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  • Démographie, immigration, totalitarisme... : un tour d’horizon avec Alain de Benoist

    Nous reproduisons ci-dessous un entretien donné par Alain de Benoist à Paul-Marie Coûteaux, pour la revue Le nouveau Conservateur, cueilli sur le site de la revue Éléments.

    Philosophe et essayiste, directeur des revues Nouvelle École et Krisis, Alain de Benoist a récemment publié Le moment populiste (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Contre le libéralisme (Rocher, 2019),  La chape de plomb (La Nouvelle Librairie, 2020),  La place de l'homme dans la nature (La Nouvelle Librairie, 2020), La puissance et la foi - Essais de théologie politique (La Nouvelle Librairie, 2021), L'homme qui n'avait pas de père - Le dossier Jésus (Krisis, 2021) et, dernièrement, L'exil intérieur (La Nouvelle Librairie, 2022).

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    « Tout projet qui vise à imposer une pensée unique est totalitaire »

    LE NOUVEAU CONSERVATEUR : Alain de Benoist, n’êtes-vous pas alarmé par ce chiffre que donne le démographe Illyès Zouari : le nombre des décès, au sein de l’UE, a dépassé celui des naissances de 1,231 million en 2021 ? Reprendriez l’expression qu’il emploie d’« autogénocide » de l’Europe ?

    ALAIN DE BENOIST. Non, je ne reprendrais pas ce terme, parce que je le trouve à la fois excessif et inutilement polémique. Le mot « suicide » aurait sans été plus raisonnable, même si je crois qu’il ne correspond pas non plus exactement à la réalité. D’une façon plus générale, je ne pense pas qu’il faille raisonner sous l’horizon de l’apocalyptisme, que ce soit en matière écologique ou démographique. La démographie est une discipline dans laquelle il est notoirement impossible de faire des prédictions à long terme : dire qu’au rythme actuel nous allons bientôt disparaître n’a guère de sens puisque nous ignorons si ce rythme va se maintenir (et jusqu’à quand).

    Je suis par ailleurs, comme Renaud Camus, de ceux qui estiment qu’un espace fini comme notre planète ne peut pas accueillir une masse infinie de population. Olivier Rey a bien montré dans ses ouvrages, d’inspiration profondément conservatrice, que toute augmentation de quantité entraîne, une fois passé un certain seuil, un sauf qualitatif qui transforme la nature des phénomènes. C’est la raison pour laquelle la surpopulation a pour effet d’aggraver tous les problèmes que nous connaissons. Il nous a fallu 200 000 ans pour arriver à 1 milliard de bipèdes sur la planète, puis 200 ans seulement pour arriver à 7 milliards. Nous venons maintenant de passer le cap des huit milliards, et nous pourrions être à 11 milliards à la fin de ce siècle, ce qui veut dire que la population mondiale augmente en moyenne d’un milliard de personnes tous les 12 ans Je n’ai personnellement pas envie de vivre dans des villes de 50 ou 60 millions d’habitants…

    Quand une population moins nombreuse succède à une population plus nombreuse, il est inévitable que le nombre des décès l’emporte à un moment ou à un autre sur le nombre des naissances. Cette détérioration de la pyramide des âges est par définition transitoire. La France de 1780, avec ses 27 millions d’habitants (dont la majorité ne parlaient pas le français) se portait beaucoup mieux que la France actuelle avec ses 65 millions d’habitants. J’ajoute que, contrairement à une idée reçue, la baisse de la fécondité ne s’explique pas fondamentalement par la contraception ni même par l’avortement, mais par deux phénomènes essentiels dont on parle trop peu, à savoir la fin du monde paysan (dans lequel une forte descendance était indispensable au maintien des lignées sur leurs terres) et l’entrée massive des femmes sur le marché du travail (qui a considérablement retardé l’âge de la femme à la naissance du premier enfant). S’y ajoutent d’autres facteurs : les effets d’une mentalité hédoniste portée à juger que les enfants coûtent trop cher, les problèmes de logement en milieu urbain (plus de la moitié de la population mondiale vit désormais dans les grandes métropoles, et d’ici 2050 ce sera le cas des deux tiers).

