faut construire autre chose à côté.

    Autre chose qui ne nous défende pas seulement contre la corruption par les pouvoirs constitués, mais qui nous protège aussi de l’asservissement au pouvoir diffus de ce qui se donne à un moment donné comme le cercle des opinions légitimes, à l’intérieur duquel sont enfermées les seules différences tolérées. On ne prend conscience de cet effet particulièrement pernicieux qu’à l’occasion de grands événements qui déplacent d’un coup les frontières tacites du dicible et de l’indicible, du pensable et de l’impensable, choc massif de délégitimation qui laisse soudainement à découvert les amis de l’ancienne légitimité.

    A cet égard, l’effet de la crise financière présente aura été des plus amusants, en tout cas des plus spectaculaires. Ainsi a-t-on vu quasiment brandir le poing, parfois même dire « capitalisme », des économistes qui en quinze ans n’avaient rien trouvé à redire ni à la mondialisation, ni à la financiarisation, ni à l’Europe libérale — contestations alors extérieures au cercle de la légitimité, où il fallait impérativement se maintenir si l’on voulait continuer d’avoir tribune régulière au Monde ou à Libération, droit d’être invité à donner conseil au Parti socialiste, et peut-être plus tard de toucher la main d’un ministre. Certains qui fustigeaient l’irresponsable radicalité se retrouvent quelques mois plus tard à dire cela-même qu’ils critiquaient — c’est que dans le glissement de terrain tout bouge si vite, et qu’il faut bien tenter de suivre… D’autres commencent à s’indigner bruyamment de choses qui jusqu’ici les laissaient indifférents — et il n’y a pas plus drôle que ce spectacle des néo-rebelles tout occupés à faire oublier leurs propos, ou leur absence de propos d’hier.

    Comme toujours plus grotesque que la moyenne, le Cercle des économistes négocie comme il peut son virage sur l’aile pour ne pas sombrer dans le ridicule et avec le monde qu’il a toujours défendu. Avec un parfait sérieux, il publie maintenant des ouvrages intitulés « Le monde a-t-il encore besoin de la finance ? », ou bien « La fin de la dictature des marchés ? », ce dernier, je vous le donne en mille, sous la direction hilarante de David Thesmar…

    Dans sa lettre 30 à Oldenburg, Spinoza écrit ceci : « si ce personnage fameux qui riait de tout vivait en ce siècle, il mourrait de rire assurément ». On voudrait vraiment que le rire ne soit pas la toute dernière chose qu’il nous reste face à ces gens sans principe, ces opportunistes, et ces demi-retourneurs de veste qui sont le fléau de la pensée critique — dont c’est normalement la fonction de penser contre un air du temps, et d’en assumer le risque de minorité. Mais en parfaits individus libéraux, tous ces gens sont de petites machines procycliques.

    C’est le déséquilibre de nos institutions qui détruit les régulations de la décence et permet que soient à ce point foulées au pied les valeurs intellectuelles les plus élémentaires. On peut donc dire à quelques années d’écart une chose et son contraire, mais sans un mot d’explication, ni le moindre embarras de conscience — et toujours au nom de la science !

    Ce ne sont pas des chartes qui nous délivreront de ça, voilà pourquoi il importe de construire autre chose. Autre chose qui affirme qu’une pensée vouée à la simple ratification de l’ordre établi ne mérite pas le nom de pensée. Autre chose qui élise la vertu contracyclique de la critique comme notre forme de la vertu. Autre chose, en somme, qui, par l’effet de sa force collective institutionnalisée — donc en extériorité — nous attache à cette vertu en nous déterminant à aimer penser autrement.

    Frédéric Lordon (La pompe à phynance, 23 novembre 2012)

    Notes

    [1] Gary Becker est un économiste qui s’est signalé par son projet de théoriser tous les comportements humains à l’aide du modèle économique du choix rationnel. Quand un criminel envisage de passer à l’acte, un fumeur d’arrêter, un individu de se marier, ou de divorcer, etc., il s’agit toujours d’une décision prise sur la base d’un calcul rationnel des profits et des pertes. Evidemment cette brillante entreprise intellectuelle a été, comme il se doit, couronnée d’un prix Nobel…

    [2] Modulo, bien sûr, les variations des rapports de force qui commandent de moins lécher quand l’individu devient moins léchable.

