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christopher coonen - Page 2

  • La 5G, un enjeu stratégique pour la France et l'Europe ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Christopher Coonen, cueilli sur le site de Geopragma et consacré à la 5G comme enjeu stratégique pour la France et l'Europe. Secrétaire général de Geopragma, Christopher Coonen a exercé des fonctions de directions dans des sociétés de niveau international appartenant au secteur du numérique.

     

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    La 5G : il est urgent d’agir sur cet enjeu de souveraineté pour la France !

    La 5G – la cinquième génération des standards pour la téléphonie mobile – revêt un double enjeu de souveraineté pour la France : son déploiement dans l’Hexagone et notre capacité d’autonomie technologique et industrielle, afin de conquérir des parts de marché au niveau mondial face aux géants chinois et américains. Un enjeu tant économique qu’il est naturellement géopolitique, car les deux sujets ont toujours été intrinsèquement liés. 

    Avec la 5G, le débit de données sera 10 à 100 fois plus puissant qu’avec la 4G. Au-delà des calculs et des quantités de débit, il existe un calcul de pouvoir et d’influence qui devrait intéresser au plus haut point tous les dirigeants politiques, militaires, d’entreprises, et du renseignement. En effet, contrairement à la 4G, les données ne seront plus uniquement transportées d’un point A vers un point B, mais seront bien interactives dans tous les sens et depuis de multiples sources, rendant la gestion des villes connectées, l’utilisation de voitures autonomes ou encore de drones civils et militaires bien plus efficace et avec des réactions en contexte et en temps infiniment réel. C’en sera fini de la « latence technologique ».

    Les grandes manœuvres ont débuté pour l’attribution des licences et le déploiement de la 5G à l’échelle mondiale, ainsi que les appels d’offre organisés pour la construction de ce réseau révolutionnaire qui comprendra des « backbones » de fibre optique terriens et sous-marins, des routeurs et des réseaux du dernier kilomètre. Les entreprises qui les installeront auront à gérer leur part de réseau et les données y transitant. Or, face à ces enjeux de souveraineté colossaux comme d’ailleurs bien d’autres, l’Europe se retrouve de nouveau coincée entre les Etats-Unis et la Chine – et leurs acteurs publics et privés – dans un rôle de suiveur. 

    Dans ce combat mondial où la taille et les économies d’échelle sont primordiales, le risque pour la France réside dans le fait que nos acteurs européens Ericsson, Nokia et Alcatel – qui tous trois possèdent des parts de marché minoritaires aujourd’hui – soient complètement distancés par les trois mastodontes Cisco (US), ZTE et Huawei (Chine). Contre ce dernier, les Etats-Unis mènent une campagne de pressions notamment envers les opérateurs télécoms en Europe, ainsi qu’envers nos gouvernements pour sortir Huawei de cette « course aux armements » du XXIème siècle d’un nouveau genre. 

    Mais cette posture du gouvernement américain est imprégnée d’une hypocrisie sans vergogne. Dans cette affaire de capacités exponentielles dans le routage et le stockage de données, il existe aussi un angle « NSA » (National Security Agency), les « Grandes Oreilles » de notre grand allié qui sont allées jusqu’à épier les téléphones mobiles de chefs d’Etat « amis ». Enfin, pire pour l’Europe, elle est loin sur son propre territoire de reconstruire et même simplement de rénover son propre réseau avec les seuls acteurs nordiques et français. 

    Alors que les puissances mondiales et bien d’autres pays ont entamé le déploiement de la 5G (Chine, Etats-Unis, Corée du sud, etc.), la France est l’une des lanternes rouges de l’Europe. Un lancement commercial à grande échelle a déjà été réalisé en Allemagne, Autriche, Espagne, Finlande, Hongrie, Italie, au Royaume-Uni, et en Suisse. Nous avons pris beaucoup de retard : le gouvernement français ne lancera les enchères des fréquences que cette semaine ! ce qui induira un début de déploiement à la mi-2021 au plus tôt. 

    Un frein supplémentaire émerge dans notre pays au travers d’un débat ubuesque sur la décision du déploiement ou non dans l’Hexagone et en Outre-mer. Cette révolution technologique est prise en otage par toute une kyrielle d’ONG et d’élus écologistes qui argumentent que cette technologie est dangereuse pour la santé, alors même que les études de l’ANSES et de l’IGAS concluent que la 5G n’est pas plus nocive que la 4G. En fait, cette technologie va être motrice dans le combat contre les émissions de CO2 et le réchauffement climatique. Pour ne prendre qu’un exemple : la gestion des « villes intelligentes ». Grâce à sa mise en place dotée de capteurs, elle permettra de gérer le trafic sur la voirie, le chauffage urbain, l’illumination des municipalités ainsi que l’arrosage de leurs parcs et jardins de manière optimale. 