    Il reste, cela dit, deux sujets réels de préoccupation : d’abord le fait que la part des naissances extra-européennes en Europe augmente régulièrement au détriment des naissances « de souche », ce qui induit une transformation du stock génétique de la population, ensuite le différentiel de croissance démographique entre les différences parties du monde : la population de l’Afrique subsaharienne devrait bondir à elle seule de 100 millions d’habitants à 1900 à 3 ou 4 milliards à la fin du siècle, ce qui ne manquera évidemment pas d’avoir des conséquences auxquelles nous sommes très mal armés pour faire face.

    LE NOUVEAU CONSERVATEUR : Voici un siècle paraissait le livre d’Oswald Spengler « Le déclin de l’Occident ». Dans « Mémoire vive », série d’entretiens avec François Bousquet où vous retracez votre itinéraire intellectuel, on comprend que Spengler a exercé sur vous une grande influence. Qu’en diriez-vous aujourd’hui ? Et pour commencer, avalisez-vous le terme d’« Occident » ? Ne pensez-vous pas que parler du déclin de l’Europe serait plus approprié ?

    ALAIN DE BENOIST. Dans son livre, qui lui a valu une renommée mondiale, Spengler proposait une conception de l’histoire allant exactement à rebours d’une idéologie du progrès pour laquelle l’avenir ne peut être que meilleur que le présent et le passé (ce dont il se déduit que le passé n’a rien à nous dire). Pour Spengler, les cultures sont des organismes collectifs qui, comme tous les organismes, naissent, se développent, atteignent leur apogée, vieillissent et disparaissent. Après quoi Spengler établissait un parallèle morphologique entre les dix ou douze grandes cultures de l’humanité, pour démontrer qu’elles ont toutes illustré ce schéma. Ce travail a évidemment été très mal accueilli dans les milieux progressistes, mais aussi dans les milieux libéraux qui, ignorant la mise en garde de Paul Valéry, s’imaginent que certaines civilisations peuvent être éternelles.

    Le terme d’« Occident » était en effet équivoque. Vous le savez, le mot a une longue histoire. Aujourd’hui, il tend à désigner un bloc qui, pour l’essentiel, associerait les États-Unis d’Amérique et les Européens. Cette façon de voir me paraît un non-sens géopolitique. L’Amérique, comme l’Angleterre avant elle, est une puissance de la Mer, tandis que l’Europe, avec ses prolongements eurasiatiques, représente la puissance de la Terre. Carl Schmitt résumait l’histoire à une lutte séculaire entre les puissances maritimes et les puissances telluriques et continentales. Que les intérêts américains et les intérêts européens (et, au-delà, leurs idéologies fondatrices respectives) soient fondamentalement les mêmes est une absurdité dont le spectacle des dernières décennies devrait nous convaincre. On en a encore eu un bon exemple avec la façon dont, dans l’affaire ukrainienne, l’Union européenne a adopté sur pression des États-Unis des sanctions contre la Russie dont les Européens seront les premières victimes.

    LE NOUVEAU CONSERVATEUR : En Allemagne, la vie intellectuelle, voici un siècle, a été marquée par ce qu’on a appelé la « Révolution Conservatrice ». Pensez-vous qu’elle pourrait inspirer aujourd’hui une nouvelle conception du réflexe conservateur qui est avant tout une protestation du monde ancien, de nature humaniste, comme vous l’avez dit sur Radio Courtoisie, face au totalitarisme ?

    ALAIN DE BENOIST. Pourquoi pas, mais à condition d’en faire un examen attentif. Ce qu’on a appelé « Révolution Conservatrice » (l’expression est d’Armin Mohler et date du tout début des années 1950) désigne une vaste mouvance comprenant plusieurs centaines d’auteurs, de groupements politiques et de revues théoriques, qui ont joué en Allemagne un rôle très important entre 1918 et 1932. Cette tendance comprenait des tendances différentes, les quatre principales étant les jeunes-conservateurs, les nationaux-révolutionnaires, les Völkische et les Bündische. Tous ne présentent évidemment pas le même intérêt. En outre, dans le syntagme « Révolution Conservatrice », il ne faut pas oublier que le mot « Révolution » et tout aussi important que l’adjectif « Conservatrice ». Les révolutionnaires conservateurs sont des penseurs ou des acteurs politiques (Spengler, Carl Schmitt, Arthur Moeller van den Bruck, Othmar Spann, Albrecht Erich Günther, Ernst Jünger, Arthur Mahraun, etc.) qui considèrent, à l’encontre du conservatisme du XIXe siècle, que dans les conditions présentes, seule une révolution peut permettre de conserver ce qui mérite de l’être. Leur idée fondamentale est que le conservatisme ne doit pas chercher à préserver le passé, mais à maintenir ce qui est éternel. On pourrait dire aussi : entretenir la flamme et non conserver les cendres.

