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technocapitalisme

  • L'accélération technocapitaliste du temps...

    Les éditions R&N viennent de publier un essai de Renaud Vignes intitulé L'accélération technocapitaliste du temps. Renaud Vignes est maître de conférences associé à l’IUT d’Aix-Marseille Université et conseille par ailleurs de jeunes entreprises innovantes.

     

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    " La crise que nous vivons heurte une pensée commune que l’on croyait définitive : l’acceptation d’un capitalisme en accélération permanente dont les ultimes outils de régulation sociale seraient la finance alliée à l’algorithmie. Cette situation marque l’échec d’un système hyper-spéculatif d’une complexité qu’un grain de sable invisible a pu le bloquer dans son entier. Dans une civilisation de l’accélération continue les distances ne se mesurent plus en kilomètres mais en durée. La nature même du temps se met à changer et sa maîtrise devient l’apanage d’entreprises qui nous prescrivent de « meilleures » décisions que celles que nous aurions prises nous-mêmes. C’est ainsi que notre destin semble nous échapper. Plus aucune institution n’est capable aujourd’hui d’imaginer des modes de régulation permettant d’éviter les crises toujours plus amples qui se succèdent de plus en plus rapidement. Il est urgent pour les citoyens de reprendre le contrôle de leur vie. "

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  • Les pièges de la société numérique...

    Nous reproduisons ci-dessous un point de vue de Renaud Vignes, cueilli sur L'Inactuelle et consacré à la naissance de l'homo festivus numericus. Renaud Vignes est docteur en sciences économiques et maître de conférences à l’IUT d’Aix-en-Provence.Il est aussi l'auteur d'un essai, L’impasse - Étude sur les contradictions fondamentales du capitalisme moderneet les voies pour les dépasser (CitizenLab, 2018).

     

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    Renaud Vignes: “Les pièges de la société numérique”

    Cette génération que l’on appelle les « digital natives » ou la « e-génération », celle que Michel Serres surnomme « Petite poucette » parce que leurs pouces s’agitent en permanence sur leur smartphone, est née avec téléphone ou tablette numérique en main et des écrans devant les yeux. C’est une espèce en voie de mutation, une mutation dirigée par une sélection artificielle : celle où technologies numériques et humaines sont entrées en symbiose. Homo festivus devient homo festivus numericus.

    L’indifférence aux autres.

    Celui-ci baigne dans les flux de la réalité numérique. Il est indifférent aux autres, ce qui explique son désintérêt pour la chose publique. Il vit dans l’instant et se contente de satisfactions écologiques, d’engagements parcellaires, pour la théorie du genre ou les animaux. Bref, une atomisation du sens civique. Cette dictature du vide se contente d’une offre pressante de produits non indispensables. Le symbole de ces temps narcissiques est le selfie. Tout comme le légendaire Narcisse, festivus numericus est fasciné par son image et informe en temps réel le monde entier de ce qu’il fait. Dorénavant la vie sociale de festivus numericus se passe sur son téléphone portable.

    Des signes (like, flamme, cœur…) permettent d’établir une typologie de ses nouvelles relations sociales. C’est le baromètre de la popularité, de l’intégration. Dès le réveil, toute son attention est concentrée sur le développement de cette popularité. Les comportementalistes ont théorisé, il y a déjà longtemps, comment conditionner les êtres humains en s’appuyant sur différentes méthodes de stimulation. S’appuyant sur le puissant besoin d’appartenance de festivus numericus, ces applications jouent sur tous les leviers pour capter son attention. Comme on aide un enfant à lire, à écrire, à être poli, le développement d’une nouvelle science va l’aider à se concentrer sur ce qui est intéressant pour lui.

    La « captologie ».