    Les enjeux de la 5G sont donc considérables. Et pourtant, l’un des champions européens, le finlandais Nokia, a annoncé le 22 juin dernier la suppression en France de 1 233 emplois dans sa filiale Alcatel-Lucent, soit un tiers de ses effectifs, dont 831 à Nozay (Essonne), qui regroupe des fonctions de support. Mais pire, le groupe prévoit de supprimer 402 postes à Lannion (Côtes d’Armor), soit la moitié des effectifs de ce site dédié à la Recherche et au Développement ! Comment être alors à la pointe de l’innovation ou simplement posséder une force de frappe, pour contrecarrer les géants américains et chinois ? L’avenir dans ce contexte est clair : les opérateurs téléphoniques français et européens n’auraient alors quasiment que le choix d’adopter la technologie de l’un de ces deux pays.

    Nokia avait pourtant pris toute une série d’engagements lors du rachat d’Alcatel-Lucent, promettant notamment de maintenir les effectifs au même niveau. Maintenir, cela veut dire potentiellement supprimer des postes dans une division, mais en créer dans une autre pour compenser.

    Bercy a demandé au groupe finlandais de revoir sa copie. Mais ne soyons pas naïfs ! Souvenons-nous des promesses faites par les acquéreurs étrangers lors des rachats des pépites françaises : Arcelor par Mittal, ou encore Alstom par GE, pour ne nommer qu’eux. Et du champ de ruines social qu’ils ont laissé derrière eux avec des fermetures de sites et des licenciements, pour ne pas parler de l’appauvrissement technologique. Nos gouvernements successifs s’étaient alors indignés et avaient demandé des rétropédalages, mais peine perdue. 

    Face à ce naufrage, il existe une solution de souveraineté industrielle retrouvée pour la France et l’Europe dans ce domaine stratégique. Surtout qu’une étude de la Commission européenne estime que le marché de la 5G se chiffrera à 113 milliards d’euros d’ici 2025, c’est-à-dire demain. Dans le contexte actuel, c’est donc un vide sidéral pour la France et l’Europe de part et d’autre face à ces opportunités commerciales majeures.

    Une première étape consisterait en un rachat français d’Alcatel-Lucent auprès du groupe Nokia, avec un mélange de Management Buy-Out (MBO) et d’une nationalisation temporaire orchestrés par la direction et l’Etat. Le MBO serait l’occasion d’offrir à la direction et potentiellement à tous les employés de mettre la main à la poche pour financer une portion du rachat. Notre gouvernement pourrait combler le solde du montant de l’opération avec des fonds de la Banque publique d’investissement et de la Caisse des dépôts, soit en forme de prêts ou de montée au capital de l’entreprise.

    Ensuite, une fois l’opération réalisée, un conglomérat européen fort pourrait être constitué avec l’autre prestataire du Vieux Continent : le suédois Ericsson. Une alliance stratégique et commerciale commune – sans forcément procéder à une fusion des bilans des deux groupes – pour concurrencer efficacement ZTE et Huawei, le coréen Samsung, et Cisco, et avoir une part importante dans la définition des standards. S’affrontent également sur cette question de normes gouvernements et acteurs privés, et ces derniers ont bien plus de chance d’innover rapidement et de se mettre en ordre de bataille avant que ne le fassent les bureaucraties d’Etat ou pire la bureaucratie communautaire avec telle ou telle « directive » ; notre regard peut s’arrêter sur l’impuissance et même l’inconscience des membres de l’Union européenne depuis vingt ans sur toutes sortes de questions liées à la technologie… En l’absence de standards et de supervision, tout est possible et hors de contrôle.

    Cette « fusion » pourrait être d’ailleurs un modèle pour d’autres domaines stratégiques dans lesquels le « Vieux Continent » peine à s’imposer : l’industrie, la santé, les services du Cloud, l’intelligence artificielle, etc.

    Il est donc urgent d’agir sur ce sujet primordial de souveraineté !