    LE NOUVEAU CONSERVATEUR : Dans « Communisme et nazisme », ouvrage que vous avez publié en 1998 et qui était sous-titré « 25 réflexions sur le totalitarisme au XXe siècle, de 1917 à 1989 », vous dressiez une liste impressionnante de similitudes entre les deux totalitarismes qui ont pour ainsi dire cohabité au XXe siècle, en comparant notamment ce qu’était la classe pour le communisme à ce que fut la race pour le nazisme : deux catégories à éliminer physiquement (Staline : « Les koulaks ne sont pas des êtres humains, la haine de classe doit être cultivée par les répulsions organiques à l’égard des êtres inférieurs. ») Dans les deux cas, ces totalitarismes du siècle dernier n’ont-ils pas cédé à l’illusion progressiste selon laquelle il était possible, en éliminant les êtres inférieurs, de créer un homme nouveau ? N’est-ce pas aujourd’hui encore le même délire visant à créer par la technique une nouvelle race d’hommes ?

    ALAIN DE BENOIST. La thématique rupturaliste de l’« homme nouveau » remonte à saint Paul, mais celui-ci ne lui donnait évidemment pas le même sens que les grands totalitarismes modernes, ni non plus celui des tenants du « transhumanisme » contemporain. Ce qui est vrai, en revanche, c’est que dans tous les cas cette thématique tend à justifier des mesures d’élimination de ceux que l’on regarde, soit comme inférieurs, soit tout simplement comme « des hommes en trop » (Claude Lefort), à l’exception de ceux qui acceptent de se convertir à la nouvelle doxa dominante. Aujourd’hui, l’homme nouveau dont on nous annonce l’avènement est avant tout un homme « augmenté » par le moyen des technologies nouvelles – mais dont on a toute raison de penser (je renvoie à nouveau aux écrits d’Olivier Rey) qu’il s’agira en réalité d’un homme diminué. La cancel culture, le « wokisme », la théorie du genre contribuent à cette poussée qui semble annoncer une véritable mutation anthropologique, face à laquelle l’action politique sera, je le crains, parfaitement impuissante.

    LE NOUVEAU CONSERVATEUR : Vous introduisiez le même ouvrage (« Communisme et nazisme ») par une citation d’Alain Finkielkraut : « Naguère aveugle au totalitarisme, la pensée est maintenant aveuglée par lui. » Ne sommes-nous pas entrés, sans toujours nous en apercevoir, dans une nouvelle ère totalitaire ?

    ALAIN DE BENOIST. Sans doute, mais encore faut-il ne pas céder à une certaine tendance actuelle, que l’on rencontre surtout à droite, qui consiste à voir de façon polémique du « totalitarisme » partout. Il faut de la rigueur pour manier les mots qui ont trop servi. Je m’en tiendrai pour ma part à une observation simple. On a trop fait l’erreur de définir le totalitarisme par les moyens auxquels ont eu recours les grands totalitarismes historiques (censure, parti unique, arrestations arbitraires, déportations, Goulag, camps de concentration, etc.), sans s’interroger outre-mesure sur les fins. Or les moyens totalitaires n’usaient de ces moyens qu’en vue d’une fin bien précise : l’alignement (la Gleichschaltung), la suppression des façons de penser dissidentes, l’éradication de toute pensée qui s’écartait de l’idéologie dominante. Le totalitarisme, en d’autres termes, était dans la fin beaucoup plus encore que dans les moyens Une fois qu’on a compris cela, on ne peut que constater que les sociétés libérales contemporaines visent exactement le même but, mais avec des moyens différents – des moyens moins brutaux, voire de nature à plaire et à séduire, qui vont de pair avec la mise en place d’une surveillance de contrôle et de surveillance d’une ampleur (et d’une efficacité) jamais vue. Cela s’appelle la pensée unique, et tout projet qui vise à imposer une pensée unique est totalitaire. D’où ma méfiance vis-à-vis de l’Unique, auquel j’ai coutume d’opposer ce que Max Weber appelait le « polythéisme des valeurs ».

