Nous reproduisons ci-dessous un article du journaliste Régis Soubrouillard, cueilli sur le site de Marianne et consacré à ce protectionnisme que l'Union Européenne sera bientôt la seule à ne pas pratiquer...
Etats-Unis, pays émergents, le protectionnisme gagne du terrain
Présenté comme un génie malfaisant plus rarement comme un sujet de débat, longtemps le protectionnisme fut considéré comme un tabou en ces temps pas si lointains où les prêcheurs de la mondialisation bienfaitrice prônaient l’ouverture des marchés à tous vents. Au-delà des discours, déjà la levée des barrières était une pure imposture diffusée par les apologistes du libre-échangisme. L’Amérique et la Chine n’avaient de loin pas attendus la crise des subprimes et ses conséquences pour disposer des barrières freinant la pénétration de leurs marchés respectifs.
Trente ans après l'ouverture de la Chine aux investissements étrangers, les compagnies internationales se plaignent toujours de lois coûteuses, de règles avantageant leurs homologues locaux, un nationalisme croissant, et le souci de favoriser « l’innovation indigène ».
Face au libre échange, les Etats-Unis ont également développé une attitude ambivalente en multipliant les aides aux secteurs en difficultés depuis 2009. Sans compter le fameux Buy American Act mis en place par Franklin Roosevelt, lors de la Grande Dépression de 1933 pour soutenir la production nationale qui impose au gouvernement fédéral l’achat de biens manufacturiers produits aux Etats Unis.
Et la vague protectionniste ne faiblit pas. Dans un rapport publié le 6 juin, l’Union tire la sonnette d’alarme, face au constat d’une « montée considérable du protectionnisme à l’échelle mondiale qui s’est traduite par l’introduction de 123 nouvelles restrictions des échanges au cours des huit derniers mois, soit une hausse légèrement supérieure à 25 % ».
Toujours aussi confiante en l’efficacité de ses recettes ô combien éprouvées, l’Union européenne, en appelle urgemment à une trêve des mesures protectionnismes: « Les membres du G20 doivent consentir davantage d’efforts pour prévenir l’introduction de nouveaux obstacles au commerce et pour modifier les mesures de protection adoptées depuis le début de la crise ». Faute de quoi la main invisible finirait par en avoir la tremblote.
Les mauvais élèves de la classe libre-échangiste
Les pays émergents, fortement impactés par la crise, apparaissent comme les plus séduits par ces dispositifs protectionnistes. Et de donner quelques exemples –à ne pas suivre- des mauvais élèves de la classe internationale :
- l’Argentine a récemment étendu l’application de nouvelles procédures administratives astreignantes de pré-enregistrement à toutes les importations de marchandises.
- l’Inde, importante productrice de coton, a institué une interdiction d’exportation concernant le coton brut.
- la Russie mérite une attention particulière, car elle est l’un des pays qui recourt le plus fréquemment à des mesures restrictives susceptibles d’être non conformes à ses obligations de futur membre de l’OMC. Le pays prépare actuellement une législation prévoyant des préférences pour les véhicules de fabrication nationale dans le cadre des marchés publics.
La commission pointe également du doigt « les pays du G20 qui ne respectent pas suffisamment leur engagement concernant la suppression des mesures en vigueur. Entre septembre 2011 et le 1er mai 2012, le démantèlement des mesures s’est ralenti: seules 13 mesures ont été abrogées, contre 40 entre octobre 2010 et septembre 2011. Dans l’ensemble, environ 17 % des mesures seulement (soit 89 mesures) ont été levées jusqu’à présent ou ont expiré depuis octobre 2008 ».
Pas sûr que le message ait été entendu par les Etats-Unis qui quelques jours après avoir annoncé des taxes de 31 à 250 % sur les panneaux solaires importés de Chine, en décrétaient de nouvelles, visant cette fois les éoliennes chinoises.Un protectionnisme éducateur
Sans aller jusqu’aux excès de la guerre commerciale que se livrent les deux géants chinois et américains, l’Union européenne pourrait se pencher sur les travaux de l’économiste allemand –un gage de sérieux…- Friedrich List à l’origine de la notion de « protectionnisme éducateur », qui inspira l’union douanière allemande allemande au 19ème siècle.
Rien à voir avec un quelconque repli frileux et permanent mais un protectionnisme stratégique, outil efficace d’intégration politique autant que de développement économique « mis au service d’un programme de développement original et ambitieux » comme le signale Danièle Blondel, économiste, professeur Emérite à Paris Dauphine. « Friedrich List le justifie en observant que de jeunes activités nationales ne peuvent se développer mondialement si leur marché est déjà occupé par des entreprises de pays étrangers ».
« Alors qu’au début du 19ème siècle la future Allemagne était constituée, outre la Prusse d’une poussière de petits états souvent économiquement arriérés, le protectionnisme s’avéra un moyen efficace d’intégration politique autant que de développement économique ». Et l’Allemagne devint un challenger redoutable de la France et de la Grande Bretagne.
Un protectionnisme éducateur et intelligent. Un plan B ?
Régis Soubrouillard (Marianne, 8 juin 2012)