    [3] « Dogmatisme, conflits d’intérêt, la science économique suspectée », Le Monde Economie, 3 avril 2012.

    [4] Dominique Nora, « Les économistes sont-ils des imposteurs ? », Le Nouvel Observateur, 2 avril 2012.

    [5] Eric Le Boucher, « Les économistes, bouc émissaire de la crise », Slate, 23 mars 2012.

    [6] PSE, Paris School of Economics, créée sous Dominique de Villepin pour réaliser un équivalent français de la LSE (London School of Economics) ou du MIT, imités jusqu’au bout, y compris dans les formes du financement, puisque PSE est adossée à une fondation qui lève des capitaux auprès de généreux donateurs privés.

    [7] La même chose à Toulouse (Toulouse School of Economics).

    [8] AFEP, Association française d’économie politique qui s’est créée en 2009, en rupture avec l’officielle AFSE (Association française de science économique), autour du problème des manquements gravissimes au pluralisme intellectuel dans les institutions académiques de la science économique.

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  • La corruption du pouvoir...

    Les éditions Perrin publient dans leur collection de poche Tempus, Le déclin de Rome et la corruption du pouvoir,  un ouvrage de Ramsay Mac Mullen. L'auteur, historien, professeur à l'université de Yale aux Etats-unis, est un des grands spécialistes de l'empire romain et est déjà l'auteur d'un essai publié dans la même collection et intitulé Christianisme et paganisme du IVe au VIIIe siècle.

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    "Quelles sont les raisons du déclin et de la chute de l'Empire romain ? Depuis des siècles, philosophes et historiens ont, pour résoudre cette énigme, avancé les explications les plus contradictoires ; beaucoup sont séduisantes, aucune n’est totalement convaincante.

    Ramsay MacMullen a décidé de reprendre la question à son origine même : y a-t-il eu réellement déclin de Rome – ou le « déclin » n’est-il qu’une invention d’historiens née de notre connaissance de l’événement que fut la chute de Rome ? Pour répondre, en se fondant sur les faits et non sur les interprétations, Ramsay MacMullen examine la situation de l’empire, province par province, d’après les sources littéraires, épigraphiques, archéologiques : le tableau qu’il dresse apporte bien des surprises et oblige à réviser les idées préconçues.

    Ensuite, Ramsay MacMullen examine le fonctionnement des institutions et structures du pouvoir : il montre à quel point la corruption – pots de vin, extorsions, concussion -, encouragée par la perversion du droit, la multiplication des fonctionnaires et l’isolement de l’empereur, a miné la notion même de pouvoir, préparant la voie inéluctable de sa destruction.

    Le livre de Ramsay MacMullen ne nous révèle pas seulement comment est mort l’Empire Romain, il est aussi une leçon sur le destin de toute civilisation."

     

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  • Wall street : place financière ou scène de crime ?

    Nous reproduisons ci-dessous un article de Xavier Raufer, cueilli sur le site du Nouvel Economiste et consacré au royaume de la fraude et de l'escroquerie qu'est devenu Wall street, la bourse de New York.

     

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    Wall street : place financière ou scène de crime

    Lançant, dans les années 1980, un important programme de dérégulation de la finance américaine, Ronald Reagan avertissait : “La libre entreprise n’est pas un permis de chasse.” Un sage avis hélas resté lettre morte. Car ce qu’on apprend aujourd’hui sur la place boursière new-yorkaise, le New York Stock Exchange NYSE, ou “Wall Street”, fait dresser les cheveux sur la tête. Une “inquiétante disposition de Wall Street pour le crime”, comme le dit le procureur fédéral de Manhattan-Sud, aussi profonde qu’ancienne : délits d’initiés, faux en écritures comptables, escroqueries pyramidales bien sûr ; mais aussi réseaux illégaux de corruption et d’échanges de données confidentielles – et même présence avérée du crime organisé.

    En sus, une incapacité – parfois proche de la complicité – de l’instance régulatrice, la SEC (Securities and Exchange Commission) à faire régner un ordre minimal au sein d’un bazar d’autant plus tortueux que les transactions douteuses s’y opèrent, ajoute le magistrat, “entre proches ou au sein de la même communauté ethnique”.