    Christopher Coonen (Geopragma, 28 septembre 2020)

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  • Guerre Commerciale Chine – Etats-Unis (suite) : la Guerre des OS aura bien lieu...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Christopher Coonen cueilli sur Geopragma et consacré à la guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis sur la question du contrôle des données transitant par la téléphonie 4G et bientôt 5G. Membre de Geopragma, Christopher Coonen a exercé des fonctions de directions dans des sociétés de niveau international appartenant au secteur du numérique.

     

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    Guerre Commerciale Chine – États-Unis (suite) : la Guerre des OS aura bien lieu

    Depuis notre Billet du Lundi du 14 janvier dernier, qui traitait du déploiement de la 5G à l’échelle mondiale et de la confrontation entre la Chine et les Etats-Unis au sujet de la société Huawei, voici que ce conflit s’envenime plus encore, déclinaison numérique de la rivalité géopolitique tous azimuts entre ces deux empires.

    Pour rappel, Huawei est un leader mondial de construction de réseaux de communication et l’un des tous premiers fournisseurs de la dernière génération de technologie de téléphonie mobile 5G en cours de déploiement à l’échelle planétaire. Grâce au débit phénoménal de la 5G et à sa puissance logarithmique par rapport aux capacités du standard actuel 4G, nous assisterons à une très forte accélération de la quantité de données générées, échangées et analysées au niveau planétaire.

    Dans ce chapitre de ladite guerre commerciale, les enjeux de l’accès aux données et de leur traitement sont donc colossaux.

    D’une part, certains gouvernements sont inquiets de voir une puissance étrangère capter des données sensibles. Non seulement dans le cadre de l’utilisation de smartphones, mais aussi dans le contexte d’une myriade d’usages concernant les villes et engins connectés, qu’ils soient d’application civile ou militaire : les voitures autonomes, la domotique, mais aussi le ciblage de missiles seront de plus en plus dépendants de la 5G. Une opportunité certes, mais aussi une vulnérabilité si ces données et/ou leurs usages venaient à être captés et détournés par des parties adverses et tierces, soit directement sur les smartphones ou objets connectés, soit via des « portes » installées au sein des réseaux terrestres et sous-marins.

    Depuis le début de l’année, les Etats-Unis ont mis une pression maximale sur leurs propres opérateurs Verizon et AT&T et sur ceux d’autres pays, afin qu’ils interdisent à Huawei leurs appels d’offre pour équiper leurs réseaux avec la technologie 5G, leur préférant les prestataires occidentaux Cisco, Nokia, Alcatel ou encore Ericsson.  L’Australie, l’Allemagne, le Japon, la Nouvelle-Zélande, la Pologne, la République Tchèque, et le Royaume-Uni ont ainsi banni Huawei et son concurrent chinois ZTE de leurs appels d’offre … Jusqu’à faire chanter les Polonais en brandissant la menace d’annuler la construction d’une base de l’OTAN chiffrée à $2 milliards. En revanche, la Corée du sud, la Russie, la Thailande et la France testent la technologie Huawei et/ ou l’installent avec des caveats : la France par exemple, interdira à Huawei de géolocaliser ses utilisateurs français. D’autres pays comme l’Italie et les Pays-Bas explorent toujours la possibilité d’utiliser Huawei ou ZTE versus d’autres fournisseurs occidentaux.

    D’autre part, l’autre enjeu de tout premier ordre dans le déploiement de la 5G est celui de l’intelligence artificielle. Une façon de l’illustrer est d’imaginer les meta et micro données comme le « pétrole » nourrissant cette forme d’intelligence et le « machine learning » et les algorithmes comme « l’électricité » pour obtenir le résultat final qui permet de connecter toutes sortes d’objets chez les particuliers, au sein des villes, dans les applications militaires et de proposer des services qui vont préempter les souhaits des personnes ou des institutions avant même qu’elles n’en fassent la demande.

    Puisque la puissance de la 5G augmentera de manière significative la quantité de données générées et échangées, ce pipeline sera un facilitateur et un conduit stratégique pour abreuver les algorithmes de ce « pétrole ». La quantité des données est donc absolument primordiale pour offrir un niveau inégalé dans la qualité de cette intelligence artificielle. Et la Chine, avec sa démographie cinq fois supérieure à celle des Etats-Unis, a d’emblée un avantage concurrentiel dans la quantité de données pouvant être captées et traitées. Plus encore si elle a accès aux données des populations d’autres nations via les applications des smartphones …

    C’est donc sans surprise que la détérioration de la relation sino-américaine s’est creusée et qu’une escalade des tensions se manifeste de plus en plus explicitement depuis quelques semaines :  Google, Facebook et d’autres géants américains du Net ont annoncé qu’ils interdisaient à Huawei et aux autres acteurs chinois l’accès à leur Operating System/OS comme Androïd et à leurs applications.