    Alain de Benoist, propos recueillis par Paul-Marie Coûteaux (Site de la revue Éléments, 17 janvier 2023)

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  • Ce qui nous arrive...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Paul Fortune, cueilli sur son blog et consacré à la gestion de la crise sanitaire et à ce qu'elle démontre... Paul Fortune est l'auteur de deux romans, Poids lourd et Dérive

     

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    Ce qui nous arrive

    La crise de covidémence est particulièrement perturbante car elle nous laisse en plein désarroi : il est très difficile de comprendre ce qui se passe. De comprendre ce qui nous arrive. Si nous pouvons mieux saisir ce qui la sous-tend, alors nous serons moins angoissés par la situation et nous pourrons y répondre avec un peu plus de sérénité. Ma conviction profonde est que cette crise, au-delà de son aspect profondément liberticide, indique un moment civilisationnel.

    En surface, il est évident que nos dirigeants sont dépassés et se sont engagés dans une voie où seule la surenchère devient possible. C’est très exactement une situation d’hybris, de démesure, à laquelle les Grecs anciens faisaient immanquablement succéder un écroulement par punition divine. Macron et sa bande sont pris dans cette surenchère, et il ne faut pas trop leur prêter de motifs rationnels ou de calculs machiavéliques. Ce ne sont pas des génies du mal, tout au plus des exécutants médiocres et appliqués d’un projet qu’ils ne comprennent pas totalement eux-mêmes. Ce projet, certains le voient comme la tentative du capitalisme de connivence de se transformer en capitalisme de surveillance totale afin de lutter contre la baisse tendancielle du taux de profit. Mieux nous contrôler pour nous faire accepter l’inévitable crise de la surconsommation permanente. Je ne suis pas entièrement en accord avec cela, mais l’explication se défend.

    Au niveau le plus basique, celui de Macron et de ses sbires, je pense qu’il y a eu tout d’abord une panique face à l’inconnu – et les cercles dirigeants savaient probablement dès janvier qu’un virus s’était échappé d’un laboratoire chinois – panique qui les a poussé à se couvrir au maximum, tant ils sont pusillanimes et manquent de vision politique réelle. Ces gens sont dans l’âme des gestionnaires et ne comprennent rien à tout ce qui est grand. De plus, la perspective de pouvoir contrôler les faits et gestes de tous les citoyens n’est pas pour leur déplaire, et c’est d’ailleurs la pente naturelle de tout pouvoir de chercher à s’accroître autant que possible. Ajoutez à cela la personnalité instable, rigide et narcissique de Macron, personnage incapable d’empathie autant que de remise en question, et vous avez la recette idéale pour une folie liberticide déconnectée de toute justification réelle. En embuscade, il y a évidemment l’industrie pharmaceutique, trop heureuse de trouver une bonne occasion d’écouler massivement ses produits et d’engranger de substantiels bénéfices. Ces choses sont très basiques, et cette explication suffit bien souvent : goût du lucre, goût du pouvoir pour le pouvoir. Les puissants ne sont  autre chose que des hommes, après tout.

    Mais il n’y a pas de plan diabolique. Juste à la rigueur un projet des puissants pour devenir encore plus puissants et engranger encore plus de fric pendant qu’il en est encore temps. Parce que ce projet est lui-même un symptôme, au même titre que la crise de covidémence. Ce qu’il y a derrière, c’est tout simplement la modification en profondeur de ce qu’ont été la France et plus largement les pays européens, et dans une moindre mesure les Etats-Unis. L’explication est simple : nos pays sont vieillissants et notre poids démographique relatif dans le monde diminue, alors que notre économie n’est plus à même depuis longtemps de nous assurer une place dominante dans le monde.