    Du coup, le FBI use désormais, pour ses investigations visant la criminalité financière en col blanc, de techniques “associées aux enquêtes visant le crime organisé violent” : écoutes téléphoniques, perquisitions, détentions préventives, inculpations criminelles aussi bien que civiles. Une mobilisation en mesure de juguler la vague criminelle ? Pas sûr car cet élan répressif est bien tardif, le FBI ne consacrant, en outre, aux grandes fraudes financières, que “quelques centaines de policiers fédéraux sur un effectif de 14 000 agents”.

    Des policiers qui ont du pain sur la planche. Car désormais la certitude est là : au moins dans l’affaire Madoff, la présence mafieuse est avérée. Lisons cet extrait d’une interview donnée au New York Times par Harry Markopolos, expert financier qui, depuis l’an 2000, dénonçait les fonds Madoff comme une “pyramide de Ponzi” : “Question : “Vous sembliez vraiment craindre que M. Madoff ou ses sbires [nous soulignons] ne vous tuent ?” Réponse de H. Markopolos : “Croyez-moi, ce n’est pas de la paranoïa… Les agents du FBI portent des armes, pourquoi ? Au cas où. Donc moi aussi, j’ai une arme. Madoff jouait un jeu très dangereux. Quand j’ai discuté avec l’agent du FBI chargé de l’affaire, il m’a dit “Harry, avec de tels montants – on parle de plusieurs milliards [de dollars US], certains finissent mal et tu as eu beaucoup de chance”.” Telle était, vers 2008, l’ambiance à Wall Street.

    Les choses se sont-elles arrangées depuis ? En tout cas pas du fait de la SEC, instance régulatrice sur laquelle on apprend, jour après jour, les faits les plus effarants.

    D’abord, celui-ci : le directeur juridique de la SEC, l’homme personnellement chargé du dédommagement des victimes de l’escroquerie Madoff, était lui-même un bénéficiaire de la fraude en tant qu’héritier, avec ses proches, d’un compte Madoff de 2 millions de dollars – et pendant longtemps, nul à la SEC n’a réagi ! Un conflit d’intérêt chimiquement pur, la loi fédérale interdisant d’évidence à tout haut fonctionnaire de traiter un dossier où il a un intérêt financier personnel.

    Cette négligence proviendrait-elle des agents de la SEC, qu’un journaliste dépeint comme “abrutis par la consultation maladive de sites pornographiques pendant les horaires de bureau” ? Pas seulement, car il y a plus grave encore.

    En août dernier, le sénateur fédéral Charles Grassley s’indigne contre la SEC, qu’il décrit comme “un organisme dominé par les malfaiteurs financiers sur lesquels il est chargé d’enquêter”. Depuis la décennie 1990, la SEC (en théorie censée garder toutes ses archives 25 ans…) aurait en effet systématiquement détruit quelque 18 000 dossiers de ses enquêtes préliminaires, dont – entre bien d’autres – ceux de Madoff, Lehman Brothers, Goldman Sachs – bref, dit le rapport sénatorial, des archives sur les prédateurs ayant provoqué “la vague de corruption et de fraude qui a dévasté l’économie mondiale”.

    Membre de la commission de la justice au Sénat, Grassley souligne que ces dossiers contenaient sans doute des éléments qui auraient pu permettre de prévenir la crise financière de 2008 et l’escroquerie de Madoff.

    En cours, l’enquête sur ces destructions illicites de pièces de justice montre que ces faits sont réels – tout cela étant négligemment considéré par la SEC comme éléments “secondaires” ou “sans intérêt”.

    La SEC pourra-t-elle se ressaisir ? Difficilement, car un efficace lobbying des grands prédateurs financiers a amputé son présent budget de 222 millions de dollars (sur un total de 1, 2 milliard). Rappelons que les réserves financières pour litige de la seule banque JP Morgan, s’élèvent à 4 milliards de dollars…

    Or un budget amoindri signifie moins d’enquêtes, moins d’investigations elles-mêmes limitées dans le temps, donc moins de malfaiteurs poursuivis et plus d’arrangements à l’amiable – un rêve pour requin de Wall Street.