    Outre l’interdiction d’accès aux données, ce sont des décisions lourdes de conséquences et de risques in fine d’ordre stratégique car elles vont pousser l’entreprise chinoise (et peut-être aussi les Russes qui sait ?), à développer leur propre OS. Huawei a d’ailleurs réactivé son OS « Hongmeng » en sommeil depuis 2012.

    Cette récente rétorsion américaine va donc engendrer une réaction en chaine à l’issue ultime encore imprévisible. Dans l’immédiat, c’est la complexité de gestion et les risques de confusion pour les consommateurs mais aussi les opérateurs téléphoniques et tout l’écosystème des développeurs d’applications qui vont exploser. En effet, au lieu de développer deux versions d’une même application et d’obtenir les certifications nécessaires de la part d’Apple et d’Android/Google, les développeurs devront désormais le faire à trois voire quatre reprises. Les coûts de maintenance et de mises à jour des applications vont exploser.

    Malgré tout, cette action s’inscrit logiquement dans cette « ruée vers les données » car du point de vue des Etats-Unis, toute démarche qui limite l’accès des données afférentes aux milliards de comptes des applications est bonne à prendre.  « Malgré eux », les acteurs chinois vont s’affranchir de la domination américaine et exercer une nouvelle forme de souveraineté technologique et économique en développant leurs propres OS.

    Il est probable que Huawei équipera de nombreux pays avec sa technologie 5G ; c’est logique par rapport à son expertise et à son poids dans le secteur et au rôle de premier plan de la Chine dans l’économie mondiale. Après tout, les Etats-Unis n’ont-ils pas équipé depuis les années 1920 la plupart des pays avec des ordinateurs personnels, des réseaux informatiques, des serveurs et des smartphones ? Nous sommes-nous posé les mêmes questions avec autant de discernement depuis lors sur l’accès aux données par leurs sociétés et le gouvernement américain ? Il est certain que les activités de la NSA et l’adoption des lois US « Cloud Act I et II » ont permis aux GAMFA (Google, Apple, Microsoft, Facebook et Amazon) et à l’Oncle Sam d’accéder aux données de milliards d’inter- et mobinautes.

    L’appréciation de cette rivalité sino-américaine est sans doute le fruit de l’hypocrisie d’un empire jaloux envers la montée en puissance d’un autre, et nous ne pouvons que déplorer à nouveau l’absence de l’Europe comme acteur incontournable de ces développements technologiques et économiques majeurs. La guerre des OS aura bien lieu, et le « Vieux » continent sera en plein tir croisé.

    Christopher Th. Coonen (Geopragma, 18 juin 2019)

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  • Réseaux 5G : encore une révolution qui échappe à l’Europe ?...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Christopher Coonen cueilli sur Geopragma et consacré aux enjeux pour l'Europe de la technologie 5G. Membre de Geopragma, Christopher Coonen a exercé des fonctions de directions dans des sociétés de niveau international appartenant au secteur du numérique.

     

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    Réseaux 5G : encore une révolution qui échappe à l’Europe ?

    Le mot « 5G » sera sur toutes les lèvres lors du « Mobile World Congress » du 25 au 28 février prochains, grand-messe mondiale annuelle de la téléphonie mobile à Barcelone. Pourquoi ? Car c’est l’héritier tant attendu du standard actuel, la 4G.

    Nous utilisons nos smartphones en France et en Europe depuis 2012 à leur plein potentiel grâce à la 4G. Ce fut alors une petite révolution, car la 4G offrait deux atouts : premièrement, elle permettait la circulation des appels vocaux directement par Internet et non plus par le réseau téléphonique. Deuxièmement, la 4G s’appuyait sur le « multiplexage » (passage de différents types d’information par le même canal) permettant d’augmenter les flux d’informations et des données.

    Le réseau 4G donne un aspect superlatif au terme haut débit. A juste titre : ses débits théoriques sont nettement supérieurs à la génération précédente (3G), allant de 42 Megabits / seconde à 300 Megabits / seconde pour la « LTE » (Long Term Evolution). La « LTE Advanced » va au-delà de 1 Gigabit/seconde.