    Jamais auparavant dans l’histoire la situation ne s’est présentée. C’est la première fois que des pays ont une population âgée aussi importante en nombre et en proportion. Cela pèse nécessairement sur les mentalités, car les vieux ne souhaitent en général qu’une chose : finir tranquillement en profitant de leur retraite et de leurs économies. La France est un exemple parfait de cette mentalité qui contamine tout projet politique. L’excès de prudence, la terreur face à une maladie en réalité peu dangereuse pour des gens en bonne santé, ne vient que de ce que l’esprit de vieillesse nous domine. Et nous n’y pouvons rien. Une société de vieux est une société peureuse, sans dynamisme ni avenir, qui souhaite seulement préserver un statu quo. De là le deuxième élément : nous n’avons plus les moyens de notre illusion de puissance. Peu à peu, nous déclinons, et ce déclin prend la forme d’une marche forcée à la décroissance sous prétexte d’écologie et de réchauffement climatique. Cette dégringolade organisée n’est pas inéluctable, elle est uniquement le fait de pays qui ont renoncé à tout projet politique justement parce qu’ils sont trop vieux.

    Macron et ses délires ne sont qu’un symptôme. Macron est d’ailleurs littéralement marié à la vieillesse, et son couple est voué à la stérilité, c’est à dire à la mort et à la disparition. Un homme d’une quarantaine d’années peut avoir un projet avec un femme de son âge ou plus jeune, il ne peut strictement rien envisager avec une femme de 68 ans. De même, aucune société ne peut avoir de projet à long terme si elle se concentre sur les desiderata de sa population âgée. La vieillesse était autrefois rare et synonyme de sagesse, elle est devenue pléthorique et synonyme de déclin.

    En tant que pays, nous n’avons plus de projet parce que nous sommes trop vieux pour cela, et c’est ainsi que nos dirigeants ont renoncé à tout. Et face à nous, il y des pays plus jeunes, qui en veulent, et qui même s’ils n’ont pas les moyens intellectuels de domination, finiront par avoir le dessus si nous ne retrouvons pas un esprit de jeunesse, c’est à dire un esprit conquérant.

    Paul Fortune (Blog de Paul Fortune, 8 août 2021)

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  • L'Europe meurt, et c'est tout...

    Nous avons cueilli sur le site Scriptoblog une réponse de Michel Drac à l'article de Marc Rousset, intitulé Vers une Union carolingienne. Michel Drac est l'animateur des éditions Le retour aux sources et est lui-même l'auteur de plusieurs essais percutants comme La Question raciale (Le retour aux sources, 2009) et Crise économique ou crise du sens ? (Le retour aux sources, 2010).

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    Réponse à Marc Rousset : l'Europe se meurt, et c'est tout

    L’Europe se dirige à terme vers une union carolingienne, nous dit monsieur Marc Rousset.

    Personnellement, je ne demande qu’à le croire.

    Autant l’empire thalassocratique anglo-saxon me répugne, autant le Saint Empire me convient.

    Je l’avoue : ce qui m’intéresse dans la France, c’est qu’elle fut la matrice de l’Europe. En réalité, quand je défends la France, je défends cette matrice. Le but, c’est de sauver l’Europe, c'est-à-dire l’idéalisme philosophique incarné dans le politique. Je l’ai écrit dans un petit bouquin commis il y a quelques années (Céfran). Je ne renie rien de ce que j’ai écrit.

    MAIS

    Mais le « petit » problème dans le propos de monsieur Rousset, c’est tout simplement que l’Europe ne prend pas du tout cette direction-là.

    A vrai dire, l’Europe ne prend aucune direction.

    Et la responsabilité de cet état de fait incombe principalement à l’actuel gouvernement allemand.

    Bien sûr, Hollande est un olibrius. Ou disons : il n’a que les moyens de se comporter en olibrius (l’homme en lui-même est une énigme). Son programme économique a été appuyé sur des prévisions de croissance probablement piochées dans un épisode de la saga des bisounours. En fait, il n’a aucun programme, et il le sait très bien. D’où, d’ailleurs, son activisme sur diverses questions sociétales (mariage homo, vel d’hiv, etc.). Pendant qu’on parle de ça, au moins, on ne lui demande pas ce qu’il veut faire concrètement sur le plan économique.

    C’est évident, je n’y reviens pas : les foireux du PS foirent, comme on pouvait s’y attendre. A vrai dire, nous avons été quelques centaines de milliers d’électeurs du FN à laisser passer le PS justement pour ça : pour qu’il nous débarrasse de Sarko et qu’ensuite, il foire. Ok, tout roule.