    Des prédateurs qui, s’ils se trouvent encore trop gênés aux entournures dans le cadre financier traditionnel, peuvent aujourd’hui aisément recourir à la “finance de l’ombre”. Une “soupe de structures, d’entités et d’intermédiaires hors des circuits traditionnels”, nous dit récemment Le Monde, hedge funds, firmes de capital-investissement, banques d’affaires, agences de notation, spéculateurs en matières premières, chambres de compensation, sociétés hors-bilan – un ensemble mondialement actif, mais laissé à peu près sans surveillance.

    Concluons par cette cruelle observation de Karl Marx (auteur dont le signataire use peu…) : “Dans son mode de gain comme dans ses jouissances, dit-il dans Les Luttes de classe en France, l’aristocratie financière n’est pas autre chose que la résurrection du lumpenproletariat dans les sommets de la société bourgeoise.” Marx décrivait alors la France de la monarchie de Juillet. Depuis sa fin, voici plus de 160 ans, il semble hélas qu’à Paris comme à Wall Street, bien peu ait changé.

    Xavier Raufer (Le nouvel Economiste, 4 novembre 2011)

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  • Dieu est-il brésilien ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue du criminologue Xavier Raufer, cueilli sur le site de Valeurs actuelles et consacré à l'admiration extasiée, et bien imméritée, que suscite le Brésil dans les médias... 

     

    Cité de dieu.jpg

    Inquiétant Eldorado

    Hélas, on lit trop peu ces temps-ci Octobre 17 vu de France (Éditions sociales, 1967), sommet inégalé de l’hagiographie soviétolâtre dû au défunt chef stalinien Jacques Duclos, et ses élans grandioses sur « l’exaltante perspective de la société communiste de demain ». Amusé, le lecteur se dit alors qu’en 2011, c’en est bien fini de ces inepties.

    Eh bien non – car on en trouve d’analogues, voire de pires et par pleines pages, dans la presse européenne.

    Objet de l’adulation : le Brésil, dont de grands médias ne parlent plus que sur le ton de l’extase. « La cinquième puissance économique mondiale », s’ébahit l’un. Ce « gentil géant » est « un eldorado pour investisseurs », se pâme l’autre, concluant dans un râle que « Dieu est brésilien ».

    Or pour le criminologue informé, on est quand même loin du conte de fées, et le délirant culte “brésilâtre” semble, au vu des faits, pour le moins injustifié. Écoutons les experts brésiliens, lisons les rapports officiels du pays (ce que nul “brésilâtre” ne paraît jamais faire) ; voyons – surtout – ce que pensent les Brésiliens eux-mêmes de ces flots de doucereuses flatteries.

    D’abord, en matière de crime, excellent révélateur social. Là, le bilan du Brésil est affreux : premier pays du monde pour les décès par armes à feu (31 homicides pour 100 000 habitants à Rio de Janeiro en 2010 ; en moyenne 2 pour 100 000 dans l’Union européenne…), l’élucidation des crimes qui y sont commis avoisine zéro. Depuis 1980, plus de 3 millions de Brésiliens ont péri de mort violente – c’est plus de 10 fois le nombre de victimes des bombardement atomiques d’Hiro­shima et de Nagasaki.

    Chaque jour au Brésil, travailleurs sociaux et défenseurs de paysans sans terres sont assassinés par les mi­lices armées des grands propriétaires. Au quotidien, les populations des favelas (mot poli pour désigner les bidonvilles) sont rackettées par de véritables armées criminelles, contrôlant depuis des décennies ces coupe-gorge où, rien qu’à Rio, vivent quelque 30 % de la population locale.

    Abandonnés par l’État, ces malheureux dépendent pour tout des bandits, ou de milices “anticrime” (pires encore dans les faits) : transports urbains, télé­vision par câble, bonbonnes de gaz, eau et bien sûr… stupéfiants. Dans les métropoles brésiliennes, miliciens ou gangsters taxent les populations des favelas, im­posent des couvre-feux et allouent même les bara­quements !