    Les inventeurs de WhatsApp ne s’y étaient pas trompés, lançant en 2009 une application Android et iOS permettant un service de messagerie, de MMS (envoi de messages enrichis de photos, vidéos et messages vocaux), et d’appels vocaux, tous gratuits sous réseau WIFI, faisant trembler les opérateurs traditionnels de téléphonie mobile qui voyaient déjà leurs millions d’abonnés les déserter. Pour la petite histoire, ces démissionnaires de Yahoo! avaient postulé chez Facebook et vu leurs candidatures rejetées, avant de se faire racheter à prix d’or quelques années plus tard en 2014 par le même Facebook pour la modique somme de 19 milliards de dollars…Facebook impliqué dans le scandale de l’usurpation de données via Cambridge Analytica, et décrié par certains de ses anciens employés pour une insoutenable légèreté de l’être s’agissant du traitement des données personnelles. Facebook a 1,7 milliard d’abonnés au niveau mondial, WhatsApp 1,5 milliard – de lourds enjeux.

    Nous voici au cœur du sujet : avec la 5G, le débit de données sera 10 à 100 fois plus puissant qu’avec la 4G. Au-delà des calculs et des quantités de débit, il existe un calcul de pouvoir, d’influence et de renseignement qui devrait inquiéter au plus haut point tous dirigeants politiques, militaires et d’entreprises. En effet, contrairement à la 4G, les données ne seront plus uniquement transportées d’un point A vers un point B, mais bien interactives dans tous les sens et depuis de multiples sources, rendant la gestion des villes connectées, les utilisations des voitures autonomes ou encore des drones civils et militaires bien plus efficaces avec des réactions en contexte et en temps infiniment réel. C’en sera fini de la « latence technologique ».

    Or, face à ces enjeux de souveraineté colossaux, comme d’ailleurs sur bien d’autres sujets, l’Europe se retrouve de nouveau coincée entre les Etats-Unis et la Chine.

    Les grandes manœuvres ont débuté pour l’attribution des licences 5G à l’échelle mondiale, ainsi que les appels d’offre organisés pour la construction de ce réseau révolutionnaire qui comprendra des « backbones » de fibre optique terriens et sous-marins, des routeurs et des réseaux du dernier kilomètre. Les entreprises qui les installeront auront à gérer leur part de réseau et les données y transitant, et pourraient assez facilement créer des « portes arrière » pour capter et potentiellement copier celles-ci.

    Imaginons le revers de la médaille. Ces applications tellement plus puissantes et versatiles auront aussi leur talon d’Achille : les hackers d’Etat, petits ou grands, ou des pirates informatiques privés, pourront créer de véritables crises et failles en déréglant la circulation de véhicules en ville, paralysant totalement ces mêmes villes, ou encore en faussant le ciblage de la livraison d’un colis ou d’un missile…Il n’existe pas pour le moment de standard de cryptographie et de sécurité associé à la 5G.

    Entre temps, sur l’autre rive de l’Atlantique, le Président Trump a pourtant adressé aux agences fédérales en octobre 2018 l’un de ses « Memorandum » : « il est impératif que les Etats-Unis soient les premiers dans la technologie cellulaire de cinquième génération (5G) », soulignant que la course à la 5G avec la Chine était une priorité de sécurité nationale. Mais en oubliant de mentionner l’importance de la cyber-sécurité de ces nouveaux réseaux et abrogeant même des dispositions prises par la « Federal Communications Commission » de l’administration du Président Obama pour que les réseaux de la 5G soient sécurisés en amont par des standards pour réduire les risques d’intrusions et de cyberattaques…

    C’est donc un vide sidéral de part et d’autre face à des dangers très tangibles et incroyablement destructeurs. S’affrontent sur cette question de standards gouvernements et acteurs privés, et ces derniers ont bien plus de chance d’innover rapidement et de se mettre en ordre de bataille avant que ne le fassent les bureaucraties d’Etat ou pire la bureaucratie communautaire avec telle ou telle « directive » ; notre regard peut s’arrêter sur l’impuissance et même l’inconscience des nations sur ces sujets depuis vingt ans sur toutes sortes de questions liées à la technologie… En l’absence de standards et de supervision, tout est possible.