    Flamby a un peu inquiété les Allemands au début. Ils étaient habitués à un Président français qui dissimulait son absence de vision stratégique derrière un activisme frénétique, et faisait semblant d’être d’accord avec Merkel alors que celle-ci n’ayant en réalité pas de ligne, on ne peut évidemment pas partager une ligne qu’elle n’a pas. Ils ont été surpris par ce nouveau Président français qui, lui, dissimule son absence de vision stratégique derrière une immobilité suggérant la réflexion, et plus encore de découvrir qu’on pouvait finalement ne pas être d’accord avec une ligne que, de toute manière, Merkel n’a toujours pas.

    A présent, les Allemands ne s’inquiètent plus, ou disons plus beaucoup. Ils ont compris que le Français est là pour faire semblant d’avoir des idées, faire semblant de réindustrialiser le pays (alors qu’il ne peut rien en réalité), faire semblant d’être social, et même faire semblant de faire semblant, car à vrai dire on en est là, plus personne n’y croit, le roi est nu mais personne n’ose le dire tant que le roi lui-même ne l’avoue pas. Les Allemands, il faut le leur reconnaître, sont devenus assez bons dans le décodage de leurs voisins français. La pratique, sans doute.

    Mais les choses étant ce qu’elles sont, la très prévisible foirade Flamby n’a en réalité aucune importance. Au point où nous en sommes, la question est uniquement de savoir ce que l’Allemagne va décider. Car, étant la seule à pouvoir encore (provisoirement) payer, elle est de fait en situation de prendre les décisions pour le compte des autres.

    Or, la vérité est que l’Allemagne ne décide rien. Elle ne peut pas. La coalition Merkel est déchirée, sans qu’on arrive d’ailleurs à comprendre qui au juste défend quelle ligne. On dirait le choc mou de deux blocs informes : d’un côté ceux qui veulent faire sortir de la zone euro les pays les plus problématiques (Grèce, mais aussi à terme Espagne, Portugal, sans doute l’Irlande pour finir, voire l’Italie) ; de l’autre côté, ceux qui s’accrochent à la « monnaie unique » parce qu’elle est finalement la seule chose qui permet encore de se donner l’impression qu’on va quelque part. A en juger par la grande presse, la droite d’affaires (Die Welt) veut « faire le ménage » dans la zone euro, tandis que la classe politique, même de droite, est plus circonspecte. Mais allez savoir qui au juste veut quoi au sein du patronat allemand. C’est compliqué : si la zone euro explose, le Mark reconstitué va s’envoler, et l’Allemagne perdra son avantage compétitif intra-européen ; si elle n’explose pas, il faudra bel et bien allonger des sommes prodigieuses (peut-être 2 000 milliards d’euros) pour sauver en catastrophe l’Europe du sud. Dans les deux cas, ça fait mal.

    Montebourg est complètement à côté de la plaque lorsqu’il compare Merkel à Bismarck. A vrai dire, c’est même grotesque. Bismarck fut sans doute le plus grand homme d’Etat européen du XIX° siècle. Sous sa direction, la Prusse a fait un sans faute. La seule grosse erreur, l’annexion de l’Alsace-Lorraine : il était contre, elle lui a été imposée par Guillaume Ier. Sans faute pour le Junker Bismarck. Un géant.

    Merkel, par contre, est une naine.

    Elle n’est pas l’idiote que l’on raille sur le web à cause de vidéos sorties de leur contexte, où elle semble ne même pas savoir situer Berlin sur une carte. Evidemment. Ce n’est pas une imbécile. C’est même, sans aucun doute, quelqu’un d’un niveau sensiblement supérieur à la norme (atterrante) des politiciens actuels.

    Mais elle n’a tout simplement ni le charisme, ni la dimension, ni le caractère, ni l’ampleur de vue qui conviendrait à une personne dont dépend bel et bien, aujourd’hui, en théorie du moins, l’avenir de l’Europe. Elle se retrouve là où elle est parce que :

    Premièrement, ça arrangeait la CDU d’avoir à sa tête une ex-allemande de l’Est, mais pas trop : Merkel, née à l’ouest, fille de pasteur exerçant à l’est, opposante très discrète au système est-allemand, avait le profil ni-ni mou qui correspondait.