    Cela s’appelle la « captologie » et elle s’est érigée en discipline scientifique. Au carrefour de nombreuses disciplines, ce nouveau champ de recherche est en train de prendre forme autour de la notion d’économie de l’attention. Au sein du Persuasive Tech Lab [1] se développent les recherches les plus avancées dans ce domaine. C’est-à-dire l’étude des technologies numériques comme outil d’influence sur nos comportements. Ce domaine de recherche explore les liens entre les techniques de persuasion en général et les technologies numériques. Cela est devenu une science, qui repose sur les travaux des comportementalistes. Notre cerveau évolue chaque jour, car il est plastique. Plus nous le sollicitons, plus il devient avare d’informations, d’interactions et de stimuli. Un peu comme l’estomac qui grossit quand nous mangeons trop et qui demande encore plus de nourriture pour être rassasié. Cela inclut la conception, la recherche et l’analyse fonctionnelle d’outils numériques créés dans le but de changer les attitudes et comportements des individus. Le terme de « captologie » a été inventé en 1996 par le Dr. Fogg dans ce laboratoire. Il publie en 2003 un ouvrage [2] dans lequel il souligne que la technologie n’est pas seulement un outil, mais également un media et un acteur social.

    La captologie a aussi pour ambition d’aider festivus numericus à mieux vivre. Cela peut sembler surprenant : pourtant on estime que, dans l’Union Européenne, 30% des couples se sont rencontrés sur Internet (70% pour les couples homosexuels). De véritables outils de gestion de la vie de famille et de la parentalité sont aujourd’hui disponibles. Des applications mobiles proposent par exemple d’aider à développer l’« intelligence émotionnelle » au sein d’un couple.

    La détection anticipée des désirs.

    Le potentiel de festivus numericus est la clé du système technocapitaliste. Ce qui intéresse celui-ci c’est de détecter automatiquement des potentialités, des goûts, des désirs, bien mieux que nous-mêmes ou nos proches. Les techniques de profilage nous disent ce que nous devons faire. Dans le domaine militaire et sécuritaire, c’est l’exécution par drones armés ou les arrestations préventives de potentiels combattants ou terroristes. Dans le domaine commercial, il ne s’agit plus tant de satisfaire la demande que de l’anticiper. Il devient de plus en plus rare, pour l’individu, d’être exposé à des choses qui n’ont pas été prévues pour lui, de faire l’expérience d’un espace public commun.

    Les citoyens ne sont plus identifiés en fonction de catégories socialement éprouvées dans lesquelles ils pouvaient se reconnaître, à travers lesquelles ils pouvaient faire valoir des intérêts collectifs ; ils le sont selon des profils de consommation. Nous intéressons les plateformes, comme Google, Amazon, ou Facebook, en tant qu’émetteurs de signaux utilisables. Ceux-ci n’ont individuellement que peu de sens, ne résultent pas la plupart du temps d’intentions particulières, mais s’apparentent plutôt aux traces que laissent les animaux. Celles-ci alimentent des algorithmes qui repèrent, au sein de ces masses gigantesques de données, des corrélations statistiquement significatives, qui servent à produire des modèles de comportements.

    Il ne nous reste plus rien à dire car tout est toujours déjà « pré-dit ». Les données parlent d’elles-mêmes. Ce qui intéresse les plateformes de commerce en ligne, par exemple, c’est de court-circuiter les processus à travers lesquels nous construisons et révisons nos choix de consommation, pour se brancher directement sur nos pulsions à venir, et produire ainsi du passage à l’acte d’achat, si possible en minimisant notre libre-arbitre.

    L’abandon des catégories générales au profit du profilage individuel conduit à l’hyper-individualisation, à une disparition du sujet, dans la mesure où, quelles que soient ses capacités d’entendement, de volonté, d’énonciation, celles-ci ne sont plus requises. L’automatisation fait passer directement des pulsions de l’individu à l’action ; ses désirs le précèdent.

    Renaud Vignes (L'Inactuelle, 16 septembre 2019)

     

    Notes:

    [1] http://captology.stanford.edu/

    [2] B. J. Fogg, Persuasive technology: using computers to change what we think and do, The Morgan Kaufmann series in interactive technologies (Amsterdam ; Boston: Morgan Kaufmann Publishers, 2003).

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