    Avec la 5G se dessine donc un combat mondial entre les géants qui construisent et gèrent déjà nos réseaux 4G en Europe : Cisco (US), Ericsson, Nokia et Alcatel (EU) –qui tous trois possèdent des parts de marché minoritaires aujourd’hui – et deux géants chinois, ZTE et Huawei. Cette dernière a fait les choux gras des quotidiens récemment, avec la détention de sa DAF (surtout fille du fondateur) au Canada sous mandat d’arrêt des Etats-Unis pour violation potentielle des sanctions mises en place contre l’Iran. Huawei s’est vue qualifiée par la Commission Européenne de société « inquiétante » car les terra datas qu’elle traite pourraient tomber dans la nasse des services de renseignements chinois. Huawei est en pleine ascension en Europe, ayant doublé ses effectifs entre 2013 et 2018 pour atteindre 14.000 employés, avec une part de marché des infrastructures de réseaux européens estimée à 15-20%. Son chiffre d’affaires en 2018 s’est établi à 100 milliards de dollars, plus que Cisco et même IBM. Elle a détrôné Apple pour devenir le deuxième vendeur de smartphones au monde, derrière Samsung.

    Contre ce mastodonte, les Etats-Unis mènent une campagne de pressions notamment envers les opérateurs télécom en Europe, ainsi qu’envers nos gouvernements pour sortir Huawei de cette « course aux armements » du 21ème siècle d’un nouveau genre. L’Administration américaine a dépêché des émissaires au Royaume-Uni, en Allemagne, et en Pologne en 2018 pour faire passer un message très clair : les gains de coûts associés au fait d’utiliser un prestataire tel que Huawei sont sans commune mesure avec les risques (et coûts) d’intrusions chinoises dans les infrastructures de l’OTAN…et la possible remise en cause de la construction d’une base de l’armée américaine en Pologne évaluée à USD $ 2 milliards. L’effet de cette campagne s’est même fait ressentir jusqu’en Australie qui a sorti Huawei des appels d’offres liés à la 5G.

    Lorsque Huawei et ZTE ont remplacé les puces américaines par des chinoises dans leurs smartphones, le gouvernement des Etats-Unis a sommé ses deux plus importants opérateurs de téléphonie mobile, AT&T et Verizon, d’arrêter la vente de ces smartphones dans leurs boutiques. Ils s’y sont pliés sans broncher.

    La crainte des Etats-Unis repose en partie sur une loi de l’Empire du Milieu datant de 2017, la « Loi Nationale d’Intelligence », qui enjoint les sociétés chinoises de soutenir et de coopérer avec les services de renseignement chinois, où qu’elles opèrent.

    Mais cette posture du gouvernement américain est imprégnée d’une hypocrisie sans vergogne. Car dans cette affaire, il existe aussi un angle « NSA » (National Security Agency), les « Grandes Oreilles » de notre grand allié qui sont allées jusqu’à épier les téléphones mobiles de chefs d’Etat « amis ». En 2013, son directeur, l’Amiral Michael S. Rogers, avait interdit aux dirigeants des opérateurs télécom américains d’inclure Huawei ou tout autre acteur chinois dans leurs appels d’offre. Ensuite, grâce aux révélations d’Edward Snowden, nous savons qu’une opération de piratage conduite à partir de 2010 par cette même agence, nommée « Shotgiant », lui a permis de s’immiscer dans les systèmes d’information du géant à son QG à Shenzhen. Cette intrusion n’aurait apparemment pas révélé l’existence de codes sources « malins » ou de programmes systématiques de collecte de données.  Le gouvernement américain continue à ce jour de démentir l’existence d’une telle opération.

    Et l’Europe, où est-elle dans tout cela ? Elle est loin sur son propre territoire, de reconstruire et même simplement de rénover son propre réseau avec les seuls acteurs nordiques et français. Elle se retrouve coincée entre les acteurs publics et privés chinois et américains. Peut-être pourrait-elle donner l’exemple comme elle l’a fait avec la RGPD, encore faudrait-il qu’il y ait une véritable prise de conscience et une ambition stratégique de la part de nos leaders politiques pour « sécuriser » cette révolution technologique, protéger les données confidentielles de nos entreprises et de nos gouvernements, et même pour s’en emparer. Il y a urgence. La mise en place de la RGPD est en effet d’ores et déjà elle-même menacée par le « Cloud Act II » voté par le Congrès américain en 2018.

     

    Christopher Th. Coonen (Geopragma, 11 février 2019)

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