    Deuxièmement, formée à l’école RDA, c’est une apparatchik parfaitement adaptée au fonctionnement bureaucratique. Avec elle, le programme, c’est « pas de vagues » : rassurant. Elle en a donné de multiples illustrations lors de son parcours au sein de l’appareil CDU.

    Troisièmement, au moment de la guerre du Golfe, quand les Américains ont commencé à s’inquiéter sérieusement de l’orientation très, très « Ostpolitik » de Schröder, elle a eu l’intelligence tactique de se démarquer, se livrant à d’impressionnantes contorsions pour parvenir à ne pas condamner l’agression états-unienne sans rompre trop franchement avec l’opinion allemande.

    Quatrièmement, c’est une femme, et dans une Allemagne ravagée par le féminisme (comme le reste de l’Europe), c’est tendance.

    Cinquièmement, il faut le reconnaître, elle est extrêmement douée pour ménager en permanence la chèvre et le chou, dire juste ce qu’il faut pour rassurer le baby-boom pléthorique qui fait le gros de l’électorat allemand (âge moyen en Allemagne : 44 ans).

    Le tout pourrait faire un chancelier correct dans une période calme, où il s’agit surtout de ne pas faire de bêtise, et d’écouter attentivement ses conseillers pour laisser le temps aux classes dirigeantes d’incuber un consensus (la méthode allemande, depuis 1949).

    Mais cet ensemble de qualités devient un ensemble de défauts lorsqu’il faut décider. Merkel en est tout simplement incapable. Elle fait ce que le cours des choses l’amène à faire, c’est tout. Elle ne conduit pas sa politique, c’est sa politique qui la conduit. Une autruche la tête dans le sable, qui fait semblant de croire qu’on peut encore « sauver » l’euro, préserver les exportations allemandes sans renflouer des marchés qu’on a rendus insolvables – une absurdité.

    Une autruche et, avec elle, l’ensemble des classes dirigeantes allemandes : incapables de prendre une décision.

    Le résultat, c’est que le seul pays qui pourrait organiser sérieusement l’inévitable refonte de la zone euro… n’organise rien.

    Il est pourtant évident pour tout le monde, désormais, que l’Europe du sud ne peut pas avoir la même politique monétaire que l’Europe du nord.

    Le fédéralisme budgétaire n’y changera rien, parce qu’il s’agit là d’une impossibilité insurmontable.

    Ce serait possible si l’Allemagne acceptait, en gros, de transférer structurellement une fraction significative de son PIB. Mais le peuple allemand ne l’acceptera pas. Les Allemands de l’ouest ont payé pour leurs compatriotes de l’est, mais d’une part on a bien vu qu’ils n’avaient payé qu’avec réticence, et trop peu (le différentiel de niveau de vie reste important), et d’autre part il s’agissait d’Allemands. Peu nombreux en outre. La même chose n’est pas possible quand il s’agit de cent millions de méditerranéens.

    Ce serait possible aussi, à la rigueur, si l’Europe du sud importait soudainement les mécanismes qui expliquent la stabilité ordo-libérale de l’économie allemande. Mais cette importation est impossible, impossible en tout cas dans les délais brefs qu’exige la crise actuelle. Veut-on établir la cogestion en Grèce ? En Espagne ? Dans l’Italie du sud ? Mais c’est une vaste blague : la cogestion chez Don Corleone ! A un certain moment, il faudra tout de même comprendre que les structures sociales ne fonctionnent que si elles sont isomorphes avec les structures anthropologiques profondes. On ne transforme pas un Madrilène en Berlinois d’un coup de baguette magique. D’autant moins que le Madrilène est attaché à son mode de fonctionnement. Il a raison, d’ailleurs : comme n’importe qui, il doit persévérer dans son être. Sinon, il meurt. Le fait que son mode de fonctionnement soit, dans l’économie globalisée actuelle, moins performant que celui d’un Berlinois (et encore, ça se discute), ne le convaincra pas de renoncer à ce qu’il est.