    En août dernier encore, dans une banlieue de Rio, une magistrate (mère de famille de 47 ans) qui s’opposait à cette emprise criminelle sur les favelas est criblée de balles… par des policiers ripoux au service des gangsters. Pour faire bonne figure avant les jeux Olympiques et le Mondial de football, le gouvernement brésilien a timidement entrepris, fin 2010, de restaurer l’ordre dans 17 des 1 000 favelas de Rio – au prix d’une quasi-guerre civile durant laquelle des blindés équipés de mitrail­leuses de calibre 50 tiraient à l’aveugle parmi des baraques en planches et tôle ondulée. Or, quelques mois plus tard, l’armée revient dans ces bidonvilles, entre-temps reconquis par les bandits ! Le cycle classique corruption-intimidation…

    L’économie, maintenant. Si les récents précédents new-yorkais et irlandais ont un sens, ce pays est en pleine surchauffe – la dimension frauduleuse étant, là encore, majeure : salaires des patrons plus élevés qu’aux États-Unis, mètre carré de bureau plus cher à São Paulo qu’à la City de Londres, multiplication des milliar­daires locaux, dans un pays parmi les plus inégalitaires du monde où, dit un économiste écœuré, « l’abîme qui sépare le capital du travail atteint précisément le comble de l’obscénité ».

    Aux mains d’une gauche factice entièrement hypnotisée par Goldman Sachs (banque ayant, rappelons-le, inventé le miroir aux alouettes des Bric), le gouvernement brésilien voit aussi gonfler une énorme bulle du crédit à la consommation – 28 % du revenu disponible local servant désormais à rembourser des dettes (contre 16 % du revenu des Américains, pourtant extravagants en la matière). Le nombre de Brésiliens ayant plus de 3 000 dollars de dettes a cru de 250 % depuis 2004, alors que 150 millions de cartes de crédit circulent dans le pays, trois fois plus qu’en 2008 !

    Ajoutons-y une bureaucratie immense et paralysante, une sécurité civile inexistante, une corruption grave, un népotisme et un clientélisme énormes, permettant toutes les fraudes. Et quasiment pas d’infrastructures majeures entreprises depuis trente ans. De grands groupes, dont Carrefour, commencent d’ailleurs à regretter d’avoir écouté les sirènes médiatiques à propos d’un pays devenu le cauchemar du numéro deux mon­dial de la distribution.

    Sur place, les plus optimistes espèrent que l’inévitable et explosive correction ne surviendra pas avant les jeux Olympiques, organisés à Rio en 2016 – mais refusent de le certifier.

    Voici le paradis inventé par ce que nous avons baptisé “DGSI” (Davos Goldman Sachs Idéologie).

    Xavier Raufer (Valeurs actuelles, 20 octobre 2011)

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  • Marshal Carpentel...

    Pierric Guittaut, l'auteur de Beyrouth-sur-Loire (Papier libre, 2010), revient avec le deuxième volet de sa trilogie. Il publie ce mois-ci aux éditions Nuit Blanche, son nouveau polar intitulé Marshal Carpentel. L'intrigue se déroule quelques années après celle de Beyrouth-sur-Loire et a pour personnage central Antoine Carpentel, le flic pourri et violent, qui a pris de l'envergure... Noir, très noir !

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    Printemps 2016.
    Le commissaire de Police Antoine Carpentel est surnommé le « Marshal ». Violent et corrompu, l’homme règne par la peur et les armes, dans le sillage du maire Louis Berthomier, son beau-père. Unis par un ancien pacte, les deux hommes ont fait taire toute contestation dans une ville éreintée par la désindustrialisation et menacée par le repli communautaire.
    Quand quarante personnes trouvent la mort dans l’incendie du campement illégal du Maleval, les soupçons se portent aussitôt sur Régis Costes, un militant nationaliste dont le groupe d’extrême-droite s'active depuis plusieurs mois. L’homme pourrait aussi avoir des liens avec le vieil élu gaulliste : des témoins ont reconnu Costes lors des derniers mouvements sociaux à la cimenterie Berthomier, où il est venu jouer les briseurs de grève.
    Chargée de l’enquête sur l’affaire du Maleval, le capitaine de gendarmerie De Rambert devra composer avec cette ville à l’agonie. Cette femme d'action, pressentie pour être la première à diriger le fameux Groupe d'Intervention, va surtout devoir se mesurer au cynique « Marshal » sur son propre terrain, et la rivalité pourrait rapidement déboucher à une véritable guerre des polices. La chasse à l’homme peut débuter, mais dans cette ville rongée par le manque d’avenir et le chômage de masse, les cartes sont tellement brouillées et les appétits si féroces qu’il va très vite devenir difficile de distinguer qui veut dévorer qui…

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