    On dira : un protectionnisme européen changerait la donne. Il solidariserait spontanément l’Europe du nord et l’Europe du sud, les deux ayant forcément intérêt, dès lors, à étendre le marché continental – ce qui impliquerait sans doute, de la part des Allemands, un renoncement plus aisé à leur actuel modèle social, très régressif. Sans doute, mais : d’une part, ce protectionnisme n’est pas voulu par l’actuelle direction allemande ; en fait, c’est le contraire : c’est justement parce qu’elle ne pense pas l’Europe comme un espace protectionniste que l’Allemagne est obligée de la penser en référence à la monnaie unique. Et d’autre part, ce protectionnisme n’aurait aucun besoin de l’euro. Et s’il pousserait sans doute l’Allemagne à réviser son modèle social, rien ne garantit qu’il réduirait drastiquement le fossé qui sépare aujourd’hui les économies du sud et du nord, s’agissant des politiques monétaires optimales qu’elles appellent. Le modèle social-libéral allemand n’est pas la seule cause du différentiel de compétitivité qui s’est creusé depuis l’introduction de l’euro.

    En fait, les orientations actuelles du gouvernement allemand ne s’expliquent pas du tout par la volonté d’établir une Europe carolingienne. Elles ne font que traduire la tétanie qui s’est emparée de toutes les classes dirigeantes du continent. Elles sont en train, bien loin de solidariser les européens, de dresser les peuples de l’Europe du nord contre ceux de l’Europe du sud, où monte désormais une germanophobie à la fois compréhensible et, évidemment, stupide. Elles préparent tout simplement l’implosion économique de l’Europe, c’est tout. C’est d’ailleurs, du moins on peut le supposer, la raison profonde de l’insistance avec laquelle les Américains exigent de l’Allemagne qu’elle maintienne la zone euro, au moment précis où Wall Street et la City of London multiplient les attaques spéculatives.

    Il faut beaucoup d’imagination pour voir une étape vers une Europe carolingienne dans cette crispation presque puérile sur un projet, la monnaie unique, mal conçu parce que contraire aux réalités profondes de l’Europe. En fait, si, de l’absence de décisions qui caractérise les classes dirigeantes européennes, et allemandes en premier lieu, une Europe carolingienne doit sortir, ce sera que décidément, il fallait que ce fût, et quel chemin qu’on prît, on y serait parvenu.

    A un certain moment, il faut regarder les réalités en face. L’euro est un mauvais projet pour l’Europe. Il n’est pas ce dont notre continent a besoin. Il n’est d’ailleurs en rien inscrit dans les logiques relativement décentralisatrices propres à l’héritage politique carolingien. Il en est même le contraire : l’euro c’est l’unité par la centralisation et l’homogénéisation, forcée si nécessaire. On dirait une improbable synthèse entre ce que la France pouvait apporter de pire, son centralisme forcené, son tropisme niveleur, et ce que l’Allemagne pouvait, de son côté, apporter aussi de pire, son inclination irrationnelle pour la hiérarchisation à outrance, sa traditionnelle difficulté à penser la diversité sans l’accompagner d’une opposition quasi-théologique entre élus et réprouvés. Derrière les structures politiques, toujours, il y a un arrière-plan religieux : mélangez le pire du catholicisme gallican (ou de sa version laïcisée, le jacobinisme) et le pire du protestantisme germanique (et de sa traduction économique actuelle, l’inégalité « juste » instituée par l’ordo-libéralisme), vous aurez la zone euro. Prodige de l’euro : avoir cumulé les pathologies françaises et allemandes sans dégager le compromis dont l’Europe a besoin.

    Si une Europe carolingienne doit naître, elle le fera sur les ruines de la construction européenne actuelle, bruxelloise, technocratique, centralisatrice, bureaucratique, entièrement soumise aux intérêts du capital globalisé. Il y a plusieurs moyens d’arriver à cet objectif. Plusieurs scénarios de refonte de la zone euro sont envisageables. Mais pour l’instant, on ne prend aucun de ces chemins possibles.

    On suit la politique du chien crevé au fil de l’eau, on espère s’en sortir en allant toujours plus loin dans ce qui jusqu’ici n’a pas marché, parce qu’on se dit qu’au bout du bout, une cohérence se refera. La vérité, c’est que très probablement, on n’aura même pas le temps d’arriver à ce bout du bout pour voir ce qui s’y trouvait : toute la boutique sera par terre bien avant.

    Et, voilà le problème, on ne s’y sera pas préparé.

    Michel Drac (Scriptoblog, 25 juillet 2012)

     

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